mardi 24 avril 2012

MESSAGE N°11 – TRAVERSEE CAP VERT – ACORES

JOUR 11 – Mardi 24 Avril 2012 –
Arrivés à Horta !

Le sommet de l’île de Pico (2351 mètres d’altitude) est apparu hier dans l’après-midi vers 16H00, à une soixantaine de milles. On apercevait Faial deux heures plus tard, tant la visibilité était bonne. Un thon albacore probablement pas très futé a mordu à la ligne bâbord, qui d’habitude ne pêche rien à cette allure d’escargot. Pas futé peut-être, mais bien dodu, et c’est tout ce qu’on lui demandait.

La nuit a été très claire, tranquille, le vent n’a pas dépassé 4 à 5 nœuds, mais de l’arrière, et nous avons donc fait route sur un moteur toute la nuit. Les lumières des îles ont doucement grossi au fur et à mesure que la nuit s’étirait, et le jour s’est levé alors que nous étions à une dizaine de milles du port d’Horta. Comme prévu, le vent a tourné à l’ouest à 10/15 noeuds, et nous avons parcouru les derniers milles sous solent. Faial est apparue très verte, le printemps n’économise pas l’eau de pluie aux Açores. Nous nous sommes amarrés au ponton de la capitainerie pour les formalités, accueil agréable en français, et puis nous avons gagné notre place au bout d’un des pontons de la marina. Dix jours de traversée depuis Brava, dont 5 un peu sportifs. Je pensais que nous étions tôt en saison, mais les voiliers qui arrivent des Antilles pour rentrer en Europe sont déjà de passage, dont certains très grands yachts. Horta est particulièrement agréable en cette saison, très peu de touristes, quelques marins, et la relative abondance des Açores après la rareté des vivres de nos dernières escales.

Eau douce à profusion à la marina, le bateau n’avait pas vu un jet d’eau depuis notre départ de Knysna en Afrique du Sud. Dessalage général de l’accastillage et des panneaux solaires encroûtés de sel tellement ils ont ramassé d’embruns. Tout y est passé, et j’avais l’impression que le bateau criait de bonheur ! Machine à laver le linge (coqueron arrière bâbord), un vrai plaisir. J’ai hésité à rentrer dedans moi aussi, mais j’ai finalement préféré la douche, avec l’eau chaude fabriquée par le moteur bâbord également. Je me suis rasé, changé, et je suis devenu un autre homme.

Nous sommes allés voir un menuisier pour refaire un caillebotis pour la douche, celui d’origine ayant pris le large à Sainte-Hélène. Et puis nous nous sommes promenés sur les quais, histoire de voir de plus près ces grands yachts venus des Caraïbes et faisant route vers l’Europe, dont les équipages passent leur temps à nettoyer le pont, à briquer la coque et à essuyer les vitrages. Nous avons regardé les peintures laissées sur les quais par les équipages de passage (une tradition bien connue du port d’Horta), et puis nous avons été boire un coup au Café Sport, le célèbre établissement de la lignée Azevedo, probablement l’un des bistrots les plus connus au monde.

Il ne me reste plus qu’à sortir ma To do list , et les petits travaux de remise à niveau d’après traversée pourront commencer dès demain.

J’ai jeté un œil sur la carte météo de l’Atlantique Est, et j’ai cru comprendre qu’apparemment, il y avait mieux à faire que de se trouver dans le Golfe de Gascogne en ce moment… Le vent doit souffler dans les rues de La Rochelle !

Olivier



(Fin des messages de la traversée Cap Vert /Açores)

lundi 23 avril 2012

MESSAGE N° 10 – TRAVERSEE CAP VERT – ACORES

JOUR 10 – Lundi 23 Avril 2012 –
Distance de Horta (Ile de Faial, Açores) en route directe  88 milles.
Distance directe à Furna (Ile de Brava, Cap Vert)  1346 milles.
Distance réelle parcourue en 24 heures  118 milles.
Gain sur la route directe en 24 heures  118 milles.

Qu’elle est belle cette région de l’océan, au sud des Açores… !

La mer s’étend à l’infini dans toutes les directions, le ciel très bleu accepte quelques petits nuages épars, le vent de 4 à 5 nœuds seulement parvient tout juste à rider la surface de l’océan pour lui éviter d’être lisse. Des résidus de houle venus de loin finissent de mourir dans les calmes anticycloniques, faisant à peine bouger le bateau de quelques oscillations minimes. Le leurre de la ligne de traîne s’évertue à vouloir tromper un poisson distrait, sans jamais y parvenir. L’eau est claire, translucide, d’un bleu profond. Au loin, de temps à autre, la surface de l’eau est éclaboussée de quelques cabrioles de dauphins heureux de vivre. Les physalies, incroyablement nombreuses en cette saison, mais peut-être aussi parce qu’on les voit mieux que par mer agitée, défilent le long du bord, passant parfois entre les coques, laissant traîner leurs filaments bleus urticants pour tenter d’attraper quelque proie dont elles se nourriront bientôt. On voit loin, très loin, dans l’azur du ciel.

Et nous sommes toujours aussi seuls dans notre coin d’océan.

Ce matin, Louis s’est lancé dans un calcul de trigonomètrie sphérique pour savoir à quelle distance nous étions susceptibles d’apercevoir le sommet de l’île de Pico, à l’est de Faial, le plus haut sommet du Portugal, à quelques 2351 mètres d’altitude. Un sommet que nous avons déjà escaladé avec les enfants, quand ils étaient petits. Environ

80 milles nautiques. Ca me paraît correct, et à vrai dire j’ai eu la flemme d’aller vérifier son calcul à partir de la formule qui combine à la fois la hauteur de l’objet observée et celle de l’œil de l’observateur au-dessus du niveau de la mer, que j’ai en bonne place dans mes cours de navigation. Des cours qui auront fait le tour du monde eux aussi, mais sans servir beaucoup… Les temps changent.

C’est ce qu’on appelle la visibilité optique (résultant du calcul), ensuite, il reste à la combiner avec la visibilité météorologique du moment. Je lui ai conseillé de regarder l’horizon un quart tribord (11°15’, soit 32 quarts dans 360°, ou 8 quarts dans 90°), juste avant le coucher du soleil ce soir, lorsque nous serons à une bonne cinquantaine de milles.

Nous avons passé la nuit sous gennaker sur le moteur tribord, une nuit calme, très étoilée, avec le W de Cassiopée dans les étraves, et la Grande Ourse qui a basculé toute la nuit sur elle-même pour conserver la Pôlaire au Nord.

Le bon vin blanc Châ du cratère de Fogo a accompagné les dernières tranches de thon en matelote qu’a concoctées le cuisinier-cambusier du bord.

Je finis de rédiger le Billet N°156 sur notre dernière escale en famille, à l’île de l’Ascension. Suivront le récit de nos escales à Fogo et Brava, avec mon frère.

Voilà, c’est la fin d’une nouvelle traversée. Bientôt 35 000 milles au loch. Je préfère ne pas regarder trop souvent la carte papier de l’Atlantique Nord. La France n’est plus très loin, 1200 à 1300 milles seulement. Avec elle, la fin du grand voyage, et le début, forcément compliqué, d’une autre vie, dans laquelle il vaudra mieux que j’oublie les horizons lointains pour quelques temps.

Notre dernière nuit en mer devrait être aussi calme que les deux précédentes, et nous allons régler l’allure pour nous présenter vers

08H00 demain matin devant les jetées du port d’Horta, sur l’île de Faial, aux Açores, l’archipel des hortensias.

Nous aurons quitté Furna, le petit port de Brava, au Cap Vert, 10 jours plus tôt… Olivier

dimanche 22 avril 2012

MESSAGE N° 9 – TRAVERSEE CAP VERT – ACORES

JOUR 9 – Dimanche 22 Avril 2012 –

Distance de Horta (Ile de Faial, Açores) en route directe  206 milles.
Distance directe à Furna (Ile de Brava, Cap Vert)  1235 milles.
Distance réelle parcourue en 24 heures  134 milles.
Gain sur la route directe en 24 heures  132 milles.



Dans les calmes, au cœur de l’anticyclone des Açores !

Cela manquait à mes expériences de voyages maritimes ! Nous voici plongés au cœur de l’anticyclone des Açores, à quelques centaines de kilomètres au sud de l’archipel. Je suis heureux de traverser cette zone plutôt méconnue que les marins à la voile cherchent à éviter habituellement, lorsqu’ils suivent les routes nord-est/sud-ouest qui conduisent de l’Europe aux Caraîbes et inversement. Il en est de même pour les coureurs qui reviennent du grand sud, pour lesquels un plantage malheureux dans les calmes anticycloniques peut être fatal au classement. Venant du sud-est sur une route peu fréquentée, et souhaitant faire escale aux Açores, nous n’avons guère le choix. Je m’attendais, après que nous soyons sortis des alizés, à devoir traverser les zones de calmes qui s’étendent largement au sud des Açores. Depuis

48 heures, nous avons pu limiter les dégâts en glanant des petits airs qui nous ont permis de couvrir à la voile plus de 300 milles qui n’étaient pas assurés. Alors, à quelques 200 milles de l’arrivée à Horta, il faut être réaliste : le vent est en train de s’affaiblir d’heure en heure, et le bruit de la mécanique va prendre le relais sous peu, et probablement jusqu’à l’arrivée.

La nuit a été calme, la mer était sereine, le ciel largement étoilé. Le gennaker nous a déhalés à 6 nœuds de moyenne avec la grand-voile haute.

Une nuit de rêve pour le marin de quart. Au matin, il a fallu slalomer entre les grains de pluie, en cherchant à leur passer au vent, pour conserver de l’air. Et puis ils ont disparu vers 09H00, laissant la place à un immense ciel bleu. Dans cette région, l’air est très pur, la visibilité excellente, la mer apparaît sans limites, et on ne voit personne. Pas d’oiseaux de mer non plus, juste de nombreuses physalies et des dauphins joueurs.

Nous avons déjeuné de bonnes tranches de thon passées à la poêle, avec un peu d’huile d’olive et des oignons. Accompagnées de riz cuit au rice-cooker chinois du bord, qui fonctionne sur le 220V du petit groupe électrogène Honda (2000 W). Mais désormais, malgré différents montages, la pêche ne donnera plus rien, nous avançons trop lentement pour espérer pouvoir tromper les poissons avec des leurres. Louis, pour sa deuxième fournée, a réussi un joli coup ce matin : un joli pain rond d’un kilo, très réussi, nettement mieux que le premier, aussi bien à l’extérieur qu’à l’intérieur. Le bateau bouge peu, naviguant comme sur un lac, même la houle est quasi inexistante. Les heures s’écoulent doucement, en lecture pour mon frère ; de mon côté, je m’efforce, découragé, de remettre de l’ordre dans le seul ordinateur qui me reste après le vol, à l’île de Fogo au Cap Vert de celui où j’avais toutes mes photos et tous mes textes du voyage, outre de nombreux documents personnels et professionnels. Je n’avais pas connu auparavant ce genre de traumatisme, mais le coût psychologique est sensible : j’avais passé pas mal de temps sur mes images du tour du monde, parfaitement classées, tout ça pour en arriver là. C’est peut-être une forme de tribut à payer aux pauvres quand on est soi-même plus aisé, et qu’on voyage chez les autres, mais la perte des images, c’est dur.

Cela me reconduit, contraint et forcé, à l’essentiel de ce qu’il convient de ramener d’un voyage : les souvenirs, et l’envie de repartir.

Tout le reste est futile.

J’aimerais, un jour, être capable de voyager avec le strict minimum. Des bonnes chaussures, un vieux sac à dos, mon chapeau néo-zélandais, mon leatherman (couteau à fonctionnalités multiples américain en inox), une lampe frontale, une carte. Un carnet et un stylo peut-être aussi. Le voyage à pied va à l’essentiel. Pour les rencontres, il est imbattable.



Allez, on va affaler la grand-voile, le vent s’éteint doucement à la surface de la mer. Le gennaker seul, au grammage plus léger, portera mieux sans elle.

Et puis, on va mettre un moteur en route, pour faire remonter le vent apparent vers l’avant, et l’augmenter de quelques petits nœuds… Il faut maintenir une vitesse de l’ordre de 5 nœuds pour arriver Mardi dans la journée et ne pas se prendre  sur la gueule au finish les vents forts et contraires qui vont souffler sur les îles à partir de Mardi soir.

Course de lenteur, mais contre la montre tout de même!

A demain !

Olivier

MESSAGE N° 8 – TRAVERSEE CAP VERT – ACORES

JOUR 8 – Samedi 21 Avril 2012 –

Distance de Horta (Ile de Faial, Açores) en route directe  338 milles.
Distance directe à Furna (Ile de Brava, Cap Vert)  1114 milles.
Distance réelle parcourue en 24 heures  159 milles.
Gain sur la route directe en 24 heures  158 milles.

Une semaine de mer ce matin, depuis le départ de Brava.

Et une journée finalement meilleure que celle que j’avais imaginée. Le vent a bien eu quelques hésitations sur la période, gommées par 2 ou 3 heures de moteur qui nous ont permis de refaire de l’eau douce avec le watermaker (capacité de production 60 litres/heure). Mais globalement, nous avons pu tirer notre épingle du jeu ces dernières 24 heures. Le gennaker est entré en service hier en milieu de journée, avec une adonnante du vent venu plein est, et il a fait des merveilles toute la soirée et toute la nuit, abattant des milles régulièrement vers les Açores, avec parfois des pointes à 9 nœuds de vitesse. Nous avons à l’évidence changé de masse d’air depuis 36 heures, et celle dans laquelle nous évoluons désormais est plus stable, générant moins de grains. La mer s’est aplatie, devenant belle (selon la nomenclature météorologique, qui ne se place pas d’un point de vue esthétique), la houle a quasiment disparue, le confort qu’offre la navigation à bord d’un grand catamaran est revenu au premier plan.

Hier soir à la nuit tombante, alors que nous venions d’apercevoir loin à l’horizon les superstructures d’un premier cargo, Louis, toujours enclin à mettre une ligne de traîne à l’eau (pour officiellement remonter le niveau du stock de conserves de poisson en bocaux, qu’il continue à trouver anormalement bas), a récolté un gros distribil dans le moulinet Penn de la canne bâbord. Il a fallu ouvrir le boîtier (bourré de petites pièces métalliques qui ne demandent qu’à en sortir en s’éjectant…), mais plus il avançait dans la résolution du problème mécanique, plus je voyais les boucles de fil nylon s’entremêler gravement sur le tambour !

Quelques jurons plus tard, j’ai réussi à le convaincre qu’il fallait, pour se dépêtrer du problème, remettre le leurre de bas de ligne et le laisser filer dans le sillage pour obtenir une tension constante et rectiligne, seule capable de ne pas générer ces damnées boucles indémerdables. Avec 300 mètres de fil, il y a de quoi se prendre la tête quand les choses commencent à déconner. Je me suis retrouvé à maintenir à la main le fil qui filait par-dessus bord, pendant qu’il réduisait lentement le nombre de boucles sauvages, histoire de revenir progressivement à une situation plus enviable. Alors que je voyais, avec une certaine anxiété de la suite, improbable mais possible, le leurre s’éloigner dans le sillage à 20, 30, puis 40 mètres et que nous marchions à 7 ou 8 nœuds, l’idée m’est évidemment venue à l’esprit que ce n’était surtout pas le moment qu’un poisson vienne mordre au bas de ligne ! Comme elle était restée à l’eau plusieurs heures auparavant sans intéresser le moindre quidam pélagique, le risque me semblait minime.

Bon, vous avez deviné la suite ?

Un putain de poisson a commencé à attaquer le bazar, et j’ai senti une première secousse, suivie d’une deuxième, beaucoup plus forte. Le bas de ligne a cassé violemment, j’ai conservé de justesse les deux doigts que j’avais affecté prudemment à ce travail, et l’animal s’en est retourné vers les profondeurs océanes avec le bas de ligne dans la gueule, dont un joli leurre orangé. Ce qui a, provisoirement, resserré les boucles de fil sur le tambour du frangin… Quelques jurons supplémentaires plus tard, motivés plus largement cette fois (le bazar revenu illico sur le tambour, la perte d’un leurre,  d’un hameçon en inox et d’un émerillon, et celui d’un joli poisson !), la situation avait été stabilisée, le problème résolu, la canne  gréée à nouveau, prête à reprendre du service, mais la nuit était tombée… Nous nous sommes, d’un commun accord, réfugiés dans un ti-punch, version cap-verdienne, dans laquelle le grog de Santo Antao joue le rôle du rhum agricole, inégalable, des Antilles françaises.

A la séance BLU (bande latérale unique, un mode de transmission radio haute fréquence qui désigne en fait l’émetteur/récepteur radio longue distance du bord) du soir, des nouvelles satisfaisantes nous sont parvenues de Toulouse, indiquant que le petit émetteur expérimental installé sur la coque tribord (et dont Christophe, le constructeur délégué, n’a jamais dû imaginer combien d’eau de mer son petit appareil

- bel et bien étanche - allait recevoir sur la tronche les 5 premiers jours de notre traversée), fonctionnait à nouveau à plein régime, après un petit traitement technique de remise en forme que nous lui avons fait subir à l’abri du roof.

La nuit, même avec la voile bleue à poste à l’avant, a été plutôt sereine pour une fois, et j’ai pu récupérer du sommeil. Le bateau a retrouvé, comme le skipper (qui envisage de se raser bientôt, et qui a dores et déjà  pris une énorme douche à l’eau chaude) une allure présentable, et l’île de Faial se rapproche doucement, là-bas, encore loin devant.

Mais il a fallu que je ressorte mon gros pull breton, qui n’avait pas servi depuis bien longtemps. Il ne fait guère plus de 15°C la nuit au large.

L’anticyclone revient bien dans le sud-ouest de l’archipel, mais un peu plus lentement que prévu, ce qui devrait nous autoriser ce vent léger de secteur est, légèrement sud-est, pendant les prochaines 48 heures.

Certes pas violent, avec sans doute de temps à autre la nécessité d’une petite risée Volvo en appoint pour renforcer un poil notre vent apparent. Et probablement pas suffisant pour boucler la traversée dans les 2 jours qui viennent. Le centre de l’anticyclone devrait donc nous couper la route avant les digues du port de Horta, et avec lui ses calmes associés, une impolitesse de sa part qui sera suivie d’une rotation brutale du vent à l’ouest-nord-ouest Mardi, pour ce que nous espérons être notre dernière journée de mer avant l’arrivée aux Açores.

A demain !

Olivier

MESSAGE N° 7 – TRAVERSEE CAP VERT – ACORES

JOUR 7 – Vendredi 20 Avril 2012 –

Distance de Horta (Ile de Faial, Açores) en route directe  496 milles.
Distance directe à Furna (Ile de Brava, Cap Vert)  965 milles.
Distance réelle parcourue en 24 heures  145 milles.
Gain sur la route directe en 24 heures  143 milles.


Anticyclone des Açores : le piège !


Ce qui est sûr, c’est que nous sommes sortis cette nuit de la zone des alizés de nord-est. Après avoir planté des pieux pendant un peu plus de

5 jours, le flux régulier (et soutenu, 23 à 25 nœuds de vent réel en moyenne, soit 27 à 29 nœuds de vent apparent) des alizés nous a abandonné à la latitude des Iles Canaries.

Nous n’allons pas aller jusqu’à les regretter ces vents bien établis, car remonter dans la mer formée sur près de 900 milles ne nous laissera pas un souvenir impérissable. Au total, des milliers d’impacts avec la mer, des centaines de vagues sectionnées en pleine vitesse par les étraves, d’innombrables rafales d’embruns salés balayant le pont à l’horizontale, et des dizaines de tonnes d’eau furieuse cherchant à retourner au plus vite dans l’océan… Mais un bateau qui a tenu l’épreuve, et qui en sort à peu de choses près indemne. Les trampolines ont un peu souffert, et je regrette de ne pas les avoir carrément démontés pour cette traversée. La bosse du 2ème ris, cassée, a retrouvé sa place avec 1 mètre de moins. Tout le reste est OK.

