mardi 29 septembre 2009

Billet N°16 : De El Hierro (Canaries) à Sao Vicente (Iles du Cap Vert)

Du 24 au 29 Septembre 2009 -


Entre Ciel et Mer…

Appareillage le jeudi 24 septembre de Hierro, cap au sud sud ouest : les îles du Cap Vert, soit 738 milles nautiques.

Une petite appréhension parmi l’équipage, première fois que l’on va naviguer si longtemps sans toucher ni apercevoir la terre.

Un nouveau rythme s’installe sur le bateau, un nouveau rapport au temps, il passe vite en fait mais différemment. Nous sommes beaucoup plus sensibles et attentifs aux éléments qui nous entourent, la couleur du ciel, la force du vent, la hauteur des vagues, le soleil qui décline, la lune qui se lève. Nos sens sont aux aguets, inconsciemment, car il me semble que cette traversée fut paisible. Ce n’est qu’ une fois arrivée à Mindelo dans l’île de Sao Vicente, où je dors 10h00 d’affilée que je réalise que malgré tout ces 5 jours en mer m’ont maintenue dans un état d’alerte permanent.

Au cours de la traversée, Jangada s’est parfois transformé en arche de Noé, des oiseaux terrestres perdus en mer se sont posés à bord, une tourterelle, qui malheureusement s’est envolée trop tôt à mon avis pour regagner la terre, puis un rapace et une hirondelle, perdue à plus de 100 milles de son île, et qui a repris son vol après une nuit passée à l’abri du roof, dès que la terre fut en vue, sauvée !

2 superbes thons de 15 kgs chacun nous ont permis de tester notre grande cocotte minute spéciale conserves. En revanche nous jetions par-dessus bord chaque matin entre 10 et 20 poissons volants (jusqu’à 23 un matin !) qui avaient mal calculé leur coup et s’échouaient sur le pont avec un bruit sourd.

L’allure agréable du bateau, vent arrière, malgré un vent soutenu et une mer belle, a permis à l’équipage de se sentir bien en mer, seule Adélie demeure encore parfois nauséeuse et perd l’appétit, mais elle est quand même suffisamment bien pour regarder un DVD dans le carré, mais pas assez pour faire le CNED…

Je me suis bien sentie pendant ces 5 jours, en confiance avec mon marin de mari, appréciant l’immensité de l’Océan, et la beauté des Cieux.

Belle transition entre l’Europe et l’Afrique !

Barbara


La récolte du petit matin à bord d'un catamaran!



Toutes les tailles d'exocets, même les plus petites (soucoupe à café)



Reconversion professionnelle...



Chacun sa partie...



Recette SEB!



Un engin qui ne chôme pas en traversée, le video player Sony!

mercredi 23 septembre 2009

Billet N°15 : A El Hierro (Canaries)

22 et 23 Septembre 2009

Petit port de La Restinga, extrême sud de Hierro.

Finalement, le voilier Imaca, au sec sur le terre-plein, nous voyant sur le départ à cause du ressac intenable le long du quai (un coup à faire de gros dégâts), nous prête 3 très grosses défenses, qui se montrent efficaces et me font temporiser un peu notre décision d’appareiller. Les enfants veulent rester, ils ont fait la connaissance de Clément et Manon (12 et 9 ans) d’Imaca, et Félix et Rose de Gwenvidik sont arrivés hier soir de la Gomera…

Le vent est moins rageur, le ressac devrait diminuer un peu, je me laisse amadouer par cette ribambelle d’enfants trop heureux d’entrevoir la perspective de passer une ou deux journées ensemble dans ce petit port venté mais charmant.

Nous y laisserons le déflecteur stratifié autour du hublot de coque de la cabine de Marin, qui ne résistera pas. Et la peinture de coque tribord, toute neuve, prendra un coup de vieux…

Mais les enfants nous déclareront avoir passé leur meilleure journée du voyage !

Entre la plage de sable noir, les plongeons depuis le quai, les parties de Monopoly, le ballon de foot de Marin, la pêche de menu fretin (par seaux entiers) à l’épuisette depuis les jupes arrière et la plongée de nuit avec Denis de Gwenvidik dans le port, ils s’écrouleront de fatigue le soir venu. Epuisés, mais heureux !

Le lendemain matin, Barbara part en bus au dispensaire d’El Pinar, à quelques kilomètres, et en reviendra avec une ouïe parfaite, nous commencions à nous inquiéter… Le Dr Teuton de Valle Gran Rey restera donc un excellent souvenir canarien, truffé de compétences insondables…

L’après-midi, nous laissons les enfants à leurs jeux de gamins des bas quartiers de ports et partons en bus à Valverde, le bourg principal de l’île, 40 kms plus au nord à travers la montagne. Marcellino, le chauffeur, connaît toutes les petites vieilles en noir qui montent et descendent, et probablement l’histoire de chacune d’elles. Certes, nous trouverons à Valverde le jamon Serrano promis aux enfants depuis longtemps, mais l’architecture des maisons du village, comme très souvent dans les îles isolées où les contingences de la survie priment sur l’esthétique, est assez quelconque.

