Fin Décembre 2011
Par Olivier
Pour moi, modeste marin des temps modernes, il existe une petite énigme au sud du continent africain. Ou plus exactement un doute. Mais ce sujet n’a pas l’air d’interpeller grand monde, un constat qui devrait me pousser à rentrer dans le rang des touristes qui se font photographier, l’air béat, et sans se poser de questions, devant la pancarte de bois du Cape of Good Hope (Cap de Bonne-Espérance)…
J’y reviendrai
Par ailleurs, l’histoire est parfois injuste. Elle a retenu le nom de Vasco da Gama, portugais également, premier marin occidental à atteindre les Indes par le sud de l’Afrique, 10 ans après que son prédécesseur, Bartolomeu Dias, ne lui ouvre la voie du Cap de Bonne-Espérance. Mais le valeureux précurseur est resté méconnu. Pourtant il n’a pas démérité, payant de sa vie quelques années plus tard sa découverte du passage au sud de l’Afrique.
Le début du XVème siècle marque le début de l’expansion du Portugal hors des frontières lusitaniennes. L’Infant Henrique, dit le Navigateur, est un visionnaire : poussé par des motifs religieux autant qu’économiques (dont le négoce des épices, alors largement perturbé par l’emprise ottomane sur les routes asiatiques du commerce terrestre), il entreprend dès 1415 sa première expédition maritime vers le sud. De l’autre côté du détroit de Gibraltar, il conquiert Ceuta, enclave espagnole sur le continent africain tout proche. Il faudra une vingtaine d’années (1434) à ses capitaines pour franchir le Cap Bojador, à 300 km au sud des Canaries, à l’époque la limite du monde connu (et le siège de légendes terrifiantes). Et pas moins de trois quarts de siècle pour atteindre l’extrême sud du continent africain, trop pour que le roi ait le bonheur de savourer de son vivant la récompense des efforts ininterrompus de la nation, marins et savants en tête. Le Portugal doit beaucoup à ce prince explorateur, qui n’était pas marin, mais avait l’âme d’un explorateur, et chérissait ses capitaines. Henrique, pour servir ses desseins, a créé une académie des sciences qui rassemble les travaux et les connaissances des astrologues, des cartographes et des navigateurs d’Europe occidentale qui acceptent de partager leur savoir. Les navigateurs portugais vont profiter de l’amélioration des savoirs en matière de navigation astronomique et de cartographie maritime, mais aussi de ceux accomplis en matière de construction navale. La mise au point d’un navire plus léger, plus manoeuvrant, et remontant mieux au vent date de cette époque. Les qualités marines de la caravelle portugaise vont aider les capitaines d’Henri le Navigateur à gagner des rivages toujours plus lointains. Henrique meurt à l’âge de 66 ans, en 1460. Ses navires ont seulement atteint le Golfe de Guinée. Mais le roi Jean II poursuit, après le règne bref d’Alphonse V, son œuvre visionnaire. En 1474, l’équateur est franchi, sans qu’aucune des croyances obscurantistes de l’époque ne se réalise : les nefs portugaises ne s’enflamment pas au passage de la ligne, les eaux de l’océan ne se mettent pas à bouillir, et la peau des marins ne noircit pas au passage dans l’hémisphère sud...
Il faudra quatre générations de marins portugais pour descendre tout au bout de l’Afrique, et atteindre, enfin, l’Océan Indien.