Je vais vous dire, j’aime bien les catamarans avec des ailerons étroits et profonds ; pour la grande croisière, c’est beaucoup mieux que des dérives !

L’équipage ? Quelques bleus, quelques bosses, 2 ou 3 chutes, quelques égratignures, quelques jurons, des vêtements trempés, des pieds délavés par l’eau de mer.

Et des souvenirs qui vous disent qu’on ne le refera pas tous les jours, ce trajet, mais que finalement, le plus dur est passé assez vite.

Et quel confort de pouvoir regarder la mer agitée à demi allongé dans le carré, à l’abri du vent et des embruns, le visage protégé derrière le vitrage, en polo et bermuda. Sur un monocoque, la tenue de combat aurait été de rigueur… L’esprit humain, sa tendance à ne retenir que le bon côté des choses, c’est tout de même étonnant. Bon, à ceux (nombreux) qui ne veulent pas s’y coller, à cette remontée des alizés du Cap Vert vers les Açores, il reste à mettre le clignotant à gauche (quelle expression peu maritime, et pour tout dire moche !) vers les Antilles, et à se laisser pousser par ces mêmes alizés, grand largue ou vent arrière, ce qui change tout !

A vider quelques verres de ti-punch aux Caraïbes, puis à reprendre la mer vers le nord (avec une éventuelle escale aux Bermudes), puis le nord-est, en allant chercher les vents d’ouest, jusqu’aux Açores. Une route que j’ai pratiquée plusieurs fois, mais qui est évidemment beaucoup plus longue, et pas vraiment à notre programme de fin de voyage autour du monde.

Hier juste avant le coucher du soleil, un petit thon albacore (thon

jaune) s’est fait prendre à la ligne de traîne. Direction le frigo. La nuit a été plus calme que les précédentes, ce qui n’était pas un résultat très difficile à obtenir. J’ai juste du réveiller mon frère une fois  pour prendre un deuxième ris dans le seul grain de la nuit, néanmoins suffisant pour emmerder mon petit monde à moi.

Pas vu le moindre bateau depuis notre départ de Brava, seulement quelques débris flottants de notre belle civilisation humaine.

Les physalies sont de retour, quelques dauphins aussi, qui viennent saluer ce voilier qui ne fait pas la même route que les autres.

Une chose m’inquiète, c’est le piège tendu par l’anticyclone des Açores, à près de 500 milles de l’arrivée à Horta. Alors qu’on avait bien convenu avec lui qu’il ne devait surtout pas bouger de sa résidence dans le nord-est de l’archipel, le voilà qui a amorcé un retour express vers le sud-ouest ! Que des inconvénients pour nous ! Le vent, au lieu d’adonner progressivement, va refuser jusqu’à venir au nord !

L’éloignement de la dépression qui arrivait dans l’ouest depuis les côtes américaines annule le gradient de pression, nous laissant avec des vents très faibles si ce n’est pas de vent du tout. Bref, mon petit plan qui visait discrètement à rejoindre Horta en 9 jours depuis Brava est en train de partir en couille ! Le gin tonic chez Peter (Café Sport) va se faire attendre un peu… Nous allons devoir utiliser les moindres risées du moindre zéphyr, mais aussi probablement la risée Volvo, bâbord ou tribord, qui fonctionne actuellement au diesel namibien.

Peu avant midi, nous avons gréé le gennaker, content de revoir la lumière du jour.

Au déjeuner, tranches de thon albacore et purée, avec un petit vin blanc sud-africain bien frais.

Plus de pronostic d’arrivée, la tactique change, elle est simple :

gagner mille par mille vers Horta, sans se poser d’inutiles questions… A demain !

Olivier

vendredi 20 avril 2012

MESSAGE N° 6 – TRAVERSEE CAP VERT – ACORES

JOUR 6 – Jeudi 19 Avril 2012 –
Distance de Horta (Ile de Faial, Açores) en route directe  639 milles.

Distance directe à Furna (Ile de Brava, Cap Vert)  827 milles.
Distance réelle parcourue en 24 heures  153 milles.
Gain sur la route directe en 24 heures  151 milles.

Le plus dur de la shaker’s week semble derrière depuis quelques heures, on ne va pas s’en plaindre. A confirmer tout de même.

La nuit a encore été dure, et assez violente. Pas de cadeau pour le marin qui a choisi cette route Cap Vert/Açores, de beaucoup plus directe que de passer par les Antilles, mais aussi plus musclée… Les grains se sont reformés en début de nuit, et ils m’ont tenu compagnie dans l’obscurité. Alors que je n’avais rien demandé. Manœuvres de solent à chaque fois, puis attente assez peu sereine, assis sur la banquette tribord du carré, la frontale à poste sur le nez, pendant que les gémissements du vent montent dans les tours… Il m’est arrivé de croiser les doigts. Le bateau a pas mal travaillé, les embruns ont volé, les étraves ont labouré la mer. Jusqu’à 35 nœuds de vent, avec la mer qui va avec, plutôt cabossée. Douze heures assez désagréables, pendant lesquelles il est difficile de ne pas penser à l’éventualité d’une avarie. Dans les grains, il m’est également arrivé d’abattre temporairement, pour aborder les vagues avec un angle plus conciliant.

J’ai trouvé, depuis quelques nuits, une alarme automatique anti-chahut.

Le feu de sécurité à retournement (à piles), associé à la bouée de sauvetage et à la perche de signalisation, dont l’interrupteur s’active en temps normal quand le feu est mis à l’endroit (en clair lorsqu’on jette à la mer, à l’intention d’une personne passée par-dessus bord, l’ensemble bouée de sauvetage - perche de signalisation - feu à

retournement) s’allume brièvement lorsque l’accélération verticale du bateau dépasse un certain seuil, qui ne doit pas lui plaire. L’éclair assez puissant ainsi produit à l’arrière me prévient (s’il en était

besoin…) du coup de tangage en cours dont l’issue va être inévitablement  brutale, et du joli paquet de mer qui va dévaster le pont dans les 3 secondes qui suivent ! Quand l’éclair se renouvelle 2 ou 3 fois par minute, c’est que mon moulin va trop vite. Je laisse la grand-voile à 2 ris, mais je fonce enrouler du solent… Autre compagnon de mes nuits, pas très sexy en ce moment, le cadran répétiteur de l’anémomètre, réglé sur la vitesse du vent apparent, et de temps à autre sur son angle. Il arrive qu’il m’énerve, et je le lui dis clairement.

Le geste le plus galère, c’est tout de même celui de s’essuyer les pieds, trempés d’eau de mer, après chaque sortie sur le pont. Depuis le départ de Brava, la vieille serviette, très sollicitée, ne sèche plus, je l’essore régulièrement, pour tenter d’emmener dans ma petite couverture le moins d’humidité possible. L’entrée du carré, pourtant bien protégée, est néanmoins barrée par deux niveaux de serpillères.

Sur ce parcours de remontée des alizés de nord-est, il n’est pas étonnant que certains voiliers subissent des avaries, de gréement en particulier. Nous avons un bateau solide et sûr, et cela vaut mieux, car il est large, et dans le cas présent, à cette allure, structurellement, ce n’est guère un avantage. Quand je borde l’écoute de solent dans 25 nœuds de vent, je sens les efforts énormes qui s’exercent sur l’accastillage, les cordages, la voile et le gréement. J’avais remplacé les winches d’écoutes d’origine par le modèle supérieur, mais même ainsi il n’y a rien de trop, il faut de l’huile de coude, et de la force.

Notre voilier est un catamaran, il ne gîte donc pas (ou plus exactement il prend un peu de gîte, mais quelques degrés seulement, rien à voir avec un monocoque), du coup les voiles restent dans un plan perpendiculaire  au vent qu’elles reçoivent, ce qui accroît considérablement les efforts si l’on ne réduit pas suffisamment vite la surface de voile portée par le voilier. Là où un monocoque va s’incliner devant l’augmentation de la pression du vent, et diminuer ainsi les efforts en accentuant son angle de gîte, un catamaran va lui accélérer en restant droit, en augmentant ces mêmes efforts.

Vous avez certainement tout compris, je ne m’étends donc pas. Au petit matin, je me suis fait une belle bosse sur l’arcade sourcilière gauche.

Ben oui, je vous raconte tous mes petits problèmes !  Sorti quelques instants humer le vent, j’ai été cueilli par une vague traîtresse qui a explosé sur la coque au vent, et en voulant rentrer précipitamment derrière l’abri du roof, je me suis pris la tubulure inox qui se trouvait sur une trajectoire que je connais pourtant bien. Sonné pendant quelques secondes, j’ai regagné ma bannette à tâtons, en jurant je crois bien, pour attendre que le nombre d’étoiles diminue dans mon ciel !

Ce matin, le vent, établi depuis plusieurs jours à quelques 25 nœuds hors des grains, a commencé à mollir. Nous en avons profité pour repasser une bosse, et avons largué un ris. Retour au premier donc, avec solent entier. Vitesse 7 à 8 nœuds sur une mer moins chaotique que précédemment. Nous avons reçu un message en provenance de Toulouse nous indiquant que le petit émetteur HF expérimental que nous avons installé au Cap Vert sur le pont tribord, avec antenne filaire montant au 2ème étage de barres de flèche, avait cessé d’émettre. Damned ! Démontage et rapatriement à l’intérieur. Nous étions inquiets au sujet de son étanchéité, car il a été plusieurs fois submergé ces derniers jours, mais non, c’est apparemment juste un problème provisoire de charge de son accus au lithium, en cours de résolution. Dès ce soir, on va le remettre en place et il devrait recommencer à envoyer ses signaux ultra-économiques à quelques milliers de kilomètres.

Daurade coryphène à toutes les sauces au menu ces temps-ci. Le frangin n’est pas un gaspilleur, vous voyez ce que je veux dire. Et le niveau du stock de bocaux stérilisés est remonté depuis hier soir !

Evènement qui me rapproche un peu de mon vieux père (88 ans bientôt, et très en forme), mon frère a ouvert aujourd’hui une vieille bouteille de pineau familial, d’au moins 20 ans d’âge, élaboré par le vieux, du temps où nous vendangions une fois l’an quelques arpents de vigne attachés à la maison de nos grands-parents paternels, quelque part dans un petit village de Charente-Maritime. Et comme il restait encore un peu de saucisse sèche, c’était un apéro exceptionnel !

Je viens de terminer les deux tomes de « L’Alliance », de l’auteur américain James Michener. Un roman historique sur l’histoire de l’Afrique du Sud depuis les origines. Un bon bouquin pour mieux appréhender  ce pays extraordinaire qui ne peut pas laisser indifférent, et où tellement d’erreurs ont été commises. Avec la Nouvelle-Zélande et la Namibie, ce sont peut-être les 3 pays qui m’ont le plus intéressé au cours de ce voyage, si j’omets les nombreuses petites îles que nous avons visitées. J’y reviendrai volontiers pour en arpenter les pistes reculées et mieux comprendre son histoire. Je sais déjà comment !

Nous avons dépassé la moitié de la route vers Horta, c’est une bonne chose. Une seule inquiétude, l’anticyclone semble vouloir se déplacer vers le sud-ouest, et ça ce n’est pas une bonne idée pour notre fin de traversée.

La bête météorologique ne doit pas bouger pour que le vent adonne progressivement, qu’on puisse envoyer le gennaker, et que la grande voile bleue nous pousse gentiment dans les trois derniers jours vers le premier bistrot venu… A demain !

Olivier

mercredi 18 avril 2012

MESSAGE N° 5 – TRAVERSEE CAP VERT – ACORES

JOUR 5 – Mercredi 18 Avril 2012 –

Distance de Horta (Ile de Faial, Açores) en route directe  790 milles.

Distance directe à Furna (Ile de Brava, Cap Vert)  674 milles.
Distance réelle parcourue en 24 heures  159 milles.
Gain sur la route directe en 24 heures  153 milles.


En fin d’après-midi hier, un front nuageux, que nous n’avions nullement sollicité, a obscurci notre ciel. Un temps à grains s’est installé, avec son cortège de petites misères bien connues. Réduire la toile quand un grain s’annonce, renvoyer après son passage. Et stresser un peu pendant le grain, parce qu’on ne sait jamais exactement ce qu’il y a dedans.

Nous avons eu l’occasion de nous faire la main deux ou trois fois avant le coucher du soleil, puis la nuit est arrivée. Je n’ai pas passé une très bonne nuit... Décidément, vous allez croire que je me répète, et c’est un peu vrai ! Regarder régulièrement au vent, dans l’obscurité, pour repérer le grain dont la trajectoire va vous perturber la vie, sans même parler du sommeil. Réduire avant que les premières rafales ne vous tombent dessus. Rester les yeux rivés sur l’anémomètre pour vérifier que le vent ne va pas dépasser 32/33 nœuds, la norme dans le coin apparemment, sinon il faudra réduire encore, et rapidement. Attendre que cela passe en encaissant l’accélération du bateau et les impacts des paquets de mer qui vont avec. Et s'essuyer les pieds, qui ont trempé dans l'eau de mer, qui s'invite souvent sur le pont en ce moment, avant de regagner l'abri douillet du roof... Et puis, un quart d’heure à vingt minutes plus tard, renvoyer de la toile dans un vent faiblard et une mer que le grain a laissé chaotique … J’ai bien du subir ce petit manège une dizaine de fois, avant que la lueur blafarde de l’aube ne me délivre de cette sale nuit.

Où est-elle donc ma petite maison à la campagne, où sont les arbres, les fleurs et les oiseaux ?

Au petit matin, on avait l’impression de naviguer en Manche, voire en Mer du Nord, tant tout était gris. Cela me rappelle un dessin humoristique sur la Bretagne où l’on voyait un paysan breton portant chapeau rond, ciré et bottes, levant les bras au ciel que l’on devinait menaçant à souhait, et s’écriant : « Mais comment peut-on rester insensible à toute cette variété de gris ? »  C’était tristounet, ce matin.

Alors que nous venons juste de quitter les tropiques, pas plus tard que hier soir (23°27’de latitude).

Dans la matinée, on a tout de même attrapé une belle daurade coryphène.

Là aussi, il a fallu redistribuer les rôles. Enroulement rapide du solent, grande abattée sous le vent, armement de la longue arbalète de pêche. Je suis descendu dans la jupe bâbord avec les mains gantées, pour ramener brassée par brassée le fil de nylon tendu par le poisson, tandis que mon frère moulinait avec la canne sur le pont. J’ai du m’y reprendre à deux fois pour flécher la daurade avant de la sortir de l’eau. Et Louis, qui n’a pas encore le métier acquis par Marin, a pesté contre un joli bazar dans le fil, entortillé dans le moulinet. Nous avons remis en route dès  le poisson  vidé et écaillé (la cocotte-minute va ronronner cette après-midi pour stériliser 4 bocaux  de verre de poisson), et dans une rafale du premier grain qui a suivi, la bosse du 2ème ris, qui a beaucoup travaillé ces derniers jours, a explosé dans un bruit de canon !

Petit moment de distribil avec la grand-voile partie en promenade vers les haubans, vite maîtrisée par la prise provisoire du 3ème ris. Pas facile de repasser une bosse dans l’immédiat, alors j’ai utilisé la bosse du 1er ris pour ré-installer le deuxième… Le marin, toujours, doit se démerder. L’accastillage est sollicité pendant cette traversée disons virile, mais tant que la casse se limite à la rupture d’une bosse, ça me va très bien. Les conditions plus agréables apparemment prévues d’ici après-demain nous permettront de repasser le cordage dans la bôme dans les règles de l’art.

Dans la soirée, nous aurons franchi la moitié de la route vers Horta.

J’ai toujours plaisir à attaquer la deuxième moitié d’une traversée.

Je navigue surtout pour les escales !

A demain !

mardi 17 avril 2012

MESSAGE N° 4 – TRAVERSEE CAP VERT – ACORES

JOUR 4 – Mardi 17 Avril 2012 –
Distance de Horta (Ile de Faial, Açores) en route directe  943 milles.
Distance directe à Furna (Ile de Brava, Cap Vert)  515 milles.
Distance réelle parcourue en 24 heures  164 milles.
Gain sur la route directe en 24 heures  164 milles.
 

Hier en milieu de journée, le vent a adonné de quelques degrés supplémentaires, nous permettant de faire route directe vers Horta. Gain intéressant sur la trajectoire la plus courte. Nous sommes aussi passés sous la barre des 1000 milles, ce qui est toujours bon à prendre pour le moral ! Un tiers du parcours est dans le sillage, en 3 jours. On s’accroche aux chiffres qui vous arrangent, comme de vulgaires politiciens!

Bel après-midi de beau temps, ciel pommelé, avec toute une bande de dauphins venue jouer aux étraves. Mais vers 20H00 hier soir, le vent est rentré à 28/29 nœuds réel, soit un vent apparent de 32 à 33 nœuds. Pas cool. Il a fallu prendre le 3ème ris dans l’obscurité, avec la toile qui claquait au vent, la sangle d’amure difficile à passer tout seul, le guindant qui ne voulait pas descendre, les paquets de mer, bref l’ambiance des nuits qui commencent mal. Dans ces cas-là, Jangada est déjà un gros bateau. Il faut de la volonté, et du muscle. J’avais revêtu une tenue de combat, il y avait bien longtemps que je ne l’avais pas fait… Alors bien sûr, la nuit a été agitée, le bateau a pas mal ramassé, il ne faisait pas un temps à pointer son museau à l’extérieur du roof. Je voyais l’eau des paquets de mer traverser le cockpit, du côté au vent au côté sous le vent, en me disant que j’avais connu des conditions meilleures.

A quelques nœuds de vent près, la mer change vite de visage. Je préfère le baston quand je vois clair, mais là la nuit était noire. Mais en fait, soyons clair, je n’aime pas le baston, surtout contre le vent, j’aime la mer quand elle est belle à peu agitée. Au-delà, je fais juste avec, en rêvant d’être dans une petite maison à la campagne, au milieu des arbres, des fleurs et des oiseaux ! Oui mais voilà, il faut aussi que je me fabrique des souvenirs pour quand je serai vieux ! Sinon, comment apprécier la petite maison à la campagne, les arbres, les fleurs et les oiseaux ? Nous n’avons gardé que quelques petits mètres carrés de solent à l’avant, Louis est allé se coucher en bas, et les heures se sont écoulées avec lenteur et turpitude. Vers 04H00 du matin, le vent est revenu à une petite vingtaine de nœuds, et nous avons renvoyé de la toile au jour. On est même revenu à 1 ris dans la matinée, mais il a vite fallu réduire à nouveau à 2 ! Manœuvres… Changement de leurre sur la ligne de traîne : la mer étant agitée, on s’est dit que les prédateurs ne devaient pas être tout à fait en surface. Leurre indonésien (acheté à Bali) plombé donc. On a sorti une petite daurade coryphène, à peine 2 kg, une misère… Elle était tellement amochée à son arrivée dans la jupe arrière, aucune chance de survie, que nous l’avons gardée pour le dîner. Mais on ne va pas s’en vanter.

Ce matin, le vent a refusé d’au moins 15 à 20°, il a fallu abandonner la route directe, route au 335/340 au lieu de plein nord désormais pour Horta.

On ne fait pas ce qu’on veut, il faut être modeste et endurant pendant cette traversée.

Ne pas forcer, ne rien casser ! Faire le dos rond, ajuster autant de fois que nécessaire la toile et  les réglages, gagner des milles, et durer, autant que ce sera nécessaire. Les jours meilleurs seront pour plus tard !

