dimanche 26 février 2012

Billet N°149 - Escale insolite à Spencer Bay, Namibie…

Du 26  au 27 Janvier 2012 – Escale  insolite à Spencer Bay, Namibie… Par Olivier

Après notre départ de Lüderitz, le 25 Janvier, nous avons fait une brève escale à Hottentot Bay, une anse bordée de dunes utilisée par les pêcheurs namibiens pour y relâcher à l’abri des vents de secteur sud à sud-ouest.

Nous y passons la nuit à l’ancre dans 7 à 8 mètres d’eau, au milieu d’une bonne quinzaine de bateaux de pêche qui rejoignent le mouillage à la nuit tombante. Deux  maisons de bois ont été construites sur la grève, et je suppose qu’une piste sablonneuse relie à travers les dunes la baie à une gravel road qui permettait jadis d’aller de Lüderitz à Saddle Hill, une petite agglomération minière située un peu plus au nord et aujourd’hui abandonnée. Le coin est néanmoins assez peu engageant, et la nuit tombe déjà, avec son cortège de brume et d’humidité qui nous enveloppe aussitôt. Pour le dîner, nous enfilons nos polaires, parfois même nous prenons notre repas à l’intérieur, à l’abri du roof, ce qui aura été très exceptionnel tout au long de notre voyage.

Nous décidons finalement de rester à bord, d’autant que le débarquement à terre dans cette zone diamantifère est soumis à l’obtention d’un permis préalable, que nous n’avons pas.

Hottentot Bay ne présente pas un grand intérêt, à vrai dire, mais la nuit que nous y passons sera calme.



Le lendemain matin, nous appareillons dans une brume à couper au couteau, moteurs au ralenti, radar en marche, et vigie à l’avant. La brume amortit le bruit des moteurs des navires de pêche, mais je ne suis pas fâché de gagner le large.

De temps à autre, un phoque nous montre ses moustaches en émergeant à quelques mètres du bateau. Il nous surveille du coin de l’œil pendant une trentaine de secondes, puis retourne à ses occupations nourricières.



Nous remontons le long de la côte avec les moteurs à 1500t/mn. Ils nous déhalent à 4 ou 5 nœuds contre le petit vent dans le pif du matin, qui souffle régulièrement du nord à une petite dizaine de nœuds, dès l’aube. En général cette petite brise thermique tombe complètement vers midi, à la faveur des premiers rayons du soleil, lesquels parviendront  bientôt à porter la visibilité à quelques centaines de mètres, puis davantage. Adélie passe de longs moments à jouer avec les dauphins aux étraves. Ils sont nombreux à nous accompagner, et restent  de longues minutes à frôler les carènes à quelques centimètres. Ils sont d’une adresse extrême, et nagent à des vitesses incroyables sans aucun effort apparent. Les hélices qui tournent ne les inquiètent pas, ils en ont apparemment l’habitude avec les navires de pêche.

A une dizaine de milles au large, nous nous dirigeons vers Spencer Bay, où je sais trouver une belle épave et une île habitée de milliers d’oiseaux, Mercury Island. Le décor de dunes de la côte, mêlées à de très vieilles roches noires, est singulier, tout au moins quand on l’aperçoit !

Nous parvenons à Dolphin Head pour le déjeuner, un vrai timing de paquebot. Spencer Bay, située à une petite soixantaine de milles au nord de Lüderitz., est un mouillage plaisant pour les voiliers voyageurs. Qui y sont rares, la plupart des navigateurs préférant quitter Cape Town directement pour Sainte-Hélène, afin d’éviter les difficultés de la navigation namibienne, pourtant  limitées. Notre cartographie électronique est très imprécise, alors nous entrons dans la baie à vitesse réduite, un œil rivé sur le sondeur. Mais les fonds sont stables, et avec toutes ces dunes majestueuses qui viennent mourir sur des kilomètres de plage autour de la baie, il n’est pas étonnant  que les fonds soient plats et sablonneux. Nous jetons l’ancre par 6 mètres d’eau.

La baie est déserte, il n’y a personne. En entrant dans Spencer Bay, nous sommes passés devant la petite plage, juste derrière Dolphin Head, sur laquelle s’est échoué, il y a bien longtemps, un petit cargo. Aux jumelles, j’y ai aperçu des centaines de phoques, toute une colonie qui a élu résidence sur la plage, au voisinage de l’épave. Plus tard, j’apprendrai que cette épave est celle de l’ « Otavi », un transport de guano, qui a été jeté à la côte lors d’une tempête en 1945, alors qu’il était venu embarquer des sacs à Mercury Island, toute proche.

Nous commençons par nous rendre à Mercury en annexe, une petite île distante d’un bon mille du mouillage, à l’ouvert de la baie, habitée par des milliers d’oiseaux marins. Essentiellement des cormorans et des fous, accompagnés par de nombreux manchots. Une station ornithologique y est installée, d’après ce que je sais.

En approchant, nous constatons que la répartition de la surface de l’île se fait, à partir du niveau de la mer et jusqu’au sommet, en fonction des espèces. Les manchots du Cap, particulièrement nombreux à Mercury, occupent naturellement les parties basses. Ils ne savent pas, ils ne savent plus  voler, et ne sont pas particulièrement rapides à la marche terrestre (par contre ils nagent particulièrement bien). Les cormorans noirs, qui volent souvent en escadrilles de plusieurs dizaines d’individus, occupent la zone intermédiaire, entre les manchots et les fous. Ces derniers sont de grands voiliers à l’envergure imposante. Leur vol majestueux, et leurs merveilleux plongeons en piqué à la poursuite du poisson qu’ils ont ciblé à une trentaine de mètres au-dessus de l’eau, les classent dans la catégorie supérieure du petit monde de Mercury. Ils ont aussi besoin de plus d’espace pour prendre leur envol, même chose pour atterrir. Ils occupent donc les hauteurs, aristocratiques, de l’île.



