vendredi 19 août 2011

Billet N°121 - Ile de Lombok, un avant-goût de Bali…

DuVendredi 29 Juillet au Mercredi 3 Août 2011 -

Par Olivier

Lombok, c’est l’antichambre de Bali.

Mais version musulmane, un détail qui change l’ambiance générale, il faut le préciser, même si l’islam de Lombok reste modéré.  Lombok, ce sont de belles plages de sable blanc, de jolis spots de surf, et d’incroyables sites de plongée sous-marine. Un volcan aussi, le Gunung Rinjani, qui se perd dans les nuages à près de 4 000 mètres d’altitude. Ce relief élevé a l’avantage d’attirer la pluie, et d’irriguer les rizières et les cultures telles que le tabac, le café, et la noix de cajou. Nous savions qu’à Lombok, il nous faudrait renouer avec la civilisation, et le tourisme. Nous allions quitter l’Indonésie profonde, un visage de ce pays que nous avions aimé. Lombok, dans notre esprit, était un sas avant Bali.



Gili Air, drôle de nom pour une petite île !



Les îles Gili (prononcer guili, comme guili-guili, tiens !), au nombre de trois, s’accrochent aux récifs coralliens au nord-ouest de Lombok, la dernière île avant Bali. Au nombre de trois (Gili Air, Gili Meno et Gili Trawangan), ces minuscules îlots de quelques kilomètres de circonférence sont épargnées par les voitures et les pétrolettes. On y circule à pied, en vélo, ou en voiture à cheval. Palmiers et plages de sable blanc, avec paillotes locales.

Accessibles en quelques minutes depuis Lombok, elles le sont aussi de plus en plus depuis Bali, par des speed boats qui traversent le détroit, chargées de touristes pressés. Très prisées des occidentaux, elles regorgent de pensions, guest houses et petits hôtels plutôt charmants, et plus encore d’innombrables bars, warongs, et restaurants de tous standings. Le logement en bungalow sous les palmiers, plus ou moins luxueux selon l’établissement, y est le plus répandu. Gili Air, la plus proche de Lombok, est un bon compromis. Gili Meno est la plus calme, la moins équipée, la moins fréquentée. Quant à Gili Trawangan, c’est la plus branchée, la plus festive, la plus équipée en bars de plage et en hôtels.

En arrivant du petit village de Pulau Medang, isolé et paisible, le choc des Gili est rude.

C’est le retour brutal à la civilisation des loisirs, version visages pâles.

Nous longeons le récif corallien, poussés par un fort courant qui nous emmène dans le détroit qui sépare Lombok de Bali, le Selat Lombok.  Nous faisons le tour de Gili Air, et cherchons un mouillage, mais les abords des îles Gili en sont peu pourvus. Finalement, nous mouillons sur le tombant, mais cet ancrage précaire se révèlera vite intenable au plus fort du courant de marée. Nous irons au sud de l’île, prendre un coffre dans la zone de trafic des embarcations qui relient Gili Air à Bangsal, le village qui dessert les îles juste en face, sur le continent, à moins de 2 milles de là. Un peu bruyant et chahuté, mais nous n’avons guère d’autre choix. Nous allons à terre, pour retrouver, avec une certaine appréhension, la civilisation occidentale et ses codes. Une petite piste sablonneuse fait le tour de Gili Air, dont le rivage est flanqué, à l’est et au sud principalement, d’une multitude de petits établissements hôteliers et de restauration, plutôt sympathiques et agréables à l’œil. Les grands fauteuils en bambous y sont légion, et il est de bon ton de prendre son petit-déjeuner allongé sur un tatami, de bambou lui aussi, installé à quelques mètres à peine de l’eau cristalline. Nous faisons le tour de l’île, à pied, parfois doublés par l’une de ces petites carrioles ombragées tirée par un courageux petit cheval, sec, rapide, et rude à la tâche. Le soleil est haut dans le ciel, et cet effort nous a donnés faim et soif. Les enfants en rêvent, nous allons donc déjeuner dans un warong au bord de l’eau, d’un gado-gado ou d’un nasi goreng, inévitablement arrosé pour les enfants d’un Sprite ou d’un Coca, et pour nous, d’une Bintang bien fraîche, en général format standard pour Barbara, et format un peu plus sérieux pour moi (la grande Bintang des Indonésiens, c’est tout de même quelque chose !).

