dimanche 3 avril 2011

Billet N°99 Deep Water Cove, Bay of Islands (NZ). Il faut abandonner le tramail, histoire d’une prise de conscience écologique…

Mardi15 Mars 2011 -
Par Olivier

Lorsque j’étais enfant, nous pêchions, avec mon père et mes frères, l’été, sur le Lot, à quelques kilomètres de chez nous, en aval de Clairac, juste en amont du confluent avec la Garonne.

Mon père, par ailleurs ingénieur agronome - aujourd’hui heureux retraité de 86 ans - (il dirigeait non loin de là un domaine expérimental de l’INRA, l’Institut National de la Recherche Agronomique), y avait une barque, amarrée à un saule, et un permis de « pêche aux engins ». Oh, il ne s’agissait pas de chalut pélagique, ni de senne tournante océanique. Seulement une ou deux nasses, une ligne de fond, et un tramail d’une vingtaine de mètres de longueur.

L’engin le plus productif était la ligne de fond, d’une trentaine d’hameçons, disposés tous les 3 mètres. Tendue en travers de la rivière, en oblique, elle devait mesurer une centaine de mètres de longueur. Pour aller la poser, le soir avant le coucher du soleil, il fallait d’abord capturer, à l’aide d’une bêche et d’un bon coup de talon, une trentaine de gros vers de terre, dont les anguilles raffolaient. Nous posions aussi les nasses, non loin de la rive, amarrées à une branche basse, de façon peu voyante pour qu’elles ne soient pas visitées avant notre retour par quelque pêcheur indélicat. Le tramail, un filet d’environ 1,20 mètre de hauteur plombé à sa partie inférieure et muni de petits flotteurs à sa partie supérieure, constitué de 3 mailles juxtaposées (les 2 mailles extérieures mesurant 10 cm de côté, et la maille centrale peut-être 5 cm), était, lui, posé en général dans les herbiers de cette rivière dont le débit était plutôt calme et régulier. C’est ainsi que pendant des années, le congélateur de notre maison a toujours été garni de réserves conséquentes de poissons d’eau douce et de délicieuses anguilles que nous adorions faire cuire au barbecue. Le tramail, de temps à autre, nous ramenait une belle carpe, que notre mère cuisinait avec une succulente sauce au whisky.

J’avais par la suite prolongé quelque peu mon expérience de la pêche au tramail à bord du « Bel-EspoirII », le trois-mâts du Père Jaouen, à bord duquel j’avais eu la chance d’effectuer mon service militaire. Nous allions le poser parfois dans quelques rochers bretons, et Michel Jaouen ne laissait alors à personne d’autre le soin de confectionner avec nos maigres captures une délicieuse soupe de poisson générale dont lui seul avait le secret. J’en salive encore.

Alors, lorsque j’ai établi la liste du matériel d’armement qu’il nous fallait embarquer à bord de Jangada pour ce tour du monde, je me suis souvenu de nos vacances d’été sur le Lot, et des soupes du Père Jaouen, et j’y ai naturellement inscrit un tramail de 25 mètres, dont j’ai finalement fait l’acquisition quelques jours avant notre appareillage, auprès de la Coopérative Maritime de La Rochelle. J’avais aussi pensé à un casier, susceptible de mettre au menu de temps à autre crabes, cigales ou langoustes. Mais un casier est vraiment trop encombrant à bord pour l’usage que l’on en fait. J’avais bien trouvé une version pliable, mais elle était proposée au prix de l’or en lingot, et j’avais renoncé.

Nous voilà partis pour notre voyage actuel avec notre tramail, mais force est de reconnaître qu’il a très peu servi, et lorsque ce fut le cas, rarement à bon escient d’un point de vue écologique, je dois le reconnaître.

Il aurait pu par contre, et de peu s’en est-il fallu, nous amener pas mal d’ennuis avec les autorités des pays visités où nous avons décidé de l’utiliser.

Bien que j’hésitai toujours à aller le poser, ne sachant jamais si son usage était autorisé, toléré, ou strictement interdit, et par ailleurs s’il ne serait pas éventuellement mal vu par les autochtones, je fus parfois tenté, lors de longues périodes passées au mouillage qui ne permettaient donc pas la pêche à la traîne au large - notre principale source de protéines - de le laisser opérer pour la nuit à l’ouvert de quelque petite qui me semblait propice..

