vendredi 22 juin 2012

Billet N°163 – Escale à Sao Miguel, Açores…

Du Mardi 8 au Jeudi 10 Mai 2012
Par Olivier

Traversée rapide depuis Terceira, appareillage d’Angra do Heroismo à la nuit tombante, arrivée en vue de Ponta Delgada avant le lever du jour le lendemain.



Je découvre sur le dépliant édité par la société qui gère désormais l’ensemble des marinas des Açores (www.marinasazores.com) , que le port de Ponta Delgada abrite maintenant une marina beaucoup plus grande que celle d’origine, que j’avais connu  jusqu’alors.



Les Portugais ont vu grand lorsqu’ils ont construit les jetées principales qui abritent les ports insulaires de l’archipel. Je suppose que la raison fondamentale de ce choix est qu’ils visaient d’abord à créer une zone de mouillage abritée conséquente, avant de penser à obtenir un linéaire de quai important. Pendant des décennies, depuis la fin du XIX ème et le début du XXème siècles, date à laquelle la plupart de ces jetées ont été construites, les navires à passagers, les navires de charge, et les bateaux de pêche jetaient l’ancre dans les ports açoriens, à l’intérieur de la jetée d’abri. Ils n’allaient que rarement à quai. Ils avaient besoin d’espace pour leurs manœuvres de prise de mouillage et d’appareillage. Et les opérations d’embarquement/débarquement, chargement/déchargement, ou transbordement, s’effectuaient avec des vedettes, des allèges, des barges ou des barques. Les navires n’allaient que rarement s’amarrer le long des jetées, et de ce fait, ils disposaient, comme tous les navires de l’époque, d’un gréement adapté pour les opérations commerciales (mâts de charge) au mouillage. Les grues de quai n’existaient pas encore (et je ne parle pas des portiques à conteneurs d’aujourd’hui !). L’amarrage à quai était relativement rare également du fait du ressac, qui était fréquent dans les îles, et qui pouvait être très destructeur pour les apparaux de manœuvre.

La plupart des digues ont d’ailleurs été prolongées au fil des années. Aujourd’hui, le vaste espace abrité disponible à l’intérieur de la jetée principale des ports açoriens a permis au gouvernement régional, avec l’aide financière de l’Europe, de construire 7 marinas publiques dans l’archipel (seules les îles de Corvo et de Graciosa n’en ont pas), sans pour autant que ces installations ne gênent les manœuvres et les opérations commerciales des navires qui, aujourd’hui, s’amarrent systématiquement à quai, bien sûr.



Pour le plaisancier européen, ou nord-américain, l’existence de ces nouvelles infrastructures modernes (à la gestion centralisée, mêmes prix pratiqués quelle que soit la marina) aux Açores change complètement la donne. Auparavant, une croisière aux Açores s’adressait plutôt à des marins confirmés, car, outre la traversée océanique nécessaire pour rejoindre l’archipel (1200 milles depuis La Rochelle environ), les bons mouillages forains sont rares dans les îles, ce qui oblige à suivre de très près l’évolution météorologique, mais en pratique, contraint à standardiser l’itinéraire, au détriment de certaines îles. Depuis peu, l’existence de ces 7 marinas autorise une vraie croisière de découverte de l’archipel des Açores qui peut s’étendre sur plusieurs semaines, à la belle saison. Les tarifs y sont très raisonnables (c’est toujours cher pour amarrer un voilier, mais sensiblement moins cher qu’en France, et le Wi-fi est très souvent disponible sur les pontons !), et l’accueil souvent sympathique. De plus, une autre solution alternative se profile pour les plaisanciers futés qui n’ont pas peur du large : laisser son voilier aux Açores pour l’hiver. Les tarifs longue durée sont très abordables, et cette solution permet de passer plusieurs mois dans l’archipel à la belle saison. Il y a en ce moment, chose inhabituelle pour les Européens, environ 50 % de places disponibles à l’année dans les marinas des Açores, sauf à Horta, dont la marina, idéalement placée sur la route du retour des Caraïbes,  est plus courue.

