samedi 29 août 2009

Billet N°9 - A Porto Santo

Du Mardi 25 au Samedi 29 Août 2009


A quai pour 3 heures, dé-salage général jusqu’au premier étage de barres de flèche ! Le bateau a ramassé… Eau douce à profusion… Un bonheur !

A Porto Santo, les voiliers des atlanticos (ceux qui s’apprêtent à traverser l’Atlantique) sont les bienvenus. Miguel y est pour quelque chose. Barbara se jette sur la machine à laver ENO de l’ami Antoine, qui enchaîne les cycles, associée au petit groupe électrogène Honda qui la fait tourner.
Nous prenons un coffre de mouillage dans l’enceinte du port. Les enfants se baignent en shorties, et même moi, je pique une tête ! La vie du port est réglée par les allers et venues du Lobo Marinho, le ferry qui assure la liaison avec Funchal, à 40 milles de là.

Petit tour à Vila Baleira, bourgade paisible où nous faisons quelques courses, et localisons la maison dans laquelle Christophe Colomb a vécu quelques années, avant de faire route par trois fois vers l’ouest sur la mer océane.
Il y avait épousé la fille du gouverneur portugais de l’île, et accumulé les informations auprès des pilotes des voiliers qui y faisaient escale, essentiellement pour faire de l’eau douce, et embarquer des vivres à destination de la côte occidentale d’Afrique.

Autant l’île de Madère est haute (1861 m), et donc humide et verdoyante, autant Porto Santo est basse, sèche et aride. Mais à la différence de la grande île de l’archipel (lequel comprend aussi les trois Ilhas Desertas et les deus Ilhas Selvagens), Porto Santo possède une incroyable plage de sable blanc de 6 kms de long, là où Madère ne peut afficher que quelques modestes plages de galets ou de sable noirs.

Je retrouve mon ami Miguel Mendès Moreira, sympathique navigateur portugais moderne, qui n’aurait pas dédaigné vivre à l’époque du Prince Henri. C’est lui qui a créé la marina et conseillé les autorités régionales autonomes de Madère pour développer l’accueil des voiliers de passage, et les infrastructures associées. L’escale à Porto Santo est plaisante, l’accueil chaleureux, et les prix raisonnables. Merci à toi, Miguel.

Pour le localiser, c’est simple, il suffit de le demander, tout le monde le connaît.

Pour l’heure, on m’indique qu’il construit son nouveau voilier sur le terre-plein du port. Barbara part à la plage avec les enfants, et je vais voir Miguel. La dernière fois que je l’ai vu, il y 3 ans environ, c’était … en Antarctique ! Il naviguait à bord d’ « Antipode », le Cigale 16m de Christophe Auguin, et je me trouvais à bord d’ « Ada 2 », le voilier d’Isabelle Autissier.

Rencontre inattendue alors au coin des icebergs à la dérive, au mouillage de la petite station de Port Lockroy !

La cinquantaine pas encore assurée, Miguel me reconnaît immédiatement, depuis le pont du voilier de 16 m (« ma future maison pour 20 ans ») qu’il a récupéré d’un naufrage à proximité de l’île, puis acquis, et qu’il aménage de ses mains, seul, pour retourner dans le Grand Sud dès que possible. Il me fait visiter son grand bateau bleu, Utopia, et nous échangeons des informations techniques.
Je lui propose de récupérer les deux anciennes voiles de notre catamaran, encore bonnes, restées chez Incidences à La Rochelle, et il me dit que son bateau était à l’origine monté en 24 Volts (et non 12, comme c’est le cas le plus fréquent)) comme Jangada, et qu’il a peut-être une ou deux pompes d’origine dont il ne se servira pas.

J’ai en effet décidé de modifier le circuit de vidange du réservoir d’eaux grises (lavabo, douche), qui passe par la pompe de cale principale babord, un système peu adapté installé par l’ancien propriétaire, et qui me cause des soucis depuis le départ. Hauteur d’aspiration trop forte, diminution successive des diamètres de raccords, prises d’air…

Miguel vient boire un coup à bord, il parle particulièrement bien notre langue, et nous apprend des tas de choses sur l’archipel où il est né.

Barbara est ravie (les enfants moins dès qu’on parle randos, n’empêche qu’à force de s’en taper avec Papa et Maman, ils sont devenus de très bons marcheurs), Miguel a commencé par être guide de randonnées dans les montagnes de Madère, et il nous conseille 2 ou 3 itinéraires !

Il nous raconte aussi la pire de ses randos, il y a quelques années, comme accompagnateur désigné de Théodore Monod venu honorer de sa présence un congrès sur la faune et la flore exceptionnelles de l’archipel.
A plus de 90 ans et au crépuscule de sa vie, celui-çi avait décidé, contre les conseils de Miguel, d’aller arpenter les sentiers étroits des hautes levadas à la recherche d’une fleur rarissime, mais le côté caractériel du personnage associé à une obstination de fer que son état physique ne servait plus depuis des lustres a transformé cette mauvaise idée en sauvetage, 18 heures durant…

Le lendemain, Miguel nous emmène tous les quatre visiter son île. Puis nous allons chiner dans son container de 40 pieds, qui lui sert d’atelier, au pied de son bateau.

Barbara et les enfants découvrent avec horreur que ce genre de conteneur se rencontre parfois à flot, en mer… Du temps où Miguel était directeur de la marina, c’est là qu’il l’a trouvé, au large, à la dérive. Certains conteneurs ont une assez bonne étanchéité. Une fois qu’ils ont quitté le pont d’un navire porte-conteneurs (désarrimage des pontées par gros mauvais temps), certains coulent, mais d’autres se remplissent lentement d’eau de mer, jusqu’à ce qu’un équilibre s’établisse entre le poids et la poussée d’Archimède.
L’obtention de cet équilibre passe par l’existence de pièges à air, comprimé de fait, à l’intérieur du conteneur. De la sorte, certains conteneurs flottent pendant des jours et des semaines, en n’émergeant de la surface que de quelques dizaines de cms, à peine, constituant un danger réel pour la navigation. Ils représentent alors une inertie de plusieurs dizaines de tonnes, et s’apparentent, en terme de danger pour les voiliers, à des écueils non cartographiés. A bord de Jangada on mise sur le fait qu’il y a de la place pour passer à côté…

Eurêka, dans le conteneur de Miguel, on trouve 3 petites pompes Jabsco identiques en 24 Volts ! Bon, elles ont eu une vie avant de reprendre éventuellement du service, mais elles semblent récupérables. J’en prends 2, et cela me rappelle mon service militaire à bord du trois-mâts Bel-Espoir II du père Michel Jaouen : une bonne école de débrouillardise, un joli cours de travaux pratiques pour l’apprenti marin que j’étais…

Je me mets au travail tout de suite à bord de Jangada: démontage, vérification de l’état et du fonctionnement, décapage, peinture, début de modification du circuit. Miguel m’a emmené dans la meilleure quincaillerie de l’île, mais on est loin du compte au niveau raccords… J’ai, momentanément, la nostalgie (technique) de la zone artisanale des Minimes à La Rochelle…
J’essaie de choisir les moins mauvaises solutions possibles, forcément provisoires, mais je peux vous dire que moi qui ai travaillé pendant une vingtaine d’années dans un chantier naval qui avait 450 fournisseurs triés sur le volet pour construire des bateaux compliqués, cette réadaptation au standard a minima des fournitures disponibles sur place, en voyage, est psychologiquement difficile…

Nous prenons congé de Miguel, qui a été adorable de disponibilité et de générosité, et le Samedi 29 Août à 15H00, nous quittons Porto Santo.