Nous recevons, par plusieurs sources différentes, des informations médiocres sur l’escale prévue au Banc d’Arguin. Nous avons également interrogé Philippe Poupon par e-mail via nos amis Marc et Nathalie (Pinta) chez qui il a longuement préparé son nouveau voilier Fleur Australe, avec lequel il s’est rendu dans les parages du Banc au printemps dernier. Le célèbre navigateur nous a aussitôt gentîment répondu, avec des infos précises.
Bien que nous ayons terminé la lecture du récit du naufrage de La Méduse et des incroyables péripéties (sur mer mais aussi à terre, dans le désert ), gourmandes en vies humaines, qui ont suivi ce triste évènement, et que l’envie soit forte de nous y rendre, nous renonçons finalement à cette escale. Incertitude sur l’obtention, sur place à Nouadhibou, de l’autorisation de nous rendre dans le parc naturel (Ph.Poupon l’avait obtenue en France), longueur et coût des formalités d’entrée (visas et autorisations, plusieurs jours et plusieurs centaines d’euros à larguer à Nouadhibou…), interdiction semble-t-il officielle d’utiliser le moteur dans le parc naturel conjuguée avec peu d’eau sous les quilles de notre cata à tirant d’eau conséquent et surtout fixe (1,60m), vent fort (nord 30 nds) prévu pour la période de notre séjour, et enfin limitation pour nous au seul mouillage d’Agadir à l’île d’Arguin, avant d’être obligés de ressortir par le nord du banc et la baie du Lévrier., nous modifions notre programme et décidons de faire route directement sur l’archipel du Cap Vert, à près de 740 milles de El Hierro, en nous promettant du coup d’y séjourner plus longtemps.

Je sens Barbara soulagée de cette décision, elle se fait son idée des choses à travers les descriptions partielles, souvent techniques, que je lui fais, puis elle coefficiente à sa sauce à elle, avec souvent un résultat d’analyse assez proche de la réalité… Je crains aussi que l’histoire de La Méduse ne lui ait plu que moyennement.

Préparatifs de départ vers le Tropique du Cancer.

La météo prévoit des alizés de NNE, vent arrière donc.

Olivier

mardi 22 septembre 2009

Billet N°14 - Aux Canaries

Du Lundi 7 au Mardi 22 Septembre 2009


Décevantes Canaries…

Au milieu de ma nuit de quart, je m’aperçois, à un léger ronflement, qu’Adélie s’est couchée non pas dans la bannette double du flotteur tribord milieu, avec Marin, sa place normale en mer (une toile anti-roulis les sépare), mais sur la banquette opposée à la mienne, sous le roof, sous un fatras de coussins…

Adélie aime bien me tenir compagnie, et je me souviens qu’hier soir, elle m’avait déclaré qu’elle allait faire le quart avec moi… !

Au matin, nous atterrissons sur l’île de Ténérife, et faisons route directement sur Santa Cruz. Au programme : une escale purement technique. Faire du gas-oil, de l’eau douce, des machines de linge, de l’avitaillement, mais aussi trouver un tuyau de 15 mm qui tient 8 bars, un filtre à eaux grises pour le niveau circuit, etc…

Objectif : bâcher ces contraintes dans la journée, et ré-appareiller en fin d’après-midi… pour fuir les affres de la grande ville !

Nous entrons dans la marina del Atlantico, et Bob Escoffier, l’armateur malouin de vieux gréements, nous prend les aussières, sur un catway qui ne dépasse pas la moitié de la longueur du bateau. Il est en croisière sur son voilier personnel, et nous indique qu’il vient de s’engueuler avec la marina, qui lui réclamait une taxe de « signalisation maritime » hallucinante ! Sitôt amarrés, je dis aux enfants de faire le plein d’eau, puis de laver le bateau. Ni poste à carburant, ni machines à laver à pièces dans la plus grande marina de Santa Cruz… Je lance le groupe électrogène sur la machine à laver ENO de l’ami Antoine, et vois disparaître ma Barbouille au fond de la salle des machines babord, dans le coqueron, seul endroit du bord où nous avons pu loger ce satané (mais précieux) engin ! Au millimètre près, après l’avoir démonté en pièces détachées, puis savamment remonté… A chaque fois que l’opération eau douce se répète dans une marina (cela reste rare), c’est un bonheur : l’eau douce à profusion nous fait renaître, et tout passe au lavage/rinçage à grande eau ! Les enfants ne sont pas les derniers à en profiter…

Je décide d’aller tenter de savoir auprès de la marina comment on peut faire du gas-oil ici (Santa Cruz a toujours été un port de ravitaillement en combustibles bon marché, y compris pour les grands navires qui s’y arrêtent quelques heures pour souter sur le trajet Europe de l’Ouest/Cap de Bonne Espèrance). Réponse : il faut commander un camion pour le lendemain !

Quant au prix de la journée à la marina, s’ajoutent effectivement aux 46 euros de stationnement, une taxe de « signalisation maritime » de 119 euros ! J’explique que j’ai surtout besoin de gas-oil, accessoirement d’eau douce, et que je n’ai pas l’intention de payer 165 euros pour quelques heures passées sur un demi-quai et un plein d’eau douce. La préposée, qui s’est fait allumer juste avant par Bob le breton, connaît déjà le son du biniou, et me dit qu’elle comprend, que la marina n’y est pour rien (ce qui semble vrai, la décision provient de la Direction des Ports espagnole). Elle passe même un coup de fil compatissant à la marina concurrente, 3 milles au nord, et se voit répondre que oui, notre catamaran de 8,60m de large doit pouvoir s’y amarrer pour souter. Je lui promets d’être parti dans une heure, et fonce vers le seul ship du coin pour y acheter mon tuyau et mon filtre. Elle me fait cadeau de l’eau douce, et nous souhaite bonne chance…

A la Darsena Pesquera, nous embarquons plus de 600 litres de diesel oil à 0,65 euros/litre (il y a à bord 2 réservoirs de 700 litres chacun, une bonne capacité donc), et mes petits calculs de consommation depuis le départ me donneront un chiffre précieux et réaliste : chaque moteur consomme 3 litres/heure en moyenne au régime où je les utilise d’ordinaire, jamais élevé.