Bartolomeu Dias naît en Algarve vers 1450. Il participe à sa première expédition sous les couleurs du Portugal à 16 ans, et atteint la latitude du Congo en 1466 avec son capitaine d’alors, Padrarias Davila. Il est à bonne école. De retour en Europe, il apprend beaucoup du géographe et cosmographe allemand Martin Benhaim, passionné de cartographie, qui reçoit chez lui tous les découvreurs de son temps, et qui lui transmet sa vision du probable monde. En 1481, il participe à une nouvelle expédition portugaise qui atteint l’actuel Ghana. En 1484 et 1486, Diogo Cao et d’Aveiro atteignent l’embouchure du Congo. Plus tard gentilhomme à la cour du roi Jean II, qui a succédé à Henrique et à Alphonse V, Dias exerce sa charge d’intendant des magasins royaux. Il est informé des moindres détails relatifs aux expéditions maritimes de l’époque. Il inspire confiance à son roi. Jean II décide de lui confier le commandement d’une nouvelle expédition qui doit tenter d’aller encore plus au sud le long des côtes africaines, et, si possible, de doubler la pointe extrême sud de l’Afrique pour ouvrir une route maritime vers l’Orient. Tout pousse à croire désormais qu’il existe vraisemblablement une route possible vers les Indes qui passe par le sud du grand continent. Mais si l’exploit de la pensée humaine est déjà pratiquement acquis, celui de la technique et de l’humain, l’exploit maritime en somme, lui, reste à accomplir. La flotte de Dias se compose de deux caravelles d’une cinquantaine de tonneaux (un peu plus de 23 mètres de long pour un peu moins de 7 mètres de large), et - nouveauté pour l’époque - d’une nef de transport (de nos jours, on parlerait de navire de support logistique), qui doit permettre de prolonger la durée de l’expédition tout en favorisant les caravelles, plus légères, plus libres de leurs mouvements et plus aptes à se défendre. La flotte de Bartolomeu Dias quitte Lisbonne en Août 1487, avec à bord 6 africains (2 noirs et 4 noires, précédemment capturés par Diogo Cao, sur la côte occidentale d’Afrique), habillés à l’européenne, porteurs de marchandises à échanger et destinés à inciter les populations indigènes à commercer utilement avec le royaume. En un peu moins de 4 mois, Dias, qui est alors âgé de 37 ans, atteint à son tour le Congo, puis laisse bientôt derrière lui le dernier comptoir portugais. Cependant les alizés de sud-est de l’Atlantique Sud, qu’il lui faut remonter, retardent beaucoup la lourde nef, qui traîne à l’arrière de la flotte. Dias décide de laisser ce navire trop lourd et trop lent dans la baie d’Angra das Voltas, atteinte le 25 Décembre 1487 (l’actuelle Luderitz, au sud de la Namibie) avec 9 hommes pour en assurer la garde. Il compte les retrouver là plus tard. Le chef d’expédition décide alors d’aller chercher les vents d’ouest plus au sud, dont Martin Benhaim lui a laissé entendre la probable existence. Une tempête (de sud-ouest, vraisemblablement) survient alors, et la terre disparaît à la vue des marins, qui vont être malmenés pendant près de 2 semaines au large. Le temps finit par se calmer, et l’expédition fait route à l’est, pendant plusieurs jours, sans rencontrer la terre. Bartolomeu Dias multiplie les observations astronomiques (rudimentaires à l’époque) et les calculs, et acquière la conviction qu’il a dépassé la pointe extrême sud de l’Afrique. Il décide alors d’infléchir sa route vers le nord, en espérant retrouver la terre. La côte re-apparaît bientôt, Dias trouve une baie abritée des vents tempétueux de sud-ouest. Le 3 Février 1488, les deux caravelles de Bartolomeu Dias jettent l’ancre devant une magnifique petite plage. Ils appellent l’endroit Aguada de Sao Bras, d’après le saint du jour (Saint Blaise). Aujourd’hui, c’est la plage la plus fréquentée de Mossel Bay, située à quelques 113 milles (209 km) à l’est du Cap des Aiguilles (l’extrémité sud vraie du continent africain), et à 184 milles (340 km) à l’est de l’actuel Cap de Bonne-Espérance. Dias fait de l’eau et des vivres dans la baie, à laquelle il donne le nom d’Angra dos Vaqueiros, tant les bovins y sont nombreux. Les équipages remettent de l’ordre à bord des caravelles et réparent les avaries léguées par la tempête. Dias veut poursuivre sa reconnaissance vers l’est. Il a quelques contacts avec les indigènes de l’endroit, les khoisans, en autres pour acquérir des vivres. Très vite, des affrontements interviennent. La flotte appareille vers l’orient. Mais, parvenu à l’embouchure de l’actuelle Fish River (entre Port-Alfred et East London), les équipages, épuisés et apeurés, se rebellent et refusent de poursuivre la route. Dias note que la côte, à cet endroit, a nettement amorcé une orientation au nord-est. Mais il est contraint de renoncer à aller plus loin sur la route de l’Océan Indien. Il se résigne à regrets à faire demi-tour. Auparavant, son équipage consent à ériger un padrao, un petit monument de pierre qui témoignera de la longitude atteinte vers l’est par l’expédition au sud du continent africain. Ce monument a été retrouvé et identifié en 1938 ! Sur la route du retour, Bartolomeu Dias identifie le Cap des Aiguilles, le point le plus austral de l’Afrique, puis, un peu plus tard, plus au nord et plus à l’ouest, un autre cap remarquable, qu’il baptise Cap des Tempêtes, car c’est à cet endroit qu’il a perdu la côte de vue et a été emporté vers le sud par le mauvais temps.