Ceci dit, pour envisager un hivernage de son bateau aux Açores, il faut tout de même bien choisir sa marina et son poste à quai. Certaines installations sont plus exposées que d’autres au ressac océanique et aux coups de vent d’hiver, qui surviennent lorsque les dépressions de l’Atlantique Nord  passent sur l’archipel, gagnant en latitude sud du fait de l’abandon de poste provisoire de l’anticyclone des Açores, dont la position moyenne en latitude suit le mouvement de la déclinaison du soleil, comme les alizés et la ZIC.



Nous nous faufilons entre  deux pontons de la nouvelle marina de Ponta Delgada, justement pas la mieux protégée de l’archipel. Les pontons dansent fréquemment, le fetch à l’intérieur du port est déjà important. Et il y a tellement de places inoccupées dans cette marina que les goélands squattent volontiers les pontons. Attention aux glissades en cas d’excès de Sagres ou de Super Bock ! Des fils de pêche transparents, pratiquement invisibles pour les oiseaux, ont été tendus à hauteur d’homme pour les dissuader d’entreprendre leurs atterrissages.

Bref, cette grande marina est assez impersonnelle, et c’est celle que j’apprécie le moins aux Açores. D’autant que les bureaux sont restés sur le site de la marina d’origine, sans doute pas un hasard, ce qui oblige à une bonne marche pour aller accomplir les sacro-saintes formalités.

Le centre ville de Ponta Delgada, capitale de l’archipel et de la région autonome des Açores, est assez agréable, à condition d’éviter les périodes estivales, pendant lesquelles l’afflux de touristes dégrade sérieusement l’ambiance générale, a fortiori lorsque 1 ou 2 paquebots de 2 à 4000 passagers chacun sont en escale dans le port. Les ruelles commerçantes pavées au-dessus du centro sont attrayantes, les petits restaurants açoriens sont légion, et la Praça Gonçalo Velho Cabral ne manque pas de charme, qui vous conduit à l’Eglise principale de la ville, Igreja Matiz.



Nous louons une voiture et entreprenons de faire à peu près le tour de l’île.



C’est incroyable ce que cet archipel a pu se développer ces dernières années. En tant que région ultra-périphérique de l’Europe, les Açores ont profité à plein des aides diverses de l’Union Européenne. Je pense que les Açoriens ont vite appris à monter d’excellents dossiers de demandes de subvention auprès de l’Union. Ca en valait la peine, la réussite a souvent été au rendez-vous. Les effets en sont visibles partout. Je me suis laissé dire que la chasse à la baleine traditionnelle aux Açores, pourtant quasiment disparue dès la fin des années 1970, avait même été un très bon levier pour décrocher des subventions. Ecologiquement parlant, l’Europe ne pouvait pas se permettre de soutenir une région ultra-périphérique qui pratiquait encore épisodiquement la chasse aux cachalots, une activité politiquement incorrecte quand il fallait lutter contre les manigances de coursives de la Commission Baleinière Internationale, au sein de laquelle les chasseurs poids lourds tels que le Japon, la Russie, ou la Norvège avaient vite fait de montrer du doigt aux négociateurs de Bruxelles les images (néanmoins de plus en plus rares) de chasse artisanale aux Açores… Devant ce dilemme, il n’y avait qu’un choix politique permettant aux représentants européens de garder propre leur séant : exiger la totale cessation d’activité de la chasse baleinière aux Açores. Alors, pour obtenir ce résultat, l’Union a versé des subventions spécifiques, non pas tellement aux chasseurs de baleines eux-mêmes, devenus rares et désormais tous à la retraite ( !), mais à leurs descendants, lesquels arment aujourd’hui, dans toutes les îles de l’archipel, une impressionnante flotte d’embarcations semi-rigides occupées à proposer aux touristes de souscrire à une sortie de « whale watching » (observation des baleines).

Je me demande si les cachalots ne préféraient pas le bon vieux temps où, parfois, s’ils avaient pris le risque de se rapprocher un peu trop près des îles, il leur fallait, après avoir été aperçus par un guetteur posté dans la montagne qui avait envoyé les signaux de chasse, lutter de vitesse avec une baleinière açorienne mue à la voile et à l’aviron, dont le harponneur cherchait à leur planter son arme dans le dos, au péril de sa vie et de celle de ses associés…



Nous rejoignons par une petite piste de terre battue le village de Mosteiros, à l’ouest de l’île, où la lave a dessiné une multitude de piscines naturelles qui se remplissent et se vident partiellement au gré de la marée. Mais il n’y a plus guère de pêcheurs à Mosteiros, et nombre de petites maisons du village sont marquées « Se Vende », à vendre.