Tant pis pour les grandes courses prévues au Carrefour de Ténérife (avant les épiceries peu achalandées de Mauritanie et du Cap Vert), on tire un trait dessus, et on reprend la mer vers le sud de l’île.

Mouillage à Los Cristianos à minuit.

A 07H00, la Guardia Civil vient nous demander de mouiller plus loin, le ferry de Gomera arrive et a semble-t-il besoin de la zone d’évitage d’un super-tanker…. Le jour se lève sur ces incroyables concentrations touristiques du sud des Canaries. Buildings monstrueux, appartements par milliers, commerces sans intérêt. On y rencontre évidemment la faune humaine qui va avec : allemands et hollandais surtout, de préférence âgés et rouges, enduits de crème solaire, avec option bide à l’air… Los Gigantes, Las Americas, etc…

A fuir… Au mouillage, on s’apercevra même que les rochers alentour sont squattés par des hordes d’homosexuels nordiques… Drôle d’espèce humaine.

Allez on lève l’ancre, et on file à la Gomera, une île dont je garde de bons souvenirs des mouillages de la côte sud. Comme à Funchal il y a quelques jours, je croise un catamaran de day-charter CIM, et je me rappelle l’avoir vendu, quelques années auparavant, à un richissime fils à papa de Las Americas, qui carburait à la cocaïne dans les rues de La Rochelle…

Nous connaissons déjà l’intérieur de Ténérife et le massif du Pic de Teide, qui valent, eux, le détour (3717 m tout de même, et comme je note des fonds de 3800 m non loin de l’île, cela fait une sacrée montagne, à moitié submergée).

Lors de notre dernier passage, Barbara et moi étions les plus étranges passagers du QE2 (prononcer « kiouitou »,le petit nom du « Queen Elizabeth 2 »), le fleuron vieillissant de la Cunard, nous franchissions toujours les premiers la coupée le matin, sac au dos et chaussures de marche aux pieds, foncions louer une voiture, et rentrions dans les derniers à bord le soir avant l’appareillage. Un quart d’heure après, douchés et changés, personne ne nous reconnaissait sur le pont arrière du célèbre paquebot, où l’orchestre de Trinidad jouait de ses steel-bands pendant qu’on nous servait un cocktail fluo. Magique, l’appareillage d’un grand paquebot…

Seul point positif de notre court passage à Ténérife: un catamaran français, lui aussi, et même breton, « Gwenvidick » (Catana 42), est venu nous rejoindre au mouillage. Avec, enfin ! 2 enfants à bord. Tour de l’Atlantique en une année. Nous nous reverrons à la Gomera.

En passant par San Sebastian, nous comprenons qu’il n’y aura pas de place pour nous dans la petite marina, même le temps d’y laisser le bateau en sécurité pour louer une voiture. Nous allons au mouillage dans la petite crique d’Oroja. L’eau est propre, claire, nous y sommes seuls. Je revis.

Débuts en pêche sous-marine. J’essaye ma nouvelle arbalète, que je trouve sur-puissante ! Impossible de la charger sans combinaison (malgré mes abdos, bien entendu ! Non, je rigole, il faut bien dire, en guise d’excuses, que 20 ans de bureau n’ont pas arrangé les choses…). Marin apprécie cette première partie, et il a tout de suite les bons gestes. Je le briefe un max sur la sécurité relative à la manipulation du fusil sous-marin, et aux dangers de la profondeur.

Chose incroyable pour une première séance : 3 tirs, 3 poissons ! Bon, 2 poissons perroquets et 1 poisson trompette, pas de quoi faire une photo souvenir, genre pêche au gros. Mais je note que la puissance de l’arbalète, qui va de pair avec sa longueur, et donc sa précision, doivent sérieusement aider au résultat !

Marin me prend pour un demi-dieu, alors que je suis vraiment piètre plongeur…

Nous visiterons l’intérieur de l’île en voiture, ferons la belle randonnée d’El Cedro (à peu de distance de l’endroit où, 27 ans plus tôt, j’avais été appréhendé par les gardes forestiers en train de chasser la palombe - il fallait améliorer l’ordinaire - dans le Parc National de Garajonay, dont j’ignorais l’existence ! Ils me verbaliseront toute une journée après m’avoir traîné de Vallehermoso à Hermigua, me prendront mon flingue, et me donneront 2 heures pour quitter leur île, ce qui précipitera mon départ pour l’Afrique…), en laissant le cata à Santiago.

Les enfants prennent doucement le rythme contraignant du CNED : la pause consiste en général en un plongeon magistral dans l’eau désormais bleue, et à 23/24°C. L’océan remplace la cour de l’école.

La maîtresse ne rigole pas avec le sujet CNED, et je dois reconnaître que cela lui prend pas loin de 5 à 6 heures par jour. Je n’interviens guère pour l’instant, et j’en profite pour bricoler, entretenir, dépanner, en me disant que j’ai bien de la chance…

Notre séjour à Gomera se terminera à Valle Gran Rey, un mouillage au pied d’une haute falaise noire au pied de laquelle les vents tourbillonnent en tous sens.