A demain !

lundi 16 avril 2012

MESSAGE N° 3 – TRAVERSEE CAP VERT – ACORES

JOUR 3 – Lundi 16 Avril 2012 –
Distance de Horta (Ile de Faial, Açores) en route directe  1107 milles.
Distance directe à Furna (Ile de Brava, Cap Vert)  351 milles.
Distance réelle parcourue en 24 heures  171 milles.
Gain sur la route directe en 24 heures  157 milles.


Nuit bien meilleure que la précédente, avec un alizé stabilisé à une vingtaine de nœuds. Hier après-midi, il nous a fallu encore mettre en panne pendant une heure pour arranger définitivement (j’espère) notre problème de jonc polyester fuyard sur le trampoline bâbord. J’ai du jouer de la perceuse électrique et du groupe électrogène portable pour pratiquer un trou dans ce rond de polyester d’environ 20 mm de diamètre, histoire d’y passer un bout destiné à l’empêcher de se défiler. Ca a l’air de tenir, puisque ce matin, rien n’avait bougé. En dehors de ce petit souci, et du panneau de survie bâbord qui fuit (joint vieilli à remplacer, mais … en usine !) d’autant qu’il est aspergé d’eau de mer en permanence, ce qui m’oblige à assécher régulièrement (ma cabine ! où je ne vais jamais en traversée), techniquement le bateau va bien. La consigne de cette traversée dure pour le matériel, c’est ne pas forçer.

Nous enroulons du solent dès que le vent rentre, plusieurs fois par jour. Je surveille les points sensibles, y compris en tête de mât, aux jumelles. Si la mer devient trop cassante, j’abats un peu, le temps de saluer, puis je reprends du cap quand c’est passé. Tout va bien. Et il n’y a pas de raison que ça ne dure pas, OK ? Ceci dit, j’ai appris par les ondes qu’un voilier en aluminium qui remonte aussi vers les Açores quelque part sur la mer jolie avait cassé son bas-hauban au vent, exactement le truc pas cool.

Pour nous aujourd’hui, le vent et la mer sont un peu plus agréables (en réalité, c’est une question de disposition d’esprit, beaucoup diraient plutôt un peu moins désagréables ! mais il faut positiver), nous naviguons toujours à 60° du vent environ, au 335, ce qui est très appréciable. Allure de bon plein, voiles légèrement  débridées, notre voilier préfère et il laboure la mer comme un bon paysan charentais à une vitesse de l’ordre de 8 nœuds.

Si tout allait bien partout, si…, et si…, alors je dirais : « Elle est pas belle la vie ? » Louis a dormi dans sa coque tribord, au rappel, côté au vent. Mais, ombre au tableau, nous n’avons encore rien pêché à la ligne de traîne, et le frangin commence à s’exciter sur le sujet. Il regrette de ne pas avoir acheté un morceau de wahoo aux pêcheurs de Brava, qui en ramenaient une vingtaine au total chaque jour des îlots voisins de l’île au nord. C’est vrai qu’on ne voit pas beaucoup de poissons-volants dans le coin, très peu même. Or les prédateurs que nous ciblons s’en nourrissent essentiellement… Pas un seul exocet sur le pont au petit matin, pourtant largement arrosé. Bref, comme dit mon frère, la chaîne alimentaire (celle qui conduit à nos estomacs, on laisse pour l’instant la science planctonique de côté) n’est pas en place. J’ai changé le leurre ce matin, mais à l’heure où j’écris ces lignes, accroché à ma table à cartes, que dis-je, suspendu à mon clavier, toujours rien. Oh, c’est pas qu’on risque de crever de faim, on a encore de beaux légumes et des fruits, des œufs, du pain cap verdien dégueulasse pas cuit et parfumé à l’anis, et une quantité de pâtes et de riz qui nous permettraient de survivre pratiquement 2 mois avant qu’on commence à songer à se bouffer l’un l’autre (non, pas mon frère !). Mais le chef cuistot cherche à se renouveler, c’est inné, et ça c’est pas toujours un truc facile à réussir à bord d’un voilier économe en énergie et en dépenses. Salade de riz et nouilles aux petits légumes frais, avec un verre de vin sud-africain pour accompagner le délicieux fromage de chèvre fait main acheté dans le petit village de Cachaço, sur les hauteurs de Brava.

Nous avons eu des nouvelles de nos amis de Small Nest et Go Beyond (deux voiliers monocoques de 45 pieds différents qui, c’est suffisamment rare pour être signalé, naviguent exactement à la même vitesse dans les mêmes conditions de temps, ce qui, entre autres, les poussent à naviguer ensemble depuis des mois), qui rallient directement les Açores depuis l’île de l’Ascension. Ils sont à environ 500 milles dans notre sud-ouest, alors rendez-vous chez Peter (Azevedo), au fameux Café Sport de Horta sur l’île de Faïal, aux Açores, l’un des 10 bistrots les plus connus au monde.

Pas vu âme qui vive depuis notre départ de Brava, nous sommes au grand large. Seuls quelques rares oiseaux de mer viennent pêcher devant nos étraves… A demain !

Olivier

dimanche 15 avril 2012

MESSAGE N° 2 – TRAVERSEE CAP VERT – ACORES

JOUR 2 – Dimanche 15 Avril 2012 –
Distance de Horta (Ile de Faial, Açores) en route directe  1264 milles.
Distance directe à Furna (Ile de Brava, Cap Vert)  180 milles.
Distance réelle parcourue en 24 heures  152 milles.
Gain sur la route directe en 24 heures  139 milles.

Shaker’s week…

Beaucoup de nid de poules sur la route… On a beau essayer de les éviter, on tombe souvent dedans, et avec fracas ! Paquets de mer, embruns, giclées sur les vitres du roof, et chocs… Les premières 24 heures de mer ont été éprouvantes. Le vent fort, la mer formée,  le cap serré. Et puis, psychologiquement, il faut se faire à l’idée qu’il y en a pour une semaine à ce régime, c’est assez peu enthousiasmant, il faut bien l’avouer. Le bateau souffre, le mât, le gréement, les voiles, l’accastillage sont durement sollicités, et la peur de l’avarie est  présente en permanence à l’esprit .

La nuit a été plutôt difficile. J’ai été chercher, ce qui est déjà en soi une expédition à haut risque (au moins pour le taux d’humidité relevé à l’arrivée !), mon matériel de couchage en bas (cabine bâbord), et je me suis installé à ma place habituelle dans le carré à tribord, pour la nuit. Beige et Petit Brun (pour ceux qui connaissent) sont restés au chaud en bas. Après sa cuisine et sa vaisselle, toutes deux sportives dans les conditions actuelles, Louis m’a demandé quel quart il allait faire, mais je lui ai répondu qu’il pouvait aller dormir en bas à tribord, et que je l’appellerai seulement si c’était nécessaire. Nous avons allumé le feu flash de tête de mât, pour signaler aux éventuels navires marchands qu’un voilier taillait sa route dans le coin contre le vent et la mer vers les Açores, mais il n’y a pas foule dans le quartier. Evidemment, mon fiston m’a manqué à bâbord du carré, où il dormait. Nous faisions un peu la converse le soir, quand les filles étaient déjà couchées, jusqu’à ce que je m’aperçoive qu’il s’était endormi. Et depuis qu’il m’avait montré, il y a seulement quelques semaines, la fonctionnalité « liste de lecture » avec sélection aléatoire sur mon I Pod, j’avais passé du temps à regrouper dessus « toute la musique que j’aime », et à la nuit tombée, c’était concert dans le carré de Jangada, sur la base Bose.

Mais au mouillage à Fogo, un être malveillant s’est introduit à bord pendant notre absence, et il a volé, entre autres choses, mon I Pod… J’ai ainsi perdu « toute la musique que j’aime »… Cette nuit, les choses se sont compliquées quand nous sommes passés sous le vent des îles de Santo Antao et de Sao Vicente, à une vingtaine de milles. Il y a une accélération connue du vent dans le goulet entre ces deux îles, qui se prolonge loin au large. L’anémomètre est monté à 32/33 nœuds pendant 2 heures, m’obligeant à enrouler le solent aux 2/3. Ca cognait dur. Santo Antao est une île élevée, alors ensuite, nous avons été déventés, moins de 10 nœuds de vent. Et deux heures de moteur pour nous extirper de la zone de dévent. En fin de nuit, le manque de régularité du zéphyr m’a obligé à de nombreux réglages, bref il m’est arrivé de passer de meilleures nuits en mer. Au jour, après un petit-déjeuner vite expédié, nous avons enroulé le solent et mis en fuite à 160° du vent pour une heure de menus travaux acrobatiques à l’avant. Séquelle de la nuit, le jonc polyester du trampoline bâbord avait trouvé le moyen de perforer le tissu PVC pourtant solide et renforcé de son gousset, et il avait posé une option pour rejoindre les grands fonds. En ce moment, en avant du mât, la sérénité fait un peu défaut… Mais, une fois l’archipel du Cap Vert définitivement derrière nous, le vent a un petit peu adonné, et nous naviguons désormais à 55/60° du vent, ce qui est mieux. Le bateau souffre moins, et nous réglons la voilure pour maintenir une vitesse de l’ordre de 8 nœuds. Au-delà, ça rappelle la bataille de Verdun, à laquelle je n’ai tout de même pas participé.

Bon, pour autant, le confort des allures portantes est loin, oublié hélas, les impacts sont toujours là, et l’aspersion reste de rigueur, mais il y a une petite amélioration. C’est cette tendance à venir un peu vers l’est de l’alizé de nord-est, prévue pour encore 4 ou 5 jours, qui nous a décidés à appareiller vers les Açores. Cela nous permet de maintenir un cap à 20° environ plus à l’ouest que la route directe vers Horta, et cela sans trop serrer le vent ni la mer, exactement ce que je souhaitais. Etre sûr d’enrouler l’anticyclone des Açores par sa bordure ouest (perspective de vents plus portants), et non pas par sa bordure est (vents assurés dans la gueule), ce sera le deuxième objectif. Bref, nous avons attaqué notre route incurvée vers l’ouest. Il faudrait que cette tendance persiste pendant encore 5 jours, et le plus dur serait derrière. Par la suite, il va nous falloir surveiller l’évolution de la position de l’anticyclone, pour en tirer les conséquences sur la route à suivre. Si la bête pouvait prolonger un peu son séjour dans la partie orientale de sa cour de récréation, ce serait une bonne idée.

Mais en attendant, c’est le shaker. Jangada version Orangina… Un Dimanche laborieux… Sailmail marche bien avec la station belge Osy que je capte désormais facilement en BLU le soir vers 19H00. Les messages de soutien sont les bienvenus !

A demain !

Olivier

samedi 14 avril 2012

MESSAGE N° 1 – TRAVERSEE CAP VERT – ACORES

JOUR 1 – Samedi 14 Avril 2012 –

Distance de Horta (Ile de Faial, Açores) en route directe  1403 milles.

Distance directe à Furna (Ile de Brava, Cap Vert)  28 milles.
Distance réelle parcourue en 4 heures  28 milles.
Gain sur la route directe en 4 heures  27 milles.
(Position et données relevées à 12H00 bord)




A remonter les alizés de nord-est… !!!  Jangada, version Orangina… Il paraît que c’est meilleur quand on secoue !

J’en connais au moins une qui ne doit pas être jalouse de ne pas faire cette traversée…



Après une dernière nuit passée dans le petit port de Furna, saluée par un orage et une petite pluie qui a commencé à faire descendre sur le pont des petites rigoles de sable du Sahara (il faudra attendre de vrais grains pour finir le job, la poussière qui a envahi le gréement et les voiles n’a fait que descendre d’un étage), nous avons pris un petit-déjeuner rapide et calme, le dernier avant un bon moment… Alberto était là vers 07H30 pour nous larguer la longue aussière d’une centaine de mètres qui nous tenait à l’enrochement du quai par l’arrière ; il a fallu ranger tout ce fatras, saisir l’annexe au poste de haute mer, et puis relever nos 70 mètres de chaîne rouillée à souhait (il y a longtemps que la galvanisation, mal exécutée, pourtant par un fournisseur connu, a totalement disparu des maillons). La mer formée de l’alizé nous a cueillis à la sortie du port, tangage et premiers paquets de mer sans tarder. Il faudra s’y habituer. Avec les deux moteurs, il a fallu s’élever au vent d’un mille environ, avant de pouvoir parer à distance raisonnable (quelques petites centaines de mètres) la pointe nord-est de Brava. A 08H30 (TU – 1, soit 3 heures de décalage en retard sur l’heure française), nous étions sous grand-voile à 2 ris et solent à demi-déroulé, allure bon plein d’abord débridé de 10° supplémentaires pour passer à l’ouest des îlots rocheux qui débordent Brava au nord-est.

Maintenant que mon petit équipage bien rôdé n’est plus là, il a fallu redistribuer les rôles. Mon frère Louis étant très gêné par la mauvaise, impressionnante (et pas belle à mon goût) plaie qu’il a à la cheville gauche, il reste cantonné à l’arrière. Du coup, je remplace mon fiston Marin dans son rôle (qu’il pratiquait avec un métier de dingue après plus de 33 000 milles autour du monde) de voltigeur à l’avant. Fiston, où es-tu, tu me manques ! (J’ai failli l’appeler pour la manœuvre sur son tout nouveau téléphone portable !) Le geste le plus acrobatique consiste à monter à environ 4 mètres de haut dans le mât pour aller mailler le mousqueton de point de drisse de la grand-voile à corne sur le chariot double de têtière. Vous me suivez ?  Nous avons ensuite serré un peu le vent, peaufiné les réglages, et la longue séance de shaker a pu commencer. Le bonheur… Seuls ceux qui connaissent sont hélas en mesure d’apprécier… La semaine qui vient sera difficile, je l’ai baptisée « shaker week » !

Vivement le week-end prochain ! Sans doute l’une des plus difficiles de ce tour du monde, pour le bateau, et pour l’équipage. L’alizé de nord-est souffle régulièrement, comme ce matin, à 25 nœuds, vent réel.

En vent apparent, le bateau reçoit donc un vent voisin de 30 nœuds qu’il capte avec un angle de l’ordre de 40 à 45°. La rencontre avec la mer est agitée et la discussion humide et salée… L’étrave tribord, au vent, coupe les vagues comme une lame de couteau, c’est de là que s’envolent la plupart des embruns  qui traversent le pont en rafales. Attention avant de sortir, tous aux abris ! L’étrave bâbord, sous le vent, fait la même chose, sauf qu’on s’en fout, par ce que ces embruns-la rejoignent la mer sous le vent. Seuls les poissons-volants sont arrosés, mais ils adorent ça. Parfois, les deux étraves décident de plonger ensemble dans la mer après une lame un peu plus escarpée que les autres. C’est pas une très bonne idée ; mais ma fille Adélie n’a jamais voulu que je « range » sa cabine à l’avant, dont le poids accumulé au fil des mois et des escales accentue le tangage, elle a deviné ce que le terme « ranger » voulait dire dans la bouche du Captain… Alors là, il y a davantage de spectacle encore. Des centaines de litres d’eau de mer s’invitent sur les trampolines, et souvent même ils poussent la visite jusqu’à la poutre avant. S’ils parviennent à la franchir, c’est feu vert pour gagner l’arrière en passant par les passavants. Rinçage gratis. Le roof ramasse copieux lui aussi, des dizaines de litres par minute, j’aurais du installer des essuie-glaces ! On a étanché à Praia le capot tribord avant (cabine de Marin) qui, vieilli, est bon à changer, et les capots de jupes arrière souvent submergés eux aussi à cette allure.

Bon, vous comprenez maintenant pourquoi l’itinéraire de notre voyage prévoyait de boucler la boucle avant les Iles du Cap Vert ? Pour permettre un débarquement de mon petit équipage à Praia de Santiago, avant d’attaquer la séance de plantage de pieux dans l’Atlantique Nord, tout en lui faisant bénéficier de la magie d’avoir fait le tour du monde à la voile… Je savais depuis longtemps que ce parcours Cap Vert/Açores ne serait pas très fun… Les réglages techniques de la voilure et de l’accastillage sont plus importants que d’habitude pendant cette traversée, surtout la première semaine, celle qui sera la plus dure, avec le vent le plus serré et la mer la plus frontale. L’objectif, c’est d’abord de ne rien casser, alors que les efforts, les tensions, les impacts vont être soutenus et permanents. En haute mer, l’avarie est toujours à redouter, la série d’avaries est encore pire. Premier objectif : ne pas forcer. Mais en même temps, il faut garder suffisamment de puissance motrice pour passer dans les vagues en conservant une vitesse correcte, et cependant non excessive pour ne pas trop accroître la vitesse de rencontre avec les mêmes vagues. 7 à 8 nœuds, pas plus, sinon mieux vaut réduire la toile.

La structure du bateau est particulièrement sollicitée dans une traversée comme celle-là. Surtout sur un catamaran, large de surcroît, et donc particulièrement raide à la toile. Le cap ? Il ne faut pas trop chercher à serrer le vent (bien que notre catamaran, avec ses ailerons fins et profonds remonte particulièrement bien au vent), on perd en puissance et en vitesse. Il est préférable de couvrir plus de distance avec un cap un peu plus abattu qui améliore l’angle de percussion avec les vagues et la vitesse, plutôt que de vouloir serrer le vent et la mer sur une telle distance. Le bon réglage des voiles est capital. Marin, j’ai trouvé une nouvelle position de barber-hauler pour l’écoute de solent qu’on n’avait jamais utilisée jusque là ! Vu que c’est un barber intérieur, et non extérieur ! Je t’explique : j’ai frappé une poulie sur l’organeau arrière en alu de la poutre longitudinale de compression bâbord, et je renvoie le barber sur la poupée du guindeau. C’est le grand luxe, il suffit d’appuyer sur le bouton électrique pour adapter le réglage ! Quand on vieillit, vois-tu, on réfléchit davantage avant de faire des efforts, mais toi, tu n’en es pas là ! Ce barber ne sert que pour aplatir la chute du solent, et l’équilibrer avec la bordure, quand celui-çi est partiellement enroulé. Quand tout est correctement réglé au bon cap, il faut encore s’occuper de prévenir l’usure. J’ai rajouté une protection sur la bosse du 2ème ris, choqué en grand le lazy-jack sous le vent, passé  deux rabans sur la grand-voile… Notre affaire commence à avoir de l’allure.

Au déjeuner, Louis nous a fait une salade de riz  avec poivrons, tomates, œufs et poulet de Brava.

Mais diable, que la route est longue avant d’aller se goinfrer d’un gin tonic (plusieurs peut-être d’ailleurs) chez Peter, au Café Sport, à Horta !

A demain !

Olivier

MESSAGE N° 0 – TRAVERSEE CAP VERT – ACORES

JOUR 0 – Vendredi 13 Avril 2012 –
Distance de Horta (Ile de Faial, Açores) en route directe  1430 milles.
Distance directe à Furna (Ile de Brava, Cap Vert)  0 milles.
Distance réelle parcourue en 24 heures  0 milles.
Gain sur la route directe en 24 heures 0 milles.