Nous repérons quelques bars avec wi-fi, mais ce qui frappe le plus aux îles Gili, c’est bien le nombre incroyable de clubs de plongée au km de rivage. Une bonne douzaine sur Gili Air, et plus d’une trentaine sur Gili Trawangan. Une véritable industrie…

Nous inscrivons Marin à une sortie plongée sur épave. Il a de la chance, il sera drivé par un instructeur français très sympathique, Paul, avec qui nous irons déjeuner le lendemain dans une gargote indonésienne du centre de l’île, et qui, le soir même, vivement intéressé par notre voyage en voilier, tiendra à me poser mille questions sur ce type de voyage. Je crois l’avoir persuadé qu’avec ses brevets de plongeur sous-marin (l’un des meilleurs jobs possibles pour faire rentrer du cash dans la caisse de bord lorsqu’on effectue un voyage maritime), il trouverait de quoi vivre à peu près partout autour du monde, et qu’il lui restait juste à apprendre à naviguer un minimum à la voile. Marin reviendra ravi de sa sortie dans les coraux de Gili Trawangan. Adélie, de son côté, est ravie d’avoir rencontré Sapke, une jeune fille belge de son âge, qui navigue en famille avec ses deux petits frères et ses parents sur un monocoque de 46 pieds, joliment appelé « A Small Nest », un petit nid. Nous serons amenés à nous revoir par la suite, car Small Nest fait route comme nous vers l’Afrique du Sud pour rentrer ensuite au pays. En gros même itinéraire et même timing, deux familles avec enfants, une rencontre appréciable.

Nous rejoignons le mouillage de Bangsal, au nord-ouest de Lombok, qui nous permettra d’effectuer une excursion d’une journée à l’intérieur de l’île. Le lendemain, nous montons tous dans un mini-bus Toyota, et partons vers le centre et le sud de Lombok. Bon, soyons franc, ce style d’excursion n’a pas ma préférence, tant s’en faut, mais Marin et adélie semblent tellement heureux de passer la journée avec d’autres enfants que je tâche de prendre sur moi. Les rizières succèdent aux villages, des bandes de singes jonchent le bord des routes sinueuses qui grimpent dans la montagne. Notre guide organisateur Mohammed semble avoir du mal à comprendre que je n’apprécie guère d’avoir à balancer, sur sa proposition insistante, des cacahuètes (qu’il a achetées pour nous auparavant en faisant stopper le mini-bus dans un village, tout en nous précisant que l’achat desdites cacahuètes était inclus dans le tarif) aux guenons habituées au manège et qui ont immédiatement rappliqué sur l’aire de stationnement lorsque le Toyota s’y est arrêté pour cette séquence hautement authentique de la vie sauvage locale… Je renonce à tenter de lui expliquer ma position sur l’alimentation des animaux non domestiques dans leur milieu naturel. Mais je le vois déçu, perturbé. Je ne suis pas un bon touriste, voilà ce que Mohammed doit penser. Je ne lui en veux pas, d’autant que c’est pour lui, et notre chauffeur, le premier jour du ramadan musulman…

Nous visiterons un atelier de poterie, un autre de batik, un village de tisserands, et pousserons jusqu’à la plage de Kuta, dans le sud, un spot de surf réputé. Alors qu’il fait un soleil radieux, Marin aura besoin d’un ikat pour se réchauffer pendant que nous déjeunons dans un warong du bord de plage. Nous nous inquiétons d’une possible crise de paludisme, ce serait vraiment moche, mais c’est plus vraisemblablement une crise de dengue qui l’atteint. Courbatures, frissons, fièvre. Le lieutenant du bord se chargera de la médication, le capitaine du moral de l’équipage, et notre ado retrouvera une bonne forme en quelques jours.

J’aurais aimé visiter les ateliers de fabrication de mobilier en bambou, de très belle facture, mais Mohammed semble penser que ça ne présente aucun intérêt pour les touristes, alors on s’en passera. Le Toyota rentrera à l’heure, au coucher du soleil, les singes ont mangé leur ration de cacahuètes, et, pour ce premier jour de ramadan (le plus difficile pour l’estomac paraît-il), je tendrai régulièrement la bouteille de soda frais à notre chauffeur, dès qu’une ligne droite sera en vue, pour l’aider à finir sa journée sans crise d’hypoglycémie, mais pas avant que le signal de la fin du jeûne soit donné sur l’autoradio du véhicule par l’émetteur FM local. Le ramadan, c’est comme le reste, ça se modernise.



Mais savez-vous que l’île de Lombok présente une particularité intéressante ?

Elle est traversée par une curieuse ligne, non matérialisée, mais bien réelle.

On l’appelle la ligne Wallace.



Quoi ? Vous ne savez pas ce que c’est, la ligne Wallace ?