Nous grimpons aux lacs jumeaux, Lagoa Azul et Lagoa Verde, de Sete Cidades. Mais le plafond nuageux est bas, la vision est fugitive. Lorsque nous redescendons des hauteurs embrumées du Pico das Eguas vers le village de Capelas, nous tombons soudain nez à nez avec une scène étrange, dans laquelle, même après réflexion, je n’ai pas tout compris. Je freine sec en tout cas, sur le bitume de la petite route sinueuse, entre deux haies d’hortensias. Un troupeau de chèvres occupe la route, un fermier a stoppé son truck typique des Açores (avec les ridelles en bois) sur la chaussée, des chiens méchants dont le maître nous prie de nous méfier nous regardent d’un œil mauvais, et du lait de traite est renversé partout. C’est un spectacle hallucinant. La seule chose qu’il me semble percevoir, c’est que ce fermier du cru est peu soigneux, et passablement inconscient du danger qu’il y a à pratiquer la traite de ses chèvres au beau milieu de la route par temps d’épais brouillard !

Plus bas, les premiers hortensias commencent à fleurir. Bientôt, ils seront des milliers... Le spectacle merveilleux des Açores fleuries d’hortensias au début de l’été…



 A Ribeira Grande, mon frère et moi déjeunons dans un restaurant local de délicieux poissons frits accompagnés d’un vin blanc du Portugal délicatement parfumé.



Sur Sao Miguel, la plus grande île des Açores, deux cultures originales sont pratiquées, qui ne sont pas forcément faciles à deviner. L’ananas d’abord, un produit de qualité, de taille plutôt modeste comparée à celle de certains fruits tropicaux, mais d’un goût très fin, excellent. Malheureusement, la rareté de sa culture entraîne un prix de vente, y compris localement, relativement élevé. Alors que par ailleurs, dans l’archipel, les prix moyens sont sensiblement inférieurs à ceux  du continent.

Et puis, entre les villages de Sao Bras et de Maia, sur la côte nord, je réserve à mon frère une surprise : la visite d’une plantation de thé ! Oui, de thé, comme à Ceylan ou aux Indes…

L’entreprise Cha Gorreana met en œuvre des méthodes traditionnelles faisant largement appel à la main d’oeuvre manuelle locale, aussi bien dans la plantation elle-même que pour le processus de traitement des feuilles de thé dans les ateliers. Sur le versant nord des douces montagnes  de Sao Miguel, quelques dizaines d’hectares d’arbustes bien alignés produisent  un thé apprécié  dont une grande partie est exportée vers les boutiques spécialisées dans les thés rares.

La plantation pourrait retirer un notable complément à son chiffre d’affaires si elle organisait les visites pour les touristes de passage ou les passagers des paquebots, quitte à effectuer quelques investissements dans les ateliers, mais, charme appréciable de l’esprit açorien, elle se contente de proposer ses produits à la vente dans une boutique à la sortie. Le visiteurs se retrouvent donc laissés libres de visiter les ateliers comme bon leur semble, et de s’approcher des vieilles machines anglaises increvables entraînées par courroie à partir d’un arbre de distribution interminable qui court le long des murs… J’observe de plus près les moteurs électriques d’entraînement : 400 V, courant continu ! Antédiluvien, et so british. Cela me rappelle les moteurs de grue à courant continu, à bord des vieux cargos de la Compagnie de Navigation d’Orbigny, à bord desquels je naviguais à la fin des années 70. Mais ça marche, et plutôt bien, comme mon Land-Rover !

Il n’y a que les Anglais que pour créer des machines pareilles. Bien que depuis la Guerre de Cent Ans et leurs tentatives de venir piquer notre pinard en Gascogne (où je suis né) en remontant discrètement la Garonne la nuit et dans le brouillard, je les tienne toujours à l’œil, il faut leur reconnaître parfois du génie, à nos voisins d’Outre-Manche. Mon imagination s’envole vers les plantations du sous-continent indien et de l’Asie, où les mêmes machines doivent tourner depuis les mêmes décennies… Incroyable que les propriétaires de la plantation puissent encore trouver des pièces de rechange pour ces machines, dont l’âge dépasse certainement le demi-siècle !