Une vieille jetée de bois et quelques poulies résistent encore au temps qui passe. Elle servait à embarquer les sacs de guano ramassés sur l’île jusqu’aux début des années 50. Le guano (un mot du langage quechua, parlé par les Incas), constitué de l’accumulation au fil des siècles des excréments et des cadavres d’oiseaux marins, a longtemps été utilisé comme engrais agricole, compte tenu de sa richesse naturelle en azote. C’est lors d’un chargement de sacs de guano à la jetée de Mercury Island que l’ « Otavi » a été surpris par une tempête et jeté à la côte, sur la plage située immédiatement à l’est de Dolphin Head. Nous découvrons la station ornithologique, accrochée à la paroi rocheuse, et desservie par un petit wharf muni d’un treuil.

Un peu plus loin, nous découvrons le locataire des lieux, l’ornithologue de service. Pantalon orange, veste bleue, casquette vissée sur la tête, grande barbe rousse, notre homme est probablement misanthrope. Il ne nous adresse pas le moindre signe de salutation sans même parler de bienvenue, alors que nous  passons en annexe à quelques dizaines de mètres au-dessous de lui. Il paraît absorbé dans la contemplation des fous qui l’entourent. Peut-être qu’à force de contempler les fous… J’ai eu à plusieurs reprises l’occasion de visiter des bases scientifiques, en particulier en Antarctique, et j’y ai toujours été bien reçu en y arrivant en voilier. Mais l’homme de Mercury ne doit pas apprécier la visite de ses semblables. Nous aurions bien visité ses installations et écouté ses explications scientifiques de piaffologue patenté, mais il doit être vraiment misanthrope, notre homme. Barbara en est outrée, les enfants sont surpris, et moi je m’adapte à ce comportement singulier : nous ne tentons pas de débarquer et laissons l’énergumène à sa solitude humaine.



Nous regagnons Jangada pour le déjeuner, avant de débarquer sur l’immense plage en face de nous, à l’abri tout relatif d’une petite avancée rocheuse. Un débarquement un peu sportif et humide au milieu des vagues qui brisent. On attend, on observe, on choisit sa vague, mais on se fait rincer quand même ! Nous remontons l’annexe haut sur la plage avec son système à roues pivotantes.

Un chacal nous a aperçu et s’enfuit au loin en se retournant de temps à autre. Sur le sable apparaissent de multiples empreintes laissées par les chacals, qui patrouillent inlassablement en bord de mer à la recherche de leurs proies, charognes, animaux (phoques, oiseaux) faibles ou mourants, poissons rejetés par la mer. Ils ont à l’évidence leurs sentiers habituels, et je m’aperçois que dès qu’un objet quelconque tranche visuellement sur l’uniformité infinie du sable, il est systématiquement contrôlé et reniflé par les chacals, habitués à se contenter de peu pour survivre. Les empreintes les plus grosses sont celles des hyènes brunes, également habituées des bords de mer de Namibie, mais aux mœurs totalement nocturnes. C’est peut-être pas plus mal pour nous, on espère bien être rentrés à bord avant la nuit !



Nous suivons la plage en direction de la haute corniche rocheuse qui ferme à l’est la petite baie où s’est échoué le cargo de guano. Un groupe de goélands prend le soleil sur une butte de sable de bord de mer. Au loin, des mirages apparaissent au-dessus de la dépression du terrain qui forme de vastes salines.

Nous escaladons la corniche côté mer, le passage intérieur étant à l’évidence celui emprunté par les chacals, car les traces de passages récents y sont multiples. Lorsque nous arrivons au sommet, la vue débouche soudain sur le magnifique spectacle de l’épave de l’ « Otavi » gisant sur le sable, entourée de centaines de phoques à fourrure qui partagent la plage avec cette vieille carcasse de fer. Dissimulés derrière les roches, nous restons plusieurs minutes à contempler cette vision insolite, sans bouger, et sans faire de bruit. A y regarder de plus près aux jumelles, je m’aperçois que les phoques ne sont pas seuls. Il y a aussi des chacals, une bonne douzaine dans la baie, dont les plus gros harcèlent les phoques qui prennent le soleil sur le sable, à la recherche d’un signe de faiblesse, de maladie, ou de mort prochaine. Mais les phoques ont aussi de jolis crocs de plusieurs centimètres de long dont les chacals se méfient, ne s’approchant d’eux que rarement à moins d’un mètre. Nous observons ce spectacle naturel qui doit se répéter chaque jour depuis des lustres.

Le manège des chacals est incessant. Ils doivent se nourrir, la faim les tenaille, eux et leurs petits. Et cette énorme colonie de phoques, installée à Dolphin Head probablement depuis des siècles, est leur garde-manger naturel. Le jour, ils partagent la baie avec les phoques, et les otaries adultes n’ont rien à craindre. Mais la nuit, ils doivent céder la place à plus forts qu’eux : les hyènes, à la mâchoire extrêmement puissante. J’imagine que les phoques resserrent les rangs à la tombée du jour, en particulier autour de leurs petits. Mais certaines scènes de prédation ne doivent pas être à montrer à tout le monde…



Je propose de descendre la corniche pour aller voir de plus près l’épave, et les animaux qui l’entourent. Barbara et Adélie, toujours prudentes avec les animaux sauvages, préfèrent rester sur la corniche à observer le spectacle. Marin et moi descendons dans l’arène à pas lents, pour ne pas effrayer la colonie. Les visites sont tellement rares à Spencer Bay que les chacals ne s’aperçoivent pas immédiatement de notre présence. Pourquoi songeraient-ils à lever le regard vers le haut de la corniche ? Quand nous débouchons sur la plage cependant, l’alerte est vide donnée. Les chacals s’enfuient, traversent la petite plaine caillouteuse qui jouxte la plage, puis grimpent la paroi rocheuse vers le sommet de la corniche, se dirigeant vers le passage le plus fréquenté que nous avons aperçu tout à l’heure de l’autre versant.



Barbara et Adélie vont avoir une surprise. Elles se croyaient à l’abri sur la corniche du bord de mer, mais un chacal qui s’enfuit choisit de passer par là. Il tombe nez à nez avec elles, à quelques mètres. Surpris, il s’arrête net, observe, réfléchit et détale par un sentier de traverse.