Veille d’appareillage, finalement. Après avoir pris ce matin les fichiers de vent (prévisions météo) à la bibliothèque municipale de Vila Nova de Sintra, le village principal de la petite île de Brava, j’ai décrété un feu vert pour l’appareillage vers les Açores. Mais, en programmant mon navigateur GPS, je me suis aperçu in extremis que nous étions un vendredi ! Alors, j’ai immédiatement modifié mes plans : pas question d’appareiller un vendredi !!! surtout pour une traversée délicate, à remonter contre les vents alizés dans une mer formée, avec dans les jours prochains un vent soutenu de 20/25 nœuds. L’appareillage est reporté à demain matin à l’aube… Les marins sont superstitieux, ou le deviennent assez vite. Par exemple, mon petit équipage, qui prenait au début de notre tour du monde ces croyances ancestrales du Captain pour des balivernes, eh bien, très vite (après quelques démonstrations de relation directe de cause à effet), vous n’auriez jamais réussi à leur faire relever l’ancre un vendredi, sans même parler de ces abominables bêtes à longues oreilles qui figurent, hélas, sur les emballages de piles longues durée d’une marque bien connue, pour lesquels une paire de ciseaux s’avérait nécessaire, que dis-je, indispensable, dès la caisse du supermarché passée… Les îles du Cap Vert, c’est cette fois un souvenir mitigé pour le Captain. Petit bilan tous azimuts. Nous avons bouclé notre tour du monde à quelques centaines de milles d’ici, avant d’arriver dans l’archipel.

Au mouillage de Praia, le loch indiquait 33 013 milles parcourus depuis La Rochelle. Barbara, Marin et Adélie se souviendront longtemps du tour du monde qu’ils ont accompli à bord de Jangada. Voilà une bonne chose de faite. Mais quelques jours plus tard, mon petit équipage a quitté le bord, et m’a laissé un vide vertigineux, un manque terrible. Barbara, Marin et Adélie ont pris l’avion pour la France le 3 Avril au soir, comme prévu de longue date, 10 jours déjà. Ne plus les avoir sous les yeux alors que nous venons de passer près de 3 années ensemble presque à chaque instant est redoutablement difficile à vivre. Mais, heureusement pour moi, je ne suis pas seul, mon frère aîné Louis a embarqué à Praia, et après avoir fait un peu de tourisme au Cap Vert, nous remontons ensemble le bateau aux Açores. Je vous raconterai dans le blog nos escales à Santiago, Fogo et Brava. Je n’y ai pas que des bons souvenirs… Pour l’heure, nous préparons le bateau pour cette traversée qui s’annonce assez peu confortable et particulièrement humide. 1430 milles en route directe, mais davantage en réalité, car il faudra s’adapter aux caractéristiques du vent, en force et direction. Plus que toute autre chose, la position au jour le jour de l’anticyclone des Açores pendant la deuxième partie du parcours fera pour notre voilier et son équipage la pluie ou le beau temps, les calmes ou les tempêtes, la vélocité ou la lenteur, le moral au-dessus ou en-dessous de la flottaison… Au départ, cap sur nulle part, aucun waypoint précis, seul comptera l’angle de navigation par rapport au vent apparent. Nous allons le fixer à 40° environ, pour que le bateau ne serre pas trop le vent, et conserve une vitesse correcte, avec suffisamment de puissance pour passer dans la mer formée. Le tout sous grand-voile à 2 ris et quelques mètres carrés de solent. Nous allons nous diriger vers le milieu de l’Atlantique, sans but précis et sans autre repère que cet angle par rapport au vent, et puis progressivement, nous essaierons d’arrondir le sillage vers les Açores, Horta peut-être, ou bien Florès. Question humidité, la mer va s’inviter à bord souvent, pratiquement en permanence. Embruns et paquets de mer garantis. Lessivage assuré gratis. J’ai jeté un coup d’œil à ma tenue de combat, ciré salopette, veste de quart, chaussettes et bottes… Vous voyez ce que je veux dire ?  Nous avons rentré le gennaker dans son coffre, il ne devrait pas nous servir pendant cette traversée, hélas. Le bas-étai de gros temps a été mis en place à l’avant, l’annexe sera saisie pour le grand large… Techniquement, nous avons pas mal travaillé ces derniers jours. Les deux alternateurs attelés 24 Volt fonctionnent à nouveau tous les deux. J’ai démonté et révisé le groupe électrogène portable. Nous avons étanché les capots avant qui vont être en première ligne face aux paquets de mer. L’hélice de l’anémomètre, qui avait été bloquée en tête de mât par le sable africain qui recouvre le gréement depuis notre arrivée au Cap Vert, a été remise en service. J’ai nettoyé tous les filtres à eau de mer, et changé les filtres 20 et 5 microns du déssalinisateur d’eau de mer. Tous les niveaux ont été faits, le système de barre et de pilotage automatique a été passé au WD 40, feu vert partout. Sauf au niveau du capot de survie bâbord, sous la nacelle, qui va ramasser un maximum d’eau de mer, et dont je me suis aperçu que l’axe d’une des deux charnières était cassé, et pour autant indémontable, du fait de la corrosion alu/inox. On a fait au mieux pour prévenir une entrée d’eau (dans ma cabine ! mais où je ne vais pas aller souvent…), joint supplémentaire, sika et ligature, mais je croise quand même les doigts, car ce n’est pas le truc le plus facile à réparer en haute mer, quand il faut percer l’ensemble ouvrant/dormant pour passer, depuis l’annexe mise à l’eau en plein océan, deux tiges filetées de bloquage, en sacrifiant le panneau… Pendant ce temps-là, mon équipier a fait les courses dans les minuscules échoppes des petits villages de Furna et de Vila Nova de Sintra. Pommes de terre, poivrons, carottes, tomates, bananes, choux blancs, poires, papayes, et citrons verts bien sûr. Œufs, pain, quelques cuisses de poulet que le nouveau cuisinier-cambusier, beaucoup moins sexy que le précédent (qui reste absolument imbattable pour tout un tas de petits plats désormais inconnus à bord), prépare derrière moi en bocaux de verre stérilisées à la cocotte-minute. Je me suis seulement assuré de l’essentiel, c'est-à-dire qu’on embarquait aussi un peu de pinard - rouge et blanc - (en plus du vin de Fogo déjà à bord, dont les raisins poussent dans le cratère de cet incroyable volcan, à voir bientôt sur le blog), quelques bières, et du « grog », l’aguardente local de canne à sucre qui essaiera (difficilement) de remplacer le rhum agricole Isautier de la Réunion, dont le dernier petit cubi a été asséché hier soir… Les lignes de traîne sont prêtes : je sens qu’avec mon frère, je vais bouffer du poisson, du poisson et encore du … poisson !

Brava, la plus petite, la plus éloignée, et de loin la plus authentique des Iles du Cap Vert, restera un joli souvenir, malgré la précarité du mouillage dans le petit port agité de Furna, au nord-est de l’île, du côté du vent donc, avec une longue aussière passée à terre par l’arrière.

Mais l’évènement de la journée, ce ne sont pas ces préparatifs dont j’ai l’habitude depuis trois ans, avec des centaines de milles à bouffer devant les étraves.

Non, l’évènement du jour, c’est que je viens d’apprendre que mes deux derniers enfants, Marin et Adélie, fraîchement débarqués et brevetés tourdumondistes accomplis, ont définitivement quitté l’enfance, et abandonné la vie matériellement dépouillée qu’ils ont menée à nos côtés pendant trois ans. Barbara a tenu nos promesses, ils ont désormais, là-bas dans le sud-est de la France, chacun un téléphone portable, avec un numéro à eux ! Je n’y crois pas ! L’entreprise de normalisation de la société (qui n’aime guère, on le sait – comme les ados d’ailleurs - tout ce qui n’est pas « normal ») est en marche, et elle n’a pas perdu de temps… Je suppose que les enfants, qui connaissent toutes les ficelles bénéfiques de l’alliance stratégique entre eux (surtout développée lors des séances de CNED), ont du exercer une pression intenable sur leur Maman… Alors, je leur ai envoyé à chacun un SMS, pour essayer de rester branché sur leur nouvelle fréquence, qui m’échappe totalement désormais.

Allez, je vais chercher notre copain Alberto, qui vit dans le village, ici, avec vraiment pas grand-chose. On va boire un coup à bord, il rêve de visiter Jangada. Mais j’ai toujours des doutes sur l’opportunité de montrer notre matériel de navigation moderne à ce genre d’hommes qui ne disposent que du minimum. Les niveaux de vie sont tellement différents, en gros 6 à 8 fois inférieur ici au Cap Vert à celui que nous avons chez nous en France. Le Cap Vert est pauvre, et ce gars a été adorable avec nous. Il y a du micro-crédit à faire ici, pour aider les cap-verdiens à vivre, surtout dans les îles reculées. Alberto a perdu sa barque sur les îlots voisins de Brava au nord. Pendant qu’il pêchait à l’arbalète en apnée, son bateau a dérapé et a été drossé sur les rochers. Il a sauvé sa peau, mais il n’a pas un sou vaillant devant lui pour racheter une barque. C’est un bosseur, mais ici le crédit n’existe pas. Il faut se débrouiller, et ce n’est pas facile. Que cette petite île est belle et attachante !

A demain, en mer.

Olivier

dimanche 1 avril 2012

Billet N°155 – Petit reportage sur l’exil de l’empereur Napoléon à Sainte Hélène (1815-1821)…

Du Vendredi 24 Février au Samedi 10 Mars 2012
Par Olivier



Ceux qui n’aiment pas me lire  feraient mieux de jeter vite fait un œil aux  images, puis d’aller jouer aux billes. Parce que là, ils risquent l’overdose. C’est cela qui est bien dans un blog, personne n’est obligé d’aller le voir…

Remarquez que là, j’ai très peu écrit, et beaucoup compilé la prose de ceux qui savent. Juste pour tenter de vous donner, en quelques pages, une idée de ce qui s’est passé là-bas, sur une île perdue dans l’Atlantique.



Faire escale à Sainte-Hélène et visiter les sites napoléoniens de l’île aiguillonne nécessairement l’intérêt  du visiteur que j’ai été, là-bas. Il n’est pas donné à tout le monde de venir à Sainte-Hélène, ne serait-ce qu’une fois dans sa vie.

Pour y découvrir, entre autres choses, les lieux dans lesquels l’Empereur Napoléon Bonaparte passa les dernières années de sa vie. Or, nous avons eu cette chance !

Alors, j’ai souhaité me remettre en mémoire l’épopée de Napoléon, premier du nom, et j’ai cherché à mieux savoir comment il avait vécu les dernières années de sa vie sur cette île lointaine. Comme toujours, désolé, j’écris d’abord pour moi, égoïstement hélas, cela m’aide à mettre mes idées en place. Mon petit cerveau chétif retient ensuite l’essentiel. Et, au fil du temps, il se souvient de tout.

Mais, si vous vous demandez pourquoi je fais tout cela, c’est que vous avez oublié que je tiens à laisser une trace, pour mes enfants bien sûr, mais aussi pour mes petits-enfants. Mes grands-parents ont été des personnes âgées, qui sont essentiellement restées des inconnus pour moi, puis qui ont disparu alors que j’étais encore jeune, et je le regrette. Faute de savoir où l’on va, il faut au moins savoir d’où l’on vient, pour savoir qui l’on est dans la vie, vous ne croyez pas ? Mes enfants savent qui je suis, mais ça me fait plaisir de savoir que mes futurs petits-enfants, et leurs propres enfants, pourront s’ils le souhaitent découvrir les tribulations d’un de leurs grands-pères, un peu marin, un peu voyageur, et de sa famille, autour du monde, dans les années de grâce 2009 à 2012. Et si vous, vous pouvez trouver aujourd’hui un intérêt à ce petit travail de compilation, alors tant mieux.

Je tiens à remercier Michel Martineau, très sympathique Consul Honoraire de France à Sainte-Hélène, fils de Gilbert Martineau, Conservateurs des Domaines de Sainte-Hélène de père en fils depuis plusieurs décennies, pour le plus grand bien de ce patrimoine historique largement méconnu des Français.

Michel nous a fait visiter les lieux de l’exil, et c’est auprès de lui j’ai puisé la plupart de mes informations. J’ai par ailleurs sélectionné dans la documentation que j’ai pu trouver sur place ou sur Internet des textes ou des citations sur le sujet, qui figurent ici autant que possible avec le nom de leur auteur. Mais cela n’a pas toujours été possible.  

Ce travail n’a aucune autre prétention que de donner, images à l’appui, une idée relativement fidèle, mais forcément approchée, de la réalité de ces années d’exil. Alors, en route pour Sainte-Hélène…



15 Octobre 1815. Napoléon, après 10 semaines de mer depuis l’appareillage de Plymouth, se tenait sur le pont du HMS Northumberland, un vaisseau de haut rang de 74 canons, navire-amiral de l’escadre de l’amiral Cockburn, dont la mission assignée par l’Amirauté britannique était d’emmener l’Empereur déchu en exil à Sainte-Hélène.

Au milieu de ses compagnons d’exil, Napoléon observait approcher les côtes inhospitalières de cette île du bout du monde. Michel Martineau : « A l’aide de cette lorgnette qui avait jadis suivi la fuite des ennemis et le galop de sa propre cavalerie sur tant de champs de bataille, il scruta le formidable amoncellement, la vallée étroite avec ses bicoques misérables et ses arbres grêles, les remparts hérissés de canons.



« Ce n’est pas un joli séjour ! J’aurais mieux fait de rester en Egypte ; je serais à présent empereur de tout l’Orient ! » dit-il.



Sainte- Hélène, le pavillon des Briars, l’habitation et les jardins de Longwood, et Sane Valley, la Vallée du Tombeau, la petite vallée des géraniums, à la si belle quiétude, où Napoléon avait choisi d’être enterré, même s’il espérait bien que son corps serait un jour rapatrié en France, ce qui fût le cas 19 ans après sa mort. « Je désire que mes cendres reposent sur les bords de la Seine, au milieu de ce peuple français que j’ai tant aimé» , écrira-t-il  dans son testament.



Il se dit qu’il a plus été écrit sur Napoléon que sur la Bible (même si cette dernière reste inégalée en terme d’édition !).

L’homme  et son parcours, tous deux exceptionnels, auxquels il n’a même pas manqué une fin tragique et prématurée, ont construit la légende. Difficile pour un esprit inculte comme le mien, mais naturellement curieux de tout, de ne pas s’intéresser à cette incroyable trajectoire.



Mais peut-être faut-il tout de suite détruire un mythe, dont la persistance a l’inconvénient de dénaturer dès le départ la très probable réalité des choses?

Voilà. Il se dit que l’Empereur aurait été victime à Sainte-Hélène d’un lent empoisonnement à l’arsenic, par les Anglais, ou bien par l’un  des Généraux qui l’accompagnaient en exil. Mais quand on se penche un peu sur les détails du séjour de l’Empereur Napoléon à Sainte-Hélène, cette hypothèse ne tient guère. Ce que l’on peut probablement dire avec beaucoup plus de chance d’être proche de la réalité historique, c’est que Napoléon était atteint depuis longtemps d’un problème médical sérieux à l’estomac, et au foie, et que ses conditions de détention à Sainte-Hélène ont certainement favorisé l’évolution relativement rapide du mal (peut-être un ulcère, probablement un cancer). Un certain nombre de points rendent très peu vraisemblable la thèse de l’empoisonnement, y compris par l’un de ses proches (On cite souvent le général Charles Tristan de Montholon, dont l’épouse, la Comtesse Albine de Montholon, aurait eu une relation intime avec l’Empereur - dont le célibat forcé sur l’île a certes du être difficile -  suivie de la naissance d’un enfant, début 1818). J’y reviendrai plus loin.



Bien sûr, le pavillon britannique flotte partout sur Sainte-Hélène. Partout, vraiment ?

Non, un village d’irréductibles gaulois… (ca, c’est une autre histoire…)



Effectivement, le pavillon tricolore flotte haut dans les mâts dans 3 sites de l’île, qui appartiennent à la France : le pavillon des Briars, première demeure de Napoléon à Sainte-Hélène, l’habitation et les jardins de Longwood, où il passa l’essentiel de sa détention, et la Vallée du Tombeau, où il fût enterré pendant 19 années (1821-1840), avant que son corps ne soit ramené en France, pour reposer aux Invalides. Ces 3 propriétés, qui représentent au total une quinzaine d’hectares, constituent les Domaines Français de Sainte-Hélène. Longwood et la Vallée du Tombeau furent négociés à partir de 1854 et achetés aux Anglais en 1858 par Napoléon III, neveu de Napoléon Bonaparte. Les Briars furent donnés à la France en 1959 par les descendants de la famille Balcombe, émigrés en Australie, qui avaient hébergé Napoléon dans leur pavillon d’été à son arrivée à Sainte-Hélène en attendant que les travaux entrepris dans l’urgence à Longwood soient terminés.

Pour une raison ténébreuse mais relevant de la haute administration centrale (le vrai pouvoir dans notre pays, c’est bien connu…), les Domaines Français de Sainte-Hélène, situés en territoire étranger, ne sont pas admissibles au titre des Monuments Historiques de notre nation ! (Pas beau, ça ?) Ils ont donc un statut bâtard, ces domaines, et depuis que Michel Dancoisne-Martineau a réussi à décrocher le titre de Consul Honoraire de France à Sainte-Hélène, le Ministère des Affaires Etrangères lui octroie quelques subsides dont la répartition et l’affectation font appel  à une cuisine dont l’administration a seule le secret quand elle veut contourner un problème qu’elle s’est … elle-même créé ! J’ai cru comprendre que le Ministère des Affaires Etrangères n’ayant pas de département culturel mais un Consul à Sainte-Hélène, on utilisait ce biais-là pour faire parvenir quelques subsides sur ce lointain caillou. Mais notre consul a aussi intelligemment mis à contribution les institutions locales, qui prennent en charge la sécurité des lieux, l’entretien des jardins et les visites. J’ai tout de même trouvé qu’entre la Fondation Napoléon, le Souvenir Napoléonien, le Ministère de la Culture (Monuments Historiques), et le Ministère des Affaires Etrangères, Michel Martineau se débrouillait pas mal du tout, entretenant avec le Gouverneur de Sainte-Hélène et ses services, les institutions locales et l’Office du Tourisme de Jamestown des relations qui nous permettent à nous, rares Français de passage, de visiter des lieux historiques bien conservés et bien gérés, dans l’aspect le plus proche possible de celui qu’ils avaient en 1821 à la mort de Napoléon, et ce malgré l’inadaptation de notre administration au cas présent, et aussi disons-le  malgré le manque de volonté politique sous-jacent du pouvoir (c’est moi qui parle, pas Monsieur le Consul !).

Merci à toi, Michel, de ton accueil, de tes explications pertinentes et modérées, de la visite des sites napoléoniens effectuée en ta compagnie, et du travail de longue haleine que tu effectues là-bas, sur la petite île où tu as choisi de vivre (après Ars en Ré et Villedoux…), au bénéfice de tous les Français. Pour l’anecdote, totalement a-politique, j’ai demandé à notre Consul quel avait été, ces dernières années, le Ministre des Affaires Etrangères qui avait montré le plus d’intérêt pour les Domaines Français de Sainte-Hélène. Il m’a répondu sans une hésitation : Dominique de Villepin. Sachez que Michel nourrit le rêve d’une exposition  à Paris, relative à l’exil napoléonien à Sainte-Hélène, qui verrait la plupart des meubles originaux être rapatriés en France pour y être restaurés avant de regagner leur île (Michel, si tu as besoin de moi, je veux bien m’occuper de la logistique maritime du voyage, mais sous la condition de disposer d’une escorte de grognards en armes et en uniforme, les volontaires ne manqueraient pas, et je m’y verrai bien, retiens ma proposition !), et qui, sans nul doute, du fait de l’ouverture prochaine de l’aéroport de Sainte-Hélène, donnerait un nouveau souffle au flux très restreint (25 personnes par an en moyenne ces dernières années, en augmentation récemment du fait des passages plus nombreux des yachts par le Cap de Bonne-Espérance, pour cause de piraterie dans le nord-ouest de l’Océan Indien) des visites françaises à Sainte-Hélène.



Petite relation sans prétention de la trajectoire exceptionnelle d’un homme.