Une seule étape du process est automatisée depuis quelques années, la mise en sachets et l’emballage des feuilles de thé séchées et broyées. Mais toutes les autres phases de l’élaboration du thé restent largement dépendantes de l’assistance manuelle. Le tri des feuilles de thé séchées s’effectue même totalement à la main. Et à l’œil. Celui, aiguisé,  de quelques femmes du cru, qui passent leur journée attablées à filtrer dans leurs mains expertes des petits tas de feuilles pour en extraire toutes les particules naturelles indésirables qui pourraient en altérer le goût. Elles papotent sévère toute la sainte journée, ces femmes, mais se laissent volontiers photographier, espérant la petite pièce qui ira grossir la cagnotte commune…



Dans l’est de Sao Miguel, l’activité géothermique est à l’œuvre. A proximité du village de Furnas, des orifices à ciel ouvert correspondent avec le centre de la Terre. Des fumerolles soufrées, des geysers et des boues brûlantes agitées de bulles frénétiques perforent le sol  à maints endroits. En bordure nord du Lagoa das Furnas, des petits monticules de terre martyrisée jonchent le sol sur quelques centaines de mètres carrés. Il existe ici une tradition culinaire particulière. Les petits restaurants du village ont l’habitude de proposer à leurs clients le cozido, un pot-au-feu local cuit dans des grands pots de fonte directement placés dans de petits puits chauffés aux vapeurs volcaniques naturelles. Dans les trous ouverts, vous pouvez jeter un œil, mais, à part quelques fumerolles, il n’y a rien. Par contre, pas question de chambouler un monticule proprement élaboré: là-dessous, ça mijote, et le propriétaire de la gamelle géante viendra bientôt chercher son bien…



De retour vers Ponta Delgada, nous passons par le petit port de Caloura, à proximité duquel nous avions séjourné avec les enfants il y a quelques années. Les piscines naturelles propices aux plongeons estivaux sont toujours là, mais l’agréable petit bistrot qui proposait ses chaises rouges sur les petites terrasses de pierres à l’ombre des pins maritimes a disparu. Il y a, me semble-t-il, moins de barques de pêche qu’autrefois, à Caloura. Nous assistons à la sortie de l’une d’entre elles, qui porte le nom de Manuel Elias. La mer est agitée, le ressac pénètre sans vergogne dans ce minuscule abri. La barque accoste d’abord au petit quai en dur, le temps de fixer un essieu et une roue, à tribord. Deux boulons, à la façon d’une béquille d’échouage, puis le patron se retrouve seul à bord. Ses deux marins vont actionner le treuil de la cale. Lorsque la belle barque aborde franchement le béton moteur lancé à bonne vitesse, il faut frapper rapidement le croc du câble d’acier à l’organeau de la barque, puis le treuil fait le reste. L’embarcation glisse alors sur son martyr de quille en acier inox épais, appuyé sur des glissières de bois dur, tandis qu’à tribord, la petite roue stabilise l’ensemble.

Encore quelques années, et le treuil de la cale de Caloura s’endormira dans un silence de rouille…

Photo 1 - Les îlots de Mosteiros, à l'extrémité occidentale de l'île de Sao Miguel...

Photo 2 - Idem...

Photo 3 - Piscines naturelles, comme souvent aux Açores...

Photo 4 - Les deux lacs de Sete Cidades, au fond de leur double cratère, à l'ouest de l'île...

Photo 5 - Je n'ai pas tout compris de cette séquence de traite de chèvres, dans la brume et sur la route, sur les hauts de Capelas...

Photo 6 - Les premiers hortensias de la saison, début mai,  sur les pentes de l'île de Sao Miguel...

Photo 7 - Idem...

Photo 8 - Idem...

Photo 9 - La igreja Matriz, à Ponta-Delgada...

Photo 10 - Détail de sculpture, sur l'église Matriz, à Ponta-Delgada...

Photo 11 - A proximité du Lagoa das Furnas, l'énergie géothermique affleure la surface du sol...

Photo 12 - Volcaniques Açores, où le magma n'est jamais très loin...

Photo 13 - Les habitants et les restaurants de la petite bourgade de Furnas viennet ici...

Photo 14 - ... pour faire cuire le pot-au-feu traditionnel du village, le cozido...

Photo 15 - A Sao Miguel, du côté de Maia, au nordde l'île...

