Par Olivier
D’abord la Mer d’Arafura, puis la Mer de Timor.
Après notre passage du Détroit de Torrès, le beau temps est revenu au-dessus de notre catamaran. Dans les premières heures de notre navigation sur les eaux bleu pastel de la Mer d’Arafura, une mer peu profonde au fond particulièrement plat, nous apercevons encore de temps à autre quelques petits serpents marins, qui relèvent la tête hors de l’eau à notre passage sur leur terrain de chasse, et quelques tortues marines qui plongent à notre approche. Cette première semaine de mer dans l’Océan Indien restera dans notre mémoire comme l’une des plus agréables depuis notre départ de La Rochelle. Beau temps inamovible, vent portant d’une quinzaine de nœuds, mer belle. Pas de houle, empêchée par la présence, au vent, de la massive côte australienne. Un train de sénateur à bord de Jangada, qui vit même John Deere, le grand spi de vent arrière, rester à poste deux nuits durant. Un noddi brun fatigué vint passer une nuit à bord. L’avion des douanes australiennes, un bimoteur marqué « Customs », nous survola plusieurs fois, arrivant directement sur nous par l’arrière à basse altitude, en général en fin de journée ou début de nuit. S’ensuivait parfois un petit interrogatoire VHF, toujours le même. Mais au fur et à mesure que nous progressions vers l’ouest et la Mer de Timor, le zéphyr devint de plus en plus évanescent, et la risée Volvo, sur un moteur d’abord, puis deux, dut prendre la relève en fin de traversée. J’avais tracé une route légèrement au nord de la route directe pour éviter quelques champs pétroliers offshore, et nos seules rencontres furent, en fin de parcours, celles de pêcheurs de Timor présents sur les bancs du large.
La silhouette nouvelle et caractéristique de leurs embarcations, sur le pont desquelles je pouvais apercevoir aux jumelles des marins à la peau foncée et à la tête enturbannée, faisait invariablement penser à quelques bateaux pirates de la Mer des Célèbes (non loin de là, au nord), et aux récits que j’adorais lire dans ma jeunesse. Pour l’heure, je n’hésitais pas, de nuit, dès que j’apercevais leurs feux de travail, à naviguer avec tous nos feux éteints, et au pire, avec seulement notre feu flash clignotant de tête de mât ; un feu toujours intriguant quand on le croise de nuit, et qui ne donne pas directement, seul, l’indication du type de notre bateau ni celle de la direction suivie par notre voilier. Je n’hésitais pas non plus à modifier le cap de quelques dizaines de degrés pour passer à plus grande distance de ces bateaux de rencontre. Mais ces pêcheurs étaient le plus vraisemblablement parfaitement pacifiques. Il fallait seulement que notre esprit et notre imagination s’habituent à l’Asie, notre nouveau terrain de jeu.
Cependant, je me méfie, par principe de précaution, de ce que j’appelle la piraterie d’opportunité, celle qui verrait un équipage de navire de pêche local avec à sa tête un capitaine peu scrupuleux se transformer pour l’occasion (qui ferait en l’occurrence le larron), au large des côtes, en équipage pirate occasionnel capable d’une agression contre un voilier de passage. Dans ces circonstances, de jour, je laisse toujours planer un doute sur la composition réelle et le nombre de membres d’équipage de notre voilier, et je demande aux jolies filles du bord, au nombre de deux, d’éviter de se montrer. Depuis que je me suis séparé, entre les Galapagos et les Gambier, par 4000 mètres de fond, d’un revolver de gros calibre embarqué au départ à titre préventif pour notre passage aux Iles du Cap Vert (Mindelo surtout), au Sénégal (Dakar principalement), au Brésil, au Venezuela et au Panama (dans ces trois pays partout… principalement !), je me sens, il est vrai, sensiblement moins capable de dissuasion. Il me reste une matraque en teck massif habilement dissimulée sous la table du cockpit, deux fusils sous-marins, et un pistolet de détresse, normalement destiné à tirer des fusées rouges, mais qui tire aussi des cartouches détonnantes, lesquelles explosent à 250 mètres de hauteur en faisant un bruit … de canon, digne de l’artillerie embarquée de La Boudeuse !
En approchant de la pointe sud-ouest de l’île de Timor, le vent reprend et souffle à 25 nœuds établis, ce qui ne fait pas nos affaires. Nous avons en effet décidé d’arriver de jour, car le petit détroit qui sépare Timor de l’île de Semau est encombré, paraît-il d’un grand nombre de bateaux de pêche, qui ne facilitent pas le passage de nuit. Nous mettons en panne à une vingtaine de milles de l’extrémité sud-ouest de Timor, à la tombée de la nuit, mais le bateau dérive à sec de toile à plus de 3 nœuds sur le fond.