Naissance le 15 Août 1769 à Ajaccio, du petit (même plus tard, il ne mesurera qu’1,67 mètre) Napolione di Buonaparte. Ecole militaire de Brienne-le-Château, puis Ecole militaire de Paris, et enfin Ecole royale d’artillerie d’Auxonne. A 16 ans, il est second lieutenant. Il a 19 ans quand la Révolution française éclate. Le 20 juin 1792, le jeune lieutenant Bonaparte (23 ans) est présent à Paris. Il assiste à l’invasion des Tuileries par la foule révolutionnaire. Sidéré par ce qu’il voit, il aurait alors manifesté son mépris relatif à l’impuissance de Louis XVI. Ironie du sort, celui-ci signera quelques jours plus tard sa promotion comme capitaine d’artillerie. L’année suivante, le 18 Décembre 1793, son habileté militaire permet aux troupes révolutionnaires de reprendre Toulon aux royalistes alliés aux Anglais. 4 jours plus tard, il est promu général de brigade. Toulon, c’est sa première victoire. Il a 24 ans. Deux ans plus tard, en 1796, il est nommé général de division, général d’armée de la Révolution. Il a 26 ans. Il commande les armées françaises dans la campagne d’Italie. Ses victoires d’alors sont encore analysées aujourd’hui dans les Ecoles de Guerre du monde entier. A 26 ans, il devient un héros. Il épouse Joséphine de Beauharnais le 9 Mars 1796. Il enchaîne ensuite sur la campagne d’Egypte, puis son habileté politique aussi bien que militaire le porte au plus haut sommet de l’Etat. En 1799, il est Premier Consul. Il a 30 ans. La plupart des historiens considèrent que c’est pendant la période du Consulat (5 ans de 1799 à 1804) que Napoléon a rendu le plus de services à son pays. Par la suite, sans réelle opposition en face de lui, il deviendra quelque peu mégalomane, on doit pouvoir le dire. Il fait venir le Pape et se sacre Empereur des Français le 2 Décembre 1804,  à l’âge de 35 ans. Lodi, Arcole, Rivoli, Marengo, Austerlitz, Iéna, Auerstadt, Friedland, Wagram. Sans héritier, il divorce de Joséphine en Décembre 1809, et épouse l’archiduchesse Marie-Louise d’Autriche le 2 Avril 1810. Le 20 Mars 1811 lui naît un fils, Napoléon II, roi de Rome. 1812 : la campagne de Russie, le début de l’infortune. La Grande Armée est défaite, mais plus encore, décimée. 1813 : le Duc de Wellington fourbit ses armes. Mars 1814 : les troupes monarchiques alliées entrent dans Paris. Exil à l’île d’Elbe. 29 Mai 1814 : l’impératrice Joséphine meurt au Château de Malmaison. De Mars à Juin 1815, échappé de l’île d’Elbe, Napoléon revient de façon éphémère au pouvoir pour les « Cent Jours ». Le 18 Juin 1815, Wellington le défait définitivement à Waterloo, morne plaine. Cette fois, les puissances monarchiques alliées ne laisseront aucune chance à l’ « usurpateur » du trône de France. Le 22 Juin, l’Empereur abdique, mais les troupes coalisées sont aux portes de Paris. Il est contraint de fuir vers Rochefort, puis de se rendre aux Anglais. Il arrive à Sainte-Hélène le 15 Octobre 1815. Il meurt à 52 ans le 5 Mai 1821 à Longwood. Le 22 Juillet 1832, son fils, plus tard appelé l’Aiglon, meurt à 21 ans de la tuberculose. L’impératrice Marie-Louise disparaîtra en 1847.



Petite  tentative de bilan sans prétention de ce que nous a laissé un homme.

Capable de travailler 20 heures par jour, de cheminer à cheval autant, de dicter des lettres à 4 secrétaires en même temps, Bonaparte était sans nul doute, jusqu’à la campagne de Russie, un génie militaire. Mais, à ce titre, il oublia toujours de négocier la paix. Pour lui, chaque traité de paix n’avait valeur que de bref armistice. C’était avant tout un guerrier, insatiable de victoires. Aucune armée n’avait été aussi loin et n’avait soumis autant de grandes puissances en si peu de temps depuis les Vikings. Se rappelle-t-on qu’en 1812, la France comptait 134 départements ? Rome, Hambourg, Barcelone et Amsterdam étaient alors des chefs-lieux de départements français… Mais c’était aussi, et on a tendance à l’oublier, un génie civil, un organisateur hors pair. Dommage qu’il ait plutôt privilégié ses ambitions militaires !



Là, je fais une observation personnelle qui se veut un peu humoristique (mais ça n’est que mon opinion) : j’estime que Napoléon aurait du se contenter d’élargir un peu les frontières de l’Ancien Régime, en annexant la Belgique (un petit pays frontalier aujourd’hui bourré de problèmes), et la Hollande (on avait beaucoup à apprendre de la bosse du commerce hollandaise), le pays basque espagnol (pour les tapas et le jamon), la Suisse (un pays dont on n’a jamais très bien su de quel bord il amurait, pour le chocolat, l’horlogerie, les pistes de ski et les banques) et bien entendu le Royaume-Uni (pour une foule de raisons qu’il serait trop long d’énumérer, mais qui commence à la Guerre de Cent Ans, une époque où les Anglais voulaient piquer notre pinard en douce, en remontant la Garonne la nuit dans le brouillard). Bien entendu, on aurait immédiatement rendu leur liberté à nos amis écossais et irlandais, on aurait juste gardé les glaouches, avec le rugby, les Land Rover, et quelques autres trucs géniaux qu’ils sont les seuls à pouvoir inventer. Napoléon a donc, selon moi, déconné grave en allant se fourvoyer dans la Beresina.



Et plus sérieusement, mon sentiment est qu’il n’aurait jamais pu battre les Anglais.  Pourquoi ?

Parce qu’il n’entendait rien aux choses de la mer, et à la bataille navale, et que ses amiraux de l’époque, hélas pour nous, sans doute plus doués pour servir le Cognac que pour manœuvrer leurs frégates, n’arrivaient pas à la cheville bottée du grand Horatio Nelson. Se souvient-on à ce sujet qu’en même temps (1805) qu’il gagnait magnifiquement, à terre, la bataille d’Austerlitz, notre marine perdait lamentablement celle, sur mer, de Trafalgar ?

Triste bilan de la fin de l’épopée impériale. 1 700 000 hommes en moins dans le pays en 15 ans, la plupart des anciennes colonies de l’Ancien Régime perdues, l’économie au plus bas, les ports et arsenaux détruits, les limites du territoire national réduites, et les caisses de l’Etat vidées par la lourde indemnité de guerre à payer pour l’entretien des troupes d’occupation commandées par … le Duc de Wellington ! Encore lui : décidément, celui-là, c’était un sacré lascar.

Quant au génie civil de Napoléon Bonaparte, les Français l’ont chaque jour sous les yeux, 200 ans après son abdication : sans compter l’aménagement de la capitale, qui lui doit beaucoup, les monuments qu’il a fait ériger (dont l’Arc de Triomphe), les Français (non royalistes… !) lui doivent, après les dérives mégalomanes de l’Empire, la pérennité de l’essentiel des acquis de la Révolution Française, sans ses erreurs. La liste est longue, depuis la rénovation des institutions , l’établissement d’une constitution, la mise en place d’une administration centralisée (mais pas trop) renforçant l’autorité de l’Etat, la création des Ministères du gouvernement, celle du Sénat pour contrebalancer le pouvoir de l’Assemblée Nationale ; celle du Conseil d’Etat, de la Banque de France, de la Bourse de Paris, des Chambres de Commerce ; la départementalisation et la création des préfectures et du corps préfectoral ; le renflouement, du temps du Consulat, des caisses de l’Etat, avec la mise en place de l’impôt égalitaire, et la création de la Cour des Comptes ; la mise en place du cadastre national aussi ; la signature du Concordat avec l’Eglise, qui établissait un minimum de tolérance religieuse, avec la liberté des cultes ; la rédaction du Code Civil (déjà commencé, mais lui l’a fait finir), exporté dans toute l’Europe ; celle du Code Pénal, accompagné de la création des Cours d’Appels et de la Cour de Cassation ; la conscription militaire (hélas non remplacée par une conscription civile d’un an, une gravissime erreur – sans faire de politique partisane - de notre ancien Président Jacques Chirac, qui pourtant se faisait fort de réduire la « fracture sociale » dans le pays…) ; le principe de l’égalité des citoyens devant la loi ; la disparition de l’aristocratie féodale ; l’établissement des principes de liberté du travail, de liberté d’entreprise et de libre concurrence, la création des premiers Conseils de Prud’hommes, et celle du franc comme monnaie nationale ; la création des universités, des lycées et du baccalauréat, et accessoirement celle de la Légion d’honneur ou de l’Ecole Militaire de Saint-Cyr.

On peut critiquer la trajectoire et la chute, mais quel héritage nous a laissé cet homme !

Il avait vu clair, et il n’a pas chômé. En quelques années, à compter de 1799, et jusqu’ à 1810 Napoléon avait réussi cet incroyable tour de force de rénover la plupart des institutions du pays, de redynamiser l’économie, de réorganiser l’administration, de renforcer la justice, de développer l’éducation, et de retrouver la paix !

Certains maréchaux de l’Empire, qui le connaissaient bien, ont affirmé que l’homme avait changé à l’époque de son mariage avec Marie-Louise d’Autriche, suivi peu de temps après par la naissance de son seul enfant légitime, le prince Napoléon II. Vérité historique ou pas, le fait est que son déclin a commencé peu de temps après cette époque.



Voyage vers Sainte-Hélène

A l’époque de son abdication et de sa fuite devant les troupes dépêchées aux portes de Paris par les monarchies européennes vainqueurs à Waterloo, bien décidées à se débarrasser une fois pour toute de cet empereur par trop guerrier et somme toute plutôt révolutionnaire, Napoléon songeait à s’exiler en … Amérique.

En Juin 1812, les Etats-Unis avaient déclaré la guerre aux Anglais.

Mais, lâché par le gouvernement provisoire et la plupart de ses maréchaux et généraux, il fût incapable d’obtenir la garantie d’un voyage sans encombre. Il abdique en faveur de son fils Napoléon II (retenu en Autriche avec l’impératrice Marie-Louise par son grand-père l’Empereur d’Autriche) à l’Elysée le 21 Juin 1815. Le 25 Juin, sous la pression militaire, il quitte l’Elysée pour le Château de Malmaison. Le 29 Juin, déguisé en bourgeois, il prend la route de Rochefort en calèche. Fouché, président du gouvernement provisoire, qu’il avait autrefois fait Ministre de l’Intérieur, donna l’information de la fuite de Napoléon vers Rochefort, où deux frégates à pavillon tricolore, hésitantes, l’attendaient : la Saale et la Méduse. Les corvettes anglaises de l’escadre du Bellérophon se déployèrent aussitôt dans les pertuis rochelais. Toute idée de fuite dût être abandonnée, et Napoléon fût contraint de négocier. L’Empereur vaincu et déchu se rendit de lui-même au Capitaine Maitland, commandant du HMS Bellerophon, mouillé dans le pertuis d’Antioche, à proximité de l’île d’Aix. Il lui remit une lettre de sa main, destiné au Prince Regent de Grande-Bretagne, lui demandant l’asile.

Napoléon y avait écrit ceci :

« J’ai terminé ma carrière politique, et je viens, comme Themistocle, m’asseoir  au coin du foyer du peuple britannique. Je viens me mettre moi-même sous la protection de votre Altesse Royale, en tant que le plus puissant, le plus constant, et le plus généreux de mes ennemis. »

Mais le gouvernement britannique avait un autre plan… Les Anglais…



Bellerophon, drôle de nom pour un vaisseau (dans la mythologie, fils de Neptune et d’Eurymède). Qui était en fait une vieille baille, usée et rapiécée de toutes parts, qui faisait eau, roulait beaucoup mais marchait mal. Démâté par l’Orient à la bataille d’Aboukir,  durement canonné par l’Aigle du Capitaine Gourrèges à Trafalgar, le vieux navire de la Royal Navy prenait là sa revanche. Les furies de l’océan n’étaient plus pour lui, mais il était encore capable de croiser devant les côtes de France et de ramener Napoléon à Plymouth.

A bord du Bellephoron, en route pour Plymouth  (Bordonove) :

« Bien que le temps se maintînt au beau et, selon Maitland, fût même « magnifique », les passagers eurent le mal de mer, en particulier Las Cases. Napoléon regrettait qu’il eût endossé l’uniforme de capitaine de vaisseau, pour l’amusement des Anglais. Lui ne souffrait pas de ce mal, il éprouvait seulement quelques maux de tête et s’abstenait d’absorber le « drog » préconisé par l’Irlandais O’Meara, médecin du bord, pour calmer les nausées. Napoléon se couchait entre huit et neuf heures et se levait tard. Il déjeunait seul, à son habitude. Il passait le reste de la matinée à bavarder avec les généraux et avec Las Cases dont l’érudition et le caractère lui plaisaient chaque jour un peu plus, ce qui provoquait déjà des jalousies ! Parfois il préférait lire. A une heure, Marchand l’habillait : uniforme de colonel de chasseurs, bas de soie, et souliers bas à boucles d’or. Il montait alors sur le pont et se promenait en conversant avec Maitland et ses officiers, ou avec le docteur O’Meara. L’après-midi, on s’asseyait autour de la table de la salle à manger, et on jouait soit au macao, soit au vingt-et-un. La conversation était libre ; Napoléon aimait infiniment mieux parler que prêter attention à ces morceaux de carton que sont les cartes. Il était un causeur éblouissant, surtout quand il évoquait ses campagnes… Ces occupations diverses amenaient à l’heure du dîner, pris en commun avec Maitland et ses officiers, ce qui imposait une certaine réserve. Pour autant ce n’était point de mornes repas. Napoléon s’emparait de la conversation, interrogeait les uns et les autres. Au bout de quinze à vingt minutes, aussitôt le dessert avalé et bu le café, il se levait de table. Et Maitland s’étonnait de cette promptitude, surtout quand il sut que, pendant son règne, Napoléon ne consacrait jamais plus de temps aux repas… »

Le Lundi 7 Août 1815, temps sombre et frais en rade de Plymouth. Transfert de Napoléon depuis le Bellephoron à bord du Northumberland.

Lachouque :

« … La liste des personnes qui accompagnent l’Empereur a été arrêtée. Bertrand, Montholon et leurs familles, Gourgaud, Las Cases et son fils, Marchand, Saint-Denis, dix domestiques. On a caché les bijoux, un peu d’or, puis, l’odieux le disputant à l’imbécile, on a subi la fouille des bagages, l’enlèvement des armes à feu, de l’épée des généraux. Arrêté par un regard d’acier, Keith (amiral anglais) a laissé à son côté celle de Napoléon. Dans l’affolement, le désarroi, la peur de l’ « habeas corpus », d’une manifestation violente de l’opposition, d’un enlèvement, le triumvirat Liverpool, Castlereagh, Bathurst, a précipité le départ, bien que le Northumberland ne soit pas prêt ; on n’a même pas eu le temps de se procurer à terre l’indispensable pour un long voyage, un séjour indéterminé au bout du monde ! 11 heures du matin. L’Empereur fait ses adieux à ceux de ses compagnons qui ne le suivent pas en exil, embrasse Savary et Lallemand, en larme, puis tous défilent devant lui par ordre de grade ; certains étreignent sa main ou le pan de sa redingote grise. Il serre la main de Maitland (le commandant du Bellephoron), cause avec lui pendant dix minutes qui marqueront dans la vie de l’Ecossais ; soulève son chapeau et remercie en souriant les officiers des attentions qu’ils ont eues pour lui ; salue avec une dignité calme l’équipage rassemblé, tête nue, dans la grand-rue ; reçoit de la garde les honneurs royaux… Il voudrait parler encore, mais l’émotion l’en empêche ; il fait plusieurs signes de la main et se dirige vers l’échelle de poupe, suivi de sa « maison » et de l’amiral Keith, dont les pas martèlent le plancher. « Vous observerez, My Lord, que ceux qui pleurent sont ceux qui restent », lui dit Las Cases. « On entendrait une épingle tomber du mât » note l’aspirant George Home qui conclut en voyant le canot-major emporter Napoléon vers son destin : « Ce sera une vilaine tache sur notre nom dans les siècles les plus reculés. »

George Bordonove :

« Pendant la journée du 8 Août, il ne se passa rien. Le Northumberland resta en panne au large de Plymouth, afin d’écarter les curieux. Le vent soufflait au nord-ouest, assez frais. Il y avait une forte houle. Les passagers, souffrant du mal de mer, restaient enfermés dans leur cabine, loin des regards moqueurs. Cockburn attendait que les divers bâtiments qui composeraient l’escadre de Sainte-Hélène eûssent rallié, avant d’envoyer le signal du départ. La frégate Havannah, les bricks Peruvian et Zenobia apparurent successivement sous le ciel nuageux. Le brick Peruvian, connu pour sa vitesse, fut envoyé à Guernesey afin d’y prendre des vins de France ; il rejoindrait l’escadre à Madère. HMS Northumberland était un vaisseau de 74 canons, jaugeant 1600 tonnes… Il y avait à bord 1060 personnes dont l’état-major du 53ème de ligne et deux compagnies de ce régiment. On imagine l’entassement, la promiscuité, les difficultés rencontrées par Ross, commandant du navire, car les officiers de terre ne s’estimaient pas inférieurs aux officiers de mer ; il en était de même des soldats à l’égard des matelots. De plus, Ross devait s’efforcer de loger aussi convenablement que possible l’entourage de l’Empereur, au prix de quelques sacrifices plus ou moins bien acceptés ! Outre Napoléon, il transportait aussi l’amiral de l’escadre, ce Cockburn bien connu dans la Royal Navy pour sa rigueur sans faiblesse et ses exigences… »



Outre ses valets (Louis Marchand premier valet, fidèle d’entre les fidèles, qui préférait parfois dormir à même le sol à Longwood pour être sûr de percevoir le bruit de Napoléon posant le pied au sol la nuit dans la chambre d’à côté et Saint-Denis, dit Ali, second valet et bibliothécaire de Longwood), Noverraz aussi, et une dizaine de serviteurs, on comptait le général Henri Bertrand, ancien aide de camp de Bonaparte et maréchal du Palais, accompagné de son épouse Fanny et de sa famille ; le Conseiller d’Etat et historien Emmanuel Las Cases (et son fils), rédacteur du Mémorial de Sainte-Hélène, qui fût le premier à quitter l’île ; le général Charles Tristan de Montholon, chambellan du Palais, son épouse Albine et sa famille ; et le général Gaspard Gourgaud, à qui Napoléon dicta ses Mémoires. Face à lui et à sa petite cour en exil, Napoléon allait bientôt trouver à Sainte-Hélène un général britannique particulièrement respectueux des ordres reçus de sa lointaine hiérarchie, sans beaucoup de capacité et de grandeur d’âme, mais doté d’une bonne dose de mesquinerie : Hudson Lowe, un personnage au tempérament probablement bien choisi du point de vue des geôliers britanniques…



Bordonove :

« La petite cour de Napoléon sur le Northumberland est un microcosme. Les caractères les plus variés s’y juxtaposent et, par l’effet de contraste, se font valoir les uns les autres. Le meilleur y côtoie le pire, mais enfin le moins que l’on puisse faire pour eux, est d’être juste. Quels qu’ils fussent, ces hommes, ces femmes, militaires et civils, intelligents ou non, méritent notre admiration et notre indulgence. Leur mérite commun fut de rester les inconditionnels de l’Empereur et de le suivre, à leurs risques et périls, jusqu’à Sainte-Hélène, pour y partager sa captivité, y subir la loi d’un funeste geôlier choisi pour sa bassesse et sa méchanceté, mais aussi apporter au grand homme la consolation de leur présence et l’illusion, à notre avis sublime, de rester l’Empereur. Eux seuls firent de la misérable ferme de Longwood, le dernier Palais, avec ses services…, ses écuries, ses audiences, son protocole. Ils ont été capables de cette abnégation et peu importe que tous ne soient pas exemplaires…Ils furent les Compagnons de Sainte-Hélène ; ce titre efface les fautes, s’il y en eut. »