Photo 16 - ... on pourrait se croire à Ceylan!

Photo 17 - Les Açoriens cultivent le thé, c'est la seule plantation européenne...

Photo 18 - Sur la plantation de Cha Gorreana, les méthodes, comme les machines...

Photo 19 - ... sont restées ancestrales...

Photo 20 - Ces machines britanniques increvables partaient plutôt vers l'Inde et la Chine, d'habitude...

Photo 21 - Elles fonctionnent toujours, ici, depuis des décennies...

Photo 22 - Les feuilles de thé séché sont encore triées à la main, par des femmes du cru...

Photo 23 - Nous sommes retournés au petit village de pêcheurs de Caloura...

Photo 24 - ... sur la côte sud, où nous avions séjourné il y a quelques années...

Photo 25 - On y sort toujours les lourdes barques de pêche...

Photo 26 - ... avec la même technique, une roue d'appui d'un côté...

Photo 27 - ... et la quille ferrée glisse sur des martyrs...

Photo 28 - ... avec l'aide d'un treuil de hissage...

Photo 29 - Nul doute, les pêcheurs des Açores...

Photo 30 -  ... ont encore la foi...

dimanche 17 juin 2012

Billet N°162 – A Angra do Heroismo, île de Terceira, au cœur de l’archipel des Açores…

Du Dimanche 6 au Lundi 7 Mai 2012
Par Olivier

En venant de Sao Jorge, faisant route vers l’est, je voulais montrer la ville d’Angra do Heroismo à mon frère. Mais je m’attendais à devoir rejoindre la baie de Praia da Vitoria, un des rares très bons mouillages de l’archipel des Açores, à l’est de l’île de Terceira.  Ce qui nous aurait obligés à prendre le bus pour rejoindre Angra. En passant au sud du Monte Brasil, qui protège la petite anse d’Angra des vents d’ouest, je décidai tout de même de tenter notre chance de  dénicher une place dans la petite marina pour notre catamaran, en général bien encombrant pour ce genre d’infrastructure. Bien m’en prît. En cette fin d’après-midi dominicale, il n’y avait là aucun préposé de la marina pour nous dire que c’était impossible, que notre bateau était trop gros pour le ponton, et de toute façon trop large pour y accéder. Nous pûmes nous faufiler entre les étraves d’un Gun Boat 63 et la jetée du port, et nous amarrer à l’extrémité d’un ponton qui semblait nous attendre depuis des lustres… Manœuvre au chausse-pied, mais sans problème.

Nous étions à pied d’œuvre pour visiter Angra do Heroismo, une jolie ville açorienne dont le centre historique a été classé au Patrimoine Mondial de l’Unesco en 1983.

Angra, c’est la première ville européenne et atlantique créée à la suite des horizons ouverts au vieux continent par les apports des Grandes Découvertes.

Le centre d’Angra do Heroismo témoigne de l’époque heureuse où le monde occidental passât des modes de vie médiévaux à ceux créés par la Renaissance. L’architecture et les modes de construction changèrent, accompagnant la  mutation du monde occidental vers les Lumières, cheminant vers la nouveauté et la modernité. Angra do Heroismo était à l’avant-garde géographique du continent européen, idéalement placée à la croisée des routes maritimes de l’Atlantique Nord, et pendant 3 siècles la ville fût la vitrine et le témoin de l’expansion économique européenne.

Les premiers habitants de Terceira furent des émigrants venus des Pays-Bas, dans la deuxième moitié du XVème siècle. Mais la ville fut créée par Alvaro Martins Homem, selon les nouvelles normes de construction héritées de la Renaissance, avec des rues rectilignes et des quartiers organisés par métiers, tournés essentiellement vers les activités du port. Les navires portugais furent rapidement les plus nombreux à jeter l’ancre dans le sud de Terceira. Le choix du site d’Angra fut bien sûr dicté par l’existence de son mouillage naturel abrité par la presqu’île du Monte Brasil. Terre-neuve, le Groenland, le Labrador furent découverts par des navires qui avaient appareillé d’Angra. En 1499, Vasco da Gama y fît une brève escale pour y enterrer son frère, Paulo, décédé à bord de son navire de retour des Indes.

La croissance d’Angra fût rapide, dès lors que les capitaines des navires marchands comprirent que la meilleure route maritime pour revenir d’Amérique, des Caraîbes, du Brésil, ou du Sud-Est asiatique passait par les Açores.

