vendredi 20 avril 2012

MESSAGE N° 6 – TRAVERSEE CAP VERT – ACORES

JOUR 6 – Jeudi 19 Avril 2012 –
Distance de Horta (Ile de Faial, Açores) en route directe  639 milles.

Distance directe à Furna (Ile de Brava, Cap Vert)  827 milles.
Distance réelle parcourue en 24 heures  153 milles.
Gain sur la route directe en 24 heures  151 milles.

Le plus dur de la shaker’s week semble derrière depuis quelques heures, on ne va pas s’en plaindre. A confirmer tout de même.

La nuit a encore été dure, et assez violente. Pas de cadeau pour le marin qui a choisi cette route Cap Vert/Açores, de beaucoup plus directe que de passer par les Antilles, mais aussi plus musclée… Les grains se sont reformés en début de nuit, et ils m’ont tenu compagnie dans l’obscurité. Alors que je n’avais rien demandé. Manœuvres de solent à chaque fois, puis attente assez peu sereine, assis sur la banquette tribord du carré, la frontale à poste sur le nez, pendant que les gémissements du vent montent dans les tours… Il m’est arrivé de croiser les doigts. Le bateau a pas mal travaillé, les embruns ont volé, les étraves ont labouré la mer. Jusqu’à 35 nœuds de vent, avec la mer qui va avec, plutôt cabossée. Douze heures assez désagréables, pendant lesquelles il est difficile de ne pas penser à l’éventualité d’une avarie. Dans les grains, il m’est également arrivé d’abattre temporairement, pour aborder les vagues avec un angle plus conciliant.

J’ai trouvé, depuis quelques nuits, une alarme automatique anti-chahut.

Le feu de sécurité à retournement (à piles), associé à la bouée de sauvetage et à la perche de signalisation, dont l’interrupteur s’active en temps normal quand le feu est mis à l’endroit (en clair lorsqu’on jette à la mer, à l’intention d’une personne passée par-dessus bord, l’ensemble bouée de sauvetage - perche de signalisation - feu à

retournement) s’allume brièvement lorsque l’accélération verticale du bateau dépasse un certain seuil, qui ne doit pas lui plaire. L’éclair assez puissant ainsi produit à l’arrière me prévient (s’il en était

besoin…) du coup de tangage en cours dont l’issue va être inévitablement  brutale, et du joli paquet de mer qui va dévaster le pont dans les 3 secondes qui suivent ! Quand l’éclair se renouvelle 2 ou 3 fois par minute, c’est que mon moulin va trop vite. Je laisse la grand-voile à 2 ris, mais je fonce enrouler du solent… Autre compagnon de mes nuits, pas très sexy en ce moment, le cadran répétiteur de l’anémomètre, réglé sur la vitesse du vent apparent, et de temps à autre sur son angle. Il arrive qu’il m’énerve, et je le lui dis clairement.

Le geste le plus galère, c’est tout de même celui de s’essuyer les pieds, trempés d’eau de mer, après chaque sortie sur le pont. Depuis le départ de Brava, la vieille serviette, très sollicitée, ne sèche plus, je l’essore régulièrement, pour tenter d’emmener dans ma petite couverture le moins d’humidité possible. L’entrée du carré, pourtant bien protégée, est néanmoins barrée par deux niveaux de serpillères.

Sur ce parcours de remontée des alizés de nord-est, il n’est pas étonnant que certains voiliers subissent des avaries, de gréement en particulier. Nous avons un bateau solide et sûr, et cela vaut mieux, car il est large, et dans le cas présent, à cette allure, structurellement, ce n’est guère un avantage. Quand je borde l’écoute de solent dans 25 nœuds de vent, je sens les efforts énormes qui s’exercent sur l’accastillage, les cordages, la voile et le gréement. J’avais remplacé les winches d’écoutes d’origine par le modèle supérieur, mais même ainsi il n’y a rien de trop, il faut de l’huile de coude, et de la force.