Entre les séances Internet chez Sylvain (pour envoyer les premiers billets et photos du blog !), les parties de pêche sous-marine (je raterai une seiche, et Marin aura sa première vraie frousse en plongée : il croisera une raie inoffensive d’1,50 de diamètre), et deux petites randos dans les barrancos, nous passerons 5 jours à peaufiner la première « évaluation » CNED des enfants, postée de ce village au sud-ouest de l’île, colonisé lui aussi par les teutons.

Barbara se souviendra de sa consultation chez le médecin local (allemand biensûr), 85 euros pour un diagnostic qui lui assurera une demi-surdité pour quelques jours de plus (jusqu’au centre de santé de l’île d’ El Hierro)…

Un certain nombre de voiliers sont mouillés là depuis des semaines…

J’ai hâte de gagner la dernière île de notre petit périple canarien : El Hierro, la plus petite, la plus isolée, la plus éloignée, la plus préservée.

Mais pas facile de l’aborder en voilier. C’est l’île du bout du monde de l’archipel, les falaises y sont abruptes, les fonds sont accores, les surventes rageuses, et, dans le seul petit havre susceptible d’accueillir les voiliers à la veille de leur grand saut océanique, on ne peut pas mouiller, et le ressac met à mal les coques, vieillit les défenses, et casse les aussières…

La Restinga, un village aussi petit que son brise-lames est énorme.

En route.

Le cap Blanc, la baie du Lévrier, les abords du banc d’Arguin, à 420 milles au sud.

Bye bye décevantes Canaries…

Olivier


Dans les barrancos ...


... canariens ...


... de Gomera

dimanche 6 septembre 2009

Billet N°13 - Week-end à la Petite Salvage

Samedi 5 et Dimanche 6 Septembre 2009

Inutile de le chercher au catalogue des agences de voyages, même de Madère, rien de tel n’y figure. L’équipage de Jangada s’offre un week-end exceptionnel à Selvagem Pequena…

Très peu de voiliers s’y aventurent, et il faut bien reconnaître que les cartes marines sont dissuasives. Le coin est mal pavé, truffé de cailloux, et les épaves pullulent autour de ce minuscule îlot, ceinturé par de nombreux écueils. Ca tient la comparaison avec les parages de l’Aber Wrac’h… Nos maigres instructions nautiques indiquent :
« En aucun cas il ne faut approcher l’île de nuit ou par visibilité réduite. Selvagem Pequena est entourée par de nombreux dangers largement débordants. Ceux mentionnés dans le texte ne sont que les pires parmi de nombreux autres dont certains ne sont pas encore cartographiés… »
Bon, OK.
Mais le Captain, qui a cette fois la ferme intention d’aller découvrir cet endroit peu fréquenté, a étudié sa nav, et au matin du 5 Septembre, le catamaran fait voile résolument sous gennaker vers la petite Salvage. Je dispose de deux cartes portugaises détaillées, même si elles sont fausses, et je suis décidé à y aller doucement, avec toujours une solution de retraite sûre à portée de main.
L’approche se passe bien, il fait beau, l’eau est claire, et nous avons le soleil dans le dos, ce qui est indispensable pour naviguer à vue. Je peaufine notre future zone d’évitage au mouillage, et finit par jeter l’ancre au meilleur endroit possible. Maxsea et le GPS Furuno nous situent sur la terre, peu importe…

Mauricio, sur Selvagem Grande, m’a indiqué qu’il prévenait son collègue Sandro, accompagné actuellement sur l’île par un volontaire. Je ne vois pas pour l’instant, du mouillage, la cabane du gardien. Je tire copieusement en arrière sur la chaîne avec les 2 moteurs du cata: ça a bien croché.
J’allonge 60 mètres de chaîne pour 6 mètres d’eau, et je commence à savourer mon bonheur d’être là, avec les miens, simplement, dans cet endroit du bout du monde, pour un week-end hors des sentiers battus. C’est ce genre d’escale que je suis venu chercher. Pour les faire partager aux miens.

Je ne vois dans l’immédiat aucun endroit permettant le débarquement en annexe. Adélie vient avec moi pour tenter de repérer le meilleur point de débarquement. Pas évident. Cela déferle partout. Il faudra peut-être aborder à la nage, en laissant l’annexe sur son grappin. A une centaine de mètres, la silhouette de Sandro apparaît sur la grève. Il m’indique la direction de l’ouest, je lui fais signe que nous avons compris.

Finalement, après avoir contourné plusieurs barres rocheuses dans cette direction, nous découvrons une splendide petite plage de sable blanc, d’une quinzaine de mètres de long. Défendue par quelques roches, elle est accessible à marée haute, et nous prenons rendez-vous avec Sandro pour 11H00. Une épave de cargo, disloquée, jonche les roches du littoral. Nous mettons le pied sur l’îlot à l’heure dite ; la cabane du gardien, en bois, s’inscrit dans un paysage de far-west. Il n’y a pas d’eau ici, l’île est plutôt basse, et Sandro entrepose ses bidons d’eau en haut de la plage, dans un petit abri à côté de son Zodiac.

Nous faisons le tour de l’île avec lui, et montons au sommet, peu élevé. Seul le sentier côtier est praticable, toute la surface de l’île est truffée de nids-terriers, par milliers. Sandro veille sur cette réserve naturelle.
En arrivant à sa cabane, il nous présente le « volontaire » dont nous a parlé Mauricio : une jolie jeune fille de 25 ans, qui, au moment de notre entrée dans le modeste refuge, étudiait ses cours de biologie avec les écouteurs de son I-pod sur la tête.
Je souris, et propose à Sandro d’un œil entendu de le remplacer le mois prochain, puisque les rotations, assurées par un navire de la Marine portugaise sont de 3 à 4 semaines. Sandro rigole, et nous dit que nous sommes les bienvenus sur son île.