En 1534, Angra était élevée au rang de ville, et d’évêché. La population s’accrût rapidement en même temps que l’activité du port grandissait, et Angra devînt la ville la plus prospère de l’archipel des Açores et sa capitale jusqu’en 1832.

En 1580, la rivalité éternelle entre Portugais et Espagnols tourna à l’avantage de ces derniers, et l’île de Terceira fût le dernier bastion de la résistance lusitanienne. En 1581, les insulaires réussirent à repousser la tentative de débarquement des Espagnols sur la plage de Praia, en lâchant sur les envahisseurs la horde de leurs troupeaux de taureaux et de bœufs. Il semble que la tradition de la tourada da corda (taureaux lâchés dans les rues mais vaguement retenus par une corde), qui a lieu tous les ans dans les rues d’Angra, provienne de cet épisode de la lutte des açoriens contre les envahisseurs espagnols. Deux ans plus tard, Terceira tomba néanmoins aux mains des Espagnols et le roi Philippe II d’Espagne fît construire peu après sur le Monte Brasil une incroyable forteresse, celle de Sao Joao Baptista, la plus grande jamais construite par les Espagnols. Commencée vers 1592, elle n’alignait pas moins de 4 km de murailles et 400 pièces d’artillerie servies par 1500 hommes. Elle avait pour mission de défendre non seulement la ville, mais aussi et surtout le port, qui voyait de plus en plus souvent les galions espagnols chargés des trésors du Nouveau Monde se faire attaquer par les pirates nord-africains ou les corsaires anglais (comme Sir Francis Drake), français ou hollandais.

Le Portugal ne retrouva son indépendance du joug espagnol qu’en 1640. Le dernier rôle important joué par l’île de Terceira dans la vie politique portugaise fût de soutenir les Libéraux en 1829. Le débarquement des Absolutistes à Praia fût repoussé, ce qui conféra à la cité le suffixe Praia da Vitoria. La régence libérale, établie à Angra, accorda alors à la ville le titre honorifique d’Angra do Heroismo


Photo 1 - La ville d'Angra do Heroismo, à Terceira...

Photo 2 - Vers l'église da Misericordia, à Angra...

Photo 3 - Ancien hôpital, l'église da Misericordia date du XVIII ème siècle...

Photo 4      

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Photo 6 - Les rues colorées d'Angra...

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Photo 8 - La rua do Galo au fond, la cathédrale...

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Photo 10 - L'arrière de la cathédrale d'Angra do Heroismo...

Photo 11 - Le couvent franciscain d'Angra...

Photo 12 - Le palais des Capitaines-Généraux, ancien collège des Jésuites...

Photo 13 - Un des imperios d'Angra, consacrés au culte du Saint-Esprit...

Photo 14 - Vielle maison de quartier, à Angra...

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Photo 16 - Tourada da corda, dans les rues d'Angra do Heroismo...

dimanche 10 juin 2012

Billet N°161 - Sao Jorge, le grand navire immobile…

Du Jeudi 3 au Dimanche 6 Mai 2012 -
Par Olivier

J’aime l’île de Sao Jorge, ce grand navire de pierre de plus de 50 km de longueur sur 7 km de large en moyenne, ancré au milieu de l’océan. Le temps, la vie s’y écoulent paisiblement, au milieu de paysages verdoyants étonnamment bucoliques.

Sao Jorge et ses fajas, terres de lave basses qui s’étendent sur la mer au pied de falaises boisées aux pentes impressionnantes. Sur ces langues de terres nées de l’épanchement des volcans  et gagnées sur la mer, les maisons traditionnelles des insulaires ont su traverser les âges. Chaque habitation a son jardin clos de murs de pierres sombres, où poussent arbres fruitiers et légumes, et quelques arpents de vigne. La terre y est riche, l’eau coule en abondance, le soleil n’est pas avare de ses apparitions.