Juste le temps d’une décharge d’adrénaline pour nos filles…



Les phoques qui somnolent au bord de l’eau par dizaines ne se montrent pas autrement inquiets à notre approche, pourvu qu’une vingtaine de mètres nous séparent d’eux. Ils savent n’avoir besoin que de quelques secondes pour regagner la mer, où ils sont d’excellents nageurs. Par contre, les otaries qui ont choisi de remonter plus haut sur la plage, jusque dans les rochers, se montrent immédiatement plus inquiètes. Elles savent parfaitement qu’elles sont dans ces conditions beaucoup plus vulnérables, et cherchent immédiatement à se rapprocher de l’eau, leur seul salut, ce qui leur demande d’importants efforts physiques. Dans ce cas, nous faisons un détour.

L’épave de l’ « Otavi » est propre, je veux dire par là qu’on n’y trouve plus que de l’acier que le temps, qui a déjà bien travaillé en quelques 67 ans, s’efforce de transformer en oxyde de fer. Il avait de la gueule ce petit cargo, j’aurais aimé le visiter du temps de son service. Les coursives extérieures à chandeliers lui donneraient presque l’allure d’un petit paquebot côtier. L’odeur de la marchandise, cependant, devait être très différente du parfum des belles passagères !

J’explique à Marin le rôle des apparaux dont les contours, seuls, ont survécu au temps. Je suis très surpris par l’excellent état des espars en bois du gréement, en particulier les mâts de charge, que les embruns du ressac ont du recouvrir très tôt d’une couche de sel salvatrice. Dans les entrailles du petit navire, des otaries ont élu domicile, mais la marée et le fracas des vagues doivent les chasser régulièrement de l’endroit.



Un peu à l’écart, nous découvrons le cimetière de la colonie. Soit que les animaux mourants s’y rendent d’eux-mêmes, ce dont je doute, soit plus vraisemblablement que les hyènes y traînent les cadavres pour des ripailles nocturnes moins exposées à la fureur des grands mâles de la colonie. Les chacals, eux, sont incapables d’un tel job.

Pour l’heure, Marin décide d’arracher quelques crocs aux mâchoires blanchies par le soleil du Namib. Les cadavres se comptent par dizaines, mais la plupart sont desséchés et sans odeur.



Certains chacals se sont arrêtés en haut de la corniche, surpris et outrés de la visite des bipèdes du voilier qui a jeté l’ancre dans la baie. Ils nous observent avec attention, refusant d’abandonner aussi facilement leur baie nourricière. Nous découvrons, à la base d’un ancien dépôt de sacs de guano (probablement ceux qui ont été enlevés du cargo échoué peu après le naufrage), un réseau de terriers. Une famille de chacals habite là, à une centaine de mètres à peine de la colonie.

Nous grimpons sur les hauteurs de Dolphin Head pour contempler l’épave brisée sous un autre angle de vision. Certaines otaries se sont hissées jusqu’à une quarantaine de mètres d’altitude au-dessus du niveau de la mer !



Nous regagnons la corniche de l’est, et, de loin, faisons signe aux filles de nous rejoindre sur la plage de Spencer Bay, sur l’autre versant. Nous empruntons pour rentrer le sentier rocailleux qu’utilisent le plus fréquemment les chacals pour venir et sortir de la petite baie de l’  « Otavi ». Les traces de leur passage journalier sont omniprésentes. Des ossements jalonnent le parcours, de petites anfractuosités de roches leurs servent d’abri.



Au loin, Jangada tire doucement sur sa chaîne, au premier plan d’un grandiose décor de désert.

Nous découvrons un peu en recul de la plage d’anciennes machines à bras, de bois et de fer, que les hommes ont abandonnées, comme ils le font partout.

Des décennies que le temps est à l’œuvre pour faire oublier le passage des hommes. Mais il en faudra encore au moins autant pour que le désert ait complètement effacé ces traces.

Nous regagnons le bateau avant la nuit, les chacals ont sans doute déjà ré-investi la baie de l’épave, et rôdent à nouveau autour de la colonie.



Le lendemain, nous quittons Spencer Bay dans un épais brouillard, cap au nord, vers Sandwich Harbour…

Photo 1 - Navigation le long de la côte namibienne, entre deux bancs de brume...
Photo 2 - Adélie adore jouer avec les dauphins, qui nous accompagnent par dizaines dans cette région...
Photo 3 - Jangada au mouillage devant le désert du Namib...
Photo 4 - La baie de Spencer avec l'île Mercury à gauche on n'est pas gêné par les voisins...
Photo 5 - Nous partons avec l'annexe à la découverte de Mercury Island, l'île aux oiseaux...
Photo 6 - L'ancienne jetée de bois dévolue au chargement du guano, aujourd'hui abandonnée...
Photo 7 - Elle sert de perchoir aux cormorans, et sera bientôt elle-même couverte de guano...
Photo 8 - Sur Mercury, les oiseaux sont bien organisés, les fous en haut, les cormorans au milieu...
Photo 9 - ...et les manchots en bas!
Photo 10 - Ca barbote sévère chez les pingouins...
Photo 11 - La station scientifique de Mercury Island...
Photo 12 - ... tenue par un ornithologue probablement misanthrope!
Photo 13 - Nous laissons Jangada au mouillage dans la baie...
Photo 14 - ...mais sous bonne garde!
Photo 15 - Non loin de Dolphin Head, une épave sur une plage colonisée par les otaries...
Photo 16 - C'est celle de l'Otavi, un transport de guano...
Photo 17 - ... jeté à la côte dans une tempête en 1945...
Photo 18 - Les phoques à fourrure du Cap, ou otaries, nous accueillent avec curiosité mais prudence...
Photo 19 - T'as vu , une Caribe 3,40m avec un moteur Yamaha 15 CV 2 temps comme on en fait plus!
Photo 20 - Bon, ben salut Jangada, et bienvenue chez nous, à Spencer Bay!
Photo 21 - Des centaines de phoques habitent cet étonnant décor...
Photo 22 - Mais, côté plage, ils ne sont pas tous seuls...
Photo 23 - Il y a aussi les chacals...
Photo 24 - ... qui guettent les individus jeunes, malades, ou mourrants...
Photo 25 - Le terrier d'un chacal, creusé dans des sacs de guano abandonnés...
Photo 26 - Barbara et Adélie restent prudemment sur la cornière rocheuse, mais...
Photo 27 - Marin et moi descendons sur la plage, les chacals, une bonne douzaine, détalent...
Photo 28 - Position de sommeil paradoxal...
Photo 29 - Otarie, ou phoque à fourrure, c'est du pareil au même...
Photo 30 - Barbara et Adélie sont visibles sur la corniche rocheuse, au-dessus de l'angle droit de la timonerie...
Photo 31 - C'est émouvant une épave que le temps absorbe doucement, mais inexorablement...
Photo 32 - Le bois de ce mât de charge est étonnamment bien conservé, après plus de 65 ans...
Photo 33 - Les traces de l'activité des hommes...
Photo 34 - ...disparaîtront bientôt...
Photo 35 - Un autre habitant des lieux...
Photo 36 - Le Captain shoote tout ce petit monde au téléobjectif...
Photo 37 - Marin récupère des dents de phoques au cimetière marin de la colonie...
Photo 38 - L'équipage de Jangada à Spencer Bay...