Nous faisons un petit détour pour voir si le mouillage sauvage dont nous a parlé Miguel au sud d’Ilheu de Baixo est pratiquable pour la nuit, mais le vent est soutenu, la houle y entre, ça déferle sur les roches, et les hautes falaises noires sont sinistres.

Le regard de Barbara me convainc sans mal de faire route sur Madère…

Nous envoyons la toile, Marin commence à bien maîtriser la manœuvre, on sent qu’il apprécie l’exercice, et nous faisons toujours ce travail tous les deux.

Barbara est aux commandes, elle effectue les gestes demandés par le Captain, mais avec de plus en plus d’autonomie au fur et à mesure que son nouveau métier rentre. Et le matelot léger Adélie est en charge de l’écoute de grand-voile, une fonctionnalité dans laquelle les efforts sont conséquents eu égard au gabarit de notre minette…

Les conseils de prudence du Captain, qui sait avoir la voix forte pendant les manœuvres, fusent toujours en nombre conséquent lors de ces séquences.

Le bateau vient au cap de route libre, et dans la foulée, on pêche notre deuxième daurade coryphène… 2 à 1

Olivier


Porto Santo



Tour de Porto Santo



The young crew



Mon ami Miguel à bord de son Utopia



Adélie sur le radeau de plongée



Premier rendez-vous avec ma coiffeuse



La balise Argos prêtée par mon frère Louis



lundi 24 août 2009

Billet N°8 - En mer, du Tage à Porto Santo (Archipel de Madère)



Du Samedi 22 au Lundi 24 Août 2009

La fin de notre séjour à l’entrée du Tage verra l’intervention des Canadairs portugais venus éteindre l’incendie qui ravage les collines aux environs de Lisbonne. Ils écopent leurs tonnes d’eau à deux cent mètres de notre bateau, et leur ballet vrombissant mais désolant se poursuit pendant des heures…

Nous n’allons pas cette fois à Lisbonne, y étant passé récemment d’une part à bord du Queen Elizabeth 2 avec Barbara, d’autre part avec les enfants au retour des Açores avec notre Land Rover Papa Tango Charlie.

Marin a profité de ces journées de mouillage laborieux sur rade de Cascais pour améliorer sa conduite de l’annexe Caribe (3,40m et Yamaha 15 CV). Je l’ai lâché progressivement sur l’engin, et il aime çà ! Il me demande même d’aller s’entraîner sur la zone de mouillage, à petite vitesse (interdiction de déjauger !), et en échange, je lui demande de me rapporter des infos sur les bateaux au mouillage, histoire de construire son instruction maritime.
Il découvre ainsi son premier catamaran Wharram, du genre polynésien, et je lui explique avantages et inconvénients de la formule. Il détecte aussi un voilier breton, un Maracuja en aluminium, et nous faisons ainsi notre première rencontre du voyage, Didier et Isabelle, partis de Lorient, et leur chien Marac, une espèce qui intéresse toujours autant Adélie (à qui j’ai du promettre l’acquisition d’un clébar familial à la fin du voyage)!

Je rédige la note d’infos aux parents et amis sur la communication avec le voilier Jangada, qui part d’un cyber-café vers ses destinataires, puis nous changeons de mouillage pour cause de feu d’artifice de la Marine portugaise…

A 06H00 du matin Samedi 22, pendant que tout mon petit monde dort encore, je relève le mouillage et mets le cap sur le farol de l’Ilheu da Cima, à 475 milles de là. Ile de Porto Santo, à 20 milles au nord-est de Madère.
Le vent était soutenu au mouillage ces derniers jours, mais les fichiers de vent pris la veille sur le site américain U Grib d’une part, Maxsea Chopper d’autre part, concordent et annoncent un vent de secteur nord 25/30 nœuds mollissant à 20 nœuds dans les 12 heures. Idéal pour faire route vers Madère.

En réalité, une fois la bouilloire de l’embouchure du Tage et les deux premières dizaines de milles passées, le vent monte progressivement pour s’établir finalement à 40/45 nœuds…

Aïe !

Le paysage change, le terrain de jeu devient accidenté, et les premiers visages de l’équipage apparus furtivement retournent rapidement à leurs bannettes. Force 8, rafales à 9. J’étrenne les 2 premiers ris, la mer se creuse, 4 , 5 puis 6 mètres de creux…

On est partis, la mer est formée, hors de question de faire demi-tour, le vent apparent est par le travers tribord, pas si mal, c’est certes assez inconfortable, et très humide, mais je sais que, malgré l’erreur de prévision météorologique, le vent va mollir de toute façon dans les 24 heures.
Le bateau marche bien sous voilure de gros temps , une dizaine de nœuds en moyenne, mais parfois il accélère et pointe à 16, 17 nœuds… Le problème, c’est que dans la piaule, ça tape et ça rince copieux (les catas ne sont jamais assez hauts sur l’eau de ce point de vue, il faudrait au moins 1,20m de hauteur au-dessus de l’eau sous nacelle).

Journal de bord, version Barbara :

« Sale journée, beaucoup trop de vent, force 8/9. Le bateau s’agite, accélère, freine subitement, un pas sur le côté, un pas de l’autre côté, mon estomac suit le même rythme effréné, résultat : mal fichue, nauséeuse, moral qui chute, « que fais-je dans cette galère ? », tout bouge dans le bateau, aucun plaisir d’être là… j’ai peur. Heureusement, le Captain assure pour 4 ! ».

Version Olivier : euh… baptême du feu pour mon petit équipage familial !

Journal de bord du Dimanche 23 Août, par Barbara :

« Olivier a assuré toute la nuit ! encore du vent, beaucoup de vent. D’un commun accord avec Marin, on reporte les festivités de son anniversaire à … plus tard ! Marin a 12 ans aujourd’hui ! Equipage toujours aussi nauséeux, on dort toujours beaucoup, et Olivier assure toujours autant. Les repas se résument à de la semoule, de la purée, des pâtes… Moral moyen. Olivier est heureux, son bateau marche bien. Nombre de milles parcourus en 24 heures : 220. »

Le vent a commencé à mollir, la mer aussi. Dès l’aube, et toute la journée, je pense à ma mère, Ivane, que j’aimais beaucoup : aujourd’hui, cela fait 15 ans qu’elle est partie, sous mes yeux. Je crois que malgré les difficultés, elle aurait aimé ma petite famille.

Sans doute moins notre voyage, qui allait éloigner ses petits-enfants, mais elle l’aurait su inéluctable et aurait tu son inquiétude.