Je décide de dormir deux heures puis, la situation devenant peu confortable, nous renvoyons la grand-voile à 2 ris et le foc en ciseau, route sur le détroit. Le radar est en panne depuis des semaines, et c’est une des rares fois où il aurait été réellement utile. Il faudra s’en passer. La nuit est noire, et lorsque nous virons la pointe de Timor en serrant le vent, Marin et moi découvrons dans le détroit une barrière lumineuse quasi continue de navires de pêche qui travaillent aux lamparos ! Ce constat peu enthousiasmant fait un peu monter la pression à bord de Jangada, car nous ne savons pas exactement avec quels types d’engins ces bateaux travaillent. De plus, ce qui semble bien être des bouées à feux scintillants ajoute à l’encombrement du passage qui ne fait que quelques petits milles de large. L’esprit du skipper, qui se doit d’anticiper en permanence, imagine alors facilement des manœuvres de barre in extremis, des filets piégeant nos ailerons anti-dérive, des bouts pris dans nos hélices, et des pêcheurs indonésiens en colère qui gueulent dans la nuit… Seul point rassurant, la cartographie électronique semble bien calée. Par précaution, nous affalons la grand-voile, n’envoyons que la moitié du solent, et démarrons les deux moteurs pour être immédiatement manoeuvrants. Pour une fois, tous nos feux sont allumés, car je me doute qu’avec leurs puissants lamparos, les pêcheurs ne doivent guère voir au-delà du périmètre de leur pont. Toutes ces conditions favorables étant réunies, nous nous engageons dans le détroit avec une certaine appréhension. Mais, comme d’habitude, l’œil et l’esprit s’habituent progressivement à la situation, et les choses se décantent doucement. Nous avons mis notre projecteur à main en batterie sur le pont, et, avec Marin, nous gérons la route anti-collision de Jangada bateau par bateau, obstacle par obstacle. Nous nous en sortons pas trop mal, et sur l’écran de l’ordinateur de navigation, la trace électronique du voilier progresse vers le nord. J’absorbe plusieurs soupes chaudes et quelques moques de café qui tiennent mes sens éveillés malgré l’heure tardive. Les senteurs de la terre traversent le détroit. L’épreuve durera cependant 3 à 4 heures, avant que la plupart des embarcations soient derrière nous. A l’approche de la sortie nord du passage, les lumières de Kupang dessinent dans le ciel un halo blanchâtre qui nous guide. Nous slalomons entre quelques cargos au mouillage, croisons quelques bateaux de charge aux moteurs pétaradants faiblement éclairés et gagnons ce que nous pensons être une zone de mouillage possible jusqu’au jour. Je repère une vedette militaire au mouillage, et m’en approche.
L’ancre tombe dans la vase à quelques dizaines de mètres du rivage. Les odeurs de la ville, aux effluves discutables, assaillent nos narines. Une pirogue à moteur passe à nous raser dans l’obscurité. Il est 03H00 du matin passées. Nous avons quitté Port-Moresby il y a un peu plus de 9 jours.
Bienvenue en Indonésie ! Bienvenue en Asie !
Le lendemain matin, le muezzin suivi une heure plus tard du bruit déjà soutenu de la circulation me réveillent tôt. Je découvre Kupang, une ville qui ressemble à certains villages de pêcheurs de la côte portugaise de l’Atlantique : masures de béton, toits de tôle, falaises rocheuses encadrant de petites plages qui se révèleront d’une incroyable saleté.
Timor a surtout été connu de l’Occident, à partir du début du XVI ème siècle, pour son bois de santal. Les Portugais ont disputé la place de Kupang aux Hollandais de la V.O.C (Vereenigde Oostindische Compagnie) – la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales – dès 1650. Par la suite, les Portugais s’établiront dans l’est du Timor, tandis que les Hollandais occuperont l’ouest de l’île. C’est ce qui conduira, beaucoup plus tard, en 1974, à l’envahissement du Timor oriental (ex-colonie portugaise, qui venait de déclarer son indépendance) par l’Indonésie après la « révolution des œillets » survenue à Lisbonne, alors que le Timor occidental avait été préalablement intégré, lui, dans la colonie batave des Indes néerlandaises, qui avait obtenu l’indépendance en 1945, pour devenir l’actuelle Indonésie. Occupation meurtrière qui ne prit fin qu’en 1999 avec l’arrivée des forces de l’ONU à la suite du referendum organisé sous la contrainte internationale par l’Indonésie, lequel vit plus de 80% de la population du Timor Oriental refuser l’intégration dans l’état indonésien, malgré le terrorisme d’état mis en place dans la province. En 2002, le Timor Oriental a été reconnu indépendant, Kupang restant simple préfecture de la province indonésienne du Timor Occidental.