Nous reviendrons plus tard à la plage. Barbara est plongée depuis des lunes dans la lecture des « Thibault » de Roger Martin du Gard, en 3 tomes bien épais. Adélie a déniché Mister Crabus, un splendide crabe rouge que je rêve de mettre dans mon assiette, ce qui est peu compatible avec le règlement de la réserve, et Marin escalade les rochers sur la grève. L’endroit n’est fréquenté que par un seul bateau de pêche de Funchal, qui possède une licence spéciale : Maestre Gregorio, armé par 5 ou 6 hommes, qui nous rejoint de temps à autre au mouillage. Nous avons bien profité de Selvagem Pequena , et de l’hospitalité de Sandro.

Nous allons le saluer, lui et sa volontaire, regagnons le bord, et préparons notre appareillage pour les Canaries, à la nuit tombante, après un ti-punch et une plâtrée de nouilles.

Je ne regrette pas le détour par la Petite Salvage : ce week-end restera pour moi un joli souvenir de voyage, et de navigation.
Jangada fait à nouveau route au sud.

A une centaine de milles devant les étraves, les Canaries !

Olivier


Selvagem Paquena



Au bout du sentier, la cabane de Sandro



Près de la réseve d'eau de Sandro



Le tour de l'île



Devant la base



Les épaves abondent dans le coin



Vie ...



... et mort des oiseaux



Mister Crabus



Cerf-volant à la Petite Salvage



Sur les traces de Darwin...

Billet N° 12 - A la Grande Salvage

Du Vendredi 4 au Dimanche 6 Septembre 2009

Hier nous avons quitté les îles Desertas avec une jolie brise. La nuit au mouillage s’est bien passée, moyennant quelques rondes nocturnes de sécurité du Captain, dont l’oreille s’affûte progressivement dans l’analyse des sons émis par la chaîne de l’ancre. (Lorsque le mouillage est un peu limite, je ne mets jamais de patte d’oie en cordage sur le mouillage, de façon à ne pas me priver de l’information donnée par les sons émis par la chaîne sur le davier, qui, avec l’expérience, en dit long sur la tenue de l’ancre, et son éventuel dérapage.)
L’appareillage a été un peu mouvementé : le bosco (Marin) s’est planté pour la première fois de 180° en manillant la poulie de drisse moufflée de têtière de grand-voile (à corne), il a fallu affaler et renvoyer, leçon bien apprise semble-t-il. Et après quelques encâblures passées dans le sillage (une encâblure = 100 brasses, mais une brasse ? ignorants que vous êtes ! 1 brasse = 6 pieds, mais un pied, qui vaut 12 pouces ? etc… en gros 1 encâblure = 182 m, 1 brasse = 1,82m, 1 pied = 0,348m, etc…), le Captain s’aperçoit que le capot plat-pont de la jupe arrière babord (qui contient les shorties et combis de plongée) est mal fermé : le bateau file déjà à 10 nœuds, mais le constat est vite fait : le compartiment contient déjà plus de 100 litres d’eau de mer !
Les jupes sont en effet couramment submergées dès que la mer est formée, et l’étanchéité de ces capots n’est pas parfaite, nous le savons déjà. Je regrette de ne pas avoir mis plutôt des capots spéciaux à fermeture 3 points. Je vide tant bien que mal, à l’écope, et sermonne mon jeune équipage : la mer pardonne peu les erreurs.
Allez, route sur Selvagem Grande, la plus grande des deux îles Salvage, à 145 milles de là, au sud.

Notre troisième daurade coryphène, plus grande que les précédentes, se prend à la ligne de traîne tribord (toujours la même !) et vient nous faire oublier cette séquence appareillage un peu mouvementée.
L’alizé souffle à 25 nœuds, parfois 30. Il y a 3 à 4 mètres de creux. Mais il fait beau.

Journal de Barbara : « Sale journée pour moi, dès qu’il y a de la mer et du vent, je deviens nauséeuse, mon estomac se contracte… cela me flanque le moral au plus bas très vite. Faire la cuisine est alors une épreuve, donc semoule au menu. Les enfants ne sont guère plus vaillants. Exit donc les cours du CNED, injouable. En fait le problème, c’est que contrairement à Olivier pour qui c’est une belle journée, le bateau avance, il fait beau, il y a du poisson, etc… pour moi c’est une épreuve.
Je vois bien qu’il est contrarié de me voir ainsi. En revanche, il assure toute la nuit et ça c’est vraiment sympa, même si je ne dors pas bien en bas, je ne me fais pas de mauvais trips seule sur le pont… »

Un peu plus longue que prévue l’adaptation de Barbara à la mer, mais cela ne m’inquiète pas. Je crois que la longueur du voyage, sa durée, rend l’aspect psychologique prépondérant. Et je note des progrès à ce niveau chez chacun des membres de mon petit équipage.
Il faut encore un peu de temps pour appréhender le mal de mer, et je suis foncièrement contre la prise de médicaments pour les navigations au long cours. Avec l’expérience professionnelle, je suis persuadé que la maîtrise psychologique du phénomène est primordiale pour le restreindre progressivement.