L’une des dernières expériences qui nous avait laissé un souvenir un peu chaud, à Marin et à moi, ainsi que quelques jolis trous dans le maillage du filet, remontait aux Tuamotus, il y a quelques mois. Nous y avions retrouvé, dans l’atoll d’Amanu, au petit matin, pas moins de 7 jeunes requins étranglés, certains déjà en partie dévorés par des congénères affamés et peu scrupuleux, et aucun poisson comestible… Certes les requins des atolls des Tuamotus ne sont pas en danger, ils sont des milliers dans chaque atoll, il n’empêche que je n’étais pas très fier de ce coup de filet, sans doute exceptionnel pour nos souvenirs, mais tout autant inutile et destructeur. Nous avions passé plusieurs heures à remettre de l’ordre dans le tramail, les cadavres des requins avaient certes nourri les représentants de leurs propres espèces, mais j’avais rangé le filet dans sa caisse pour un bon moment, ma conscience écologique ayant subi une atteinte non négligeable.

C’est que, comme tous les filets, le tramail a un gros défaut : il n’est pas sélectif. Il prend dans ses mailles tout et n’importe quoi, et engendre inévitablement un gaspillage de la vie animale.

Au matin du 14 Mars, poussés par une brise d’est nous doublons le Cap Brett qui marque au sud l’entrée de la Baie des Iles, sur la côte est du Northland néo-zélandais. Nous devons y passer une quinzaine de jours, avant de nous préparer pour reprendre le large vers la Nouvelle-Calédonie. J’ai repéré à quelques milles à l’intérieur de la baie une anse bien protégée de la houle, Deep Water Cove. Nous passons à proximité de l’épave du Canterbury, balisée par 3 bouées, que les plongeurs sous-marins venus d’Opua viennent explorer tous les matins. Puis nous mouillons dans une vingtaine de mètres d’eau, dans cette baie tranquille et sauvage.

A droite, j’aperçois un petit torrent d’eau douce qui dévale des rochers après avoir traversé la forêt. Dans l’après-midi, Marin et moi visitons les environs en annexe. Grottes marines et roches à fleur d’eau. Marin, qui utilise désormais la combinaison de Barbara (parti de La Rochelle petit garçon, c’est aujourd’hui un vrai jeune homme, qui a largement dépassé Barbara en taille…), plonge au-dessus de l’épave, mais l’eau, qui tire sur le vert bouteille, est chargée de plancton. La visibilité ne dépasse pas 3 à 4 mètres. Nous ne pouvons pas utiliser nos bouteilles de plongée, vides depuis notre arrivée en Nouvelle-Zélande: nous n’avons pas pu les faire recharger. Les raccords ne sont pas les mêmes, mais ce problème était surmontable. Ce qui l’est moins, c’est que la réglementation locale interdit strictement à tout professionnel kiwi de recharger une bouteille qui n’a pas été testée auparavant selon une norme connue en Nouvelle-Zélande. Et la norme gravée sur nos bouteilles est inconnue ici, donc, pas de remplissage. Et nous n’avons rencontré aucun bateau équipé d’un compresseur compatible.

Il y a un autre voilier au mouillage, néo-zélandais, et un petit bateau de pêche-promenade local, avec un couple assez âgé à bord, ancré à proximité de la petite plage de galets, au fond de l’anse. Je repars faire le tour de la crique en kayak, peu avant le coucher du soleil. En passant à proximité de la plage, je salue les néo-zélandais sur leur petit bateau à moteur bardé de cannes à pêche. Curieusement, car c’est vraiment rare dans ce pays foncièrement accueillant, ils ne me répondent pas : ils ne doivent pas aimer les étrangers, ou bien peut-être ont-ils vu notre pavillon français, et nous tiennent-ils rigueur de nos essais nucléaires passés dans le Pacifique, ou de la triste affaire du Rainbow Warrior ? Pourtant, nous avons eu largement l’occasion depuis le début de notre séjour en Nouvelle-Zélande, de nous rendre compte que les kiwis font le plus souvent une nette distinction entre les ressortissants français qui visitent leur pays et notre gouvernement, pas toujours bien inspiré, de quelque bord qu’il soit. L’affaire du Rainbow Warrior en particulier est généralement considérée comme une décision navrante de nos dirigeants de l’époque. Au fond, nul doute que les kiwis apprécient la France et les Français, notre façon de vivre, notre gastronomie, notre goût pour les belles choses (mode, parfums, cosmétique) et les belles pierres, notre technologie, notre histoire, et même notre équipe de rugby à quinze, dont ils ont appris à se méfier.