Du temps de l’arrivée à Kupang - c’était le Lundi 15 Juin 1789 - de la chaloupe du Capitaine William Bligh et de son équipage rescapé de la traversée de près de 4000 milles marins effectuée depuis l’île volcan de Tofua, aux Tonga, le comptoir batave de Kupang, dont le gouverneur de l’époque, Guillaume Adrien Van Este était alors mourant de fièvres, ne devait rassembler que quelques baraques et entrepôts de bois, et quelques voiliers de charge au mouillage sur rade.
Aujourd’hui, Kupang grouille de vie, mais nos premières impressions indonésiennes se limitent d’abord aux nuisances locales : bruit incessant des innombrables deux-roues motorisés (entre 50 et 125 cm3 de cylindrée), pollution de l’air par les gaz d’échappement, odeurs nauséabondes d’égouts et de décharges à ciel ouvert, et omniprésence de détritus en tous genres, les emballages et objets en matières plastiques étant bien sûr très majoritaires…
Si l’on ajoute à cela que le mouillage devant Kupang, sur une eau couleur indéfinie mais en tous cas glauque au milieu des sacs et autres bouteilles en plastique à la dérive, rythmé dès 04H30 du matin par l’appel à la prière du muezzin (bien que la population de l’est indonésien ne soit pas majoritairement musulmane, mais chrétienne), pas vraiment abrité, est exposé à la brise thermique qui a tendance à sérieusement se renforcer en milieu de matinée, on comprend que la seule vraie raison de notre escale ici est d’accomplir nos formalités d’entrée en Indonésie, ce qui, de notoriété publique chez les marins au long cours, n’est pas forcément si simple.
C’est qu’à la différence de la Papouasie Nouvelle-Guinée, où la corruption des fonctionnaires est sporadique, elle est ici généralisée, institutionnalisée. Inutile de tenter de passer outre, ce serait une erreur de stratégie. Ici, l’objectif est différent : il s’agit d’obtenir tous les papiers nécessaires à une croisière en Indonésie au plus vite et au moindre coût. C’est un autre challenge, qui ne me déplaît pas.
Ces difficultés administratives, qui s’ajoutent à l’absence de guide de croisière et à l’imprécision des cartes marines, ainsi qu’à une certaine phobie de la piraterie dans l’archipel indonésien, poussent la plupart des voiliers à rejoindre le rallye Sail Indonesia qui part chaque année fin Juillet de Darwin en Australie pour rejoindre Kupang au Timor, puis différentes escales dans l’archipel programmées avec le gouvernement indonésien (avec une couverture par la marine locale) vers Singapour, la Malaisie, et la Thaïlande. Mais, à bord de Jangada, nous n’aimons guère les rallyes organisés et l’ambiance de transhumance nautique bavarde et autres potlucks qui vont en général avec. A nous, plutôt, les chemins de traverse !
Les formalités indonésiennes ont commencé pour nous il y a 2 mois, au Vanuatu, avec notre demande par e-mail à un agent sélectionné de Djakarta (Arlytha Kustaryono) d’établissement d’un permis de croisière (C.A.I.T , Clearance Approval for Indonesian Territory) document indispensable pour naviguer dans l’archipel indonésien. Laquelle fut accompagnée d’un virement Western Union de 1 850 000 roupies indonésiennes (environ 160 euros) effectué depuis Port-Vila. Parce que la durée prévue de notre séjour est inférieure à 2 mois. Dans le cas contraire, il faut en sus une lettre de sponsor et 350 000 roupies de plus. Les démarches s’étaient poursuivies à Port-Moresby (PNG) pour l’établissement des visas de séjour, ce qui nous avait valu une expédition à travers cette ville paisible et sûre. L’établissement à Djakarta de ce fameux C.A.I.T s’est parfaitement bien passé, et comme convenu avec notre agent sur place, le document, dûment signé par les ministres de la Défense, des Affaires Etrangères, et des Transports indonésiens, m’attend chez l’agent local de Kupang, un certain Napa Rachman, incontournable personnage quand on arrive à Kupang. Vous ne pouvez pas tenter de poser le pied entre deux détritus sur la plage de Kupang sans qu’un ou deux hommes de main de Napa vous aident à débarquer dans les rouleaux malodorants tout en vous indiquant la direction du Lavalon, le bistrot déglingué qui sert de point de rencontre à Napa avec ses clients. Napa fait profession d’être le corrupteur agréé officiel des autorités de Kupang. Ses hommes de main sont aussi des rabatteurs, car depuis