Je suis assez rarement malade en mer, mais lorsque cela m’arrive, cela ne me gêne guère. Je veux dire par là que je continue à faire ce que je dois faire, même s’il s’agit de vidanger le filtre à gas-oil en urgence dans la salle des machines…

C’est ce que j’appelle la maîtrise psychologique du mal de mer. Inconfort passager, mais pas empêchement de faire. Et biensûr, je connais bien tous les facteurs aggravant.

Mon avis est simple : jamais aucun médicament pour le mal de mer, jouer juste l’accoutumance.

J’ai réveillé Marin vers minuit pour affaler la grand-voile, nous allions trop vite. 10 minutes plus tard, il dormait à nouveau. Aux Salvages, il est préférable d’arriver de jour, les cailloux ne sont pas rares… Je termine ma nuit de quart sous solent seul, et je règle l’allure pour arriver à mon waypoint au lever du soleil. La nuit est magique, claire, la lune est pleine, les étoiles pullulent, le sillage gagne en phosphorescence, tout mon petit monde dort…

J’aime ces moments que rien ne remplace.
Cela fait un mois jour pour jour que nous avons quitté La Rochelle, le loch marque 1466 milles parcourus.

A 08H30, Marin laisse filer la chaîne devant la cabane du gardien, dans la Enseada das Cagarras, la baie des puffins. Ce mouillage sauvage est lui aussi peu sûr, et la règle veut que tout équipage qui décide de faire escale aux îles Salvages se tienne prêt à appareiller dès que les conditions l’exigent, c'est-à-dire assez vite ! La houle entre biensûr dans la baie, en contournant la petite île, mais le débarquement est jouable.

Nous convenons de débarquer à 11H00, avec Mauricio, le gardien (vigilante natureza). 27 ans après mon premier passage ici, le nombre de cabanes a doublé (4 au lieu de 2), mais à part Mauricio, qui, du coup, me demande avec respect comment c’était alors, seuls 3 ornithologues sont présents en ce moment. Mauricio nous fait visiter son île, il fait beau, et je laisse le bateau seul au mouillage se balancer sur la houle… avec toujours une appréhension vissée au corps de laisser ainsi notre bateau seul, appréhension que j’essaie toujours de dissimuler.
Quelques bébés cagarros, dont les parents émettent la nuit des cris presque humains qui nous avaient beaucoup intrigués la première fois que nous les avions entendus aux Açores, se cachent dans les amas de roches pour se protéger des attaques des goélands.
Leurs parents sont en mer jusqu’au soir, à chercher de la nourriture. Nous voyons aussi des dizaines de nids-terriers, creusés à même le sol sablonneux du plateau qui constitue l’essentiel de l’île, mais ceux-là sont déjà désertés.

Retour à bord, Barbara a confectionné un pain de poisson à la daurade coryphène, délicieux. A deux cent mètres, les vagues déferlent puissamment sur Baixa do Oeste.
Rattrapage du CNED loupé de la veille l’après-midi...

Olivier


Au mouillage de Enseada das Cagarras



Escale à Selvagem Grande



Nids-terriers à la Grande Salvage



A la découverte de Selvagem Grande



A la Grande Salvage





Jeune cagarro à la Grande Salvage



La base de Selvagem Grande

mercredi 2 septembre 2009

Billet N°11 - Rentrée scolaire aux îles Désertes !

Ca change de l’habitude… Pour l’entrée en cinquième de Marin et en sixième d’Adélie, la cour de l’école a bien changé : elle est d’un bleu profond, désormais à 22°C. On y aperçoit voler, de temps à autre, les puffins, et les premiers poissons volants.

La salle de classe se partage en deux : abritée (sous le roof, table en frêne du carré) ou semi-abritée (dans le cockpit, table en teck). Les horaires sont un peu plus souples, il n’y a pas de sonnerie, mais pas que des avantages non plus : les camarades de classe sont peu nombreux, il y a peu de chance d’échapper à la vigilance de la maîtresse (bien roulée, cette année, mais pas spécialement cool…), et le proviseur (même à poil) n’est jamais très loin, même si son rôle se limite apparemment à celui de surveillant général. Ce qu’il trouve très bien comme çà.

La maîtresse commence par se présenter, mais il semble qu’elle soit déjà connue des élèves … et réciproquement ! Je me marre.

J’observe que des piles de bouquins de cours siglés CNED ont été sortis de je ne sais où, et que la table du carré ressemble au rayon papeterie de Carrefour !

L’ambiance est plaisante, mais histoire de bien montrer que la vie du bord continue pendant « le CNED », et le voyage aussi, notre caravelle des temps modernes fait route sous voiles vers Carga de Lapa, une minuscule échancrure de la côte ouest de Deserta Grande.

Les limites du parc marin apparaissent sur l’écran Maxsea (isobathe des 200 m).

« Le petit mouillage est protégé du nord et de l’est par Ilha Deserta Grande, et du nord-ouest par le Chao da Doca, îlot rocheux relié à la terre par un isthme étroit constitué de rochers à fleur d’eau, s’étendant depuis un éboulis de pierres situé à la base de falaises escarpées de 400 mètres de hauteur. »

Ca aurait tendance à me plaire, ça. Ce mouillage aléatoire ne peut accueillir q’un seul bateau, et rarement : les conditions météo doivent être optimales, et l’équipage se tenir prêt à appareiller en permanence. Pour ce voyage, le Captain, qui a déjà fait la route, a décidé en effet d’aller voir tout ce qui pouvait l’être, raisonnablement biensûr en terme de sécurité, toujours assurée au mieux, mais sans mollesse. Aujourd’hui, Jangada a de la chance, l’équipage repère l’éboulis de roches, le minuscule îlot, et l’approche se fait à vue, l’eau est claire.
L’ancre tombe dans 10 mètres d’eau, à proximité d’une immense grotte marine creusée par le mauvais temps d’ouest, dans laquelle se reproduit une espèce protégée de phoques moines. De 5 ou 6 en 1988, leur nombre est passé à une trentaine aujourd’hui. Le gardien nous fait visiter son campement, bâti un peu sur le principe des bases antarctiques : un abri par fonctionnalité, pour lutter contre le risque majeur pour les bases isolées : l’incendie.

