vendredi 22 juin 2012

Billet N°163 – Escale à Sao Miguel, Açores…

Du Mardi 8 au Jeudi 10 Mai 2012
Par Olivier

Traversée rapide depuis Terceira, appareillage d’Angra do Heroismo à la nuit tombante, arrivée en vue de Ponta Delgada avant le lever du jour le lendemain.



Je découvre sur le dépliant édité par la société qui gère désormais l’ensemble des marinas des Açores (www.marinasazores.com) , que le port de Ponta Delgada abrite maintenant une marina beaucoup plus grande que celle d’origine, que j’avais connu  jusqu’alors.



Les Portugais ont vu grand lorsqu’ils ont construit les jetées principales qui abritent les ports insulaires de l’archipel. Je suppose que la raison fondamentale de ce choix est qu’ils visaient d’abord à créer une zone de mouillage abritée conséquente, avant de penser à obtenir un linéaire de quai important. Pendant des décennies, depuis la fin du XIX ème et le début du XXème siècles, date à laquelle la plupart de ces jetées ont été construites, les navires à passagers, les navires de charge, et les bateaux de pêche jetaient l’ancre dans les ports açoriens, à l’intérieur de la jetée d’abri. Ils n’allaient que rarement à quai. Ils avaient besoin d’espace pour leurs manœuvres de prise de mouillage et d’appareillage. Et les opérations d’embarquement/débarquement, chargement/déchargement, ou transbordement, s’effectuaient avec des vedettes, des allèges, des barges ou des barques. Les navires n’allaient que rarement s’amarrer le long des jetées, et de ce fait, ils disposaient, comme tous les navires de l’époque, d’un gréement adapté pour les opérations commerciales (mâts de charge) au mouillage. Les grues de quai n’existaient pas encore (et je ne parle pas des portiques à conteneurs d’aujourd’hui !). L’amarrage à quai était relativement rare également du fait du ressac, qui était fréquent dans les îles, et qui pouvait être très destructeur pour les apparaux de manœuvre.

La plupart des digues ont d’ailleurs été prolongées au fil des années. Aujourd’hui, le vaste espace abrité disponible à l’intérieur de la jetée principale des ports açoriens a permis au gouvernement régional, avec l’aide financière de l’Europe, de construire 7 marinas publiques dans l’archipel (seules les îles de Corvo et de Graciosa n’en ont pas), sans pour autant que ces installations ne gênent les manœuvres et les opérations commerciales des navires qui, aujourd’hui, s’amarrent systématiquement à quai, bien sûr.



Pour le plaisancier européen, ou nord-américain, l’existence de ces nouvelles infrastructures modernes (à la gestion centralisée, mêmes prix pratiqués quelle que soit la marina) aux Açores change complètement la donne. Auparavant, une croisière aux Açores s’adressait plutôt à des marins confirmés, car, outre la traversée océanique nécessaire pour rejoindre l’archipel (1200 milles depuis La Rochelle environ), les bons mouillages forains sont rares dans les îles, ce qui oblige à suivre de très près l’évolution météorologique, mais en pratique, contraint à standardiser l’itinéraire, au détriment de certaines îles. Depuis peu, l’existence de ces 7 marinas autorise une vraie croisière de découverte de l’archipel des Açores qui peut s’étendre sur plusieurs semaines, à la belle saison. Les tarifs y sont très raisonnables (c’est toujours cher pour amarrer un voilier, mais sensiblement moins cher qu’en France, et le Wi-fi est très souvent disponible sur les pontons !), et l’accueil souvent sympathique. De plus, une autre solution alternative se profile pour les plaisanciers futés qui n’ont pas peur du large : laisser son voilier aux Açores pour l’hiver. Les tarifs longue durée sont très abordables, et cette solution permet de passer plusieurs mois dans l’archipel à la belle saison. Il y a en ce moment, chose inhabituelle pour les Européens, environ 50 % de places disponibles à l’année dans les marinas des Açores, sauf à Horta, dont la marina, idéalement placée sur la route du retour des Caraïbes,  est plus courue.

Ceci dit, pour envisager un hivernage de son bateau aux Açores, il faut tout de même bien choisir sa marina et son poste à quai. Certaines installations sont plus exposées que d’autres au ressac océanique et aux coups de vent d’hiver, qui surviennent lorsque les dépressions de l’Atlantique Nord  passent sur l’archipel, gagnant en latitude sud du fait de l’abandon de poste provisoire de l’anticyclone des Açores, dont la position moyenne en latitude suit le mouvement de la déclinaison du soleil, comme les alizés et la ZIC.