Sao Jorge vit essentiellement de l’élevage des vaches. Viande, lait, beurre, fromages, et produits dérivés. Le plateau de Sao Jorge, constitué de milliers de prairies verdoyantes à l’herbe grasse, est situé à environ 300 mètres d’altitude. Les murs de pierre et les haies d’hortensias séparent le parcelles que l’homme a défrichées il y a plus de 500 ans. Le fromage de Sao Jorge est réputé être le meilleur des Açores. Il y a quelques décennies, les vaches se rendaient même à la nage sur l’îlot de Topo, à l’est de l’île, pour y prendre leurs quartiers d’été. Quelque chose comme un demi mille nautique à nager, un petit kilomètre, quoi. Mieux valait choisir son jour. Comme si les pâturages étaient rares, à Sao Jorge. Chaque soir, les éleveurs se rendent avec leur 4x4 à la station de traite des vaches laitières, implantée en pleine prairie, et pour autant conforme à la réglementation européenne. J’ai observé le manège des animaux : ils sont contents de s’y rendre, et ne se font pas prier pour entrer dans les stalles. Il n’y a pas plus heureux qu’une vache laitière aux Açores…

A Sao Jorge, j’aime les moinhos, les vieux moulins à vents. Rouges, blancs, ou bleus. Ils ont cessé de moudre le grain, mais se dressent encore dans les vents d’ouest, oubliant que leurs pales sont désormais attachées, et leurs mécanismes rouillés.

J’aime aussi la petite marina de Velas, toute neuve, nichée contre la falaise où nichent les incroyables cagarros, ces fameux puffins (de Cory) ou puffins cendrés qui, la nuit venue, vous organisent un incroyable concert de cris de bébés en pleurs. Le cagarro mesure 50 cm de longueur environ, avec une envergure supérieure à 1 mètre. C’est un oiseau de l’hémisphère nord, qui vit dans les îles de l’Atlantique, de façon grégaire. Il se nourrit de petits poissons, de céphalopodes, de crustacés, et de méduses. Autant il est silencieux en mer, autant il est bruyant à terre, pendant la période de nidification, qui commence en Mai-Juin. On s’habitue vite à ses lamentations nocturnes, déroutantes au début, qui se terminent généralement au milieu de la nuit.

J’ai un faible pour la randonnée qui, du haut du plateau de Sao Jorge, par un petit sentier dont le départ est difficile à trouver, descend en lacets vers la faja da Caldeira de Santo Cristo, au milieu des hortensias en fleurs. De cette faja isolée à laquelle aucune route ne parvient, un sentier côtier vous ramène vers la faja dos Cubres, plus à l’ouest, reliée elle par une petite route escarpée souvent traversée d’éboulis, vers le village de Norte Pequeno.

Mais cette fois, j’ai découvert une autre faja, sur la côte sud cette fois : celle de Sao Joao. Une petite merveille. Vieilles maisons de pierre sur lesquelles le temps semble s’être arrêté, ruelles pavées de galets de basalte, murs de pierres à l’infini pour protéger du vent les vieux pieds de vigne, figuiers tortueux par dizaines, fontaines d’eau publiques en pierres de lave et chapelles brûlées de soleil. Seul l’accès à la mer et le ravitaillement restent difficiles.

Mais la faja de Sao Joao, qui fait face au sud, donne envie de s’arrêter pour vivre quelques temps aux Açores. En harmonie avec la nature. Loin des trépidations souvent inutiles du monde…

 
Photo 1 - Jangada amarré dans la petite marina de Velas, à Sao Jorge...
Photo 2 - Les fajas de Sao Jorge, au pied d'impressionnantes falaises...
Photo 3 - Faja das Funduras, côte nord de Sao Jorge...
Photo 4 - Jolies maisons traditionnelles des fajas de Sao Jorge...
Photo 5 - Clocher de la chapelle, faja das Pontas, Sao Jorge...
Photo 6 - Paysage de Sao Tome, sur le plateau de Sao Jorge, à l'est...
Photo 7 - Culture de la vigne en terrasse, à Topo, Sao Jorge...
Photo 8 - Station de traite des vaches laitières, à Sao Jorge...
Photo 9 - Moulin à céréales du côté d'Urzelina, Sao Jorge...
Photo 10 - Celui-çi vient d'être refait à neuf...
Photo 11 - ... cet autre a le charme de l'âge...
Photo 12 - ... et celui-là celui des teintes pastel...
Photo 13 - L'église de Santa-Barbara, bien sûr...
Photo 14 - Un bel azulejo de village...
Photo 15 - Aux Açores, le capitaine a du se rhabiller, ça sent la fin des vacances...