De là haut, voyez-vous, Maman, notre petite embarcation chahutée sur les flots ?

L’aube de la deuxième nuit de mer est moins accidentée, mais encore animée. Le beau temps revient progressivement. Barbara a passé la nuit avec Adélie, en travers dans la couchette double, pour être mieux calées. Dans la journée, on attrape à la ligne tribord notre première daurade coryphène, plutôt petite (45 cms), mais bon… 1 partout.

Une tortue marine malencontreusement placée sur notre trajectoire est renversée sans ménagement par l’étrave tribord et chahutée par le flotteur. L’eau se réchauffe, c’est clair, nous sommes passés à 17/18°C.

Marin confectionne lui-même son gâteau d’anniversaire au chocolat, et déballe ses cadeaux embarqués à La Rochelle : une boîte surprises, une paire de docksides, une BD, le DVD de Largo Winch, etc…

Le Captain a institué une prime (un coup à boire à terre) pour celui qui apercevrait le premier sur l’horizon la ligne de crêtes de Porto Santo. C’était la méthode employée par les Capitaines des voiliers d’Henri le Navigateur pour motiver les équipages à découvrir de nouvelles terres.

Sans mérite, à 17,5 milles de distance, c’est le Captain qui gagne pour cette fois !

La nuit étoilée tombe, le farol da Cima crache ses éclats, les 475 milles ont été parcourus en 2 jours et 18 heures.

L’ancre chute devant l’immense plage blanche de Porto Santo, le moral de l’équipage, lui, remonte.

Le baptême du feu est terminé, on est arrivé dans nos premières véritables îles.

Le Captain est content de son équipage, et de son bateau.

Il est minuit.

Olivier


Canadair sur rade de Cascais



Rinçage dans la piaule!



Le beau temps est revenu, ça va mieux!



Après le coup de vent...



... on trouve des calamars sur le pont!



Marin a 12 ans!



Happy birthday la Galinette!



mercredi 19 août 2009

Billet N°7 - De Leixoes (Porto) à Cascais (Lisbonne) avec Timothée on board !


Du Mercredi 12 au Mercredi 19 Août 2009

Après une brève escale à Vigo (j’y achète une bobine de 1000 m de fil de pêche de 80/100 en vue de nos futures activités de pêche pélagique au plus ou moins gros), nous arrivons à 4H00 du matin à Leixoes, le port de Porto, proche de l’embouchure du Douro.

Grand jour pour nous tous, car nous y avons rendez-vous avec Timothée !

Il a pris un bus Eurolines à La Rochelle la veille et a passé la nuit à rouler à travers l’Espagne et le Portugal ! A 11H00 le 12, il débarque d’un taxi et nous sommes à nouveau réunis.

Les enfants lui sautent au cou, ils adorent leur grand frère.

Mon gaillard, à qui je devrai bientôt parler poliment (je m’y prépare psychologiquement, fiston, si si), a récemment pris de l’ampleur : Bac S avec mention « bien », permis de conduire du 1er coup, entrée en 1ère année de médecine à Bordeaux…

Je suis fier de lui, lui qui a longtemps pensé le contraire… Vois-tu, fiston, ton père se devait de montrer de l’exigence envers toi, non ?

Et je suis profondément heureux qu’il soit avec nous, regrettant seulement qu’il ne puisse participer davantage à notre voyage, études obligent.

Nous savons que nous n’allons pas le voir beaucoup au cours des trois années qui viennent, et plus particulièrement cette première année (2500 candidats pour 350 places en fin de première année de médecine à Bx).

Timothée amène avec lui plusieurs kgs de cours du CNED d’Adélie : elle est ravie ! Allez comprendre…

Nous appareillons aussitôt de ce port sans intérêt pour Aveiro, et sa lagune. Nous embouquons la passe d’Aveiro, souvent mauvaise et dangereuse, au milieu des remous de courants qu’on devine puissants. Le meilleur moment pour franchir une telle passe est toujours la fin de la marée montante. De l’eau sous la quille, un reste de courant portant, des vagues amoindries.
Nous mouillons à Sao Jacinto, et visitons, le lendemain, la petite ville d’Aveiro. Le 14 Août, nous avons rendez-vous à Coimbra, à une cinquantaine de kms d’Aveiro (bus), avec nos amis Alain et Bela. En attendant leur arrivée, nous visitons l’antique cathédrale (« Sé »), son cloître magnifique, et observons, dans le jardin du presbytère, un olivier qui a passé le millénaire ! Je n’arriverai pas au même résultat, et c’est pour cela que je n’ai pas voulu trop attendre pour partir faire ce voyage…
Retrouvailles sur le parvis de l’Université (la plus ancienne d’Europe après Séville), déjeuner dans les ruelles de la ville basse, et histoires portugaises par Bela, notre guide du jour, originaire de la région.

J’ai remarqué que les eaux froides qui circulent le long de la côte provoquent le matin une brume épaisse, et je décide d’appareiller à la nuit de la lagune, à la faveur du courant entrant, qui certes nous ralentit sensiblement, mais qui aplatit la mer dans la passe.

Route au large, cap sur l’île Berlingua.

Malgré notre départ au crépuscule, une brume épaisse nous enveloppe bientôt, et je passe mon quart de nuit (les 12 heures !) à veiller l’écran radar. Je laisse dormir Tim qui a besoin de récupérer, et la patronne, qui a toujours besoin de sommeil…

A 11H30, l’ancre tombe sous les meurtrières du fort de Sao Joao Batista, bâti par les moines lassés des attaques de pirates de tous poils. L’ïle, située à une dizaine de milles au large de Péniche, regorge de grottes marines et d’arches de pierre.
Les tempêtes d’ouest viennent y fracasser des vagues parfois monstrueuses sur sa côte exposée : je me souviens d’avoir eu des creux de houle de 15 mètres en cargo dans ces parages.

Je débarque Barbara et les 3 enfants en annexe au petit hameau de Bairro dos Pescadores, et les reprends au fort. En fin d’après-midi, les deux garçons, qui ont remarqué la présence de jolis poissons (bars ou simples mulets?) dans la baie sud de l’île, entreprennent une expédition aléatoire :
ils mettent à l’eau le kayak du bord, y embarquent à deux, s’équipent d’un fusil sous-marin (là je fais un tas de recommandations de prudence !) et partent avec l’idée de harponner un specimen local !

Je m’enquière de temps à autre, avec l’annexe, du déroulement de la chasse, et de la stabilité de l’esquif, mais les deux aventuriers finissent par revenir avec un butin perçé de toute part :
un splendide poisson de 40 cms de long, les optimistes diront un bar, les pessimistes un mulet local, nous n’avons pas de spécialiste de la pêche côtière à bord. Nous, on préfère le large !

Je vais vous dire, franchement : là, je suis fier de mes deux fistons ! Ils ont là, ensemble, un joli souvenir de fratrie.