Alfred de son prénom, Russel Wallace de son nom, était un savant britannique, qui, dans la mouvance des idées de l’époque, entre autres celles de Darwin, revenu quelques années auparavant de son voyage autour du monde à bord du HMS Beagle en (bonne, à l’époque, car par la suite, ils se sont engueulés grave !) compagnie du Capitaine Fitzroy, réfléchissait à la théorie de l’évolutionnisme des espèces, entre autres par la sélection naturelle. Naturaliste, botaniste et ornithologue émérite, Wallace passa huit années de sa vie en Malaisie et en Indonésie (à l’époque colonie hollandaise), à étudier plus particulièrement la faune, principalement les oiseaux et les insectes. Il a ainsi associé son nom à plusieurs piafs de ces régions. Mais sa théorie la plus intéressante, il la développa lors d’un séjour dans l’archipel des Moluques, au cours des périodes de lucidité que lui octroyaient les fièvres paludéennes qu’il avait contractées. Convaincu du bien-fondé du principe de l’adaptation des êtres vivants à leur milieu naturel, il réfléchit au mécanisme de l’évolution des espèces et développe le concept de survie du plus apte, selon lequel, en gros, les organismes biologiques les mieux adaptés aux modifications de leur environnement ont de plus grandes chances de survie lorsque ceux çi surviennent. Dès lors, ce sont ces organismes qui se reproduiront, en transmettant leurs caractères génétiques, progressivement modifiés, à leur descendance. Les autres sont condamnés à disparaître. C’est la sélection naturelle. Dur dur. (Un truc qu’on voudrait assez couramment supprimer dans nos sociétés modernes, me semble-t-il, mais qui aurait tendance à toujours réapparaître, seulement plus ou moins atténué…). Le texte de 8 pages qu’il envoie à Charles Darwin en Juin 1859 développe une approche géographique de l’évolution des espèces. Les naturalistes du XIXème avaient déjà établi les cartes des principales zones de peuplement pour les principales espèces animales. Après avoir arpenté pendant des années le sud-est asiatique, Wallace relève une discontinuité biogéographique marquée entre deux grandes zones écologiques, couramment définies comme indomalaise et australasienne. Il trace une ligne, appelée quelques années plus tard ligne Wallace, qui passe entre Lombok et Bali au sud, entre Bornéo (Kalimantan aujourd’hui) et les Célèbes (Sulawesi aujourd’hui). Les nombreuses observations faites par Wallace sur le terrain l’avaient conduit à noter des différences frappantes dans la composition de la faune entre l’île de Bornéo et l’archipel des Célèbes, distantes de seulement quelques dizaines de km. Cette discontinuité était encore plus remarquable entre les îles de Bali et Lombok, seulement séparées par un détroit d’une vingtaine de km.

A Bali, Wallace avait observé nombre d’espèces d’oiseaux également répandues sur le continent asiatique et dans les îles indonésiennes de l’ouest, tandis qu’à Lombok il avait noté la présence d’oiseaux typiques de la zone australasienne, comme les cacatoès, les casoars, les paradisiers ou les mégapodes, que l’on trouve aussi plus à l’est, à Florès et à Timor. En bon naturaliste, Wallace avait fait le même genre d’observations pour les mammifères. Des marsupiaux présents en Papouasie Nouvelle-Guinée, aux Moluques et aux Célèbes étaient introuvables à Bornéo, Java et Sumatra. A l’inverse, des félins et des primates répandus en Asie et dans les îles de l’ouest étaient absents de l’Indonésie orientale. La ligne Wallace mettait ainsi les Philippines, Bornéo et les îles de Bali, Java et Sumatra dans la zone indomalaise, tandis qu’elle rangeait dans la zone australasienne la Nouvelle-Guinée, les Moluques, les Célèbes, et toutes les petites îles de la Sonde à l’est de Lombok (comprise)., ainsi que Timor. Précisément, Wallace faisait passer sa ligne à l’ouest immédiat de Lombok, dans le détroit qui la sépare de Bali. Le positionnement de la ligne de Wallace fut par la suite affiné en fonction des observations ultérieures réalisées par différents naturalistes, et dès 1868, Huxley la fit passer à l’ouest immédiat des Philippines, et non à l’est. La zone biogéographique australasienne correspond à l’ancien continent (appelé Notogée), qui se sépara, il y a quelques 100 millions d’années, pour donner naissance à l’Antarctique, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, la Papouasie Nouvelle-Guinée, et une partie de l’Amérique du Sud. Ainsi, les observations de Wallace ont mis en évidence que, bien que la distance qui sépare de part et d’autre de sa ligne certaines îles soit de nos jours très faible, une majorité d’espèces animales et végétales présentes de chaque côté de la ligne est très différenciée. Ce constat accrédite bien sûr le fait qu’elles furent, ces espèces, notoirement séparées pendant très longtemps, et que seule la dérive ultérieure des continents les a par la suite rapprochées, mais somme toute depuis un laps de temps trop court sur le plan biologique pour que les échanges génétiques effacent l’évolution propre que chaque espèce avait vécue de part et d’autre…



Bref, l’Océanie se termine à Lombok, tandis que l’Asie commence à Bali !

