Par Olivier
Nous avons délaissé les rivages tumultueux du Selat Linta pour reprendre notre route vers l’ouest, au nord des petites Iles de la Sonde, en direction de Sumbawa, Lombok, et Bali.
Pour l’heure, nous longeons l’île de Sumbawa, moins visitée que Florès ou Lombok.
Mais Sumbawa, une île également assez sèche, plutôt aride, abrite un monstre, bien connu des volcanologues, un volcan d’une puissance terrifiante, un détenteur de records, le Tambora…
Pendant des heures, une petite brise d’est nous pousse le long de l’interminable cône volcanique du Tambora, dont le sommet disparaît dans les nuages.
Puisque nous naviguons au pied de ses contreforts, je m’intéresse au Tambora. Bien sûr, l’Indonésie abrite quelques dizaines de majestueux volcans, mais ce qui fait l’intérêt du Tambora, c’est qu’il est à l’origine du premier évènement climatologique de portée mondiale de l’ère moderne.
Le Tambora impressionne déjà par ses mensurations : 60 km de diamètre à la base, avec au centre du cône volcanique une caldeira de 6 km de diamètre, profonde de 1 100 mètres, dont la formation remonte à l’éruption cataclysmique de 1815. La dernière éruption du Tambora date de 1967 ; depuis, le monstre somnole. Cela vaut mieux pour nous. Nous passons discrètement à sa base.
Avant 1815, l’altitude du volcan devait approcher les 4 300 mètres. Du sérieux, lorsque, comme c’est le cas, le volcan plonge directement dans la mer. Il perdit en quelques heures la bagatelle de 1 500 m d’altitude !!!, pour ne culminer par la suite qu’à quelques 2 850 mètres. Evidemment, vous vous en doutez, cette décapitation du Tambora ne se fit pas sans quelque bruit, et sans quelques dégâts.
Le Tambora décida de faire des siennes en Avril 1815, après une période de plusieurs mois de signes précurseurs d’une probable éruption. Le 5 Avril, une première explosion, suivie d’une colonne éruptive de 33 km de hauteur, se fit entendre jusqu’à Batavia (aujourd’hui Jakarta), à près de 1 300 km de là. Mais, dans la capitale de la colonie hollandaise, on mit du temps à comprendre l’origine de la détonation. Il fallut attendre que des cendres s’abattent sur la ville pour que l’hypothèse d’une attaque militaire de la cité soit écartée. Le paroxysme de l’éruption eût lieu le 10 Avril, avec une colonne éruptive de 45 km de hauteur, des pluies de cendres, et une violente onde de choc qui détruisit le village de Sanggar, 30 km à l’est du cratère. La colère du Tambora dura jusqu’au 15 Avril. Entre temps, les nuages de cendres s’étaient répandus dans l’atmosphère jusqu’à 1 400 km du volcan, provoquant une zone d’ombre immense dans l’ouest de Sumbawa, et jusqu’à Java..
Le Tambora avait expulsé tellement de matières magmatiques qu’il s’effondra sur lui-même, achevant de dévaster le nord-ouest de Sumbawa. En terme de puissance éruptive, les volcanologues considèrent que l’éruption du Tambora fût équivalente à 8 fois celle du Vésuve... De 11 à 12 000 personnes furent tuées directement par l’éruption, mais environ 50 000 autres furent victimes des tsunamis, de la famine et des épidémies qui suivirent, essentiellement sur les îles de Sumbawa et Lombok.
Mais l’élément le plus remarquable des suites de l’éruption d’Avril 1815 fut bien l’étendue planétaire des conséquences climatiques de l’énorme rejet (estimé à quelques 175 km3) dans l’atmosphère de matières expulsées par le volcan. Les archives de cette époque ont permis pour la première fois de retracer l’influence globale de l’éruption sur la mécanique atmosphérique mondiale, largement ignorée à l’époque.
Loin de l’île de Sumbawa, et plus insidieuse, plus durable aussi, la chaîne des réactions climatiques à l’éruption du puissant volcan tua, principalement dans les 3 années qui suivirent, nombre d’habitants de la planète qui ignoraient complètement son existence même. Il fallut attendre beaucoup plus tard pour que les scientifiques prennent l’exacte mesure de l’influence planétaire d’un tel phénomène sur la circulation générale de la haute atmosphère terrestre.