La plupart des néo-zélandais savent ne pas oublier qu’ils ont tous été des émigrants, dans les dernières décennies. Une seule autre fois, sur un sentier de randonnée, nous avions croisé un couple de kiwis, également âgé, qui se plaignait ouvertement d’une cohabitation qu’il jugeait difficile avec la population maorie dans certains quartiers d’Auckland. La très grande majorité des kiwis est d’un naturel ouvert et tolérant.

Je rentre à bord et propose à Marin d’aller poser le tramail à une centaine de mètres du bateau, devant une petite crique rocheuse. La nuit tombe. Nous embarquons le filet, les flotteurs, et les ceintures de plombs utilisées en plongée pour nous lester, qui serviront de poids mort à chaque extrémité inférieure du filet. Nous amarrons une extrémité du tramail autour d’une roche pointue légèrement au-dessus de la surface, puis tendons le filet, avec de gros flotteurs rouges, en travers de l’étroite petite crique, tout en laissant un passage vers la sortie.

Pour moi, l’animal doit toujours avoir une chance de s’en sortir indemne.

Pour être discrets, nous ne traînons pas. Une fois ce travail fait, nous vérifions la bonne position de l’ensemble, avant de regagner notre bord. Marin s’aperçoit alors qu’il y a déjà 2 ou 3 poissons de bonne taille empêtrés dans les mailles. Nous hésitons un instant à remonter le filet immédiatement, mais un regard vers le petit bateau kiwi à moteur m’en dissuade : on nous y observe à la jumelle ! Merde ! Ce n’est pas l’idéal.

Décidément, avec le tramail, c’est toujours le stress ! Nous décidons de rentrer à bord, et je dis à Marin qu’il faudra impérativement aller relever le filet demain matin, avant le jour, pour éviter le zèle inquisiteur de notre voisin de mouillage, à l’évidence peu sympathique.

Nous dînons, puis je rejoins ma cabine pour ma lecture du soir. En bateau au mouillage, en voyage, on apprend vite à se caler sur la lumière du jour, par commodité naturelle aussi bien que pour économiser la consommation électrique, qu’il faut compenser exclusivement avec les moyens du bord. Au moment de m’endormir, je veux régler l’alarme de mon réveil, mais je m’aperçois qu’il est resté dans la cabine de Marin, qui l’a utilisé récemment pour aller faire du surf au lever du jour, à Sandy Bay. Il ne me l’a pas ramené, et j’ai la flemme d’aller le chercher. Je me dis que je me réveillerai au petit jour, comme d’habitude, et que nous en avons pour 10 minutes à relever le tramail. Et je m’endors.

Malheureusement, lorsque j’émerge le lendemain matin, il fait déjà grand jour, et je constate qu’un petit motor-yacht équipé pour la pêche est venu mouiller dans l’anse pendant la nuit. J’aperçois 4 ou 5 gaillards sur la plage arrière. Si l’usage du tramail est interdit ici, ce n’est sûrement pas le moment d’aller relever le filet. Nous attendons qu’il veuille bien appareiller, en espérant que le petit bateau de pêche-promenade va en faire autant. Il ne restera plus que le voilier, et avec lui, on se sent des atomes crochus plus naturellement. Il faut attendre au moins 1 heure, puis le motor-yacht finit par lever l’ancre. Quelques minutes plus tard, le pêche-promenade en fait autant, mais à notre grande surprise, il ne met pas le cap immédiatement vers la sortie de la baie : il se dirige lentement vers les flotteurs rouges de notre filet !

C’est pas vrai !

Nous le voyons alors, à travers le hublot panoramique du roof, s’approcher du filet, tourner autour, nous regarder, hésiter, je me demande même s’il ne prend pas des photos, puis, toujours aussi lentement, il se dirige enfin vers l’ouvert de la baie.