Incroyable, cette histoire.

Merci Alfred d’avoir trouvé tout ça !



Allez, nous, les humains, on ne sait pas trop d’où on vient, ni où on va, alors on franchit allègrement la ligne Wallace, direction Lembongan, une petite île qui sert d’antichambre au port de Benoa, à Bali. Nous y passons une nuit agitée par le ressac et la houle qui lève sur les hauts-fonds. Nous croisons des dizaines de pirogues à balanciers qui rentrent de la pêche, toutes voiles dehors. A n’en pas douter, les ancêtres des trimarans modernes. Dans le Selat Badung, Jangada file 12 à 13 nœuds, emporté par un fort courant portant au sud-ouest.

La houle est impressionnante dans ce détroit, 5 à 6 mètres de creux. L’entrée du port de Benoa n’est pas évidente à situer la première fois, d’autant que nous marchons en crabe grave, avec plus de 40° de dérive…

Nous nous faufilons dans la passe, les bancs de corail brisent aussitôt la mer, tout redevient calme.

Mon ami Xavier, qui exploite ici un catamaran  Ocean Voyager Fast 62’ construit à Rochefort il n’y a pas si longtemps, approche avec un Zodiac. Il nous guide jusqu’à une place insolite, à couple d’une épave flottante, un grand catamaran sans mât qui doit être le résultat d’erreurs conjuguées d’architecture et de construction navales. Un emplacement idéal pour nous, calme et protégé, une (sacrée) annexe de Jangada que les enfants vont rapidement coloniser…

Bali, nous sommes à Bali !

Olivier

Photo 1 - Gili Air, la plus proche de Lombok.

Photo 2 - Le chemin de ronde de Gili Air, le parcours du plongeur sous-marin.

Photo 3 - A Gili Air, les clubs de plongée rivalisent de confort.

Photo 4 - Les sites de plongée des îles Gili, une ribambelle...

Photo 5 - Ici, les piétons sont palmés!

Photo 6 - C'est parti pour Marin, direction les profondeurs de Gili Trawongan.

Photo 7 - Marin dans ses préparatifs à Gili Air.

Photo 8 - Humour sous-marin...

Photo 9 - Ballade sur Gili Air.

Photo 10 - Artiste sur noix de cocos, à Gili Air.

Photo 11 - Ados sur pandanus...
Photo 12 - Dans les rizières de Lombok...

Photo 13 - Travail aux champs, à Lombok.
Photo 14 - Au bord de la route, à Lombok.
Photo 15 - Atelier poterie, à Lombok.
Photo 16 - Adélie a toujours de l'imagination... Allez, une merdouille de plus dans sa cabine!!!
Photo 17 - Déco sur poterie, à Lombok.

Photo 18 - Atelier de tissage d'ikat, à Lombok.

Photo 19 - Un métier particulièrement compliqué...

Photo 20 - Atelier de batik, à Lombok.
Photo 21 - Batik, toujours.
Photo 22 - Batik, encore.





Photo 27 - A Kuta, dans le sud de Lombok.

Photo 28 - Un warong, sur la plage des surfeurs, à Kuta, sud Lombok.
Photo 29 - Village traditionnel sasak, au centre de Lombok.

Photo 30 - Village sasak, à Lombok.

Photo 31 - Machine à égrainer les céréales, à Lombok.

Photo 32 - Cuisine villageoise sasak, à Lombok.
Photo 33 - Grenier à riz, village sasak, Lombok.

Photo 34 - Idem...

Photo 35 - Chercheurs d'or, au centre de Lombok.
Photo 36 - Premier jour de ramadan, à Lombok...
Photo 37 - Les araignées à voile du Selat Lombok...


Photo 38 - Au reaching dans la brise!


Photo 39 - Retour de pêche, à Lombok.

Photo 40 - Remarquez le moteur auxiliaire!
Photo 41 - Quelle voile, toute en courbes! L'apologie de la souplesse...

Photo 42 - A-t-on inventé les trimarans en Occident, que neni!