Les rejets étaient principalement constitués de poussières, de cendres et d’aérosols gazeux. Un élément déterminant, lié à la puissance de l’éruption, fut l’altitude élevée atteinte par la colonne éruptive, largement supérieure à 30 000 mètres. La vitesse d’éjection a pu être de l’ordre de 500km/h. Cette altitude, c’est celle des jets-streams de la haute atmosphère, la stratosphère. Pris en charge par ces flux d’air de haute altitude, les rejets du Tambora furent transportés et répandus pendant les mois qui suivirent l’éruption, tout autour de la Terre. Des modifications climatiques furent constatées en divers endroits du globe pendant plusieurs années, sans qu’à l’époque, les scientifiques ne fassent forcément le lien entre elles.
Quelques 2 mois après le phénomène, les habitants de Londres eurent le loisir d’observer des phénomènes optiques inhabituels à l’heure du coucher du soleil : fortes colorations rouges orangées, prolongation de la durée du coucher du soleil par diffraction des rayons optiques, par exemple. A cette époque, un peintre londonien, William Turner, réalisa de splendides toiles de couchants, qui firent sa renommée, sans qu’il sache vraiment qu’il aurait du la partager avec le lointain strato-volcan asiatique…
Les nuages de poussières injectées dans l’atmosphère, qui firent plusieurs fois le tour de la Terre, eurent des conséquences plus graves. Accompagnés d’acide sulfurique, ces rejets de l’ordre dimensionnel du micron ont modifié l’absorption et la dispersion du rayonnement solaire dans la stratosphère. Un an après l’éruption, ce phénomène eût pour conséquence, en 1816, « une année sans été » dans l’hémisphère nord, à différentes longitudes. Froid et pluvieux aux Etats-Unis (qui connurent dans l’est à cette époque une couverture nuageuse exceptionnellement persistante, engendrant froid anormal et chutes de neige tardives), les conditions estivales furent également absentes en Europe cette année-là. Les récoltes, de blé entre autres, furent désastreuses, la famine se répandit. Des milliers de fermiers américains de la côte est durent émigrer vers le Middle East. On releva en France un déficit moyen de 3°C de température mensuelle en Juillet, tandis que la pluviosité fût trois fois supérieure à la moyenne habituelle. Début 1817, le prix des céréales doubla dans l’hexagone. La révolte grondait dans les villes.
Mais personne ne songeait alors à la violente colère du Tambora, l’année précédente, là-bas, dans les Iles de la Sonde, lointaine colonie néerlandaise.
Dans l’hémisphère nord, la chute de température directement imputable à l’éruption fut de l’ordre de 1°C. L’été 1817 fut encore pire, le plus froid jamais enregistré en Europe. On estime que les famines directement liées à l’éruption du Tambora firent environ 200 000 victimes.
Jangada trace un sillage léger et éphémère au pied du géant, qui finit par s’estomper progressivement sur l’arrière. Nous passons à proximité d’une petite île détachée de quelques centaines de mètres du rivage, Satonda. Un cratère secondaire du Tambora, au niveau de la mer, et aujourd’hui occupé par un lac d’eau douce. Nous passons au nord de Moyo, et retrouvons le large.
Une petite île, quasiment sur notre route vers Lombok, a retenu mon attention : Pulau Medang. Isolée, je la devine authentique, habitée de pêcheurs et de cultivateurs. Elle nous tend les bras, avec une baie accessible sur sa côte nord, abritée des vents dominants d’est en cette saison.
Va pour Pulau Medang !
Nous y resterons 3 jours, découvrirons un village charmant tout en longueur que je ne me lasserai pas de parcourir, mon appareil photo à la main. Marin et moi seront invités à partager le repas de villageois occupés à construire une maison familiale, et c’est là aussi que, plutôt que d’acheter quelques noix de coco à boire à la petite vendeuse ambulante du village, nous lui achèterons, à sa grande surprise, sa machette, et son étui de bois, un bel outil patiné par l’usage et le temps, et dont rêvait depuis longtemps les enfants.
Les noix de coco des atolls de l’Océan Indien n’ont qu’à bien se tenir…
Reportage en images à Pulau Medang, sur la petite île du même nom, au nord de Sumbawa, dans l’archipel de la Sonde…
Olivier