Billet N°148 – Burgsdorf et Moreson Farms, rencontre avec une double ferme namibienne…

Les 21 et 22 Janvier 2012 - Burgsdorf  et Moreson Farms, rencontre avec une double  ferme namibienne…
Par Olivier                    

 Depuis quelques années, mon frère aîné Louis partait chaque mois de Décembre voler en delta-plane avec ses copains au-dessus des espaces semi-désertiques de la Namibie centrale.



Il m’en parlait toujours avec enthousiasme, me racontant de grandes épopées aériennes dans les ascendances thermiques du désert, au cours desquelles tombaient un jour ou l’autre quelques  records d’altitude,  de distance, ou de durée.

La place ne manquait pas pour se poser dans le pays, même si parfois ce pouvait être au milieu de nulle part, à plus de 300 km de la piste d’envol. A l’ère du GPS et du téléphone portables, un Toyota Hilux 4 x 4 partait sur les gravel roads et les petites pistes sinueuses de cette région de bush aride, et finissait toujours par arriver pour récupérer l’aviateur, parfois de nuit, mais toujours jusqu’à voir avant que les guépards, les hyènes brunes et les chacals ne s’y intéressent de trop près.

Du côté de Maltahöhe, dans les vastes étendues du centre du pays, ce n’était pas le relief qui permettait de décoller. Cette bande de passionnés amenait donc avec elle deux ULM dont le job était de tracter les delta-planes pour leur faire gagner le nirvana des thermiques ascendants, à quelques centaines de mètres d’altitude au-dessus du bush. Ils utilisaient comme base de départ, et plus rarement d’arrivée, une aire d’envol située en bordure de piste à 2 ou 3 km de la ferme (Burgsdorf Farm) où ils logeaient. J’avais cru comprendre que tous en gardaient de bons souvenirs, et que la descente de Windhoek (la principale bière namibienne) le soir au retour des vols pouvait être sévère. Comme la place ne manquait pas sur cette ferme de plusieurs dizaines de milliers d’hectares, le fermier, André Roussouw, leur avait aménagé avec son scraper Caterpillar (les grandes fermes namibiennes fonctionnent avec un degré d’autonomie élevé en ce qui concerne le matériel) une piste multiple en étoile, qui leur permettait de décoller toujours face au vent, une condition impérative pour les décollages en remorque. Tout cet encombrant matériel voyageait depuis l’Europe dans un container qui arrivait par voie maritime à Walvis Bay. Cette joyeuse équipe d’inconditionnels du delta, au sein de laquelle tous avaient un haut niveau de pratique, louaient quelques Toyota 4x4 en arrivant à Windhoek, et rejoignaient chaque début Décembre un coin de rêve, paumé à souhait, qu’ils avaient déniché je ne sais trop comment, et ce pour plusieurs semaines : la ferme de Burgsdorf. J’avais cru comprendre, et j’imaginais facilement, que tout cela exigeait une organisation minutieuse, discipline dans laquelle mon frère excellait, ce qui d’ailleurs me fut confirmé sur place. Les descriptions namibiennes de l’aîné finissaient par m’énerver, et j’avais décidé d’aller voir sur place de quoi il retournait…



C’était bien sûr l’occasion pour nous de visiter une ferme namibienne, ce que nous aurions difficilement pu faire autrement.



En quittant Lüderitz, nous avons d’abord visité, dans une Toyota Corolla de location, le sud de la Namibie, d’Aus vers Rosh Pinah, puis nous avons remonté le cours de l’Oranje River jusqu’à Aussenkehr, avant de nous diriger vers Ai-Ais et le célèbre Fish River Canyon, Keetmanshoop et Mariental..  De là, la C 19 conduit vers l’ouest au petit bled de Maltahöhe. Il faut ensuite prendre la C14, une gravel road qui redescend vers Aus, à travers des paysages fabuleux. (Je vous recommande, si un jour, vos pas vous conduisent dans cette région, de parcourir la piste C 13 entre Hemerinhausen et Aus, mais impérativement en fin d’après-midi, quand la lumière chaude du couchant éclaire de couleurs incroyables les vastes étendues des Neisipvlakte Plains. Quels fabuleux paysages seulement peuplés de gemsboks (oryx), de koudous, de sprinbboks et d’autruches, et de quelques petites fermes éparses repérables de loin à leurs éoliennes ancestrales, utilisées pour alimenter les abreuvoirs des bêtes)