Entre l’île et l’embouchure du Tage, je décide d’essayer le spi symétrique triradial, siglé Incidences biensûr, de notre précédent catamaran, que j’ai conservé. Je compte pas mal sur sa stabilité pour le vent arrière, une allure que les catamarans n’apprécient guère.
Avec Timothée et Marin, nous envoyons la jolie voile verte et blanche, seule et directement amurée aux étraves, que j’ai pourvues à cet effet de deux poulies stand-up. Les dimensions sont parfaites, et je découvre avec bonheur que la voile tolère de recevoir le vent sur la contre-panne jusqu’à 30° du vent arrière. Bonne nouvelle !
De plus, point d’amure et point d’écoute sont quasiment fixes, et donc très stables.

Le vent monte, force 3 puis 4 puis 5. La vitesse grimpe 8, 10 puis 12 nœuds. A l’approche de Cascais, le phénomène local est connu, le vent grimpe encore, force 6 et bientôt 7.
Grisé par la vitesse (les étraves fument, et j’aime çà !), je laisse faire encore un peu, en me disant que l’affalage, surtout sans grand-voile pour masquer le spi, et avec l’augmentation brutale à prévoir du vent apparent de 20/22 nds à 35 ! (qui rejoint alors le chiffre du vent réel), va être sportif…

En attendant, j’appelle ce spi « le tracteur », alias « John Deere », pour la couleur.

Bon, l’affalage a été limite limite comme prévu, mais je suis resté à bord (on ne refera pas), les 150 m2 de nylon sont vite rebelles à 35 nœuds, et j’ai senti peser sur moi le regard lourd de reproches de Barbara qui n’apprécie guère ce type d’expérience…
Je lui dis toujours qu’on apprend surtout dans la douleur, ce qu’elle réfute toujours et encore.

Au mouillage bien ventilé de Cascais, les maître-mots seront, malheureusement pour Timothée, quincaillerie, bricolage, et réparations, plusieurs jours durant.

Entre le déssalinisateur installé en dépit du bon sens, la BLU et le modem Pactor qui ne marchent pas, le logiciel de navigation Maxsea qui n’ouvre pas certaines cartes marines, je me prends la tête avec les hotlines. Je me souviens de mon premier « Jangada », mouillé dans cette même rade de Cascais quelques 27 ans plus tôt (1982).
Il n’avait pas de déssal, pas de BLU, pas de logiciel de navigation, mais il m’a quand même emmené loin, avec mon sextant, un sondeur à éclats, un régulateur d’allures, et surtout « ma bitte et mon couteau », comme disent les marins…
Aujourd’hui, Jangada ressemble davantage à un chalutier russe du temps de la guerre froide qu’au premier Jangada, et tout cela me confirme ce que je sais depuis bien longtemps : à chaque fois que vous embarquez un appareil à bord, vous embarquez avec lui surtout les emmerdements qui vont avec…

J’ai réussi à faire venir à bord les techniciens de Nautiradar, l’agent Icom de Lisbonne, mais il a fallu d’abord attendre pendant 3 jours l’autorisation d’intervention sous garantie d’Icom France, via Icom Espagne, qui coiffe Icom Portugal…
Une organisation japonaise simple. Ils viennent avec une BLU neuve complète, mais diagnostiquent vite que celle du bord ne se porte pas si mal, ce que je subodorais, car c’est d’ordinaire du très bon matériel. Ils passent des heures et des heures, deux jours de suite, à localiser les 2 mauvais branchements du modem Pactor effectués par les techniciens de chez Pochon à La Rochelle…
Et ils vont trouver, réparer et faire fonctionner le bazar, avec une gentillesse rare.

En attendant, Timothée nous quitte déjà pour rejoindre La Rochelle, puis Bordeaux, où l’attend une semaine de prépa intensive à l’entrée en 1ère année de fac.

Il prend le train à Cascais, puis à Lisbonne et arrivera le lendemain.

Je suis désolé pour lui que cette courte semaine à bord n’ait pas été plus ludique, c’est le risque des séjours de courte durée à dates imposées.

Je suis surtout ému, sur le quai de son départ, de savoir que, pour la première fois, je ne le reverrai pas pendant des mois…

Pour la première fois devant mon fils, les larmes me viennent aux yeux.

Moment difficile, mais j’ai confiance dans mon fiston, et je le crois solide : sa jeunesse, pas idéale, mais qu’il a toujours acceptée sans broncher, y a contribué. Il est aussi particulièrement motivé par ses études, une chance que j’apprécie tous les jours.

Merci à toi, fiston, d’être venu nous rejoindre.

A bientôt, Tim, ce sera plus loin la prochaine fois, en avion, et pour plus longtemps !

Ta cabine, tribord milieu, t’attends déjà.

Donnes-nous souvent de tes nouvelles.

Tu me manques

Papa


Arrivée à l'île Berlingue


Mouillage sous le fort de Sao Joao Batista


Pêche au gros à l'île Berlingue


Les deux frères


Barbara et le tracteur triradial John Deere


Le sillage de Jangada à 12 noauds sous spi


A bientôt Timothée!


Photo Tim spéciale Facebook!

mardi 11 août 2009

Billet N°6 - Dans les rias galiciennes


Du Vendredi 7 au Mardi 11 Août 2009

La grand-voile ayant été rehaussée aux points d’amure et d’écoute, le Vendredi 7 Août nous voit doubler le Cap Villano vers 18 heures, poussés par un petit vent soutenu de NNE (nord- nord-est) 3 à 4.

Barbara n’aime pas ce cap si bien nommé, qui marque, mieux que le cap Finistère, moins bien placé géographiquement, la sortie du Golfe : c’est vrai qu’il est impressionnant dès que le temps est chargé. Mais cette fois, nous le doublons avec un grand soleil.

A une bonne vingtaine de milles au sud, le Cap Finistère suit : cette fois, le Golfe de Gascogne est vraiment derrière nous, et le Captain félicite l’équipage pour ce premier haut fait maritime du voyage.

Première leçon de navigation à suivre pour préparer l’atterrissage de nuit dans la ria de Pontevedra, alors que le vent doit forcer à 6/7. Le bateau fonce à 10 nœuds entre les waypoints et les cailloux, mais la nuit est claire, les deux GPS en marche, et les segments de la route tracée défilent sans danger. A 3 H00 du matin le 8, l’ancre tombe devant Playa Silgar, entre Porto Novo et Sanxenxo.

Nous remontons la ria le lendemain jusqu’à ne plus avoir d’eau sous les quilles (notre catamaran a 2 quilles fines et assez profondes, calant 1,60m), et allons visiter l’ancien village de pêcheurs de Combarro.
Nous y découvrons, bâtis à proximité de chaque maison de pêcheur, d’étranges greniers galiciens sur pilotis de pierre, les horreos , faits de granit, bien ventilés, et longtemps utilisés pour abriter les vivres (légumes, viandes et poissons) des rongeurs.