Nous nous faufilons entre  deux pontons de la nouvelle marina de Ponta Delgada, justement pas la mieux protégée de l’archipel. Les pontons dansent fréquemment, le fetch à l’intérieur du port est déjà important. Et il y a tellement de places inoccupées dans cette marina que les goélands squattent volontiers les pontons. Attention aux glissades en cas d’excès de Sagres ou de Super Bock ! Des fils de pêche transparents, pratiquement invisibles pour les oiseaux, ont été tendus à hauteur d’homme pour les dissuader d’entreprendre leurs atterrissages.

Bref, cette grande marina est assez impersonnelle, et c’est celle que j’apprécie le moins aux Açores. D’autant que les bureaux sont restés sur le site de la marina d’origine, sans doute pas un hasard, ce qui oblige à une bonne marche pour aller accomplir les sacro-saintes formalités.

Le centre ville de Ponta Delgada, capitale de l’archipel et de la région autonome des Açores, est assez agréable, à condition d’éviter les périodes estivales, pendant lesquelles l’afflux de touristes dégrade sérieusement l’ambiance générale, a fortiori lorsque 1 ou 2 paquebots de 2 à 4000 passagers chacun sont en escale dans le port. Les ruelles commerçantes pavées au-dessus du centro sont attrayantes, les petits restaurants açoriens sont légion, et la Praça Gonçalo Velho Cabral ne manque pas de charme, qui vous conduit à l’Eglise principale de la ville, Igreja Matiz.



Nous louons une voiture et entreprenons de faire à peu près le tour de l’île.



C’est incroyable ce que cet archipel a pu se développer ces dernières années. En tant que région ultra-périphérique de l’Europe, les Açores ont profité à plein des aides diverses de l’Union Européenne. Je pense que les Açoriens ont vite appris à monter d’excellents dossiers de demandes de subvention auprès de l’Union. Ca en valait la peine, la réussite a souvent été au rendez-vous. Les effets en sont visibles partout. Je me suis laissé dire que la chasse à la baleine traditionnelle aux Açores, pourtant quasiment disparue dès la fin des années 1970, avait même été un très bon levier pour décrocher des subventions. Ecologiquement parlant, l’Europe ne pouvait pas se permettre de soutenir une région ultra-périphérique qui pratiquait encore épisodiquement la chasse aux cachalots, une activité politiquement incorrecte quand il fallait lutter contre les manigances de coursives de la Commission Baleinière Internationale, au sein de laquelle les chasseurs poids lourds tels que le Japon, la Russie, ou la Norvège avaient vite fait de montrer du doigt aux négociateurs de Bruxelles les images (néanmoins de plus en plus rares) de chasse artisanale aux Açores… Devant ce dilemme, il n’y avait qu’un choix politique permettant aux représentants européens de garder propre leur séant : exiger la totale cessation d’activité de la chasse baleinière aux Açores. Alors, pour obtenir ce résultat, l’Union a versé des subventions spécifiques, non pas tellement aux chasseurs de baleines eux-mêmes, devenus rares et désormais tous à la retraite ( !), mais à leurs descendants, lesquels arment aujourd’hui, dans toutes les îles de l’archipel, une impressionnante flotte d’embarcations semi-rigides occupées à proposer aux touristes de souscrire à une sortie de « whale watching » (observation des baleines).

Je me demande si les cachalots ne préféraient pas le bon vieux temps où, parfois, s’ils avaient pris le risque de se rapprocher un peu trop près des îles, il leur fallait, après avoir été aperçus par un guetteur posté dans la montagne qui avait envoyé les signaux de chasse, lutter de vitesse avec une baleinière açorienne mue à la voile et à l’aviron, dont le harponneur cherchait à leur planter son arme dans le dos, au péril de sa vie et de celle de ses associés…



Nous rejoignons par une petite piste de terre battue le village de Mosteiros, à l’ouest de l’île, où la lave a dessiné une multitude de piscines naturelles qui se remplissent et se vident partiellement au gré de la marée. Mais il n’y a plus guère de pêcheurs à Mosteiros, et nombre de petites maisons du village sont marquées « Se Vende », à vendre.



