Distance de Horta (Ile de Faial, Açores) en route directe 790 milles.
Distance directe à Furna (Ile de Brava, Cap Vert) 674 milles.
Distance réelle parcourue en 24 heures 159 milles.
Gain sur la route directe en 24 heures 153 milles.
En fin d’après-midi hier, un front nuageux, que nous n’avions nullement sollicité, a obscurci notre ciel. Un temps à grains s’est installé, avec son cortège de petites misères bien connues. Réduire la toile quand un grain s’annonce, renvoyer après son passage. Et stresser un peu pendant le grain, parce qu’on ne sait jamais exactement ce qu’il y a dedans.
Nous avons eu l’occasion de nous faire la main deux ou trois fois avant le coucher du soleil, puis la nuit est arrivée. Je n’ai pas passé une très bonne nuit... Décidément, vous allez croire que je me répète, et c’est un peu vrai ! Regarder régulièrement au vent, dans l’obscurité, pour repérer le grain dont la trajectoire va vous perturber la vie, sans même parler du sommeil. Réduire avant que les premières rafales ne vous tombent dessus. Rester les yeux rivés sur l’anémomètre pour vérifier que le vent ne va pas dépasser 32/33 nœuds, la norme dans le coin apparemment, sinon il faudra réduire encore, et rapidement. Attendre que cela passe en encaissant l’accélération du bateau et les impacts des paquets de mer qui vont avec. Et s'essuyer les pieds, qui ont trempé dans l'eau de mer, qui s'invite souvent sur le pont en ce moment, avant de regagner l'abri douillet du roof... Et puis, un quart d’heure à vingt minutes plus tard, renvoyer de la toile dans un vent faiblard et une mer que le grain a laissé chaotique … J’ai bien du subir ce petit manège une dizaine de fois, avant que la lueur blafarde de l’aube ne me délivre de cette sale nuit.
Où est-elle donc ma petite maison à la campagne, où sont les arbres, les fleurs et les oiseaux ?
Au petit matin, on avait l’impression de naviguer en Manche, voire en Mer du Nord, tant tout était gris. Cela me rappelle un dessin humoristique sur la Bretagne où l’on voyait un paysan breton portant chapeau rond, ciré et bottes, levant les bras au ciel que l’on devinait menaçant à souhait, et s’écriant : « Mais comment peut-on rester insensible à toute cette variété de gris ? » C’était tristounet, ce matin.
Alors que nous venons juste de quitter les tropiques, pas plus tard que hier soir (23°27’de latitude).
Dans la matinée, on a tout de même attrapé une belle daurade coryphène.
Là aussi, il a fallu redistribuer les rôles. Enroulement rapide du solent, grande abattée sous le vent, armement de la longue arbalète de pêche. Je suis descendu dans la jupe bâbord avec les mains gantées, pour ramener brassée par brassée le fil de nylon tendu par le poisson, tandis que mon frère moulinait avec la canne sur le pont. J’ai du m’y reprendre à deux fois pour flécher la daurade avant de la sortir de l’eau. Et Louis, qui n’a pas encore le métier acquis par Marin, a pesté contre un joli bazar dans le fil, entortillé dans le moulinet. Nous avons remis en route dès le poisson vidé et écaillé (la cocotte-minute va ronronner cette après-midi pour stériliser 4 bocaux de verre de poisson), et dans une rafale du premier grain qui a suivi, la bosse du 2ème ris, qui a beaucoup travaillé ces derniers jours, a explosé dans un bruit de canon !
Petit moment de distribil avec la grand-voile partie en promenade vers les haubans, vite maîtrisée par la prise provisoire du 3ème ris. Pas facile de repasser une bosse dans l’immédiat, alors j’ai utilisé la bosse du 1er ris pour ré-installer le deuxième… Le marin, toujours, doit se démerder. L’accastillage est sollicité pendant cette traversée disons virile, mais tant que la casse se limite à la rupture d’une bosse, ça me va très bien. Les conditions plus agréables apparemment prévues d’ici après-demain nous permettront de repasser le cordage dans la bôme dans les règles de l’art.
Dans la soirée, nous aurons franchi la moitié de la route vers Horta.
J’ai toujours plaisir à attaquer la deuxième moitié d’une traversée.
Je navigue surtout pour les escales !
A demain !