Napoléon débarqua le 17 Octobre peu après le crépuscule. Entouré de l’amiral Cockburn et du général Bertrand, impassible, il ne voulut pas s’attarder. La petite route suivait la côte et de nombreux spectateurs s’étaient massés sur son passage. Il ne souhaita pas passer par les jardins du Castle, traversa rapidement Grand-Parade, la place qui fait l’orgueil de la bourgade de Jamestown, et gagna directement, un peu plus haut à gauche dans Main Street, la pension de Porteous House, aujourd’hui disparue. Un petit établissement inconfortable, sans cour, de plain-pied avec la rue, exposé au bruit, à la chaleur et à la vue des passants, qui, tous, voulaient apercevoir l’Empereur déchu. Les Français furent abasourdis par la mesquinerie des Anglais. Il ne fut pas question pour Napoléon d’y passer une deuxième nuit…

Michel Martineau :

« Le lendemain de son arrivée, Napoléon chevaucha la mauvaise route intérieure pour inspecter Longwood House, toujours  accompagné de Cockburn et de Bertrand. La déconvenue fut vive. Lorsqu’ ils virent l’état et la taille des bâtiments, ils ne furent pas satisfaits. L’aridité du plateau, alors dénudé, la pauvreté de la bicoque qu’on leur destinait : quelques pièces basses et sombres et un jardin pelé, exposé à tous les vents, sans ombre et sans eau… L’amiral tenta de les rassurer qu’il serait facile de transformer cette petite maison utilisée l’été par le lieutenant gouverneur, en une résidence confortable. Sur le voyage du retour, Napoléon fût enchanté de passer par The Briars, un vallon ensoleillé, verdoyant et riche, en plein contraste avec ce qu’ils venaient de voir. Les alentours de la chute d’eau en forme de cœur l’attirèrent tant qu’il explora un peu plus avant et tomba sur la maison appartenant à un agent de l’East India Company, William Balcombe… L’hôte, d’abord embarrassé, bientôt empressé, fit à l’Empereur les honneurs de sa terre : un parc minuscule, quelques arbres tropicaux… Napoléon était si enchanté par le site qu’il déclara qu’il ne retournerait pas aux appartements de Porteous House. Napoléon refusa poliment l’offre de Balcombe de rester dans sa propre maison, et se contenta avec plaisir du pavillon d’été. Ce dernier couronnait une légère éminence, construction gracieuse et sans prétention, avec une seule pièce et une mansarde. »



Le pavillon des Briars était petit, mais il avait du charme. Napoléon y vécut quelques semaines (2 mois environ), heureux. C’était la première fois qu’il pouvait se reposer dans un endroit calme, depuis des mois, depuis Waterloo…

Balcombe était impliqué dans le ravitaillement des navires de passage, ce qui l’aida à obtenir le poste de fournisseur attitré de Longwood. Il s’était établi de bonnes relations entre l’Empereur et lui pendant son séjour au pavillon, et Balcombe rendit par la suite de nombreux services aux Français. Aux Briars, « Napoléon devint le grand ami de la fille cadette de la maison, Betsy, les deux s’entendaient à merveille. C’était un garçon manqué à l’esprit vif qui disait ce qui lui passait par la tête sans réfléchir. Les coups fourrés qu’elle jouait devaient représenter une nouveauté piquante pour l’Empereur. »



Mais au matin du 10 Décembre 1815, l’amiral Cockburn pria Napoléon d’enfourcher son cheval pour rejoindre Longwood House, là-haut, sur le plateau…



Le 14 Avril 1816, l’île est en émoi. La frégate Phaëton est en vue des côtes de Sainte-Hélène. A son bord se trouve le nouveau gouverneur de l’île, Sir Hudson Lowe, et son état-major. Lowe est le nouveau geôlier du « Général Bonaparte » comme l’appelait volontairement les Anglais, qui lui refusaient le titre d’Empereur et même celui de Premier Consul. Et quel geôlier ! Dès sa prise de fonctions à Plantation House, les conditions de détention de l’Empereur vont se dégrader. Un conflit permanent, alimenté par une inimitié viscérale du premier instant, va opposer les deux hommes jusqu’au dénouement. Lowe, militaire zélé et rigide, sans imagination et facilement mesquin, appliquera à la lettre les consignes de surveillance assignées par Bathurst (Sous-Secrétaire d’Etat aux Colonies), allant souvent au-delà de l’esprit de son supérieur hiérarchique. A sa seule décharge, personne n’avait oublié que l’Empereur s’était déjà évadé de l’Ile d’Elbe. On imagine l’effet d’annonce, et le déshonneur qui s’en serait suivi pour Lowe, son armée et son pays, si l’Europe avait appris, un beau matin, que Napoléon avait réussi à s’échapper de son caillou… Son zèle et son absence de grandeur d’âme vaudront à Lowe l’inimitié et le mépris de l’Empereur et de sa suite, de nombre de commissaires dépêchés dans l’île à la demande des Etats de l’Europe, mais aussi de certains sujets de la Couronne britannique, offusqués de voir traiter avec autant de bassesse un homme qui avait régné sur la majeure partie de l’Europe pendant plus d’une décennie.  Le HMS Northumberland, lui, quitta Sainte-Hélène le 19 Juin 1816, emmenant à son bord Cockburn, le premier geôlier de Napoléon.



Au sujet d’Hudson Lowe, qu’il a rapidement détesté, Napoléon déclara :

« Quelle ignoble et sinistre figure que celle du gouverneur. Dans ma vie, je ne rencontrerai jamais rien de pareil. C’est à ne pas boire sa tasse de café si on avait laissé un tel homme un instant seul auprès de moi ! »

Et encore :

« Un vrai porc-épic, sur lequel on ne saurait comment poser la main. »



Michel Martineau :

« L’ officier qui a pour mission de faire plier « Bonaparte » pour l’assujettir à la dure loi de la détention va vite s’apercevoir que sa pusillanimité, ses colères, ses terreurs sont sans effet sur son terrible interlocuteur.

-          Vous êtes pour nous un plus grand fléau que toutes les misères de cet affreux rocher ! lui crie Napoléon.

-          Monsieur, vous ne me connaissez pas !

-          Où vous aurais-je connu ? Je ne vous ai vu sur aucun champ de bataille ! 

A peine jetés, les ponts furent rompus entre les deux hommes, entre celui qui ne sait qu’obéir et celui qui ne sait que commander. »



Le premier entretien de Napoléon avec Hudson Lowe eût lieu le 15 Avril 1816, lendemain de l’arrivée du nouveau gouverneur. Le sixième et dernier entretien se déroula le 18 Août, par la suite Napoléon refusa de rencontrer Lowe.



Au sujet de sa vie à Longwood, ses compagnons ont noté quelques unes des observations de l’Empereur, restées célèbres :

« L’infortune seule manquait à ma renommée. Les malheurs ont aussi leur héroïsme et leur gloire ! L’adversité a manqué à ma carrière ! » 

Et encore, dans le genre mégalo :

« Si Jésus n’était pas mort sur la croix, il ne serait plus Dieu. »

Et enfin :

«  Nous avons parcouru les contrées les plus infortunées de l’Europe ; aucune ne saurait être comparée à cet aride rocher, privé de tout ce qui peut rendre la vie supportable. Il est propre à renouveler à chaque instant les angoisses de la mort. »



Choix du site de Longwood, mesures de sûreté.

Pas moins de 2000 soldats et 500 marins dévolus à sa garde. Le « Général Bonaparte » faisait peur aux Anglais. Le choix du site et de la maison de Longwood n’avait pas été fait par hasard. La décision de loger l’Empereur à Longwood fut prise par l’amiral Cockburn sur la proposition du Colonel Wilks, alors gouverneur de l’île mandaté par la East India Company. Wilks avait vanté à l’amiral les avantages du lieu relativement aux mesures de sûreté. Longwood, situé au sommet d’une butte, au milieu d’un plateau dénudé battu par les vents, était facile à surveiller et à garder, d’un point de vue militaire. L’objectif majeur était bien de pouvoir contrôler la moindre allée et venue de l’Empereur (que les Anglais se refusaient à appeler de la sorte) et de sa suite, et de prévenir toute tentative de fuite. Cockburn s’attacha dès lors à rajouter des baraques à l’habitation de Longwood, qui n’était plus une ferme depuis quelques années, car elle servait de résidence d’été au sous-gouverneur, Skelton.



Les documents de l’époque indiquent :

« Entre trois ou quatre miles de l’espace d’un petit village qui est relevé avec le titre de James Town, après avoir monté une étroite et tortueuse route bordée par des ravins et des précipices, vous atteignez une petite plaine d’un mile et un quart environ de longueur terminée par un affreux rocher suspendu à une considérable élévation au-dessus du niveau de la mer… La maison, qui est petite, est entourée à chaque issue par des sentinelles régulièrement relevées. A un demi-mile en avant de la demeure, est une petite maison où un officier de garde est stationné, ne souffrant pas qu’aucun individu passe sans un ordre écrit, signé de la main propre du gouverneur. L’autre front de la maison est à environ trois quarts de mile du rocher ci-dessus désigné. Sur un côté est un impraticable ravin ; sur l’autre, une inaccessible montagne. L’espace compris entre ces limites est tout ce qui est assigné aux mouvements du prisonnier. Il y a d’ailleurs, dans l’enceinte, un camp pour 250 à 300 hommes, et sur chaque éminence et sur chaque point qui puisse servir à garder ses mouvements à la vue, des sentinelles sont placées… La sus mentionnée route de Jamestown est le seul chemin pour cette sûrement non heureuse vallée, mais sur toute cette route sont placés des piquets et des sentinelles de distance en distance. Autant de sûreté pour la mer. Celles pour la mer sont prises avec tant de soin qu’elles rendent l’échappe du prisonnier impossible. Aucun bâtiment ne peut s’approcher de l’île sans être vu, ou par les nombreux postes de signaux qui correspondent entre eux dans toute l’étendue de l’île. Au moment qu’un bâtiment est en vue, les signaux en informent les bâtiments croisiers, dont il y a deux divisions qui se relèvent pour le service qui intéresse de regarder toujours l’océan. »



Le comte Balmain, commissaire, en juin 1816 :

« Toute entreprise du dehors contre cette île serait en pure perte… La nature y a mis les premiers et les plus grands obstacles, et le gouvernement anglais ne cesse d’y ajouter des moyens de défense, dont la plupart même paraissent inutiles. Trois régiments d’infanterie, cinq compagnies d’artillerie, un détachement de dragons pour le service d’un état-major assez considérable forment le gros de la garnison. Deux frégates, dont l’une de cinquante pièces, quelques bricks et chaloupes gardent la mer ; le nombre des canons disposés sur les côtes  et dans l’intérieur du pays est effrayant… Une île détachée du reste de la terre, où l’on entre que d’un seul côté, où les rochers sont entassés les uns sur les autres et forment des précipices à chaque pas, pourrait, ce me semble, être gardée par un mode plus simple et à beaucoup moins de frais. »



Octave Aubry :

« On disait seulement aux visiteurs de passage que là-haut, sur cette plateforme entourée d’abîmes où, entre deux coulées de soleil dansaient des brouillards, un prisonnier vivait derrière ses murs de gazon et ses feuillages avec ses derniers serviteurs. Et ces marins, ces magistrats qui, de l’Extrême Orient retournaient vers les havres de l’Europe, y portaient leur surprise que, pour garder ce captif sans espérance, il fallût tant de soldats, de navires et de canons. »



« Comment fuir en effet ? La mer et les rochers à pic entourent le plateau de Longwood de trois côtés ;  de l’autre il ne communique avec l île que par une sorte d’ isthme si étroit et de pente si raide qu’il suffirait de 50 hommes pour le défendre contre 10 000. De plus le 53ème régiment et une compagnie du 66ème  sont campés à une portée de fusil de la maison. Le soir, le cordon de sentinelles se resserre tellement qu’elles se touchent presque. Montchenu, le commissaire français, dit  que dès que l’on voit un chien passer quelque part, on place immédiatement un ou deux factionnaires à l’endroit suspect. Lowe n’est toujours pas rassuré. Il en perd le sommeil. Après six entrevues, Napoléon refuse de le recevoir. Puis le temps vient où le prisonnier ne se montre même plus aux fenêtres. Le gouverneur s’affole.  Le « Général » n’est-il pas en train de glisser  par un ravin impraticable, vers quelque mystérieux bateau qui l’attend ? Le 29 Août 1819, n’y tenant plus, Lowe écrit à « Napoléon Bonaparte » pour l’informer que l’officier de service  a désormais ordre de le voir chaque jour. Si, à 10 heures du matin, le prisonnier n’a pas paru, l’officier a ordre de pénétrer de force dans sa chambre ! Napoléon répond que s’il lui faut choisir entre la mort et pareille ignominie, il n’hésitera pas ! »



Le climat de Sainte-Hélène.

Octave Aubry : « A Sainte-Hélène, il n’est pas de saisons franches. Point de nouveauté dans le paysage. Toujours les mêmes arbres qui, sauf quelques têtes rousses de chênes à l’automne, ne jaunissent et ne se dépouillent jamais. Cette verdure permanente ennuie. Un changement de saison, c’est une espérance… Le ciel n’était guère moins capricieux, moins subitement variable. La mer est bleue, un dur soleil raye la peluche des prés et fait éclater dans les jardins tous les rouges des hibiscus, des géraniums, des bougainvilliers, et de ces poinsettias  qui portent au bout de feuilles plates d’éblouissants diadèmes. Les moineaux de java, en troupes innombrables, pépient sur les gommiers, les sapins du bosquet, le chêne sous lequel l’Empereur s’assied souvent. Un moment après, la féerie est morte. Un lourd couvercle de nuages s’abat sur l’île, les montagnes fauves et noires, striées de vert, ont disparu. Une ouate opaque couvre tout. On ne voit point à six pas. Puis une gifle du vent, un réveil de l’alizé qui ne dort jamais qu’à demi, et les buées s’évaporent. La lumière de nouveau inonde. Un instant plus tard, elle s’éteint encore et une longue, fine pluie commence qui ne durera peut-être qu’un quart d’heure, ou ne finira que dans huit jours… »



La maison de Longwood. 

Achille de Vaulabelle :

« Ce fut seulement le 8 Décembre que l’amiral Cockburn put annoncer au prisonnier que Longwood se trouvait en état de le recevoir. L’ancienne ferme, construite en pierre, et longue de 23 mètres sur 10 mètres de large, formait la partie principale de la résidence ; divisée en 8 pièces de grandeurs différentes, on y avait réuni le cabinet de travail et la chambre à coucher de Napoléon, un cabinet de toilette, la salle à manger, un office et une bibliothèque. Un salon, joignant la salle à manger et précédé d’une autre pièce qui devint la salle des cartes et plans, avait été construit en potence sur la face antérieure de l’ancienne vacherie… Les murs des nouvelles constructions étaient de planches, leur toiture en papier goudronné. D’autres planches, que supportaient de petites bandes de sapin posées à plat sur la terre fangeuse de la vacherie, formaient le plancher du cabinet et de la chambre à coucher du captif, ainsi que de la salle à manger et de la bibliothèque. Toutes ces pièces étaient établies au niveau du sol ; il n’existait point de caves… L’humidité qui suintait à travers toutes les cloisons pourrissait à ce point les planchers qu’un jour celui de la chambre de Napoléon s’effondra et livra passage à un flot d’eau fétide qui contraignit l’Empereur de se réfugier dans une pièce voisine. »



Gilbert Martineau :

« La disposition de la maison et son architecture ne sont point pour aider à dissiper l’envahissante humidité ; point de cave et point de ventilation des structures. Conçue pour être une résidence d’été, les murs en ont été élevés sur de simples et légères fondations de pierre volcanique et poreuse. Le sol argileux, qui forme le plateau de Longwood, a beau jeu de retenir et d’entretenir la fraîcheur pendant la belle saison, mais l’hiver… L’hiver, les vêtements, les cuirs, les rideaux se couvrent d’une fine couche de moisissure blanchâtre. Les Français au début n’en croyaient pas leurs yeux…. Les feux ne suffisent pas pour assécher l’air... Ce sera donc en pure perte que l’Empereur, frileux, craignant avec raison l’atmosphère de cave de son intérieur, fera flamber des tonnes de bois, et de bois vert, hélas. L’humidité persistera – on trouvera des planchers pourris dans sa chambre – et les cheminées, qui tirent mal, ne feront que rendre plus inconfortables encore les heures qu’il passe à lire ou à se perdre dans de tristes songeries. »



Octave Aubry :

« Maintenant qu’ils étaient installés à Longwood, la distraction de la nouveauté s’épuisant, ces gens accoutumés aux plus beaux hôtels et châteaux de France éprouvaient l’incommodité du site et la pénurie du logement. Cinquante personnes entassées, la maison pleine d’allées et venues d’ouvriers occupés à édifier les annexes, les rats qui, sortant par troupes du plancher, épouvantent les femmes et les enfants, l’extrême humidité qui fait en quelques jours des habits, des robes à ruches et volants, de pauvres nippes qu’il faut sans cesse passer au fer, les cheminées qui fument, l’odeur de cuisine trop proche qui se répand partout… Et sur tout cela, la surveillance étroite, mesquine, insupportable des Anglais. Ne pouvoir sortir des étroites limites sans l’escorte d’un habit rouge, se heurter à chaque pas à des sentinelles qui croisent sur vous la baïonnette, avoir sans cesse sous les yeux le manège du corps de garde, du camp dressé pour assurer la prison, à la longue ces désagréments tournent au supplice. »



Ganière :

« Les rats constituèrent eux aussi un véritable fléau. Leur présence sur le plateau de Longwood avait été de tous temps constatée. Périodiquement, les annales de l’île signalaient leurs méfaits ou traduisaient la satisfaction des habitants lorsqu’une épidémie mystérieuse laissait croire à leur disparition. Les alentours de la maison furent ainsi envahis par une véritable armée de rongeurs, montant la garde devant la porte de l’office, détruisant les poulaillers, se faufilant partout, même dans les pièces d’habitation. La nuit, l’Empereur les entendait grouiller au-dessus de sa tête, gratter sous le plancher de sa chambre, s’attaquer aux boiseries. Un jour même, il en vit un sortir de son chapeau alors qu’il s’apprêtait à le prendre pour sa promenade du soir. Il fallut organiser de véritables battues, au cours desquelles, à coups de tisonniers ou de tire-bottes, plusieurs dizaines de ces hôtes indésirables restaient sur le carreau, pour la plus grande joie des Chinois qui en faisaient volontiers leur ordinaire. »



Las Cases lui-même, compagnon d’exil de l’Empereur :

« Nous avons failli n’avoir point de déjeuner : une irruption de rats qui avaient débouché de plusieurs points dans la cuisine durant la nuit, avait tout enlevé. Nous en sommes littéralement infestés ; ils sont énormes, méchants, et très hardis ; il ne leur fallait que fort peu de temps pour percer nos murs et nos planchers. La seule durée de nos repas leur suffisait pour pénétrer dans le salon, où les attirait le voisinage des mets. Il nous est arrivé d’avoir à leur donner bataille après le dessert ; et un soir, l’Empereur voulant se retirer, celui de nous qui fut lui prendre son chapeau, en fit bondir un des plus gros. Nos palefreniers avaient voulu élever des volailles, ils durent y renoncer, parce que les rats les leur dévoraient toutes. Ils allaient jusqu’à les saisir, la nuit, perchées sur les arbres. »



La vie à Sainte-Hélène.  