quelques temps, la chasse gardée du business de Napa s’est vue compliquée par l’émergence d’un concurrent, un certain Domingus, au faciès de caïd de la drogue, probablement encouragé par les autorités corrompues de Kupang pour … faire monter les enchères ! Bien sûr, Napa et Domingus se détestent, et je ne serais pas outre mesure surpris que l’un des deux personnages soit retrouvé un jour dans l’un des nombreux égoûts à ciel ouvert de la ville. . La première chose à faire, c’est de choisir son camp, Napa ou Domingus, mais évidemment sans le montrer jusqu’à la fin de la négociation sur le coût de la « prestation » qui sera versée au corrupteur agréé, lequel inclut bien sûr l’argent de la corruption qui sera réparti et versé par l’ « agent » aux différents « services », ainsi que sa propre rémunération. Je me suis bien renseigné auparavant, y compris sur Internet, et j’ai choisi Napa, d’une part parce qu’il travaille avec Arlytha, notre agent de Djakarta qui a fait un boulot réglo, et d’autre part parce qu’il est le plus ancien sur la place. Napa a été informé de notre arrivée par un mail que je lui ai envoyé 48 heures auparavant. Il est sur les dents de peur que je passe à la concurrence, et, lorsque je le retrouve au Lavalon, le bistrot déglingué d’Edwin, il est réellement content de me voir, un bonheur qui se lit avec des dollars australiens au fond des yeux, vous vous en doutez ! Ceci dit, et puisque ici il n’y a aucun autre choix possible (ceux qui, choqués par cette situation, ont voulu passer outre la corruption officielle pour se présenter eux-mêmes aux autorités se sont fait renvoyer sévèrement vers les « agents » ou bien leurs études bibliques, et n’ont jamais obtenu leurs papiers d’entrée dans le pays !), je n’ai pas eu de problème avec Napa : il a effectué pour nous en 36 heures un travail impeccable, une prestation qui évite toute démarche de notre part ainsi que la moindre visite de la moindre autorité à notre bord. Du beau travail. Evidemment, il faut bien cadrer Napa au départ. Lorsque je l’ai rencontré la première fois au Lavalon devant ma première Bintang (la bière indonésienne), il a d’abord essayer de me tirer 100 000 roupies rien que pour me remettre l’original de notre C.A.I.T envoyé par Lytha, son associée de Djakarta. Alors que cette prestation avait déjà été payée par un transfert Western Union. J’ai éclaté de rire, et pour déstabiliser Napa, je lui ai d’emblée indiquer qu’on parlait beaucoup de lui sur Internet. J’avais aussi pris la précaution, en lui annonçant notre arrivée par e-mail, de lui indiquer que je voulais le rencontrer seulement pour qu’il me remette l’original de notre C.A.I.T, laissant ainsi planer un sérieux doute sur notre intention d’utiliser ses bons et loyaux services… Napa avait donc peur que je passe à la concurrence, ce qui est bon pour le commerce, et c’est tout juste s’il ne m’a pas engueulé de ne pas lui avoir indiqué notre heure exacte d’arrivée sur rade, ce qui l’a probablement obligé à activer (et à rémunérer de quelques centaines de roupies) son réseau d’informateurs/rabatteurs du front de mer. Bref Napa était conditionné pour se contenter du minimum syndical des corrupteurs, l’initiative de la négociation restant de mon côté. Dans un grand rire, je donne une tape dans le dos de Napa : il a compris qu’il n’y aurait pas de supplément pour la remise de notre C.A.I.T, et j’ai pu négocier une prestation de corruption globale à 100 dollars australiens, un bon prix car il obtient souvent plus du double. Napa tente de me convaincre que je le paye une misère, et qu’il ne lui restera rien. Une petite appréhension me traverse un instant l’esprit au moment où je remets l’original de l’acte de francisation du bateau et nos 4 passeports à Napa, mais cela fait partie du jeu. Tout se passera bien, et je récupèrerai l’ensemble des documents originaux et tamponnés le lendemain, au Lavalon, devant un thé au gingembre.
Napa, qui a du vendre plusieurs fois sa mère, me propose tout, du gas-oil en bidons pour le bateau à l’achat de poisson au marché de Kupang en passant par des excursions au Timor Occidental. Il prend sa commission sur tout. Je l’arrête tout de suite. Il tente encore de me soutirer un peu d’alcool, car Napa a une conception assez large des préceptes de l’islam. Nous nous quitterons bons amis.