Mais il prend vraiment son temps, s’arrête, remet en avant au ralenti, s’arrête. Ce manège ne m’inspire guère. Quand enfin il est à environ un demi-mille de nous, j’indique à Marin que le moment est venu. Nous sautons dans l’annexe et nous dirigeons l’air de rien vers le filet. Nous avons décidé d’enlever les flotteurs, de le rassembler rapidement dans l’eau, de passer un bout autour, de le détacher de la roche, et de le ramener à notre catamaran en le remorquant, c’est plus discret. Nous apercevons une multitude de poissons dans les mailles, et 2 raies de bonne taille encore vivantes. Outre le fait qu’elles font du dégât dans le filet, les raies sont dangereuses pour l’annexe et pour nos mains. Leur dard ne demande qu’à percer le flotteur pneumatique, ou à se planter dans nos chairs… Visiblement, le tramail ne doit pas être autorisé ici, et avec Marin, nous décidons d’effectuer l’enlèvement des poissons et le nettoyage du filet à l’abri des regards, entre les deux coques du catamaran, sous les trampolines. Nous attachons une extrémité du filet à la poutre transversale avant, et commençons notre laborieux travail, pas si sereins que cela, car je ne peux m’empêcher de penser que le type du pêche-promenade a tout à fait le profil, plutôt que de venir nous indiquer qu’il est formellement interdit d’utiliser un filet dans le coin, d’informer directement les autorités néo-zélandaises…

Alors nous nous dépêchons, mais nous en avons bien pour une heure à remettre de l’ordre dans tout ce bazar. Et les raies ne nous facilitent pas la tâche, continuant à faire des nœuds supplémentaires…

Soudain, mon attention est attirée par un bruit de moteurs, d’abord lointain, mais qui se rapproche indubitablement. Nous ne voyons pas l’entrée de la baie, planqués que nous sommes entre les deux coques de Jangada. J’espère un instant qu’il s’agit d’un bateau de plongée sous-marine qui va stopper au-dessus de l’épave du Canterbury, mais je dois me rendre à l’évidence auditive. Ce bateau est muni de moteurs hors-bord puissants et il entre à pleine vitesse dans la baie… !!! Marin me fait la même réflexion ! Je lui demande de larguer fissa l’extrémité attachée du filet, et m’arrange pour que celui-çi coule à 2ou 3 mètres sous la flottaison, en-dessous de l’annexe. Je ne le retiens plus que par un bout discret, la main quasiment dans l’eau. Le bateau approche, nous l’entendons ralentir à quelques dizaines de mètres, mais c’est clair qu’il vient directement vers nous ! Je dis à Marin de faire semblant de retendre les nœuds d’attache des garcettes du trampoline sans se laisser distraire, et de me laisser faire. Encore quelques secondes angoissantes, puis je vois apparaître l’étrave d’un énorme Zodiac Commando de couleur noire, monté par au moins 8 personnes en uniforme ! Je lâche immédiatement le bout, le filet descend vers le fond, lesté par nos deux ceintures de plomb de plongée qui sont restées à poste…

Pendant qu’une femme, qui semble commander la patrouille, s’adresse à moi en anglais, j’imagine le matériel qui arrive au fond, 20 mètres plus bas, sur la vase dure de Deep Water Cove ! Je ne lâche pas ma garcette de trampoline, faisant semblant de poursuivre consciencieusement mon travail.

- « Good morning, Sir. We are from New-Zealand Ministry of Fisheries…

- Hi. We are French. So, please, if possible, speak slowly!

- OK, alor vous parlé francais!

- Yes, nous parlons français.

- Hum, we are searching a net in the bay. Have you seen a net?

- A net? A fishing net?

- Yes, a fishing net !

En stoppant quelques mètres avant notre voilier, le gros pneumatique propulsé par deux moteurs de 250 CV chacun a généré quelques vagues, qui arrivent avec retard sous la nacelle, menaçant de nous rétrécir au niveau des vertèbres cervicales… Je dis à Marin de se courber et fais de même, d’un air un peu contrarié par ce manque de courtoisie du pilote, toujours debout aux commandes, aux ordres, dans son uniforme bleu marine… Je sens que je peux renverser l’avantage, à condition d’avoir de l’aplomb jusqu’au bout. Huit paires d’yeux m’observent attentivement, c’est pas le moment de flancher ! Barbara et Adélie sont dans le carré, finissant de dresser un tableau probablement en apparence à peu près honnête de nos activités du moment, en réalité totalement illicites…

- No, we haven’t seen any net! We just arrived yesterday at night!

- So, you aren’t using a net for fishing? What are you using to fish?

- Ho, we are using only two fishing rods, but only for fishing in open sea!

- OK, OK!