Au début de son séjour à Sainte-Hélène, Napoléon ne trouvait d’apaisement et de consolation qu’auprès du Conseiller Las Cases.  

Bordonove :

« Hier encore presque un inconnu, mais si cultivé, si prévenant et rempli d’une telle bonne volonté, qu’il recherchait de plus en plus sa compagnie… Napoléon lui avait demandé un soir, avec cette timidité qu’il savait avoir et qui était comme la pudeur d’une amitié naissante, s’il accepterait de le suivre en exil. Las Cases avait répondu : « Sire, en quittant Paris pour vous suivre, j’ai sauté à pieds joints sur toutes les chances, celle de Sainte-Hélène n’a rien qui doit la faire excepter… »



Las Cases, habile courtisan, et beau parleur, s’exprimait avec aisance. Evidemment, les Généraux (Bertrand, Montholon, et Gourgaud) en prirent ombrage. 

Au début de son séjour à Longwood, Las Cases écrivit à l’Empereur :

« Sire, le poète, le philosophe ont dit que c’est un spectacle digne des dieux que de voir l’homme aux prises avec l’infortune ! Les revers et la constance ont aussi leur gloire ! Un aussi noble et grand caractère que le vôtre ne peut s’abaisser au niveau des âmes les plus vulgaires. Vous qui nous avez gouvernés avec tant de gloire, fait l’admiration et le destin du monde, vous ne pouvez finir comme un joueur au désespoir ou comme un amant trompé. Que deviendront ceux qui croyaient, qui espéraient en vous ? Abandonnerez-vous sans retour un champ libre à vos ennemis ? L’extrême désir que ceux-ci en font éclater ne suffit-il pas à vous décider à la résistance ? D’ailleurs, qui connaît les secrets du temps ? Qui oserait affirmer l’avenir ? Que ne pourrait amener le simple changement d’un ministère, la mort d’un prince, celle d’un de ses confidents, la plus légère passion, la plus petite querelle… » 

- « Certaines de vos paroles ont leur intérêt », lui dit l’Empereur. « Mais que pourrions-nous faire dans ce lieu perdu ? »

- « Sire, nous vivrons du passé ; il a de quoi nous satisfaire ! »



Michel Martineau :

« Le visiteur qui a reçu du Grand Maréchal (le général Bertrand) un billet d’audience, et du gouverneur un laissez-passer, est accueilli à la véranda par un officier en uniforme, Montholon ou Gourgaud, et est introduit dans l’antichambre, qui sert également de salle de billard. C’est la pièce la plus spacieuse de la maison et l’Empereur l’arpente souvent, les mains au dos, tout en dictant quelque travail. Dans les persiennes, il a pratiqué deux lunes, à l’aide de son canif, et observe parfois, sans être vu, les mouvements des sentinelles et les allées et venues des Anglais.

Comme aux Tuileries, c’est le grand Maréchal qui annonce à l’arrivant :

-          L’Empereur va vous recevoir.

L’autre entre à pas lents, gêné par ce spectacle d’un homme condamné à la mort lente. Debout devant la cheminée, le chapeau sous le bras, Napoléon s’incline légèrement ; depuis que l’amiral Cockburn s’est assis sans être prié, il accorde les audiences debout, jusqu’à la limite de ses forces. »



Joseph de Mougins-Roquefort :

«  L’empereur invitait volontiers à venir le voir ou même à s’asseoir à sa table les habitants de l’île, officiels, particuliers, marins ou soldats, qui lui étaient sympathiques et dont il appréciait la compagnie pour leurs manières civiles et pour la déférence qu’ils lui témoignaient. Les audiences se déroulaient dans le salon de Longwood, parfois dans le jardin, après que les visiteurs aient attendu dans la salle de billard leur convocation. Napoléon questionnait beaucoup, écoutait à peine les réponses, et se plaisait parfois à égayer l’entrevue par quelques saillies qui avaient un certain succès. Assez nombreuses au début de la captivité, les visites, soit qu’elles fussent contrariées par Lowe, soit que vers la fin de sa longue épreuve, l’Empereur, souffrant et désabusé, n’en attendit plus rien de bon, se raréfièrent bientôt, puis cessèrent presque complètement. »



L’anecdote de la vente de l’argenterie est restée célèbre pour stigmatiser la pingrerie des Anglais. La responsabilité en fût attribuée à Lowe, mais celui-ci ne fît qu’appliquer les instructions de Bathurst relatives aux dépenses jugées excessives de Longwood. Mais quand on imagine les sommes que coûtaient au gouvernement britannique le maintien de l’incroyable force armée sur l’île de Sainte-Hélène, et dans les environs (dont l’Ile de l’Ascension, qui fût habitée et revendiquée par la Couronne dès l’arrivée de Napoléon à Sainte-Hélène, de peur qu’une tentative d’évasion y trouve un support logistique)…



Bathurst avait écrit à Lowe :

« Diminuer fortement les dépenses de la table et de la maison du prisonnier, de telle sorte qu’elles ne dépassent pas les 8 000 livres par an, en y comprenant les vins et l’extraordinaire, de quelque genre que ce soit. Dans le cas où le général se plaindrait des retranchements que pourrait occasionner cette modification, il vous sera loisible de lui permettre tout le superflu qu’il désirera, pourvu qu’il fournisse les fonds nécessaires pour couvrir les dépenses au-delà de 8 000 livres. D’après ce que j’ai appris, les moyens pécuniaires ne lui manquent pas. »



« Or dès le mois de Juillet 1816, les dépenses de Longwood atteignaient 20 000 livres. Volonté de maintenir à Longwood un certain train de vie, prix conséquents exigés par Balcombe (propriétaire des Briars, qui avait sympathisé avec Napoléon) et ses commis, mauvaise conditions de conservation de la nourriture entraînant d’inévitables pertes expliquaient de pareils chiffres. Lowe prit acte des ordres du ministère et en avertit le prisonnier par l’intermédiaire de Bertrand et Montholon. L’accueil fut on ne peut plus froid. L’Empereur disposait de sommes énormes en Europe, notamment auprès du banquier Laffitte. Il indiqua être d’accord pour puiser dans cette manne mais à la condition que la correspondance nécessaire aux transactions futures ne soit pas sujette à la surveillance de Lowe. Pour le gouverneur, il était bien sûr hors de question que le prisonnier entretienne des relations avec l’Europe  sans qu’il puisse avoir un regard sur la nature exacte des échanges. C’était l’impasse. De son côté Lowe prit sur lui d’élever la valeur maximale des dépenses à 12 000 livres, pendant que son prisonnier acceptait  de réduire le nombre des domestiques anglais, et sa consommation de vin ; mais refusait de toucher aux dépenses concernant les vivres et écrivait. Bertrand avait écrit :

 « S’il apparaît absolument nécessaire de restreindre les dépenses pour la table, l’Empereur vendra une partie de sa vaisselle. »

Lowe campant sur ses positions, Napoléon fit exécuter sa menace. La manoeuvre était ici toute diplomatique. Il s’agissait d’indigner l’opinion européenne et exciter la pitié, avec au final l’espoir du retour sur le vieux continent. Après avoir pris soin de limer les armes et d’ôter les aigles, 952 onces furent brisées et vendues. Deux autres ventes suivirent, pour 1227 et 2048 onces. Le sacrifice de la vaisselle rapporta 25 577 francs. En vérité, Cipriani (maître d’hôtel) n’avait brisé qu’une partie de l’argenterie. Le restant fût gardé pour le service de l’Empereur, Montholon, afin que la manœuvre fût plus crédible, achetant à Jamestown un service en mauvaise faïence. Le bris de la vaisselle fit grand bruit jusqu’en Europe. Aussi Bathurst approuva-t-il l’initiative de Lowe concernant l’allocation des 12 000 livres de dépenses, et l’autorisa-t-il à faire toutes dépenses supplémentaires jugées nécessaires et à laisser le « Général » envoyer une lettre scellée à son banquier pour obtenir l’envoi de fonds. Ce dernier point parut trop dangereux à Lowe, qui se garda bien d’en informer l’Empereur ! Les problèmes de financement furent finalement réglés par l’envoi clandestin par Napoléon d’ordres par lesquels le compte du Général Bertrand fût crédité de 120 000 francs annuels, ce qui permit à ce dernier de tirer chaque mois 10 000 francs. »



Lowe, suivant les ordres de Bathurst, s’acharnera à réduire toutes les dépenses. Mais il craint que la rumeur se répande en Europe et fasse scandale. Tardivement, il balbutie des excuses. En signe de bonne volonté, il fournit à Napoléon des livres que celui-ci demande pour écrire ses Mémoires et le récit de ses campagnes. Et il lui adresse la facture !



« Pas un chemin qui ne soit gardé par un soldat. A celui qui a conduit par toute l’Europe ses armées victorieuses, on mesure l’espace, on marchande l’air. Il a eu cent palais, on le loge dans une grange. Et pour l’humilier plus sûrement, on le condamne à un dénuement dégradant : l’habitation est délabrée, le mobilier rudimentaire et la nourriture répugnante. Cet exil de Napoléon à Sainte-Hélène est si barbare que les compagnons de Napoléon finissent par ne plus pouvoir le supporter. Ils se découragent, leur esprit s’inquiète, leur humeur s’aigrit. C’est dans cette atmosphère étouffante que languit Napoléon. Ses journées se traînent parmi les querelles de ses amis et l’étroite surveillance de ses gardiens. Cet homme qui a été un géant de travail périt de désoeuvrement. Sa santé s’altère… »



Lord Primrose, comte de Rosebery, publie en 1900 en Angleterre un livre, « Napoléon, la dernière phase ». Très attaché à la tradition britannique, il a examiné tous les témoignages relatifs à la captivité de Napoléon à Sainte-Hélène. Il porte un jugement sévère sur Hudson Lowe, le geôlier de Napoléon, et sur Lord Bathurst,  Sous-secrétaire d’Etat aux Colonies du Royaume.  

Lord Primrose :

« Il n’est pas de nom dans l’Histoire aussi malencontreux que celui d’Hudson Lowe. Sa malchance voulut qu’il accepta une position où il était difficile à quiconque et à lui de réussir. C’était un homme à l’esprit étroit, ignorant, irritable, sans l’ombre d’un tact. »

Même Wellington dira :

« C’était un choix déplorable. Il manquait à la fois d’éducation et de jugement, c’était un sot. »



Mais quoique trop zélé, Lowe n’était que le subalterne de Bathurst, entre autres.

Lord Primrose :

«  Il ne serait pas juste d’imputer à Lowe la responsabilité de ces ignominies, il ne faisait qu’exécuter à la lettre et de façon grossière une sordide et brutale politique. Le grand coupable fut le gouvernement anglais, dont la conduite fut absolument dépourvue de dignité. »



Au sujet de Lord Bathurst, Lord Primrose écrira :

«  Pour le tact et la convenance, celui-ci rivalisait avec Lowe. »



Si au début de son séjour il monte volontiers à cheval, la présence systématique d’un officier anglais sur ses talons lui devient rapidement intolérable et il reste quatre années sans monter.



Gilbert Martineau :

« Ils lui ont donné une maison, ils lui ont attribué des serviteurs ; mais ce n’était pas une maison, c’était une cabane. Pleine de rats, à l’époque. Dans la partie la plus insalubre de l’île. Venteuse, humide. L’argent devint si vite insuffisant qu’il fût obligé de vendre de l’argenterie pour payer ses dépenses. Les conditions de vie étaient épouvantables. Une toilette pour 30 personnes. Pas d’eau courante, elle était amenée avec des seaux. La viande venait de Jamestown, en bas. Parfois elle arrivait avariée… Pendant les premières années, il travailla plutôt bien, écrivant et dictant. Ensuite, il s’ennuya tellement qu’il ne travailla plus guère. Ses soucis firent empirer les choses. Vous rendez-vous compte qu’une fois, il ne quitta pas Longwood pendant pratiquement 2 ans ! Il protestait en permanence contre le fait que des soldats étaient disposés partout avec des télescopes pour le surveiller. Et Lowe avait décidé qu’il existait très peu d’endroits sur l’île où il était autorisé à se promener seul. Le reste du temps, il devait être accompagné en permanence par un officier anglais. « Plutôt que de supporter cela, disait-il, je préfère ne pas sortir ! » Mais quand il ne sortait pas, Lowe avait décidé qu’il devait se montrer deux fois par jour à un officier anglais. Comme un vulgaire prisonnier. Il refusa. Il ferma les portes et dit : « Je ne leur permettrai pas de pénétrer à l’intérieur de ma maison ! » Au cours des 2 dernières années, aucun anglais ne fût autorisé à pénétrer dans la maison de Longwood, pas un seul, à l’exception des médecins désignés pour le soigner. Pas de doute, il se mit à dépérir du fait de sa solitude. Je crois que vers la fin, il renonça. Son corps fut ouvert après sa mort. Les médecins trouvèrent dans son estomac un trou gros comme un doigt. On ne sait pas s’il s’agissait d’un ulcère ou d’un cancer. »



Un jour, l’Empereur déclara au Docteur O’Meara, qui rapporta la chose au gouverneur Lowe :



« Combien j’ai été fou de me jeter entre vos mains ! Je m’étais fait une fausse idée de votre caractère national ; j’avais une opinion romanesque de la nation anglaise. A cette idée se joignait un peu d’orgueil. J’aurais rougi de me livrer à l’un des souverains dont j’avais conquis les Etats, et dans les capitales desquels j’étais entré en vainqueur ; c’est ce qui m’a déterminé à me confier à vous, que je n’avais jamais subjugués. Docteur, je suis bien puni de la haute opinion que j’avais conçue de votre nation ! »



Michel Martineau :

« Une surveillance serrée gâchait les sorties des Français dont l’étendue fut de plus en plus limitée… La dernière sortie de Napoléon fut à la maison de Sir William Doveton à Mount Pleasant…, où il eut le plaisir d’un généreux pique-nique. »



La plupart des autres promenades avaient lieu autour de la vallée de Sane, qu’affectionnait particulièrement l’Empereur.



Et puis, Napoléon était seul. On dit qu’habitué à vaincre toutes les résistances, l’Empereur déchu, prisonnier sur son rocher perdu au milieu de l’océan, aurait tenté de trouver quelques consolations auprès des épouses de ses compagnons d’exil, la femme du général Bertrand  (qui se montra vertueuse a priori, ce qui rendît l’Empereur furieux et mauvais à son égard), et celle du général Montholon, dont la rumeur dit qu’elle le fût peut-être moins… Parmi la dizaine d’enfants illégitimes dont l’existence est plus ou moins controversée, on a évoqué la petite Marie Caroline Julie Elizabeth de Montholon, fille de la comtesse Albine de Montholon (mais peut-être pas du Comte Charles Tristan…), née à Sainte-Hélène le 26 Janvier 1818, et décédée à Bruxelles le 30 septembre 1819… Mais qui sait où est la vérité ?



Les jardins de Longwood, la dernière grande affaire de Napoléon.

Il semble bien que ce fût le jardinage qui procura à l’Empereur les seules joies dont sa fin de vie fut emprunte.

Octave Aubry :

« Novembre 1819. Ce qui devait le plus préoccuper et distraire Napoléon, fut la transformation des jardins. Déjà des soldats envoyés par Lowe avaient construits un mur de gazon à l’est pour couper le vent. Antonmarchi encouragea l’Empereur dans ce dessein. Le jardinage, déclara-t-il, était le meilleur exercice qui pût remplacer l’usage abandonné du cheval. Pierron (le maître d’hôtel, qui avait remplacé Cipriani, décédé) alla à Jamestown acheter brouettes, pioches, pelles pour la maisonnée. L’Empereur même eût son rateau et sa bêche. Chaque matin, au petit jour, dès que les factionnaires avaient évacué le jardin, il envoyait le valet de service sonner la cloche pour éveiller tout son monde. Domestiques français, anglais et chinois, Antonmarchi, les deux prêtres, jusqu’aux servantes, tous devaient se mettre au travail. Napoléon était vêtu d’un pantalon et d’une veste de nankin comme les colons de l’île, coiffé d’un grand chapeau de paille et chaussé de pantoufles de maroquin rouge. Napoléon essaya lui-même, à plusieurs reprises, de piocher et de bêcher, mais ses mains se couvrant d’ampoules, il y renonça. Sur le côté ouest, devant les fenêtres de l’Empereur, s’étendait ce qu’il nommait le jardin de Marchand, ou  «le  parterre »… un losange de gazon y était tracé, entouré d’allées étroites et de plates-bandes de rosiers bordées de buis. Devant les croisées on plaça quatre orangers et lui-même entre leurs tiges  sema des giroflées et des immortelles de toutes couleurs dont Lady Holland lui avait envoyé des graines. La fenêtre la plus proche de l’angle  formé par le mur du salon devînt une porte vitrée, abritée par une petite véranda de treillage, garnie de plantes grimpantes. Par deux marches, Napoléon pouvait descendre dans son parterre et s’y promener sans être vu, car une palissade en arceaux couverte de fleurs de la passion  formait alentour un mur compact. De l’autre côté du bâtiment central, avait été disposé le jardin d’Ali ou « bosquet », symétrique au jardin de Marchand. Le centre était un ovale gazonné. Deux gros orangers y furent plantés. L’ensemble devait bientôt devenir si touffu que le soleil n’y pénétrait plus. On entreprit ensuite l’aménagement à l’est d’un jardin plus étendu ; abrité par un mur de gazon, et séparé du bosquet par une tonnelle couverte où l’Empereur aimait à se tenir, il fut peuplé de pêchers, , d’acacias, de saules, d’arbousiers. Un tapis de fraisiers couvrait une partie du sol. Afin d’avoir tout de suite de l’ombre, car pour son jardinage ils se montrait tout impatience, il fit transporter d’assez vieux chênes dont beaucoup périrent. On remplaça les défaillants par des pêchers. Ce jardin fut baptisé jardin de Noverraz. Il occupa beaucoup l’Empereur. On y avait aménagé dans le bas une petite grotte que les Chinois recouvrirent d’une boiserie décorée de dragons et d’oiseaux. Une table ronde, quelques chaises la meublaient. Napoléon s’y retirait souvent. Deux ou trois fois il y déjeuna. »



« Napoléon se passionna pour  l’irrigation de ces terrains. Il fit creuser et cimenter un bassin en demi-lune, qui s’alimentait du filet d’eau venu des sources du Diana’s Peak (le sommet de l’île).  On y jeta des cyprins qui moururent, au grand dépit de l’Empereur. Le trop-plein de bassin, par une rigole, s’écoulait  dans une cuve placée au milieu du jardin de Noverraz,  et en repartait pour traverser la grotte et emplir un troisième bassin situé plus bas. Chandelier (cuisinier) avait réussi avec un tuyau de plomb, à faire jaillir dans la cuve centrale un petit jet d’eau. L’Empereur en fut enchanté. Quand il sortait, il disait à Ali ou à Marchand :

« Allons, fais jouer les eaux ! »

On courait  tourner le robinet du réservoir et Napoléon, placé entre la grotte et le dernier bassin, regardait l’eau descendre et arriver jusqu’à lui. Il riait de s’amuser de si peu de chose. Le jeu cessait quand il n’y avait plus d’eau dans le réservoir. »



Et Louis Marchand de raconter :

« Non seulement l’Empereur y voyait un moyen de distraction pour lui et la colonie, mais il y trouvait aussi l’avantage de repousser de la maison le cordon de sentinelles qu’on y posait chaque soir à 9 heures… Lorsque Sir Hudson Lowe vit que la barrière des petits jardins était transportée à distance, et que les sentinelles de la nuit se trouvaient aussi éloignées de l’habitation, il en conçut des craintes pour la sûreté de la détention. Il s’en expliqua, mais n’osa cependant pas prendre sur lui de s’opposer à ce que venait d’entreprendre l’Empereur, qui y gagnait d’autant en liberté autour de son habitation. L’Empereur avait adopté pour costume celui des fermiers de l’île. Il portait un chapeau de paille à large bord pour se préserver du soleil. Pour être moins reconnu, il avait ordonné que Saint-Denis et Noverraz fussent vêtus de même. Le Comte Bertrand n’arrivait jamais avant 8 heures et causait en se promenant avec l’Empereur ; le Comte de Montholon y était en même temps que Sa Majesté. Il est arrivé quelquefois que l’Empereur mît à chacun d’eux une pioche dans la main, mais elle ne fonctionnait pas comme dans celles de Noverraz.  « Messieurs, disait-il, vous n’êtes pas capables de gagner un shilling dans votre journée ! »



Les projets d’évasion.