Au Lavalon, Edwin l’indonésien me raconte l’histoire de la scission du Timor, selon lui largement encouragé en sous-main par les grandes compagnies pétrolières internationales, trop contentes de pouvoir traiter à l’est avec un petit état tout neuf et sans moyens. Son petit bistrot niché sur la falaise surplombant la mer est tellement déglingué qu’on se demande comment il peut proposer le free wi-fi. Et pourtant, ça marche ! Tous les occidentaux passent par le Lavalon car les Internet Cafés ne sont pas légion à Kupang. De vieux indonésiens à la bouche rouge sang, mâchouillant à longueur de journée leur bétel, y proposent de beaux ikats, ces étoffes colorées aux motifs élaborés dont les fils, avant d’être tissés par les femmes dans les villages, sont minutieusement noués et teints de colorants naturels. Edwin nous indique où faire nos courses, et nous sautons ainsi dans notre premier bémo, lesquels circulent par centaines dans les villes indonésiennes : minibus d’une dizaine de places, vraiment étriqués pour moi, mais j’arrive à m’y glisser. Décoration poussée au top et sono idem, conduits par des jeunes (15/18 ans) qui font équipe ensemble : le chauffeur, un as du klaxon de naissance, qui doit vraisemblablement être sourd vers 30 ans et mourir d’un cancer des poumons à 40, et son rabatteur, qui passe ses journées sur le marche-pied de la porte latérale, toujours bloquée ouverte, pour héler les clients et aider au démarrages qui suivent les fréquents arrêts. Prix unique en ville 2000 roupies (soit en gros 20 centimes d’euros), quelle que soit la distance parcourue. Nous ressortons du mini super-marché chinois avec des sacs pleins les bras. Non loin de là, je réussis à trouver de l’huile diesel fabriquée à Singapour en prévision de mes vidanges moteurs, et même de l’eau déminéralisée pour les batteries. Mais avec 30 kilos de marchandises sur les bras et à 4, le bémo classique est inenvisageable pour nous ramener vers le front de mer. Un vigile en faction devant la banque voisine, armé d’un gros fusil à pompe, décide de nous aider. Il parle quelques mots d’anglais (ce qui s’avèrera rare en Indonésie, du moins dans les Iles de la Sonde) et nous arrange le coup avec un chauffeur de bémo hors service qui passe à vide, un truc rarissime. Nous retrouvons l’annexe, tirée sur la plage avec ses roues, laissée sous la garde de l’unijambiste du quart-monde, informateur et rabatteur de Napa, à qui nous laisserons 10 000 roupies en quitttant Kupang.
Notre ultime démarche au Timor sera d’aller nous faire couper les cheveux dans une minuscule officine locale, tenue par une jeune et jolie indonésienne qui fait bouger la nuée de ses copines pour nous faire de la place. Le premier à s’y coller est Marin, qui fait une gueule terrible. Comme moi, il a horreur d’aller se faire couper les tifs ! Mais quand de surcroît l’affaire se passe dans un salon féminin au milieu d’une flopée de jeunes filles qui ne parlent pas un mot de glaouche mais piaillent à n’en plus finir des commentaires incompréhensibles en lorgnant abusivement sur son physique de jeune homme occidental, là c’est le pompon ! Barbara est obligée de raisonner notre ado furibard, mais c’est tendu. Prudent, je passe en second, et la bougresse me rase, ou à peu près ! Barbara adore, moi je déteste. En fin de séance, je suis surpris, elle me lave les cheveux avec un petit massage du cuir chevelu, mais après la coupe, et non pas avant. Chacun sa civilisation ! C’est Adélie qui, ô surprise, terminera la séance, elle qui a une sainte horreur qu’on s’intéresse à l’épaisseur de ses cheveux blonds, lesquels font bien sûr un tabac en Indonésie, où la couleur normale des tifs est le brun noir, mais non crépu. Je laisse royalement 75 000 roupies à la donzelle, soit 25 000 la coupe comme convenu (un peu plus de 2 euros), et j’ai plaisir à voir notre petite coiffeuse radieuse, heureuse de ce chiffre d’affaires inespéré.
Le lendemain, nous quittons sans trop de regrets le mouillage venté de Kupang ; documents en poche, mission accomplie, cap au nord vers Lembata, notre première île de l’archipel de la Sonde…
Photo 2 - John Deere au travail par petite brise portante.
Photo 3 - Un noddi brun fatigué vient passer la nuit à bord.
Photo 5 - Séance patisserie en Mer de Timor...