Barbara est courageuse, c’est sans conteste la meilleure nageuse du bord, et elle se baigne pour la première fois du voyage, dans une eau à 14,2° C!!! Moi qui hésite à me baigner dans le lagon de Bora-Bora (28°C, soit tout de même 9°C de moins que la température interne de mon petit corps délicat…), très peu pour moi !
Les upwellings gagnent ici la partie contre le Gulf Stream. (Certes, j’ai fait mieux en 2006, avec 0,5°C, mais en Antarctique, et bien involontairement, seul, tout habillé, et caméra à la main, en glissant sur de la fiente de cormorants aux yeux bleus !!! Je ne suis jamais remonté aussi vite dans mon zodiac, mouillé à proximité…)

Rentrés à bord, nous regagnons un mouillage plus profond, et, le soir venu, regardons … notre premier DVD en famille, Jean de Florette. Et ça, c’était sans doute une erreur notoire (au sens maritime biensûr), car question rongeurs peu appréciés du Captain (appellés aussi « bêtes à grandes oreilles », « cousins du lièvre », « kangourous », ou simplement « bestioles »), le film est une référence, que j’avais oubliée… Je (re-)découvre les images avec horreur, les enfants se tournent vers moi, plus intéressés que jamais de savoir quelle suite je vais donner à cette bravade de la tradition du bord, mais que faire ?
Le film est plaisant, Barbara se cache le visage dans les mains (en rigolant, je crois…), j’essaie de soutenir l’épreuve tout en gardant ma dignité autant que faire se peut, mais le cœur n’y est pas, les enfants se marrent devant l’abondance de ces sales bestioles (tout un élevage, vous vous rendez compte !!!?), mais je prédis des ennuis à venir, sans trop savoir lesquels, en souhaitant qu’il n’y ait plus d’autres séquences aussi fâcheuses à suivre dans ce putain de DVD, dès lors inscrit sur la liste des choses à débarquer d’urgence…

Au matin, je ré-attaque les problèmes techniques de notre déssalinisateur (salle des machines, flotteur tribord), tout neuf mais mal installé par un chantier (dont je tairais le nom, le professionnalisme s’y faisant de plus en plus rare) et qui me cause des soucis depuis le départ.
Je change des raccords peu adaptés avec les moyens du bord, refais des étanchéités mal assurées, puis démarre l’engin. J’observe le fonctionnement pendant 10 minutes, prêt à intervenir, mais tout semble fonctionner correctement après ces modifications. Je remonte prendre l’air quelques instants, et quand je redescends, il s’en faut de peu que les planchers ne flottent ! Il y a 45 cms d’eau dans les fonds !!! heureusement cloisonnés tous les 3 mètres environ. Les batteries de service commencent à baigner…
Je ferme la vanne d’entrée d’eau de mer à tâtons, démarre la pompe d’assèchement en me demandant ce qui se passe, et découvre, le niveau baissant, que le tuyau installé par ce même chantier au refoulement de la pompe d’alimentation en eau de mer du watermaker, qui devrait tenir 7 à 8 bars de pression de fonctionnement, n’est conçu que pour tenir … 3 bars.
C’est toujours le cordonnier le plus mal chaussé… Il s’est simplement rompu, et la puissante pompe 24 volts a consciencieusement commencé à remplir le bateau…

Rappellez-moi le nom dudit Chantier ? Fin d’une époque, sans doute, où il me semble que l’on avait le sens du travail bien fait. Ce qui est grave, c’est que j’aurais tendance à le penser vraiment, les exemples abondent, malheureusement. Il était temps que je change de job, voyez-vous… Je suis heureux de partir, et de me changer les idées pendant quelques temps.

Consolation 1 : je m’aperçois que l’équipage commence à prendre au sérieux la tradition maritime…je ne dis rien, mais j’apprécie…

Consolation 2 : je découvre que Marin aime bien bricoler avec son Papa, il connaît de jour en jour un peu mieux le contenu des boîtes à outils et des tiroirs de l’atelier.

Bon, attention tout de même à ces putains de bestioles…

Olivier

jeudi 6 août 2009

Billet N°5 - Golfe de Gascogne

Mercredi 5 et Jeudi 6 Août 2009


Première nuit en mer, les lumières de la côte se sont estompées au fil des heures, pour finalement nous laisser seuls.

Le jour s’est levé sur le plateau continental. Quelques pêcheurs au loin. Ciel assez dégagé, vent faible de secteur nord. Route vers le cap Ortegal sous grand-voile haute et gennaker.

Une dépression qui sévit au large des Hébrides nous envoie son train de houle, désagréable, mais pas méchant. A part le Captain, pour qui c’est grand beau dans le Golfe, il faut bien dire que le reste de l’équipage semble un peu à la peine...

Le grand départ malmène probablement les pensées, et avec elles l’oreille interne de l’équipage familial…

Barbara est restée allongée toute la nuit, incommodée par les mouvements parfois brutaux du bateau, et j’ai commencé à retrouver mes réflexes de navigateur solitaire, pour un long quart de nuit (12 heures) !

Le ciel s’est chargé au crépuscule, et le solent blanc et jaune a remplacé le gennaker violet.

Je redécouvre qu’en mer, l’arrivée de l’obscurité inquiète toujours Barbara.

Je la ménage, elle qui a su m’accompagner dans cette nouvelle aventure, ô combien lui suis-je redevable ?

Elle a, je crois, une totale confiance en moi, en mer, mais l’éventualité d’une chute par-dessus bord de son Captain de mari lui fait horreur.

Pour moi, un nouveau quart de 12 heures, qui ne me gêne pas. Les choses se mettront en place progressivement. Ne les brusquons pas.

J’ai sorti deux lignes de traîne, et vers 11 heures, un monstre (un thon probablement) me dévire à toute allure la ligne tribord. Mes 300 mètres de fil de 80/100 tout neuf partent à l’eau malgré le frein, ça casse méchamment, mais je garde la canne et le moulinet, c’est déjà pas mal ! Je n’ai pas eu le temps de ralentir. Mais il y a du beau monde là-dessous ! 1 à 0 pour les poissons…

L’approche du Cap Ortegal se fait en soirée dans la boucaille, pluie, visibilité réduite, on décide de rentrer dans la minuscule ria de Cedeira, quelques milles à l’ouest du cap. En affalant la grand-voile, je constate avec fracas (vu le choc !) que j’ai omis de préciser à la voilerie que j’avais rajouté 4 panneaux solaires sur le toit de l’allonge de roof. La chute est un peu longue du coup, et la bôme vient durement heurter le panneau tribord, qui sera déplacé dans le choc d’un centimètre, fixations comprises! Moi qui ai en horreur d’abîmer les bateaux !

L’ancre tombe pour la première fois, dans la vase de cette ria alta de Galice, très verdoyante.

Le plus gros du Golfe est derrière, la plâtrée de nouilles appréciée, et le moral de l’équipage débutant remonte.

Olivier


Le Cap Villano en vue...


Au revoir, Biscaye, allez, on tourne à gauche, cap au sud!

mardi 4 août 2009

Billet N°4 - Départ pour un long voyage sur la mer jolie

Ouahh… !!! cette fois, le grand jour, celui de l’appareillage, est arrivé.