Nous quittons la piste C 14 à une quinzaine de kilomètres à l’ouest de Maltahöhe. L’entrée des fermes de Burgsdorf et Moreson, autrefois distinctes mais appartenant toutes deux aujourd’hui à André Roussouw est repérable à  ses drums jaunes découpés qui tournent avec le vent. Nous prenons la piste privée longue d’une bonne dizaine de kilomètres qui mène à la première ferme, celle de Burgsdorf, un ancien poste militaire allemand commandé par le major von Burgdorff dont l’épouse Malta a donné son nom au village voisin, Maltahöhe, du temps de la colonisation germanique. Contrairement aux apparences plutôt sèches, nous sommes à la saison des pluies, et quelques jolies flaques d’eau laissées dans l’argile de la piste par un orage récent vont poser quelques problèmes à notre Toyota Corolla à 2 roues motrices. En essayant de repérer à pied à côté de la piste un passage latéral moins risqué, Marin et moi tombons sur un serpent  jaune de taille respectable qui file entre les hautes herbes. Au loin, un nouvel orage gronde et l’on aperçoit un épais rideau de pluie strié de puissants éclairs qui nous font comprendre qu’il nous faut faire vite pour atteindre Burgsdorf, sauf à passer la nuit sur la piste au milieu d’une flaque d’eau profonde de 50 cm. J’accélère, ça patine grave, mais la voiture ressort des flaques sur son élan, au prix d’une carrosserie qui est passée du gris métallisé au rouge latérite non proposé dans le catalogue de la marque. De temps à autre, nous apercevons un phacochère, un gnou, ou un dik-dik. Des rapaces se posent sur les piquets de bois qui jalonnent la route. Nous gagnons du terrain sous un ciel plombé qui ne présage rien de bon à brève échéance, franchissons quelques barrières à bétail et finissons par nous rapprocher du bosquet d’arbres verdoyant qui abrite les bâtiments de Burgsdorf. La pluie s’abat sur nous au moment où nous arrivons, et apparemment, il n’y a pas âme qui vive à Burgsdorf. J’ai un doute, car je suis passé, il y maintenant 48 heures, par mon frère en France pour prévenir nos hôtes de notre arrivée en fin de journée à la ferme. Et j’ai pu capter en passant la veille à Keetmanshoop un mail de réponse qui disait que la ferme était fermée aux visiteurs en ce moment, mais que pour nous il y aurait exception, et que nous serions probablement logés à Moreson, la ferme jumelle, celle qui abrite l’habitation principale de la famille du fermier, sur 3 générations.  Seul problème, Moreson est distante d’une bonne dizaine de kilomètres supplémentaires par rapport à Burgsdorf, et la piste est en train de se détremper. Avant que la situation ne soit trop dégradée, nous remontons dans la Toyota couleur piste, et fonçons vers Moreson. Un nouveau bosquet d’arbres finit par apparaître au loin, dans le sud, au bout de cet interminable chemin boueux.

Nous débouchons dans la cour de la ferme au milieu des hangars et des machines agricoles, des trucks et des quads. Il y a même un gros semi-remorque affecté au transport du bétail, des engins Caterpillar, des chambres froides dont les compresseurs tournent, mais personne. Nous faisons le tour de la grande maison d’habitation, qui semble fermée. Au moment où le doute s’installe sérieusement sur la tournure des choses alors que la nuit approche, un truck déboule de la piste derrière nous. Un gaillard d’une vingtaine d’années en descend, c’est Jacques, qui se présente comme le neveu d’André, le farmer. Les présentations sont vite faites, il nous attendait finalement à Burgsdorf, et nous a seulement vus redémarrer rapidement vers Moreson, alors il a sauté dans son truck pour nous rejoindre. Jacques nous explique qu’André et toute sa famille sont partis pour leurs vacances à Henties Bay, sur la Skeleton Coast, au nord de Swakopmund, où ils possèdent une maison de vacances. André, grand chasseur et grand pêcheur devant l’Eternel, y passe paraît-il l’essentiel de ses journées à pêcher, Henties étant le coin le plus réputé du pays pour la pêche à la canne depuis la plage. André Roussouw, issu d’une famille d’origine russo-germanique passée par l’Afrique du Sud, et son épouse Susanna, ont eu quatre enfants. Leur fils s’est tué accidentellement sur la route de Mariental il y a quelques années (les accidents sont souvent mortels en Namibie, à cause de la vitesse et du manque d’adhérence des routes et des pistes). Les 3 filles s’appellent Zelna, Gina et Dilene,appelée Leen. Zelna habite toujours Moreson, avec ses 3 enfants. Elle est veuve depuis 2008. Son mari, Nico de Klerk est mort électrocuté en 2008 en travaillant à Burgsdorf.. Leen, la plus jeune, s’occupe plus particulièrement de Burgsdorf. La vie a de ces détours…



Nous repartons vers Burgsdorf. L’orage est pratiquement passé, mais la présence du 4x4 de Jacques me rassure pour le franchissement des flaques où l’eau s’est accumulée.

A Burgsdorf, une première surprise nous attend.

L’ancienne ferme, entièrement transformée avec goût en guest farm,, est ceinturée à distance par un haut grillage de 4 mètres de hauteur. Nous allons vite en comprendre la raison. Deux guépards maintenant adultes s’avancent vers nous d’un pas lent mais décidé. Nous nous arrêtons net, et hésitons à descendre de voiture, mais Jacques nous y invite. Il nous présente Savannah et Thula, des animaux de compagnie un peu particulier, mais très beaux. Je remarque, sur la pelouse d’un vert éclatant qui tranche avec le bush aride qui nous entoure, une carcasse sanguinolente de bonne taille. En m’approchant, je m’aperçois qu’il s’agit d’une jeune chèvre à qui on a coupé la tête et les pattes, c’est plus esthétique pour les visiteurs : le repas des fauves (une tous les 2 jours).

Savannah et Thula nous reniflent consciencieusement un à un, Adélie prend sur elle, Barbara reste immobile pendant quelques instants, terrorisée. Et puis on s’habitue. Les deux guépards se mettent à ronronner comme des gros chats, et Jacques nous indique qu’ils expriment ainsi leur sérénité, et même leur satisfaction d’avoir de la visite. Leur pelage est magnifique, et leur regard, fait de deux grands yeux jaune intense, reste impressionnant. Après le départ des derniers passionnés de delta courant Janvier, Burgsdorf a été fermée pour la durée des vacances et l’intersaison touristique.