Notre voilier est un catamaran, il ne gîte donc pas (ou plus exactement il prend un peu de gîte, mais quelques degrés seulement, rien à voir avec un monocoque), du coup les voiles restent dans un plan perpendiculaire  au vent qu’elles reçoivent, ce qui accroît considérablement les efforts si l’on ne réduit pas suffisamment vite la surface de voile portée par le voilier. Là où un monocoque va s’incliner devant l’augmentation de la pression du vent, et diminuer ainsi les efforts en accentuant son angle de gîte, un catamaran va lui accélérer en restant droit, en augmentant ces mêmes efforts.

Vous avez certainement tout compris, je ne m’étends donc pas. Au petit matin, je me suis fait une belle bosse sur l’arcade sourcilière gauche.

Ben oui, je vous raconte tous mes petits problèmes !  Sorti quelques instants humer le vent, j’ai été cueilli par une vague traîtresse qui a explosé sur la coque au vent, et en voulant rentrer précipitamment derrière l’abri du roof, je me suis pris la tubulure inox qui se trouvait sur une trajectoire que je connais pourtant bien. Sonné pendant quelques secondes, j’ai regagné ma bannette à tâtons, en jurant je crois bien, pour attendre que le nombre d’étoiles diminue dans mon ciel !

Ce matin, le vent, établi depuis plusieurs jours à quelques 25 nœuds hors des grains, a commencé à mollir. Nous en avons profité pour repasser une bosse, et avons largué un ris. Retour au premier donc, avec solent entier. Vitesse 7 à 8 nœuds sur une mer moins chaotique que précédemment. Nous avons reçu un message en provenance de Toulouse nous indiquant que le petit émetteur HF expérimental que nous avons installé au Cap Vert sur le pont tribord, avec antenne filaire montant au 2ème étage de barres de flèche, avait cessé d’émettre. Damned ! Démontage et rapatriement à l’intérieur. Nous étions inquiets au sujet de son étanchéité, car il a été plusieurs fois submergé ces derniers jours, mais non, c’est apparemment juste un problème provisoire de charge de son accus au lithium, en cours de résolution. Dès ce soir, on va le remettre en place et il devrait recommencer à envoyer ses signaux ultra-économiques à quelques milliers de kilomètres.

Daurade coryphène à toutes les sauces au menu ces temps-ci. Le frangin n’est pas un gaspilleur, vous voyez ce que je veux dire. Et le niveau du stock de bocaux stérilisés est remonté depuis hier soir !

Evènement qui me rapproche un peu de mon vieux père (88 ans bientôt, et très en forme), mon frère a ouvert aujourd’hui une vieille bouteille de pineau familial, d’au moins 20 ans d’âge, élaboré par le vieux, du temps où nous vendangions une fois l’an quelques arpents de vigne attachés à la maison de nos grands-parents paternels, quelque part dans un petit village de Charente-Maritime. Et comme il restait encore un peu de saucisse sèche, c’était un apéro exceptionnel !

Je viens de terminer les deux tomes de « L’Alliance », de l’auteur américain James Michener. Un roman historique sur l’histoire de l’Afrique du Sud depuis les origines. Un bon bouquin pour mieux appréhender  ce pays extraordinaire qui ne peut pas laisser indifférent, et où tellement d’erreurs ont été commises. Avec la Nouvelle-Zélande et la Namibie, ce sont peut-être les 3 pays qui m’ont le plus intéressé au cours de ce voyage, si j’omets les nombreuses petites îles que nous avons visitées. J’y reviendrai volontiers pour en arpenter les pistes reculées et mieux comprendre son histoire. Je sais déjà comment !

Nous avons dépassé la moitié de la route vers Horta, c’est une bonne chose. Une seule inquiétude, l’anticyclone semble vouloir se déplacer vers le sud-ouest, et ça ce n’est pas une bonne idée pour notre fin de traversée.

La bête météorologique ne doit pas bouger pour que le vent adonne progressivement, qu’on puisse envoyer le gennaker, et que la grande voile bleue nous pousse gentiment dans les trois derniers jours vers le premier bistrot venu… A demain !

Olivier