Nous grimpons aux lacs jumeaux, Lagoa Azul et Lagoa Verde, de Sete Cidades. Mais le plafond nuageux est bas, la vision est fugitive. Lorsque nous redescendons des hauteurs embrumées du Pico das Eguas vers le village de Capelas, nous tombons soudain nez à nez avec une scène étrange, dans laquelle, même après réflexion, je n’ai pas tout compris. Je freine sec en tout cas, sur le bitume de la petite route sinueuse, entre deux haies d’hortensias. Un troupeau de chèvres occupe la route, un fermier a stoppé son truck typique des Açores (avec les ridelles en bois) sur la chaussée, des chiens méchants dont le maître nous prie de nous méfier nous regardent d’un œil mauvais, et du lait de traite est renversé partout. C’est un spectacle hallucinant. La seule chose qu’il me semble percevoir, c’est que ce fermier du cru est peu soigneux, et passablement inconscient du danger qu’il y a à pratiquer la traite de ses chèvres au beau milieu de la route par temps d’épais brouillard !

Plus bas, les premiers hortensias commencent à fleurir. Bientôt, ils seront des milliers... Le spectacle merveilleux des Açores fleuries d’hortensias au début de l’été…



 A Ribeira Grande, mon frère et moi déjeunons dans un restaurant local de délicieux poissons frits accompagnés d’un vin blanc du Portugal délicatement parfumé.



Sur Sao Miguel, la plus grande île des Açores, deux cultures originales sont pratiquées, qui ne sont pas forcément faciles à deviner. L’ananas d’abord, un produit de qualité, de taille plutôt modeste comparée à celle de certains fruits tropicaux, mais d’un goût très fin, excellent. Malheureusement, la rareté de sa culture entraîne un prix de vente, y compris localement, relativement élevé. Alors que par ailleurs, dans l’archipel, les prix moyens sont sensiblement inférieurs à ceux  du continent.

Et puis, entre les villages de Sao Bras et de Maia, sur la côte nord, je réserve à mon frère une surprise : la visite d’une plantation de thé ! Oui, de thé, comme à Ceylan ou aux Indes…

L’entreprise Cha Gorreana met en œuvre des méthodes traditionnelles faisant largement appel à la main d’oeuvre manuelle locale, aussi bien dans la plantation elle-même que pour le processus de traitement des feuilles de thé dans les ateliers. Sur le versant nord des douces montagnes  de Sao Miguel, quelques dizaines d’hectares d’arbustes bien alignés produisent  un thé apprécié  dont une grande partie est exportée vers les boutiques spécialisées dans les thés rares.

La plantation pourrait retirer un notable complément à son chiffre d’affaires si elle organisait les visites pour les touristes de passage ou les passagers des paquebots, quitte à effectuer quelques investissements dans les ateliers, mais, charme appréciable de l’esprit açorien, elle se contente de proposer ses produits à la vente dans une boutique à la sortie. Le visiteurs se retrouvent donc laissés libres de visiter les ateliers comme bon leur semble, et de s’approcher des vieilles machines anglaises increvables entraînées par courroie à partir d’un arbre de distribution interminable qui court le long des murs… J’observe de plus près les moteurs électriques d’entraînement : 400 V, courant continu ! Antédiluvien, et so british. Cela me rappelle les moteurs de grue à courant continu, à bord des vieux cargos de la Compagnie de Navigation d’Orbigny, à bord desquels je naviguais à la fin des années 70. Mais ça marche, et plutôt bien, comme mon Land-Rover !

Il n’y a que les Anglais que pour créer des machines pareilles. Bien que depuis la Guerre de Cent Ans et leurs tentatives de venir piquer notre pinard en Gascogne (où je suis né) en remontant discrètement la Garonne la nuit et dans le brouillard, je les tienne toujours à l’œil, il faut leur reconnaître parfois du génie, à nos voisins d’Outre-Manche. Mon imagination s’envole vers les plantations du sous-continent indien et de l’Asie, où les mêmes machines doivent tourner depuis les mêmes décennies… Incroyable que les propriétaires de la plantation puissent encore trouver des pièces de rechange pour ces machines, dont l’âge dépasse certainement le demi-siècle !

Une seule étape du process est automatisée depuis quelques années, la mise en sachets et l’emballage des feuilles de thé séchées et broyées. Mais toutes les autres phases de l’élaboration du thé restent largement dépendantes de l’assistance manuelle. Le tri des feuilles de thé séchées s’effectue même totalement à la main. Et à l’œil. Celui, aiguisé,  de quelques femmes du cru, qui passent leur journée attablées à filtrer dans leurs mains expertes des petits tas de feuilles pour en extraire toutes les particules naturelles indésirables qui pourraient en altérer le goût. Elles papotent sévère toute la sainte journée, ces femmes, mais se laissent volontiers photographier, espérant la petite pièce qui ira grossir la cagnotte commune…