La deuxième surprise, c’est que la famille Roussouw l’a rouverte que pour nous, l’espace du week-end ! Même le personnel est là, nous n’allons pas manquer de soins ! Le bar est ouvert, les transats sont disposés à l’ombre des grands arbres, la piscine est pleine, les chambres luxueuses ont des rideaux de soie… Seul problème, quand Jacques nous indique nos chambres, Barbara est la première à en pousser la porte, et Savannah en profite pour se glisser discrètement derrière elle… En une seconde, le guépard saute sur le lit, s’y allonge d’aise et se met à ronronner deux fois plus fort, ce qui a pour effet de faire ressortir Barbara immédiatement de la pièce ! Jacques est obligé d’intervenir pour faire bouger le fauve mécontent de cette incompréhensible privation… Les enfants foncent dans la piscine, et Jacques nous explique, sous le magnifique roof de bois qui abrite la salle à manger et le bar ouverts, devant une Windhoek bien fraîche, l’histoire de sa famille, les liens de parenté, son père plongeur de diamants à Lüderitz qu’il a perdu, et son travail à la ferme depuis quelques temps. En ce moment, c’est lui qui garde les deux fermes, pendant les vacances de son oncle à Henties Bay avec ses 3 filles et leurs familles.

Soudain Adélie pousse une exclamation, mi-joyeuse mi-angoissée. Jacques et moi nous précipitons dehors : Savannah, décidément espiègle, s’est emparée d’une des tongues qu’Adélie a laissées au bord de la piscine. Le félin s’est sans doute dit : « Tiens, une Hawaïana ! Bonne marque, ça ! Je mange ! » Et il a entrepris de découper la tongue en petits morceaux… Jacques intervient à nouveau, mais cette fois, il doit se montrer presque violent, le guépard n’est pas décidé à lâcher son butin ! Jacques se confond en excuses, je fais de nouvelles recommandations de prudence à ma fille, mais je m’aperçois qu’elle est ravie que la tongue qu’elle vient de récupérer ait été partiellement bouffée par un guépard !

Nous dînons d’un repas pantagruélique, préparé par les femmes namibiennes dont les maris travaillent à la ferme. Il y a de quoi nourrir une dizaine d’invités, alors nous qui avons largement perdu depuis bientôt 3 ans l’habitude des excès de nourriture, pour une fois nous nous lâchons ! Omelettes, escalopes de springbok, bœuf rôti, pommes de terre sautées, salade de fruits, jus et vin sud-africain à volonté. Les effluves de la viande qui grille sur le braai (barbecue) à quelques mètres ont attiré les deux guépards qui rôdent autour de notre table. Jacques est contraint de les enfermer dans leur parc grillagé, juste à côté, le temps du repas. J’ai remarqué que dans cet enclos, les guépards passent l’essentiel de leur temps à observer d’un œil particulièrement intéressé le troupeau de chèvres qui, le soir venu, rejoint son abri à quelques dizaines de mètres de là. Les oreilles dressées, le regard fixe, et la position d’affût…

Je note que ces animaux, récupérés jeunes  par le farmer après la mort de leur mère,   désormais habitués à côtoyer les hommes, ont néanmoins conservé globalement  un comportement d’animaux sauvages. Ils ne seront jamais des animaux domestiques. Ils viennent vous voir quand ils en ont envie, mais s’éloignent quand bon leur semble, et se montrent totalement insensibles aux basses sollicitations pour chiens et chats que tente de leur adresser Adélie, jamais en retard de son intérêt pour les animaux.



Jacques nous propose une visite de la ferme et des environs pour le lendemain. Cela tombe bien, c’est Dimanche, et il a plus de temps libre que d’habitude. J’ai l’impression  que notre visite lui fait plaisir, il devait se sentir un peu seul à Moreson ces derniers temps. Les enfants s’enferment dans leur chambre à double tour, et Burgsdorf  retrouve le silence de la vaste nuit namibienne.

Le lendemain, Jacques nous emmène dans son truck vers le Sud, direction Moreson. Il nous montre sur la droite l’aire de décollage utilisée par les fous de delta, qui doit bien occuper 2 ou 3 hectares, une poussière sur les dizaines de milliers que compte la ferme.  Puis nous bifurquons vers la gauche, franchissons quelques barrières et nous dirigeons vers le pied d’une colline qui surplombe la plaine. Il y a là une petite ferme abandonnée, que la nature a entrepris de récupérer. Elle appartient aujourd’hui à André, le farmer, mais il ne l’utilise pas. Un drame s’y est déroulé il y a quelques années, le jeune fils de la maison bricolait un vieux 4x4 que ses parents l’avaient aidé à acquérir. Au volant de l’engin, il emmena un copain se promener sur la piste qui grimpe sur la colline, mais dans une manœuvre inappropriée le véhicule bascula, et le passager fut  écrasé dans l’accident. Le jeune conducteur redescendit en hâte prévenir ses parents, mais pendant que ces derniers montaient sur les lieux du drame, le garçon se suicida. Son père ne survécut pas longtemps au drame, et sa mère fut atteinte de troubles psychiques graves. Elle finit par abandonner la petite ferme. Depuis, la masure et les dépendances sont devenues un décor de western, l’éolienne tourne toujours en grinçant aux vents du désert, un vieux camion achève de se transformer en oxyde de fer… Jacques ouvre la porte bringuebalante et en sort deux paires de cornes de springboks qu’il offre aux enfants, ravis. Une chèvre a réussi l’exploit de s’enfermer toute seule dans un enclos. Jacques se demande comment elle a pu boire, survivre aux léopards et aux guépards, et la libère. Il nous emmène dans un corral (kraal) et nous montre l’engin à structure métallique utilisé pour immobiliser les bœufs lors du marquage à chaud et de la coupe des cornes des animaux. Un travail très physique, avec odeurs fortes et coulées de sang à la clé. Un petit ventilateur électrique fixé sur un foyer de forge gît sur le sol. Deux fils électriques s’en échappent. Jacques m’explique qu’il les branche sur la batterie d’un truck lors des opérations, pour attiser le feu qui portera au rouge la lettre N (comme Namibia) qui marquera à vif le bétail de la ferme de Moreson.

