JOUR 4 – Lundi 20 Février 2012
Distance parcourue en 24H00 sur la route directe 153 milles.
Distance restant à parcourir 587 milles.
Le temps couvert a duré jusqu’à 17 heures hier après-midi. Deux ou trois heures auparavant, j’ai vu arriver avec plaisir dans le sud une ligne de ciel bleu de plus en plus large. Le beau temps revenait après une séquence nuageuse déventée.
Bonne nouvelle !
Le retour du soleil s’est accompagné d’un petit souffle de vent sur la hanche arrière bâbord d’une dizaine de nœuds, qui nous a déhalés toute la nuit à 5, parfois 6 nœuds. Rien de bien spectaculaire, c’est clair qu’on ne va pas battre le record de vitesse à la voile sur la traversée Walvis Bay/Sainte-Hélène ! C’est assez rare de pouvoir garder le gennaker toute la nuit, mais le temps était vraiment serein. En ce moment, nous avons 2 splendides planètes dans les étraves lorsque la nuit tombe, et je vais vous faire une confidence dont je suis peu fier.
Moi qui ai appris à naviguer professionnellement au sextant dans les années 70, moi qui ai fait des centaines, peut-être des milliers d’observations astronomiques avec ce bel objet (j’en conserve 2 exemplaires dans mes malles) dont je connaissais tous les secrets, je n’ai (après avoir hésité il est vrai) emmené à bord pour ce voyage aucun document de navigation astronomique (éphémérides nautiques, tables de calcul…) et j’ai laissé mes sextants au fond de leurs coffrets, au fin fond du Limousin, chez mon pote « le bio », Eric de son prénom.
Conséquence, je suis incapable de vous dire quelles sont ces deux planètes qui brillent dans le ciel chaque soir !
Un scandale !
J’opterais pour Vénus et Jupiter, mais c’est peut-être Mars, ou Saturne… La navigation moderne est plus précise mais moins romantique qu’auparavant.
N’importe quel clampin peut partir de nos jours sur la mer jolie en ignorant tout de la cosmographie et de la trigonométrie sphérique. Est-ce un progrès ? Je n’ai pas la réponse.
Hier soir, nous avons coupé la route maritime qu’empruntent les navires qui doublent la Côte d’Afrique et se dirigent vers l’Afrique du Sud. Nous avons aperçu au loin 2 navires, l’un montant, l’autre descendant. Du coup, cette nuit, mon minuteur de cuisine a repris du service pour la nuit. Il fait un drrrriiiiinnnnngggg particulièrement désagréable, c’est exactement ce que je lui demande !
Vers 2 heures du matin, le loch électronique de Jangada (enregistreur de distance parcourue sur l’eau calculée par le GPS) a franchi le seuil des 30 000 milles parcourus depuis les tours de La Rochelle. Plus que 6000 milles environ… Et vers 08H00 du matin, nous avons franchi la mi-route entre Walvis Bay et Sainte-Hélène, 608 milles de part et d’autre. En 3 jours et demi. Donc ça nous fait une traversée d’une semaine en gros, une bonne journée de plus que ce que j’avais prévu. Alizés faiblards et très sur l’arrière, j’aime pas trop… Vers 10 heures ce matin, Marin a signalé une silhouette étrange à l’horizon. Il a pensé à un porte-avions, mais les jumelles m’ont vite indiqué qu’il s’agissait d’un navire étonnant, dont il n’existe que 2 ou 3 exemplaires dans le monde : un cargo transformé et adapté au transport exceptionnel de portiques à conteneurs géants. Il a mis des heures à approcher, car ces portiques très hauts sur l’eau étaient visibles probablement à plus de 30 milles, alors que le navire ne devait pas progresser à plus d’une dizaine de nœuds. C’est étonnant de voir ces portiques géants transportés entièrement montés de la sorte, plutôt qu’en pièces détachées, mais il doit y avoir de bonnes raisons. Le bateau était chinois (biensûr, ils engrangent les commandes par les temps qui courent), et il se dirigeait vers l’arc antillais, ou l’Amérique du Nord. J’ai essayé de savoir où il allait, mais ces ploucs de chinois ne répondent même pas à la VHF… En le voyant passer à 300 mètres de nous, les portiques oscillant majestueusement d’un bord sur l’autre avec un mouvement de roulis ample et lent probablement parfaitement ajusté par ballastage d’eau de mer, je me disais que quelques ingénieurs avaient du passer des heures à faire des jolis calculs de stabilité, et même qu’ils avaient du les refaire plusieurs fois… Le chinois pas bavard a mis autant d’heures à disparaître à l’horizon dans le nord-ouest qu’il en avait mis à apparaître dans le sud-est. De loin, une espèce de grand voilier des temps modernes, de près le symbole de la mondialisation du business… Nous marchons trop lentement pour pêcher… Ce matin, John Deere (le tracteur embarqué) est sorti de son coffre de pont. Le grand spinnaker de vent arrière était content de revoir la lumière du jour, il sentait un peu le renfermé. Il nous tire à 4 ou 5 nœuds légèrement à droite de la route. Après sa journée de travail de 10 heures, il va regagner son coffre au coucher du soleil et cédera la place pour la nuit à son pote le gennaker, sur une route un peu plus près du vent, mais avec ou sans grand-voile, c’est toute la question qu’il va falloir résoudre d’ici là…
A demain !
Olivier
Voilà deux jours que la vie à bord de Jangada est souriante, j'entends par là qu'un petit vent nous pousse tranquillement, que le pont est sec, et que l'on peut vivre autrement qu'en position horizontale à l'intérieur du petit carré. Ainsi depuis deux jours nous pouvons faire Cned, certes à l'oral mais ça n'empêche qu'en deux fois 2 heures, le cours d'éducation civique de la nouvelle séquence a été liquidé, du jamais vu en mer, et je vous garantis que c'est satisfaisant de penser que les heures de retard dans les cours ne s'accumulent pas déjà. Ensuite avec ce temps de demoiselle on peut s'installer avec plaisir à l'extérieur en bouquinant sans se faire arroser copieusement comme lorque la vitesse du bateau dépasse les 8 neuds. En ce moment,je lis environ un livre et demi par jour et je regarde le stock fondre avec angoisse. Aujourd'hui je suis tombée sur une perle ( merci Karen de ce cadeau):La formule préférée du professeur de Yoko Ogawa, édition Babel, c'est délicieux!
Comme la cuisine et la cambuse sont stables, je prends plaisir aussi à cuisiner, au menu ce soir, une tarte aux carottes.
Adélie se livre à l'écriture, ce qu'elle ne fait pas non plus dès que le vent forcit. Bref il en faut pour tous les gouts en mer, mais personnellement vous l'aurez compris, mettre un peu plus de temps pour rallier une destination tout en ayant l'impression de profiter des journées qui passent, me convient.
Nous apprécions le retour du soleil et de la mer bleue, cela sied nettement mieux à Jangada que les eaux froides et sombres des côtes Namibiennes.
Je vous embrasse,
Barbara