Dans l’est de Sao Miguel, l’activité géothermique est à l’œuvre. A proximité du village de Furnas, des orifices à ciel ouvert correspondent avec le centre de la Terre. Des fumerolles soufrées, des geysers et des boues brûlantes agitées de bulles frénétiques perforent le sol  à maints endroits. En bordure nord du Lagoa das Furnas, des petits monticules de terre martyrisée jonchent le sol sur quelques centaines de mètres carrés. Il existe ici une tradition culinaire particulière. Les petits restaurants du village ont l’habitude de proposer à leurs clients le cozido, un pot-au-feu local cuit dans des grands pots de fonte directement placés dans de petits puits chauffés aux vapeurs volcaniques naturelles. Dans les trous ouverts, vous pouvez jeter un œil, mais, à part quelques fumerolles, il n’y a rien. Par contre, pas question de chambouler un monticule proprement élaboré: là-dessous, ça mijote, et le propriétaire de la gamelle géante viendra bientôt chercher son bien…



De retour vers Ponta Delgada, nous passons par le petit port de Caloura, à proximité duquel nous avions séjourné avec les enfants il y a quelques années. Les piscines naturelles propices aux plongeons estivaux sont toujours là, mais l’agréable petit bistrot qui proposait ses chaises rouges sur les petites terrasses de pierres à l’ombre des pins maritimes a disparu. Il y a, me semble-t-il, moins de barques de pêche qu’autrefois, à Caloura. Nous assistons à la sortie de l’une d’entre elles, qui porte le nom de Manuel Elias. La mer est agitée, le ressac pénètre sans vergogne dans ce minuscule abri. La barque accoste d’abord au petit quai en dur, le temps de fixer un essieu et une roue, à tribord. Deux boulons, à la façon d’une béquille d’échouage, puis le patron se retrouve seul à bord. Ses deux marins vont actionner le treuil de la cale. Lorsque la belle barque aborde franchement le béton moteur lancé à bonne vitesse, il faut frapper rapidement le croc du câble d’acier à l’organeau de la barque, puis le treuil fait le reste. L’embarcation glisse alors sur son martyr de quille en acier inox épais, appuyé sur des glissières de bois dur, tandis qu’à tribord, la petite roue stabilise l’ensemble.

Encore quelques années, et le treuil de la cale de Caloura s’endormira dans un silence de rouille…

Photo 1 - Les îlots de Mosteiros, à l'extrémité occidentale de l'île de Sao Miguel...

Photo 2 - Idem...

Photo 3 - Piscines naturelles, comme souvent aux Açores...

Photo 4 - Les deux lacs de Sete Cidades, au fond de leur double cratère, à l'ouest de l'île...

Photo 5 - Je n'ai pas tout compris de cette séquence de traite de chèvres, dans la brume et sur la route, sur les hauts de Capelas...

Photo 6 - Les premiers hortensias de la saison, début mai,  sur les pentes de l'île de Sao Miguel...

Photo 7 - Idem...

Photo 8 - Idem...

Photo 9 - La igreja Matriz, à Ponta-Delgada...

Photo 10 - Détail de sculpture, sur l'église Matriz, à Ponta-Delgada...

Photo 11 - A proximité du Lagoa das Furnas, l'énergie géothermique affleure la surface du sol...

Photo 12 - Volcaniques Açores, où le magma n'est jamais très loin...

Photo 13 - Les habitants et les restaurants de la petite bourgade de Furnas viennet ici...

Photo 14 - ... pour faire cuire le pot-au-feu traditionnel du village, le cozido...

Photo 15 - A Sao Miguel, du côté de Maia, au nordde l'île...

Photo 16 - ... on pourrait se croire à Ceylan!

Photo 17 - Les Açoriens cultivent le thé, c'est la seule plantation européenne...

Photo 18 - Sur la plantation de Cha Gorreana, les méthodes, comme les machines...

Photo 19 - ... sont restées ancestrales...

Photo 20 - Ces machines britanniques increvables partaient plutôt vers l'Inde et la Chine, d'habitude...

Photo 21 - Elles fonctionnent toujours, ici, depuis des décennies...

Photo 22 - Les feuilles de thé séché sont encore triées à la main, par des femmes du cru...

Photo 23 - Nous sommes retournés au petit village de pêcheurs de Caloura...

Photo 24 - ... sur la côte sud, où nous avions séjourné il y a quelques années...

Photo 25 - On y sort toujours les lourdes barques de pêche...

Photo 26 - ... avec la même technique, une roue d'appui d'un côté...

Photo 27 - ... et la quille ferrée glisse sur des martyrs...

Photo 28 - ... avec l'aide d'un treuil de hissage...

Photo 29 - Nul doute, les pêcheurs des Açores...

Photo 30 -  ... ont encore la foi...