mardi 21 juin 2011

MESSAGE N°2 – DES LOUISIADES A PORT-MORESBY,

Papouasie Nouvelle-Guinée.


Mardi 21 Juin 2011

La nuit sur la Mer de Corail a été relativement calme, mais le ciel a peu consenti à nous montrer ses étoiles. La couverture nuageuse est bien établie, et au lever du jour, le ciel était uniformément gris, la mer uniformément grise. Seules les couleurs vives de Jangada, le bleu du gennaker envoyé en milieu de nuit avec Marin, le jaune des protections de voiles et des coussins de pont tentaient d’égayer un peu cette ambiance de Manche en hiver, la température en plus. Vous me direz, rien d’extraordinaire, puisque aujourd’hui c’est le premier jour de l’hiver ici, et puis nous avons doublé l’Ile d’Ouessant hier après-midi… Dans cette grisaille, une première daurade coryphène a mordu dès 08H00 ce matin au leurre rose fluo que j’ai monté sur la canne bâbord. J’ai remarqué que, surtout lorsque le ciel est bouché, le soleil absent, les leurres fluo oranges ou roses marchaient mieux que les bleus ou les verts. Mais, damned, Marin qui était préposé au coup de harpon final lorsque l’animal fût amené le long de la coque, a raté son tir, et pour la 3ème fois d’affilée, la prise s’est fait la malle illico dans un saut acrobatique de la dernière chance. Bien joué, le poisson ! Pour nous, les boules, parce qu’après notre séjour aux Louisiades, où les épiceries n’existent pas, la cambusière nous menace (elle n’a guère d’autre choix à vrai dire) de routine alimentaire, elle qui possède un art consommé pour faire des merveilles avec pas grand-chose… Nous avons donc décidé de conjurer ce mauvais sort persistant en remettant la ligne à l’eau.

Une heure plus tard, une concentration d’oiseaux marins laissée à une encâblure sur bâbord m’a fait dire à mes garçons : « Regardez, fistons, il y a du poisson ! Dans 2 minutes, le frein chante ! ». C’était plus pour nous remonter le moral, mais cela s’est souvent produit, aussi. Et soudain, alarme générale, le moulinet Penn Senator dévire à fond en lançant sa petite musique d’alerte au prédateur. Scénario habituel, on enroule fissa le solent, on met en panne à la lisière du vent, grand-voile en ralingue, l’un de nous s’installe sur le tabouret de flotteur avec la canne et le moulinet dans les mains, l’autre enfile les gants, et comme en ce moment, c’est le luxe du nombre avec Timothée à bord, c’est lui qui a préparé les 2 fusils sous-marins et le croc à thon. Bon, je vous passe les menus détails, mais cette daurade mâle s’est montrée incroyablement combative. Il a d’abord fallu un quart d’heure pour la ramener à une vingtaine de mètres du bateau, cette opération ayant été émaillée de 3 ou 4 magnifiques sauts de l’animal hors de l’eau, pour tenter de se défaire de l’hameçon. Peu après, la bête a décidé de doubler le bateau, et de partir sur l’avant, ce qu’aucun poisson n’avait jamais tenté. Nous avons du démarrer les moteurs et mettre en marche avant pour reprendre la main ! A l’approche de la jupe arrière, après plusieurs dévirages du fil, on a choisi les grands moyens : le grand fusil harpon. Tim a tiré juste, mais l’impact a déclenché une réaction d’une extrême violence du poisson, quoique la dernière. Il a arraché le fusil des mains de Tim, la corde de retenue de la flèche lui cisaillant le doigt, avant de succomber à l’hémorragie, le poisson !, bien sur. Couleurs irréelles, jaune et vert éclatants, de cette daurade coryphène hissée sur la jupe, mais qui ne durent que quelques secondes, la mort les rendant peu après immédiatement ternes.

1,40 mètre au garrot, le menu du jour est assuré !

Les lignes de grains se succèdent, avec de la pluie, mais peu de vent.

John Deere, le spinnaker symétrique de vent arrière, prend l’air. Il est seul depuis la fin de la matinée à nous tracter sur la route directe qui nous rapproche de la terre. J’avais préféré tirer au large depuis hier pour éviter les risques de piraterie côtière. C’est que nous faisons route le long des côtes du pays des raskols, ces gangs qui font de la Papouasie Nouvelle-Guinée l’un des pays les moins sûrs du monde.

90% de taux de chômage à Port-Moresby, ça n’aide pas à sécuriser la ville. Bon, notre escale dans ce lieu charmant n’est justifiée que par le débarquement de Timothée, et nous n’avons pas l’intention d’y traîner, encore moins d’y faire du tourisme.

Ce soir nous sommes à une centaine de milles de l’arrivée, c’est donc pour demain. Nous allons nous diriger, de jour, directement dans l’enceinte de la marina, très gardée (il paraît qu’il y a même des murs d’enceinte avec barbelés !) du Royal Papua Yacht Club, à peu près le seul et paraît-il très chic Yacht Club que nous fréquenterons de tout notre voyage… A demain à Port-Moresby !

Olivier