S’ensuit un bref conciliabule à voix basse, à la suite duquel je me dis que mes visiteurs vont vraisemblablement nous demander à inspecter notre voilier. Mais non, finalement, ils n’insistent pas, et nous saluent avec courtoisie. Peut-être n’ont-ils pas le droit de monter à bord des voiliers sous pavillon étranger, je ne sais. Marin et moi leur rendons leur salut, incrédules, et voyons le pilote actionner ses deux commandes d’embrayage. Le gros Zodiac disparaît à notre vue dans un remous d’eau copieusement brassée. Il se dirige vers l’autre voilier au mouillage : pourvu que ses pacifiques occupants n’aient rien vu de nos activités désormais et à l’évidence clairement répréhensibles !

Marin et moi continuons à retendre nos garcettes où aucun mou n’est à reprendre, tout en jetant un œil de temps à autre vers le nouveau théâtre des opérations de contrôle. Nous constatons que les choses ont l’air de se passer dans la bonne humeur, et néanmoins 2 contrôleurs des pêches montent à bord du voilier kiwi. Dix minutes plus tard, le Zodiac Commando repart vers la sortie de la baie, et prend la direction du Cap Brett !

Nous laissons tomber nos emplois fictifs, et regagnons notre bord. Je tape sur l’épaule de Marin, et je lui dis : « Ouahhh, on a eu chaud !!! » Il me regarde en souriant, et je le sens se détendre. Barbara a déjà commencé à rectifier le tir sur le plan de la morale, je la laisse faire le job qui s’impose naturellement, et me contente de dire qu’on était sans doute bons pour suivre le Zodiac jusqu’à Opua, passer la journée dans les bureaux des autorités, se faire verbaliser en bonne et due forme, et s’en sortir avec une belle amende…

Et je conclus que la pêche au tramail sur Jangada, on a encore donné, et cette fois, c’est bel et bien terminé ! Trop stressant !

Seul regret : que le filet soit au fond de l’eau, avec les deux raies vivantes mais prises au piège, et qui vont crever lentement… La mer n’est pas une poubelle.

Et je rappelle à Marin qu’on y a aussi laissé nos deux ceintures de plomb : il avait oublié ce détail, et accuse le coup, car il adore plonger.

Barbara voudrait rester dans l’anse de Deep Water Cove, mais je me méfie d’un retour éventuel de notre ami le mal léché, accompagné du gros Zodiac Commando…

Nous levons l’ancre et quittons la baie pour des cieux moins coupables. Je prends deux repères visuels croisés au moment de l’appareillage.

J’explique aux enfants que le filet, c’est finalement un mauvais moyen de pêcher, d’un point de vue écologique. Son manque systématique de sélectivité des captures occasionne à la faune locale des dommages qui, s’ils restent certes limités quantitativement au niveau d’un tramail de 25 mètres de longueur, provoquent néanmoins un gaspillage inutile de la vie animale. Je leur parle des ravages causés par les filets dérivants utilisés au large dans certaines régions du monde, et aussi tout simplement de ceux causés aux fonds marins par les chaluts. Sans compter les rejets à la mer, mais trop tard, d’une majorité des prises effectuées par les chalutiers, non recherchées et non consommables. Allez, exit le tramail, on se contentera de la pêche à la traîne, qui suffit amplement à subvenir à nos besoins en protéines !

Comme je viens de terminer le livre du scientifique Hubert Reeves intitulé « Je n’aurai pas le temps… », je lis aux enfants un passage de circonstance au sujet de la biodiversité et de la préservation de la vie, dont je partage complètement la teneur :

« Voyons notre Terre. Elle seule, dans le système solaire, héberge la vie. Elle foisonne de milliers d’espèces animales et végétales. Le contraste est grand avec les autres planètes, dont le sol est sec, aride et désertique. Nul ne sait comment la vie est apparue sur la Terre il y a un peu moins de 4 milliards d’année. Mais nous connaissons les facteurs qui en assurent la pérennité : l’alimentation, les sources d’énergie, et la reproduction qui permet à la lignée de durer… Cette organisation est fondamentale pour que la vie continue sur la Terre.

Force est de reconnaître que nous lui devons la nôtre !

Vu sous cet angle, sauver la biodiversité, c’est aussi manifester notre reconnaissance à cette logistique pour le fait d’exister aujourd’hui, ici et maintenant.

Un élément complémentaire vient s’y ajouter, dont nous découvrons progressivement l’importance : l’interdépendance des espèces vivantes. Dans ce réseau qui profite à tous, chaque lignée vient s’inscrire comme un maillon indispensable. L’érosion de la biodiversité à laquelle nous assistons, l’extinction par l’activité humaine d’un nombre sans cesse croissant de familles animales ou végétales, appauvrissent et fragilisent tout l’écosystème, dont nous sommes nous aussi un élément.