Nous quittons cet endroit étrange, et nous rendons à Moreson.



Comme la ferme est désertée par la famille en ce moment, nous avons droit à une visite complète de l’ensemble, ce qui permet, à défaut du contact avec les occupants, d’avoir une bonne idée de leur mode de vie.

Nous parcourons les hangars ouverts et fermés qui abritent les machines agricoles, les sacs de compléments alimentaires pour l’élevage, et tout un matériel qui montre qu’une ferme namibienne doit s’auto-suffire techniquement dans bien des domaines. Dans un des hangars, le farmer a fait dessiner sur le mur un arbre généalogique de sa famille, qui s’étale sur pas loin d’une dizaine de mètres de largeur. Un peu plus loin, Jacques me présente son véhicule préféré à la ferme, qui n’en manque pas : un 4 x 4 spécialement conçu pour la chasse dans le bush. Cet engin très dépouillé est construit spécialement en Afrique du Sud pour la chasse, et plus particulièrement, ce qui n’est pas très équitable à mon goût, pour la chasse nocturne. L’engin, outre le fait qu’il passe partout, est muni de supports divers, pour les projecteurs, pour les carabines de tir, le matériel divers, et il est muni d’un treuil à l’avant qui, par l’intermédiaire d’un pouliage, permet de hisser les animaux tués dans la benne. Dans un coin, je vois des photos de retour de chasse où des springboks et autres antilopes locales sanguinolentes pendent, attachées par les pattes, aux ridelles du véhicule A Burgsdorf viennent aussi des « chasseurs », version moderne sans doute, qui achètent le droit de tuer tel ou tel animal. Une pratique qui aide peut-être la ferme à vivre mais qui me laisse songeur… Plus loin, il y a les réservoirs à eau, à carburants, les éoliennes qui amènent l’eau à la surface en la puisant dans la nappe phréatique, le fumoir à viande. La ferme est équipée de grandes chambres froides, et de congélateurs. On ne va pas faire les courses tous les jours, où irait-on ? Le plus proche magasin d’avitaillement est à Mariental, à 150  km de Moreson… Jacques nous montre les quartiers d’antilopes congelées, les réserves d’aliments sous vides, les denrées dont certaines sont revendues aux travailleurs de la ferme. Il nous sort une Windhoek fraîche du grand frigo. La double ferme de Moreson et de Burgsdorf bénéficie d’un avantage énergétique majeur. André Roussouw s’est battu avec succès pour obtenir du gouvernement namibien l’acheminement de l’électricité jusqu’à ses fermes, un atout dont il a fait profiter également ses voisins. L’alimentation électrique est donc permanente (ce qui autorise l’emploi de chambres froides par exemple), contrairement à beaucoup d’autres fermes qui utilisent un groupe électrogène. Nous apercevons là-bas, à quelque distance en abord des bâtiments agricoles, les petites maisons de bois et de tôles où vivent les familles des ouvriers namibiens qui travaillent à Moreson. Mais nous n’irons pas les voir de plus près, je pense que l’idée de notre éventuel intérêt pour la façon dont vivent les employés noirs de la ferme ne traversera pas une seconde l’esprit du sympathique Jacques. Il y a simplement deux modes de vie très différents et juxtaposés, et apparemment, les choses sont ainsi et se passent sans heurts a priori. Le contraste des niveaux de vie est tout de même saisissant. Pourtant, en ce qui concerne les relations entre Blancs et Noirs, la Namibie est bien moins conflictuelle que l’Afrique du Sud. Il n’y a pas de problème majeur en Namibie sur ce sujet, mais en même temps, il est difficile pour les visiteurs non impliqués que nous sommes, de ne pas constater la très inégale répartition des richesses entre quelques 100 000 Blancs et plus de 2 millions de Noirs.

Néanmoins, je me garde de juger trop vite, je ne suis pas né dans ce pays, je n’y ai pas grandi. Je regarde, j’écoute et je me fais une idée personnelle, mais je m’arrête là. Le sujet est difficile. Chose très rare en Afrique, dont c’est un des problèmes majeurs, les conflits tribaux en Namibie n’existent pas. C’est une chance incroyable de développement pour le pays.

Dans la cour, le gros semi-remorque de la ferme fait une fois par mois le voyage de Maltahöhe à Durban, en Afrique du Sud. Il est capable d’emmener 1000 chèvres d’un coup ! En ce moment, c’est la grande affaire de Jacques, qui apprend, avec l’employé namibien d’André responsable de ces voyages réguliers, à le conduire vers la métropole africaine, où le livestock (bétail sur pied) de Moreson est vendu essentiellement aux Zulus pour l’élevage et aux Indiens pour la consommation. Le livestock de la ferme de Moreson est difficile à comptabiliser. Le farmer l’estime à une tête de bétail à l’hectare. Les moutons et les chèvres paissent sur le plateau, plus sec, les bovins dans la plaine, où l’eau est plus accessible. L’ensemble des deux fermes couvrent environ … 70 000 hectares ! En gros, elles occupent un rectangle de 35 km sur 20. (petit rappel un hectare = 100 m x 100 m= 10 000 m2). 70 000 hectares, un animal par hectare, environ 70 000 têtes de bétail…