Hier et ce matin, les techniciens de chez Pochon ont semblé progresser sur le fonctionnement de la BLU et la programmation du modem Pactor du système Sailmail, essentiel pour notre communication à bord. En fait, on s’apercevra plus tard qu’il n’en est en réalité rien…et que l’histoire n’est pas finie. La marée est haute aujourd’hui en milieu d’après-midi. Nous n’avons pas fait de publicité autour de notre appareillage, volontairement (pour le cas où nous devrions faire demi-tour dans le Golfe de Gascogne !) la plupart des amis sont partis en vacances, et c’est bien ainsi : la discrétion nous va mieux pour ces circonstances, elle participe de la modestie qui s’impose naturellement à notre modeste équipage à l’aube d’un tel voyage au long cours.

Dimanche soir, tels Magellan (mais toutes proportions gardées, bien entendu, je rigole) et ses équipages dans l’église de San Lucar (embouchure du Guadalquivir) à la veille de son appareillage pour le premier tour du monde, nous sommes allés à la messe à Saint-Joseph. Dans l’église restaurée, chacun a eu ses propres pensées à la veille de partir pour ce long voyage. Aujourd’hui, nous y sommes.

14H50, nous larguons les amarres. Je m’amuse à jeter un regard rapide aux badauds sur le quai, qui ont, quelques instants, suspendus leurs pas, en cette belle journée d’été, tout en pensant qu’ils n’imaginent pas une seconde que le bateau qui manœuvre sous leurs yeux pour s’extirper du fond du bassin appareille pour un long voyage et des milliers de milles… On doit s’y reprendre à 2 fois pour faire effectuer aux étraves les 90° de la giration libératrice sur babord.

14H55 : les portes du bassin à flot sont ouvertes, le pont se lève dans son bruit de ferraille qui en a vu d’autres et que je connais si bien, nous franchissons les bajoyers, puis entrons dans le Vieux Port. Car il est peut-être plus symbolique de franchir les deux tours de la cité rochelaise en guise de ligne de départ de ce voyage vers des contrées lointaines.

15H08, c’est fait, « Jangada » prend le chenal en sortie. Sur le petit môle traversier de l’avant-port, deux silhouettes connues, et bien renseignées : Agnès, notre pharmacienne préférée (mais où est donc sa Méhari jaune canari ?), et Patricia, ancienne maîtresse d’Adélie à Notre-Dame. Merci d’être venues ! La tour Richelieu défile sur tribord, puis route au nord de Chassiron. Mais, avant de gagner le large, il reste à l’équipage deux formalités rituelles à accomplir : « tuer le makoui » de l’ancien « Erispoe » (ancien nom du bateau) et baptiser le nouveau « Jangada ». Il faut vous dire que le Captain ne rigole guère avec la tradition maritime, du moins pour son essentiel, mais malgré tout sans extrémisme outrancier.
Disons qu’il n’est pas conseillé de le chercher sur ce terrain-là, surtout à bord de son propre bateau... Mais c’est l’esprit de la chose qui est important, pas le détail. Nous avons changé le nom du bateau, et pour que cela ne porte pas préjudice à l’expédition maritime qui commence, il faut anéantir l’esprit associé à l’ancien nom, « Erispoe » (pardon Daniel !) pour favoriser celui associé au nouveau, « Jangada ».
Le Captain a prévu le coup, et, pour l’occasion, il a programmé (« trop fort n’a jamais manqué ») de sacrifier aussi l’affreux « Poulet-poulet ». Notre petite famille se trimballe ce putain de « Poulet-poulet » depuis des années : chacun conviendra qu’il est vraiment moche (voir photo), et entre autres de ce fait - jugé suffisant en lui-même- , mais aussi parce qu’il est devenu au fil du temps notre souffre-douleur officiel (il est donc admis une bonne fois pour toutes que lui faire du mal est normal et acceptable, voir souhaitable, et peut-être même nécessaire) et que cela dure depuis trop longtemps, eh bien voilà l’occasion d’en finir avec toutes les atrocités que « Poulet-poulet » a du subir depuis presque deux décennies.
Seule Adélie voudrait encore sauver sa peau et pousse quelques cris horrifiés , tandis que Barbara semble peut apprécier la notion de sacrifice… Passé le chenal de La Pallice, et tandis que les tours s’éloignent à l’horizon, le Captain et le Maître d’Equipage (Marin, seul vraiment acquis à la cause du boss) officient avec une certaine solennité, et « Poulet-poulet » est purement et simplement balancé par-dessus bord avec une pierre liée aux pieds… Il emmène avec lui dans les abysses marins toutes les mauvaises ondes qui pourraient entourer notre nouveau « globe-flotteur » (comme l’appellait Philippe de la voilerie Incidences), la laideur, la méchanceté , et la bêtise. En restera toujours assez sur notre route !

Honnêtement, même moi, cela me fait de la peine d’envoyer « Poulet-poulet » par le fond, mais … il le fallait. Et puis c’est pas le moment de mollir devant mon nouvel équipage!

Pour tuer le makoui, rien de tel que d’effectuer un splendide 8 avec le bateau, et de couper ainsi par deux fois son propre sillage. Heureusement que le pilote maritime Pierre Gloor n’est pas pour l’heure sur la passerelle d’un navire dans le chenal, j’aurais été obligé de lui expliquer en VHF les surprenantes formalités en cours ! Allez, action, un joli 8, exit « Erispoe », et bienvenue à toi dans la famille, « Jangada »…

C’est pas fini, maintenant le baptême…

16H30, route à l’ouest, à proximité de la bouée d’atterrissage, pertuis d’Antioche. Le Lieutenant (Barbara), assisté du Matelot léger (Adélie), ont rédigé un petit texte, un bouquet de fleurs est attaché à la « cathédrale » en aluminium sur la poutre avant, le Captain lit (solennellement) :

« Pour Jangada et son équipage, son Captain Olivier, Barbara, Timothée, Marin et Adélie, sans oublier tous les équipiers qui embarqueront à bord, que les vents leur soient favorables, que les océans leur soient cléments, que les escales leur soient douces, que la vie leur sourit, que Dieu les garde, et protège ceux et celles aimés restés à terre ! Longue et heureuse vie à toi, Jangada !

Puis il fracasse la bouteille de champagne sur le davier d’étrave. Aucune chance qu’elle ne se casse pas, croyez-moi…

Bon voyage, « Jangada » !

Que d’émotions aujourd’hui…

Allez, Chassiron a passé le travers babord, route au 244 dans le Golfe de » Gascogne…

Je sens une appréhension dans le regard de Barbara. Elle connaît la mauvaise réputation des 360 milles qui s’allongent devant les étraves… Je la rassure.

On est partis.

C’est, pour moi, déjà, une bien belle victoire.

Olivier



14H55 le Mardi 4 Août 2009, sortie du bassin


15H08 le même jour, passage des tours de la cité



Cap au large



Préparatifs du sacrifice...



Adieu Poulet-poulet!



Jangada a été baptisé, bon vent et longue vie!

lundi 3 août 2009

Billet N°3 - A quai au Bassin des Grands Yachts à La Rochelle

« Jangada », drôle de nom pour un voilier ?