J’utilise l’après-midi à finir de modifier le circuit d’évacuation des eaux grises, et, moment délicat, je perce un trou dans la coque (au-dessus de la flottaison !) pour y installer un passe-coque acheté chez le seul shipchandler de Funchal. En fin d’après-midi, la nouvelle installation, qui utilise la pompe de récupération de Miguel, un filtre, et des tuyaux provisoires, marche !
Le réservoir, que je ne pouvais alléger depuis plusieurs jours, se vide sous mes yeux de ses odeurs nauséabondes qui , pour l’heure, me délectent les narines…

Ainsi va la vie en bateau, il faut savoir se démerder avec les moyens du bord, limités, et la modeste réussite de mon stratagème « plomberie » me fait simplement, mais vraiment, plaisir.

Après avoir eu à ma disposition beaucoup de moyens techniques pour construire de grands bateaux, je me réadapte à la réalité des choses à bord de mon petit voilier déjà loin de ses bases…

Le gardien ne pourra pas se rincer l’œil demain matin, Barbara délaissera la jupe babord arrière (douchette) et prendra sa douche à l’intérieur…

Olivier


Arrivée aux Ilhas Desertas



Approche du mouillage à Deserta Grande



La base de Deserta Grande



C'est la rentrée CNED à bord, la nouvelle maîtresse se présente aux élèves



Jour de rentrée à bord de Jangada



La moitié de la classe, heureuse!



Appareillage des Desertas vers les Selvagens



On reprend les bonnes habitudes!

mardi 1 septembre 2009

Billet N°10 - A Madère


Du Dimanche 30 Août au Mardi 1er Septembre 2009
Nous avons jeté l’ancre dans une baie sauvage, à l’extrémité orientale de l’île, dans Baia de Abra, aussitôt viré la pointe de Barlavento. Un cadre volcanique grandiose, quasi lunaire, qui incite à penser à la création du monde.

Ici, les roches ont souffert, le magma a jailli de mille fissures. Les pressions devaient être énormes, les températures hallucinantes. Aujourd’hui, tout est refroidi, le calme est revenu, et nous sommes là, avec notre voilier, en simples témoins tardifs de ce cataclysme qui a façonné les roches.

L’ocre, le brun, le noir : le soleil couchant donne à ce paysage des temps originels un visage magnifique.

Nous faisons une rando à terre, en laissant l’annexe au mouillage sur son grappin. J’apprends à Marin à pratiquer cette technique qui évite le raguage contre les roches.

Il apprend tous les jours un peu plus, et je m’en réjouis secrètement. Il mouille le bazar à une trentaine de mètres, et rejoint le rivage à la nage. L’eau est maintenant à plus de 20°C. Je lui ai montré, et maintenant, c’est lui qui s’y colle. En 2 minutes, il est sec.

Nous attaquons la pente. Marin a le titre de Maître d’Equipage à bord, de bosco donc. Sur le plan technique, c’est lui qui me seconde pour les manoeuvres à bord. Cela arrange la patronne, qui certes voudrait encore le couver, le petit, quand je l’engueule d’une voix forte sur le coup, mais toujours en venant lui expliquer gentîment, dans les 5 minutes qui suivent, le pourquoi de ses erreurs, et les conséquences possibles. Il croche dedans, et je le vois progresser doucement, mais sûrement.

Barbara en est d’autant soulagée, elle apprécie peu la technique pure, à laquelle elle semble plutôt imperméable. Pas de problème de partage des tâches à bord, on est d’un classique, je vous dis pas ! Chacun ses spécialités, moi je suis interdit de séjour à la cuisine, la patronne a horreur de m’y rencontrer… Inversement, dommage, je ne tombe pas souvent sur elle dans les salles des machines, la clef de 12 à la main… Mais pour le CNED, c’est la maîtresse incontestée, et là, je souffle ! ça n’a pas l’air d’être de la tarte…

J’aurais plutôt tendance, moi, à considérer que pendant trois ans, l’école de la vie à bord et en voyage pourrait suffire à mes petits, mais là, je suis prié de garder pour moi mes théories primitives…

Plus embêtant, mais pas dramatique, pour l’instant tout au moins (j’ai bon espoir que cela change progressivement), je ne la rencontre pas souvent non plus pour la relève de quart la nuit à la « passerelle ». A suivre, le partage des tâches, le dossier est ouvert…

En rentrant de la belle rando du jour, je vide le grand sac à dos tête en bas, mauvaise idée : ma montre de voyage, avec compas, altimètre etc… tombe directement dans le dalot tribord du cockpit, et disparaît vers le fond. Les boules !

J’endosse la bouteille de plongée de 6 litres, palmes, masque et tuba, mais il y a du courant au mouillage, et je ne la retrouverai pas. Il faut vous dire que je ne suis ni bon nageur, ni bon plongeur. Pour l’instant, parce que ça va changer. Mais j’ai tout le matériel à bord.