En cherchant à préserver toutes les formes de vie, c’est également nous-mêmes que nous préservons. »

Allez, c’est décidé, on ne pêchera plus au tramail à bord de Jangada…

Les enfants en ont bien compris la raison, Barbara n’aimait pas ce filet, et moi je me sens soulagé de l’inquiétude latente systématique qu’il provoquait lorsque je l’utilisais.

Epilogue : 48 heures plus tard, nous reviendrons à Deep Water Cove, pour tenter de récupérer notre matériel. Non pas tant le tramail, dont je préférerais cependant faire cadeau à un père de famille d’une île des Vanuatu qui saura probablement mieux l’utiliser que moi, et plus respectueusement de la nature, plutôt que de le laisser au fond de cette baie, mais surtout pour nos ceintures de plomb, dont nous avons régulièrement besoin. Je me dis aussi qu’un jour ou l’autre, l’ancre d’un bateau crochera le filet et remontera l’ensemble jusqu’au davier d’un équipage qui sera pour le moins surpris de sa trouvaille…

En arrivant dans la baie, je retrouve mes repères, et mouille au plus près de notre position précédente. Pendant que le CNED fait rage dans le carré, je mets l’annexe à l’eau, grée le grappin, et entreprend de ratisser le fond, à tout de même 20 mètres plus bas, ce qui nous laisse très peu de chance de réussite. J’effectue un premier trait, moteur au ralenti, avec le grappin en remorque, cordage tenu à la main pour tenter de sentir une éventuelle croche. Tout cela me paraît bien aléatoire, mais pour convaincre Barbara de l’intérêt de revenir tenter notre chance, je lui ai rappelé qu’il y a quelques mois de cela, en Casamance, dans le village de Nioumoune, notre copain diola avait réussi à ramener sur la rive ses lunettes de soleil auxquelles elle tenait particulièrement, malencontreusement tombées dans la vase au fond du bolong ; en utilisant avec un incroyable doigté et une infinie patience un simple filet de pêche à une maille. Alors, il faut essayer.

Ce premier trait d’une cinquantaine de mètres est à peine commencé que je sens tout à coup dans le cordage une résistance nette mais souple, qui ne peut se confondre avec une croche dans un rocher par exemple, plus brutale. Je remonte doucement le grappin, je n’ose croire au miracle, et en même temps la résistance que je sens au bout du cordage ne peut être que celle du filet lesté ! Bientôt la masse verdâtre du tramail en vrac apparaît à quelques mètres sous l’annexe, et la première chose que j’aperçois est l’une des deux raies, toujours vivante… Je ne suis pas très fier de sa situation. Mais c’est incroyable, j’ai croché dans le filet du premier coup !

Je n’en reviens pas. Hélas cette chance invraisemblable va me faire commettre une erreur. Je n’ose pas sortir le filet de l’eau pour l’embarquer dans l’annexe, car il y a 3 bateaux au mouillage dans la baie. Alors je me dirige doucement vers Jangada, persuadé que le grappin a bien croché dans les mailles. J’appelle Marin à la rescousse, lui demande d’attraper le bout que je lui lance, et de l’amarrer à un taquet sur le pont. Au moment où je transfère la tension du cordage depuis l’annexe vers le bateau, un peu de mou se crée et cela suffit à laisser le filet repartir vers les profondeurs… !

Je suis blême. Nous passerons plusieurs heures avec Marin à essayer de le récupérer à nouveau, et nous n’y parviendrons jamais.

Nos voisins de mouillage observeront notre étonnant manège autour de Jangada sans vraiment en comprendre la raison.

On ne peut pas gagner toujours sur tous les tableaux…

Olivier

La Baie des Iles, Northland, New Zealand.

Paysage de la Bay of Islands, vu d'Urupukapuka.
Un camping du DOC, sur Urupukapuka Island, Bay of Islands.
Promenades sur les îles de la baie, désertées par les touristes, c'est l'automne...
A Russell, l'ancien port de la Baie des Iles, un rendez-vous du Pacifique.
Pêche au marlin, à Russell.
Jangada croise bord sur bord un célèbre voilier...
... qui s'appelle Lion New Zealand (Course autour du Monde)
Visiteurs au mouillage...


- Le matin, le CNED fait rage à bord!
Et l'après-midi, c'est la récré!