Notre voilier s’appelle « Jangada », cinquième de la lignée des bateaux que j’ai aimés, les miens ! Il y a eu le premier « Jangada », un Chatam de 10 m en acier, à gréement de cotre. Le second était un Damien II de 14 m, toujours en acier, gréé en ketch. Le troisième était un superbe voilier de 16 m en aluminium. Puis je suis passé au catamaran, avec le quatrième « Jangada » de 14,5m, et dès lors que Barbara a compris la différence en terme d’espace et de confort, je n’ai jamais pu envisager de revenir au monocoque pour les navigations familiales !!! C’est vrai que de ce point de vue, il n’y a pas photo…

Mais au fait, « Jangada », cela signifie quoi ? Et pourquoi donc appeler ainsi son voilier?
Réponse : respect.
Respect de la part du marin professionnel débutant, que j’étais à l’époque.
Respect de l’esthétique et du beau geste maritimes.
Respect des hommes, pauvres, qui les armaient, ces jangadas, pour ramener de la mer le poisson qui ferait survivre leur famille sur les plages du Nordeste brésilien.


Là, je vais être un peu obligé de « raconter mes guerres », ce que Barbara me pardonne rarement… Tant pis. Retour sur mes débuts au long cours, à bord des cargos de la Marine Marchande. Année 1975. Compagnie de Navigation d’Orbigny (armement originaire de La Rochelle, comme Alcide, de la même famille). Je venais d’avoir 20 ans, et la pénurie d’officiers aidant, j’y naviguais déjà comme lieutenant chef de quart à la passerelle. (En évoquant cette promotion - probablement dangereuse en regard des dispositions du Règlement International pour prévenir les Abordages en Mer de 1972 - avec mon grand-père paternel, il se rappela d’ailleurs qu’il détenait, acquises du temps de son séjour rochelais, quelques vieilles actions de la Cie). Cette vénérable Compagnie donc, qui armait alors cinq cargos classiques, desservait l’Amérique du Sud, côté atlantique, en lignes régulières avec l’Europe, atlantique ou méditerranéenne. Elle était déjà filiale de la Transat et des Messageries Maritimes, qui venaient tout juste d’être réunies dans la nouvelle CGM (1974 je crois). Et elle avait la réputation, je dois dire justifiée – pour y avoir contribué directement moi-même d’abord comme officier pont ou machine, puis comme Second Capitaine - , de voir venir à elle tous les officiers qui aimaient rigoler, tirer des pistes (entre autres), sortir et rentrer tard voire pas se coucher du tout (eh oui, j’ai bien changé… !), ne pas rater le moindre des coups pendables qui pouvaient se présenter, et même s’adonner à un peu de trafic (whisky Johnny Walker et parfums bon marché surtout, quitte à débarquer les cartons dans la vedette des Douanes elle-même, ce que j’ai fait plusieurs fois, en baie de Rio de Janeiro le plus souvent) lequel avait pour objectif louable non pas de s’enrichir, mais de diminuer l’impact financier des coupes franches laissées sur nos bulletins de solde par les « avances » (financières, essentiellement en cruzeiros à l’époque) concédées par la Cie pour nos nombreuses sorties à terre, un objectif incontournable pour les marins mariés en bigoudennie, qui plus est avec charge de famille…

Pour autant régnait à bord le culte du  boulot, comme il doit être fait, c'est-à-dire bien. Et pas autrement. Mais la différence avec d’autres compagnies, c’est que sur cette ligne essentiellement de beau temps, l’uniforme était réduit au strict minimum nécessaire, on ne se prenait pas inutilement au sérieux, et tout l’équipage, du Commandant au novice, se retrouvait tous les soirs à 18H15 (sauf le personnel de quart) à l’arrière du château, à proximité de la cale 5, pour une  caïpirinha générale (cachaça brésilienne, pas n’importe laquelle, Pitu, et citrons verts, glace pilée), et parfois (à la moindre occasion validée par le Commandant) un asado de viande argentine embarquée à Buenos-Aires ou à Bahia-Blanca.

En 1975 donc, en fin de 2éme année à l’Hydro du Havre, je fais, avec un copain d’enfance, l’acquisition de la coque nue en acier de ce qui sera finalement mon premier voilier, lequel n’a pas encore de nom. Et j’appareille pour l’Amérique du Sud pour un premier voyage comme Officier avec la Compagnie de Navigation d’Orbigny. A l’approche de la côte du Ceara, le Commandant, sans doute à juste titre un peu inquiet de devoir confier la marche du navire, sa navigation, et la vie de 25 marins à un jeune Officier aussi peu expérimenté, me briefe sur les « jangadas » rencontrées aux environs du Cap Sao Roque, de sommaires embarcations à voile qui pratiquent la pêche au large, jusqu’à une centaine de milles de leur plage de départ de l’état du nordeste brésilien.

Et il m’indique que les « jangadeiros » qui les servent (2 ou 3) ont la désagréable habitude d’allumer au dernier moment une petite lampe à pétrole, une petite luciole difficilement repérable, lorsqu’ ils constatent qu’un navire de commerce leur vient vraiment droit dessus. Pas d’électricité biensûr à bord des jangadas, pas de moteur non plus, et elles ne sont par ailleurs pas détectables au radar, faites de bois, et trop basses sur l’eau…


Le mot portugais jangada signifie radeau, mais l’origine du mot est discutée. Ces embarcations, construites à l’origine en troncs de balsa, d’un franc-bord ne dépassant pas un demi-tronc d’arbre (15 cm, autant dire que le « pont » est submergé en permanence), dotées d’une mâture de bois, d’un gréement de cordages de récupération, d’une voile rapiécée mille fois, d’une ancre de bois et de pierre, sont les embarcations traditionnelles les plus esthétiques qu’il m’ait été donné de voir. Je les ai découvertes ensuite de plus près, sur les plages de Natal et de Fortaleza. Les vraies jangadas de construction traditionnelle en balsa ont depuis disparues, elles existent toujours mais en version contre-plaqué… Admiratif de la vie de ces hommes, de leur courage à aller chercher leur survie en mer sur des embarcations aussi rudimentaires, mais aussi esthétiques, j’ai décidé d’appeler ainsi mon premier bateau, laborieusement construit en 5 années, avec lequel j’ai entrepris à partir de Juin 1982 un voyage vers l’Afrique et l’Amérique du Sud, au cours duquel je suis passé revoir les « jangadas » et les « jangadeiros » du Ceara brésilien, quelques semaines après avoir amarré ce premier « Jangada » dans le port de Salvador de Bahia, pour participer au carnaval ! C’est au cours de ce voyage (initiatique) que j’ai appris à naviguer en solitaire. A l’époque biensûr, il n’y avait pas de pilote automatique (mais des régulateurs d’allure mécaniques, j’avais un Atoms), et pas de GPS (mais je savais me servir d’un sextant).