« L’évasion, l’Empereur, à Longwood, n’y pensait plus depuis longtemps. Mais Lowe, Bathurst, et le cabinet des Tuileries la craignaient toujours. Il est avéré que plusieurs projets sérieux furent préparés vers la fin de sa captivité pour enlever par surprise Napoléon. Pour Hudson Lowe, le danger ne pouvait venir que de l’extérieur. Des Etats-Unis d’Amérique en particulier.  En 1816, Lowe est informé qu’un corsaire du nom de Sontag, à la tête d’un groupe de hardis boucaniers, prépare une expédition vers l’île. L’Empereur embarquerait sur un petit bateau rapide et rejoindrait une goélette qui l’emmènerait en Amérique du Sud. Par ailleurs, un américain, un dénommé Carter, propriétaire d’un voilier réputé pour sa vitesse, s’est vanté devant Joseph Bonaparte, exilé aux Etats-Unis, de pouvoir faire évader son frère. Le renseignement est aussitôt transmis à Londres.  Un autre projet entendait tirer prétexte d’une fausse chasse à la traite des Noirs pour s’approcher des côtes de l’île, et voilà que lord Cochrane, l’un des plus brillants officiers de la Royal Navy, renvoyé dans ses foyers pour ses idées, arme un vaisseau de 24 canons dont, croit-on, il entend faire usage pour libérer Napoléon. »



Et d’autres encore… Mais la mort prématurée du prisonnier de Sainte-Hélène a coupé court à ces hypothétiques entreprises.



Maladie et mort de Napoléon.

Je n’ai pas beaucoup cherché à me renseigner sur la thèse de l’empoisonnement, parce qu’il m’a très vite semblé qu’elle était surtout soutenue par la légende. J’ai seulement lu quelques documents. Elle apparaît très peu vraisemblable, cette thèse. Michel Martineau, qui comme son père avant lui, connaît bien les détails de l’histoire de l’exil de Napoléon à Sainte-Hélène, n’y croit pas du tout. Je lui ai posé directement la question. De la part des Anglais, une telle tentative aurait été extrêmement dangereuse, politiquement. Il n’y aurait eu rien de tel pour soulever durablement l’indignation d’une bonne partie du peuple français contre le peuple anglais, avec les conséquences que l’on peut imaginer. Par ailleurs, je ne crois pas qu’un tel complot, une telle mission, puissent rester secrets dans la durée, et plus particulièrement après la mort de l’Empereur. Quelq’un parle, un jour, toujours dans ces cas-là. Il faut comprendre que techniquement, un empoisonnement lent demande de multiples interventions, or la nourriture de l’Empereur et celle des son entourage proche (prenant le plus souvent les repas en commun) était préparée par l’entourage fidèle de l’Empereur. Et le premier valet Marchand, plus particulièrement, veillait constamment sur tout ce qui touchait à la personne même de Napoléon. D’autre part, si on connaît la pingrerie des Anglais à Longwood et le souci de Lowe de réduire les dépenses, il faut savoir que devant les plaintes répétées des exilés, mais aussi des commissaires européens qui rendaient compte à leur retour de ce qu’ils avaient vu à Sainte-Hélène, les Anglais décidèrent en 1819 de construire, à grands frais, à côté de la résidence de l’Empereur, une nouvelle demeure (Longwood New House) de 2500m2 et 56 pièces ( !) d’un standing beaucoup plus élevé que celui de Longwood Old House. Il semble que cette nouvelle demeure ait été magnifique (les vues de l’époque l’atteste), et l’on dit que l’Empereur la visita à la fin de sa vie, en étant pleinement satisfait, suggérant seulement quelques petites modifications. Mais sa maladie s’aggrava, et il mourut avant la fin des travaux, il n’y vécut donc jamais. On voit mal les Anglais financer la construction d’une telle résidence d’un côté (destinée à assurer une longue détention sans histoires), tout en abrégeant la vie du « Général Bonaparte » de l’autre. Non, ça ne tient pas debout. Reste la jalousie compréhensible d’un mari trompé. Après le retour en Europe de la Comtesse Albine de Montholon (Juillet 1819), son général de mari resta auprès de l’Empereur. Leurs relations ne semblent pas s’être dégradées dans le temps, Montholon semblant être resté fidèle à Napoléon, comme Bertrand, jusqu’à la fin. Là encore, on voit mal, si tant est qu’il l’eût souhaité, comment le général aurait pu distiller régulièrement quelques gouttes d’arsenic dans la nourriture de l’Empereur. Marchand et les autres valets veillaient à tout, voyaient tout. Ce sont eux qui avaient la main sur l’office et le personnel qui y travaillait. Enfin, je note que dans son testament, Napoléon désigna trois exécuteurs testamentaires. Quand on se trouve en face de son propre destin, je ne pense pas qu’on prenne le risque de se fourvoyer sur les personnes d’absolue confiance à qui l’on confie ses dernières volontés. Or les trois exécuteurs testamentaires désignés par l’Empereur étaient le général Bertrand, le général de Montholon, et le valet Louis Marchand. Concernant le niveau élevé d’arsenic trouvé dans ses cheveux, il semble que l’on puisse dire tout et son contraire. Il faut d’abord noter que l’identification ADN est récente. Cela introduit dès le départ un doute. Il semble que Napoléon avait  l’habitude de tremper ses cheveux dans un bain d’eau à l’arsenic, la croyance de l’époque voulant que la chose favorise la longévité et l’éclat de la chevelure… Ce qui est certain, c’est que l’arsenic était un produit beaucoup plus utilisé à l’époque qu’aujourd’hui. Qui sait ? Bien sûr, Machiavel était mort quelques trois siècles auparavant, mais, non, moi je n’y crois pas à cette hypothèse.

Napoléon est mort malade, prématurément, apparemment d’un cancer à l’estomac sur fond de lésion chronique, et il est certain que l’ensemble des conditions de sa détention ont favorisé sa maladie.



En Septembre 1817, le docteur O’Meara diagnostique chez l’Empereur une hépatite chronique. Le 23 Septembre 1819, quelques 20 mois avant la mort du prisonnier de Sainte-Hélène, le Docteur Antonmarchi, arrivé quelques jours plus tôt sur l’île (avec l’abbé Vignali, qui plus tard veillera Napoléon mort et qui célèbrera ses funérailles), examine l’Empereur. Il a d’abord rencontré son confrère Verling, s’est successivement rendu chez les Généraux Bertrand et Montholon, et a longuement discuté avec Louis Marchand, le valet le plus proche de Napoléon, qui lui était entièrement dévoué et contrôlait tout ce qui touchait à la personne de l’Empereur, dont sa nourriture. Tous, il les a longuement interrogés sur la santé de l’Empereur, ses malaises, ses traitements, son mode de vie journalier à Longwood. Ce jour-là, Antonmarchi examine son célèbre patient.

De ses examens, il dresse dans son journal un tableau plutôt sombre :

« Je me suis rendu auprès de l’Empereur. Il reposait sur un lit de campagne, la pièce était éclairée, j’ai pu observer les progrès du mal. L’oreille était dure, la face terreuse, les yeux livides, la conjonctive d’un rouge mêlé de jaune, le corps entier d’un excessif embonpoint, et la peau très pâle. J’examinai la langue, elle était couverte d’un léger enduit blanchâtre ; les éternuements étaient violents, prolongés, entrecoupés d’une toux sèche, suivie d’une expectoration visqueuse…La sécrétion de salive devenait parfois abondante, et le bas-ventre était un peu dur au toucher… Ces symptômes me parurent inquiétants… J’examinai mieux et m’aperçus que la partie du lobe gauche du foie…était comme endurcie, extrêmement douloureuse à la pression. La vésicule du fiel était pleine, résistante, faisait saillie au dehors de l’hypocondre droit…Des souffrances vagues se faisaient sentir dans les régions costales et lombaires du côté droit. Il se plaignait aussi d’une douleur d’intensité variable qui affectait depuis longtemps l’hypocondre droit. Elle était interne ; il cherchait à en préciser le lieu, il disait qu’elle était à deux pouces de profondeur. Il était depuis quelques jours sans appétit. Il avait des nausées, des vomissements. Il rendait des amas de matières tantôt acres, tantôt bilieuses… D’abondantes sueurs avaient lieu chaque jour. »



Lorsqu’il a terminé son examen, Napoléon le questionne :

- « Eh bien, Docteur, dois-je troubler encore longtemps la digestion des rois ? »



Antonmarchi tente de le rassurer. Informé de sa répugnance médicamenteuse, il hésite à lui prescrire des drogues. Il lui conseille l’exercice physique, les frictions sur les jambes, l’équitation, les promenades.

Napoléon hoche la tête :

- « Non. L’insulte m’a longtemps confiné dans ces cabanes. Aujourd’hui, le manque de forces m’y retient. »



L’Empereur a déjà renoncé.

Le 10 Avril 1821, il commence la rédaction de son testament.

Journal du Docteur Antonmarchi.

« 10 Avril 1821, Napoléon, la main au côté droit, se plaint de son foie. 12 Avril, il demande comment on meurt de faiblesse et combien de temps peut-on vivre en mangeant aussi peu qu’il le fait.  22 Avril, après l’absorption d’un peu de soupe, il a vomi encore davantage ; il a rendu les aliments d’hier, non digérés. 25 Avril, il a eu à quatre heures de l’après-midi un accès de vomissement au cours duquel il a rejeté tous les aliments de la journée. 26 Avril, il s’est plaint de son estomac et de son foie. Il m’a demandé, question qu’il m’avait déjà posée hier, quelle était à mon avis sa maladie. Je lui ai répondu que je l’imaginais dans les organes digestifs. Samedi 5 Mai 1821: il avait pris hier une bonne quantité de nourriture. Pour tout essayer, et bien qu’il fût mourant, on lui a mis des sinapismes aux pieds, des vésicatoires aux jambes et au sternum. Ni sinapismes ni vésicatoires n’ont eu d’effet, et tous les symptômes se sont aggravés jusqu’à 5 heures 49 minutes du soir, moment où il a expiré. »



Napoléon avait reçu les derniers sacrements le 3 Mai. Il avait écrit dans son testament :

« Je meurs dans la religion apostolique et romaine dans le sein de laquelle je suis né il y a plus de cinquante ans. »



Michel Martineau :

« Dans ce corps qu’avait animé une énergie surhumaine, une lente respiration et une larme au bord de la paupière dénotaient une ombre de vie… Le soleil baissait derrière le fort qui domine le paysage. Les yeux du mourant étaient fixés sur deux portraits, Marie-Louise et le Roi de Rome, mais les mots qui tombaient de ses lèvres trahissaient ses vraies préoccupations : « …à la tête de l’armée… » Sa pensée errait encore au milieu des combats… L’exil était fini. L’aigle de la légende pouvait prendre son envol. »



Dans son testament, on peut également lire la phrase suivante :

« Je recommande à mon fils de ne jamais oublier qu’il est né prince français. »



Et, plus laconiquement, dans les documents touristiques de Sainte-Hélène :

« Napoléon Bonaparte fût le détenu le plus célèbre de l’île. L’Empereur français vaincu arriva avec son entourage en 1815. Il fût grandement frustré par son style de vie restreint ici, et il mourut malade et malheureux en 1821 à Longwood. »

Hudson Lowe, son geôlier,  qui avait du passer du temps à préparer sa déclaration, déclara en apprenant la mort de Napoléon :

- «  Messieurs, c’était le plus grand ennemi de l’Angleterre ; c’était aussi le mien. Mais je lui pardonne tout. A la mort d’un si grand homme, on ne doit éprouver que tristesse et profond regret. »



Sane Valley était un petit vallon à la végétation luxuriante qu’adorait Napoléon. On y trouvait en abondance des cannas, des bégonias et des géraniums. Et des saules qui frémissaient dans l’alizé. Plus bas dans la vallée, Napoléon apercevait la mer, la vue y était magnifique. Il confia au Général Bertrand, quelques jours avant sa mort :

- « Dans le cas où des instructions auraient été données pour que mon corps restât dans l’île, ce que je ne pense pas, faites-moi enterrer à l’ombre des saules où je me suis reposé quelquefois en allant vous voir à Hutt’s Gate, près de la fontaine où l’on va chercher mon eau tous les jours. »

Pendant que le canon tonnait, vers midi, le 9 Mai 1821, 8 soldats anglais portèrent le quadruple cercueil de l’Empereur sur le petit chemin qui menait au petit vallon. Michel Martineau : « Les funérailles eurent lieu sous la conduite du Père Vignali. Napoléon fut enterré avec les honneurs militaires, la garnison de 3000 hommes bordait la route, les armes pointant vers le bas. Les canons tonnaient toutes les minutes, mais ils étaient anglais. Les drapeaux battaient au vent mais ils étaient brodés des défaites de l’Empire, et les soldats portaient la tunique rouge de l’infanterie britannique. »  

Le Général Montholon demanda aux Anglais que soit gravé sur la tombe, en français, cette inscription :



« Napoléon - Né à Ajaccio le 15 Août 1769 - Mort à Sainte-Hélène le 5 Mai 1821 »



L’abominable gouverneur Lowe s’y opposa, et insista pour que le mot « Bonaparte » soit ajouté. Son dessein était sans doute que son défunt prisonnier redevienne à jamais un simple général d’origine corse. Les Français, écoeurés par tant de bassesse, préférèrent laisser la pierre tombale nue. Après l’inhumation, le tombeau fut gardé jour et nuit par des sentinelles britanniques, afin d’éviter l’enlèvement du corps. Jusqu’en 1840…

Le 8 Juillet 1840, le brick HMS Dolphin, commandé par le lieutenant de vaisseau Littlehales , parvient à Sainte-Hélène. Il remet au gouverneur l’ordre de la Couronne de laisser une escadre française qui fera bientôt voile vers l’île exhumer la dépouille mortelle du « Général Bonaparte » pour la ramener en France. Le 8 Octobre de cette année-là, la frégate française La Belle Poule, accompagnée de La Favorite et de L’Oreste, mouille en rade de Jamestown. Ce joli vaisseau de 60 canons est commandé par le Prince de Joinville, troisième fils du Roi de France (Louis-Philippe), officier de marine. Le 15 Octobre, le corps de Napoléon est exhumé des 4 cercueils successifs qui l’enveloppaient. Le 18 Octobre, La Belle Poule appareille pour le retour vers la France. Le 29 Novembre, le navire pénètre dans la darse de Cherbourg. Le 15 Décembre 1840, la dépouille de l’Empereur est déposée aux Invalides.

La prophétie de Victor Hugo trouvait réalité :



« Sire, vous reviendrez dans votre capitale

Sans tocsin, sans combat, sans lutte et sans fureur,

Traîné par huit chevaux, sous l’arche triomphale,

En habit d’Empereur… »





Conclusion.

Après mes deux visites sur les sites napoléoniens de Sainte-Hélène, comment l’expliquer : on se sent plus près de l’Empereur, intéressé par son histoire. Quand on a parcouru ses lieux de vie à Longwood, vu sa baignoire que son valet Marchand faisait remplir laborieusement avec des seaux d’eau, le petit lit de camp dans lequel il dormait, celui où il a rendu l’âme dans la pièce d’à côté, la table de billard sur laquelle il n’a cessé de déployer ses cartes, les globes terrestres sur lesquels il pointait son index, on éprouve de la compassion pour le grand homme qui a fini ses jours seul, loin des siens, malade et prisonnier.

« Comment ne pas se souvenir des jardins de Longwood, des branches courbées par le vent, de la lumière changeante sur les massifs de fleurs et les falaises lointaines, des grains de pluie fréquents qui ferment les fleurs d’hibiscus, des tisserands jaunes et des cardinaux rouges qui volent d’un arbuste à l’autre autour de la maison, de la brume des nuages qui soudain vous enveloppe et vous cache les montagnes aussi bien que la mer ? »



Combien de fois l’Empereur déchu a-t-il écouté les murmures du vent sur la butte de Longwood ? Il aurait  dit :



« Une grande réputation, c’est comme une grande sonorité… Les lois, les institutions, les monuments, même les nations périssent, mais la sonorité perdure et l’écho traverse les générations. »

Jeune, Napoléon aurait écrit :



« Qu’est-ce que le futur ? Qu’est-ce que le passé ? Qui   sommes-nous ? … Nous évoluons, et vivons et mourrons entouré de miracles. »



Comme l’écrivait un journaliste américain (dont j’ai perdu le nom), il y a quelques années :



« Si les plus grands miracles ici-bas sont la vie et l’amour, quel dommage que Napoléon leur ait à tous deux tourné le dos! »



Fin (ouf ! le boulot…)


Photo 1 - Michel Dancoisne-Martineau, Consul Honoraire de France à Sainte-Hélène, devant le pavillon des Briars...

Photo 2 - Le pavillon des Briars. D'Octobre à Décembre 1815, seuls existaient la pièce frontale et une petite pièce annexe...

Photo 3 - L'intérieur du pavillon des Briars...

Photo 4 - Napoléon vécut 2 mois dans cette seule pièce...

Photo 5 - Michel Martineau, Jean-Louis Clémendot le navigateur solitaire et Adélie, sur les traces de l'Empereur à Sainte-Hélène...

Photo 6 - Le plateau de Longwood, exposé aux vents, aux brumes et à la pluie...

Photo 7 - Longwood, la demeure de l'Empereur de Décembre 1815 à Mai 1821...

Photo 8 - Les jardins et la demeure sous le soleil de l'été austral. Les deux fenêtres les plus à droite, la chambre de Napoléon...

Photo 9 - L'avancée (salle de billard) construite en bois par les charpentiers de marine du HMS Northumberland ...

Photo 10 - La salle de billard (original) de Longwood, la pièce la plus agréable de la demeure...

Photo 11 - L'un des deux globes utilisés par l'Empereur dans la salle de billard...

Photo 12 - Napoléon dictant ses Mémoires au Général Gourgaud, à Longwood...

Photo 13 - La salle à manger de Longwood.

Photo 14 - Une chaise originale de la salle à manger de l'Empereur.

Photo 15 - La chambre à coucher de l'Empereur, lit de camp et sofa...

Photo 16 - Hudson Lowe, le geôlier de Napoléon à Sainte-Hélène...

Photo 17 - C'est à cet endroit, dans le salon où le lit de mort avait été déplacé, que Napoléon est mort le 5 Mai 1821 à 17H49.

Photo 18 - Scène de la mort de l'Empereur...

Photo 19 - Le testament de Napoléon (copie)...

Photo 20 - Le site du tombeau, dans Sane Valley, à 3 ou 4 km de Longwood.

Photo 21 - La tombe de l'Empereur, de 1821 à 1840. Aujourd'hui, elle est vide...

Photo 22 - Longwood, plus riant aujourd'hui qu'il y a deux siècles...