Question agriculture, la Namibie présente quelques chiffres hors-normes. La population n’étant que très légèrement supérieure à 2 millions de personnes pour une surface de quelques 824 000 km2, la densité de la population est à peine de 2,5 habitants au km2, l’une des plus faibles du monde. Mais le chiffre le plus impressionnant, et qui intéressera mon vieux père (ingénieur agronome) est sans doute le pourcentage des terres arables par rapport à l’ensemble des terres : moins de 2% ! Evidemment, les paramètres de la pluviométrie (entre autres) en Namibie sont loin d’être ceux de la Beauce, et le pays est obligé d’importer d’Afrique du Sud plus de 50% de sa consommation céréalière. L’agriculture, essentiellement orientée vers l’élevage extensif, est néanmoins un secteur important pour l’emploi, occupant directement ou indirectement près de 70% de la population. Mais la plupart des farms importantes, souvent de surfaces considérables (des milliers d’hectares de bush semi-désertique), sont la propriété de fermiers blancs, descendants d’afrikaners ou de colons allemands. La langue la plus couramment parlée par les Blancs en Namibie est l’allemand. La Namibie compte une centaine de milliers de Blancs qui tiennent encore aujourd’hui l’essentiel de l’économie du pays. En ce qui concerne l’agriculture, plus de 50% des terres exploitées du pays sont détenues par quelques milliers (4000 environ) de fermiers blancs. Le nouveau gouvernement namibien mis en place lors de l’indépendance (issu du mouvement de libération de la SWAPO, tendance modérée intelligente) a mis en œuvre une politique de redistribution progressive des terres entre Blancs et Noirs par voie de consentement (vente/achat négociés), mais il a choisi une voie pacifique, contrairement au Zimbabwe voisin, qui a largement joué de l’expropriation  violente, avec un résultat catastrophique à la clé. Mais le processus est très lent, d’une part parce que les fermiers blancs, qui aiment  leur vie et ce qui est aussi leur pays (la plupart des tribus noires qui habitent la Namibie aujourd’hui sont arrivées elles aussi par migration), sont peu enclins à vendre leurs terres, d’autre part et par voie de conséquence parce que le prix de l’hectare reste élevé y compris pour le gouvernement. L’élevage extensif est donc la principale activité agricole, représentant 75% des revenus du secteur. Il est principalement concentré dans le nord et le centre du pays. On compte en Namibie environ 2,5 millions de bœufs, à peu près autant de moutons, et 1,8 million de chèvres. 80% de la viande est exportée en Afrique du Sud et en Europe, souvent conditionnée sous vide et congelée.



La maison d’habitation du farmer est immense, de plain pied. Nous visitons les bureaux, le patio intérieur verdoyant où sont aménagés un bar, un immense coin braai avec d’ingénieux réglages, un salon extérieur, un petit jardin intérieur clos à ciel ouvert, les chambres, l’immense salon intérieur avec son immense écran de télévision par satellites, la salle de classe où les enfants de Zelna font l’école avec leur maman…



Après cette visite, nous cernons mieux le way of life des farmers namibiens … blancs. Une belle qualité de vie au milieu d’immenses espaces naturels, une activité agricole rythmée par l’élevage extensif du bétail dans des régions semi-désertiques de pâturages maigres, et un bon niveau de confort technique qui tranche singulièrement avec celui des employés namibiens qui habitent la ferme, à plusieurs dizaines de km du premier village. Le tourisme se développe vite en Namibie (4ème rang mondial pour le développement du secteur), et la plupart des grandes fermes ont aménagé leurs installations pour devenir des guests farms, une forme de tourisme intelligente où les deux parties trouvent leur compte.



Nous revenons à Burgsdorf en passant par un pan (point d’eau pour les animaux), dont Jacques doit donner par téléphone le niveau de remplissage à André, qui, derrière ses cannes à pêche à Henties Bay, sur la Skeleton Coast, s’inquiète du remplissage de ses nappes phréatiques…

Nous nous ensablons avec le truck, et il faut manier la pelle et pousser le Toyota pour s’en sortir. Quand nous arrivons au pan, le relevé de niveau est vite fait : le pan est à sec. L’orage d’hier est passé à côté, il faudra attendre encore. C’est vrai qu’en pleine saison des pluies en Namibie, on a du mal à imaginer se trouver en Ecosse…



Nous revenons à Burgsdorf en fin de matinée, partageons une partie de pétanque avec Jacques, parfois perturbée par Savannah qui s’intéresse de près au lancer du cochonnet. Nous récupérons nos affaires et saluons Jacques et les deux guépards de Burgsdorf, avant de prendre la piste vers Lüderitz, à plus de 300 km de là, qui passe par la merveilleuse C 13, au sud du village d’Helmeringhausen.

Nous nous endormons à bord de Jangada, bercés par des ronronnements de guépards imaginaires…


Photo 1 - Bienvenue à Burgsdorf Farm, près de Maltahöhe!

Photo 2 - L'accueil y est un peu particulier, mais très chaleureux...

Photo 3 - Jacques, le neveu du farmer, avec Thula et Savannah, deux splendides guépards...

Photo 4 - Burgsdorf, intégralement transformée en guest farm très confortable...

Photo 5 - Les enfants ont vite repéré la piscine, surveillée bien sûr...

Photo 6 - Savannah apprécie notre visite, et adore les matelas...

Photo 7 - Savannah suit de près la partie de pétanque...

Photo 8 - Marin, les cornes de springbok, et Thula , plus foncée que Savannah.

Photo 9 - Enième paire de tongues du voyage, mais celle-çi a eu un destin particulier...

Photo 10 - Quand les chèvres rentrent dans leur enclos, les guépards sont en alerte...

Photo 11 - Dans la lumière du soir, à Burgsdorf Farm...

Photo 12 - Dans le truck, entre Burgsdorf et Moreson...

Photo 13 - La piste qui conduit à Moreson, dans  les vastes étendues namibiennes...

Photo 14 - Jacques et l'équipage de Jangada, sur l'aire d'envol des fous de delta-plane...

Photo 15 - En revenant du pan asséché, un peu d'exercice...


Photo 16 - L'étrange ferme abandonnée après le drame...

Photo 17 - Adélie et le fer de marquage du bétail de Moreson...

Photo 18 - Les éoliennes de Namibie font partie du paysage. Elles puisent l'eau en permanence...

Photo 19 - Un peu d'exercice pour le Captain...

Photo 20 - Adélie et le vieux camion abandonné...