Je n’ai malheureusement pas fait numériser les photos argentiques des jangadas brésiliennes que j’ai réalisées il y a plus de 30 ans, mais vous trouverez sur Internet plusieurs sites en français (dont celui d’une association nantaise http://jangadanantes.free.fr ) qui traitent de ce sujet passionnant. Barbara, il n’y a pas si longtemps, m’a offert le précieux livre « Mucuripe » (du nom du quartier des pêcheurs jangadeiros de Fortaleza, la grande ville du Ceara brésilien), disponible à la librairie de la Corderie Royale de Rochefort.
Avez-vous remarqué ? Sur notre voilier sont apposées çà et là des petites voiles jaunes de jangadas.
Voilà, vous savez pourquoi j’ai donné ce joli nom à mes voiliers successifs, et peut-être aussi pour me faire pardonner un peu si jamais, de nuit, au large de la côte du Brésil, je n’ai pas toujours su voir  la petite luciole lorsque j’étais Officier de quart à la passerelle des cargos de la Compagnie de Navigation d’Orbigny…
A bientôt, vous tous, cette fois pour larguer les amarres, et voir s’éloigner dans le sillage de « Jangada » les tours de la cité rochelaise.

Olivier,  jangadeiro

Avec ça, vous avez de quoi ... 

 
... vous faire ... 

 
... imprimer des T-shirts ! 

  

dimanche 2 août 2009

Billet N°2 - A quai au Bassin des Grands Yachts à La Rochelle



Rassurez-vous, il n’y aura pas un billet tous les jours !

Mais ce week-end de veillée d’armes nous permet de vous dire quelques mots sur le pourquoi et le comment de notre petit blog  http://www.voilierjangada.com/
 
D’abord, il faut être honnête avec nous-mêmes, et avec vous, et dire que nous voyageons bien évidemment et avant tout pour … nous-mêmes… !!! La décision de partir en voyage relève avant tout de l’égoïsme, l’altruisme du voyage n’apparaît éventuellement qu’après. Ensuite, n’allez surtout pas croire que nous ressentons le besoin d’aller vous raconter notre vie, même si pour quelques temps, elle a quelques chances de sortir un peu de l’ordinaire. A ce sujet, et malgré la chasse au poids pratiqué autant que faire se peut à bord, j’ai tenu à embarquer dans ma bibliothèque de bord (parce qu’on a chacun la sienne, Barbara et moi) un petit livre qui s’intitule joliment « De l’art d’ennuyer en racontant ses voyages », histoire de ne jamais oublier le grand respect que nous accordons à l’itinéraire suivi par chacun d’entre nous, même à terre…

On peut y lire, à la première phrase : « Chiant qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage. » Cà calme.
Bien persuadés du risque (d’être chiant !), on va tâcher d’éviter cet écueil, parmi d’autres que toute navigation suppose. Ceci étant dit, et d’un personne n’est obligé d’aller voir notre blog et d’y lire nos petits billets, et de deux aucune fonctionnalité d’échange n’y est (volontairement) prévue, ce qui en limite la critique littéraire, un souhait jésuitesque des rédacteurs…

Personnellement, j’aurais très bien pu me passer d’écrire sur ce blog la relation de notre petite aventure maritime, mais Barbara, qui est aussi, parmi tant d’autres choses qu’elle est pour moi, ma caution sociale, m’a convaincu que l’entretien du lien, familial, affectueux ou amical, serait plus évident et plus convivial par ce moyen simple et régulier (Là, Barbara intervient : c’est exactement le contraire, c’est Olivier qui m’a convaincue du bien fondé du blog, pour ma part j’avais peur du côté ostentatoire de ce support qui ne parlerait que de nous, ne serait écrit que par nous, etc... Bon, peu importe, comprenne qui pourra !) Elle a évidemment raison, même si je considère pour ma part que le temps et l’éloignement ne distendent pas chez moi les liens de l’affection et ceux de l’amitié.

Parmi les avantages du blog qui distille la relation du voyage au fur et à mesure de ce dernier, celui de contourner le mot de Sacha Guitry « Les voyages, ça sert surtout à embêter les autres une fois qu’on est revenu. » En plus clair, à vous ennuyer à petites doses dès maintenant, on évitera le risque de vous emmerder grave à notre retour ! De plus, l’affirmation de Jules Renard, « Ceux qui ont fait le tour du monde peuvent faire durer leur conversation un quart d’heure de plus », si elle est vraie, et si on fait le tour (c’est pas gagné, tellement d’eau salée doit couler sous les quilles !) ne peut que contribuer à meubler la mienne, rarement dispendieuse.

Mais j’y ai vu, de façon plus pragmatique, voire intéressée, un autre avantage : le blog est le meilleur moyen de donner en même temps et à toutes nos relations ce que j’appelle le « tronc commun » des nouvelles du bord. Indiquer x fois à x personnes dans x e-mails que nous avons passé 2 journées de rêve aux Ilhas Selvagens serait pour nous vraiment fastidieux, vous en conviendrez. Avec le blog, la relation chronologique régulière du voyage est accessible à tous, et de ce fait, elle laisse la place latéralement à l’échange d’e-mails à caractère plus personnel, ce qui est appréciable pour chacun d’entre nous à bord.
C’est que c’est pas tout de raconter ses petites aventures, encore faut-il se les créer, et pour cela, rien de tel que de torcher de la toile sur la mer !

Techniquement, nous avons fait appel à Jean-Vivien, ancien (mais jeune !) collaborateur de Barbara à la Chambre des Métiers et de l’Artisanat (jvlaurent [at] hotmail.com, bientôt à son compte en tant que créateur de sites internet, et très attentif, très compétent, aidez-le à s’élancer) pour créer le blog, et à Vincent, frère aîné de Barbara, féru d’informatique lui aussi, pour l’alimenter régulièrement en tant que webmaster. Merci à tous deux de ce coup de main précieux.


Il ne nous reste plus qu’à écrire nos petits « billets », quelques uns par mois, selon l’humeur du jour et sans prétention aucune, à sélectionner quelques images capturées en chemin, et à viser de temps à autre un cyber-café ou une antenne wi-fi pour envoyer le tout à notre webmaster du côté de Saint Cyr les Lecques dans le Var, qui lui, met le bazar en ligne. Voilà exposé notre stratagème médiatique, notre « choix de communication » comme dirait certains.

Utile à préciser : la « ligne éditoriale » est libre pour les membres d’équipage, ça promet sans doute tôt ou tard des réglements de compte familiaux sur le blog…

Utile à dire : le blog est exclusivement réservé aux personnes qui nous sont bienveillantes, et il est associé à un copyright sévère mis au point par un méchant avocat de nos amis qui sévit du côté de la rue Réaumur, en particulier en ce qui concerne les photos (de Barbara plus particulièrement !!!), malgré la censure (réciproque) appliquée à bord avant l’envoi par la junte maritime familiale.

En conséquence, ne communiquez son adresse qu’à vos contacts les plus sûrs, et aussi les plus indulgents…
Alors, va pour le blog de l’expédition « Jangada » au long cours, et rendez-vous sur notre Facebook à nous :

A bientôt
Olivier


 De l'art d'ennuyer...

 
A bientôt sur le blog !