Le 31, nous gagnons le mouillage de Funchal, et allons au marché.

Autrefois, j’y achetais, un peu à l’écart du parvis, mes fameuses bottes de Madère, fabriquées par un artisan local pour les montagnards de l’île. Avec leurs semelles en pneu cousues à la main, et leur col retourné, elles étaient inusables. La première paire que j’avais acquise, c’était en 1981, lors d’une escale à Funchal avec le trois-mâts Bel-Espoir II, que nous emmenions alors aux Antilles. J’ai parcouru avec des centaines de kms à pied, et des milliers à moto, dont 18000 en Afrique en 1986.

Tout cela n’existe plus, seule une version pour touriste homosexuel est désormais proposée… Retour à bord avec des filets d’espadas, ces poissons de grand fonds à la seule gueule caractéristique, quelques maracujas, fruits de la passion au goût délicieux, et une mangue rose trop mûre.

En récupérant notre annexe dans la petite marina de Funchal, toujours bondée, d’autres souvenirs me reviennent en mémoire : en Août 1982, il y a 27 ans, c’est là, à quai, que j’ai rencontré Bernard et Anne, nos amis de Locqmariaquer. Ils effectuaient alors une croisière à bord de leur Gib Sea 28, mais pour eux, le temps était venu de mettre à nouveau le cap au nord ; moi j’étais en escale avec mon Chatam, le premier Jangada et faisais route au sud.

Mais il faut se méfier des rencontres en bateau, car elles peuvent manipuler insidieusement la notion d’ « amis de 30 ans ». Eh oui, dans 3 ans, nous y sommes ! Le 4 Juillet dernier à La Rochelle, le Land Rover coiffé d’une tente de toit qui abritait Lou, Elsa, et Adélie, c’était Bernard (devenu depuis Capitaine du Grand Nord) et Anne, armateurs d’Isbjörn, le bateau de l’Arctique (tapez « Escales Polaires » sur Internet). Barbara a travaillé longtemps pour Escales Polaires quand Marin et Adélie étaient petits, et aujourd’hui, à nouveau en voyage, on pense fort à vous les amis !

Le lendemain, nous louons une voiture à Machico, un mouillage qui m’a été recommandé par Miguel et aussi par Joao, une autre vieille connaissance de Madère. Nous laissons le bateau au mouillage, seul pour la journée, et partons dans les montagnes. De Ribeiro Frio à Portela, belle journée de randonnée pédestre. 5 heures de marche à suivre une levada, rigole d’eau douce captée dans les hauteurs du relief, qui l’achemine à des altitudes inférieures, permettant la culture de fruits et de légumes, nécessaires à la survie des colons, et plus tard, à celle des habitants des hauteurs.
Incroyable ce que la main de l’homme a pu façonner ici, depuis le XVème siècle…parfois au flanc de parois à pic où je me prends à avoir le vertige. Ces travaux incroyables ont exigé le tribut de plus d’une âme… Je rappelle fréquemment les enfants à la prudence, l’étroit sentier longe des abysses, mais ils ont le pied sûr, et marchent bien. Depuis le temps que nous les emmenons en rando, Barbara et moi, ils continuent à maugréer parce qu’ils préfèrent de loin mater un DVD sur le videoplayer Sony du bord, n’empêche qu’ils sont tous deux devenus de bons marcheurs. Ils en étonnent plus d’un sur les sentiers pédestres !

Barbara, elle, adore marcher, elle le ferait pendant des heures sans se poser de questions, c’est donc à moi d’intégrer dans la timing de la journée de marche la notion de retour…

En fin d’après-midi, nous passons par Funchal pour demander les autorisations spéciales d’escaler aux îles Desertas et aux îles Selvagens, classées réserves naturelles.

En 10 minutes de téléphone, j’obtiens mes deux numéros : feu vert pour ces cailloux à l’écart du monde. Bien joué.

Demain, on mettra le cap au sud, direction le Farilhao, cette aiguille de roche acérée qui délimite au nord les îles Desertas.

Mais demain est un autre grand jour : les enfants font leur rentrée scolaire !!! A bord biensûr… Dans une nouvelle académie : le CNED (Centre National d’Enseignement à Distance). La maîtresse semble un peu stressée (on la comprend, car la tâche a la réputation d’être hardue), les enfants semblent diversement motivés (Adélie davantage que Marin), et dès la rentrée, pour m’être baladé quelques instants semble-t-il à poil dans la cour de l’école, les deux élèves de la promo Jangada Cned 2009/2010 m’affublent du surnom de « proviseur quéquette » !!!
Je décide d’assumer le surnom tant qu’aucun qualificatif désobligeant n’y est associé, et pour tenter de conserver ma dignité, au moins de Capitaine, je décide d’appareiller de Baia de Abra pour l’insolite micro-mouillage (au ras des cailloux, pratiquable uniquement par très beau temps) de Deserta Grande, où le gardien, détaché là par le gouvernement de la région autonome de Madère a du être prévenu de notre arrivée prochaine…

J’entends que des listes de fournitures scolaires complémentaires sont établies, et je me dis que c’est ni aux Desertas ni aux Selvagens que le proviseur et la maîtresse vont pouvoir trouver çà…

Olivier


Au mouillage de Baia de Abra


Au mouillage de Baia de Abra


Jangada vu de Punta da Barlavento


Les espadas de Madère


Au mercado de Funchal




Rando des levadas




Levada de Portela




Dans les montagnes de Madère


A la vôtre!