De retour à Angra das Voltas (Luderitz) près de neuf mois après en être parti, Dias constate que 6 des 9 hommes d’équipage laissés sur place pour assurer la garde de la nef sont morts. Sur les 3 marins survivants, l’un, malade, meurt brutalement (probablement d’une crise cardiaque) en apercevant ses compatriotes arriver ! Par ailleurs, l’état du navire s’est dégradé, et Dias décide d’abandonner la nef, qu’il sait déjà lente.
On la décharge, et on la brûle. Puis l’expédition fait route vers Lisbonne pour rapporter au roi Jean II la nouvelle de sa découverte. Un accueil triomphal l’attend sur les bords du Tage en Décembre 1488. L’expédition aura duré près de 16 mois.
Au milieu de la foule, un Génois inconnu, venu proposer ses services au roi Jean II pour la deuxième fois, observe les deux caravelles qui reviennent du sud lointain. Il s’appelle Christophe Colomb. Il a le visage sombre car il comprend qu’il sera désormais très difficile de convaincre le roi du Portugal de l’intérêt d’une expédition vers les Indes qui passerait par l’ouest. L’exploit de Bartolomeu Dias va l’obliger à modifier ses projets, et à trouver un autre commanditaire…
Bartomeu Dias, lui, a ramené la preuve qu’il était possible de contourner l’Afrique par le sud pour rejoindre l’Océan Indien et atteindre les Indes, puis l’Asie.
Pour le royaume du Portugal, c’est la promesse de grandes richesses.
Dans le sillage des caravelles de Bartolomeu Dias, l’Occident va bientôt dominer le monde…
Dias propose au roi Jean II de conserver au Cap des Tempêtes le nom que lui-même lui a donné. Mais le roi le rebaptise Cabo de Boa Esperança, car il y voit, à jute titre, la certitude que ses navires vont bientôt atteindre les Indes.
Bartolomeu Dias repartira quelques années plus tard vers le sud de l’Afrique. Le 8 Juillet 1497, il accompagnera Vasco de Gama qui part pour les Indes, et atteindra avec lui Calicut.
Son dernier voyage commence le 9 Mars de l’an 1500. Bartolomeu Dias accompagne cette fois Pedro Alvarez Cabral (1467-1520), chef d’escadre. L’expédition, qui compte pas moins de 13 navires, découvre le Brésil puis fait route vers le Cap des Aiguilles.
Bartolomeu Dias périt dans une tempête, au large du Cap de Bonne-Espérance, et disparaît avec son navire le 24 Mai 1500, englouti par les flots en furie avec 3 autres caravelles de l’expédition…
Au cours de son voyage de retour vers le Portugal, en Mai 1501, Pedro de Ataide (1450-1504), un autre capitaine de l’expédition de Cabral fait escale à Mossel Bay. Il fait attacher par ses marins au tronc d’un arbre (un milkwood tree), près de l’Aguada de Sao Bras (la source d’eau douce où les équipages venaient s’approvisionner), une vieille chaussure contenant une lettre relatant son voyage et la disparition en mer de Bartolomeu Dias. (Cet arbre a survécu aux siècles et il est aujourd’hui classé National Heritage Site de la République d’Afrique du Sud.) Le 7 Juillet 1501, un autre capitaine portugais, Joao da Nova (qui a donné son nom à une petite île française du Canal du Mozambique, intégrée dans les district des Iles Eparses des TAAF), faisant route vers les Indes, escale à Mossel bay et trouve la lettre de son compatriote de Ataide. La tradition du « post office tree » de Mossel Bay est née, et se perpétue encore aujourd’hui…
Souvenez-vous de Bartolomeu Dias, marin portugais, aussi valeureux que son compatriote Vasco da Gama…
Photo 1 - La statue de Bartolomeu Dias, à Mossel Bay...
Photo 2 - Bartolomeu, comment t'oublier...
Photo 3 - L'aguada de Sao Bras, la source de Saint Blaise, où s'approvisionna Dias en 1488...
Photo 4 - Sous le milkwood tree, la chaussure qui commémore la tradition des capitaines portugais est désormais en pierre...
Photo 5 - La réplique exacte de la caravelle de Bartolomeu Dias, à Mossel Bay...
Photo 6 - Reconstruite à l'identique à Vila do Conde, au Portugal...
Photo 7 - ...en 1987, elle a fait voile vers Mossel Bay fin 1987...
Photo 8 - ...pour commémorer le 500ème anniversaire...
Photo 9 - ... du passage de Bartolomeu Dias au sud de l'Afrique...
Photo 10 - Le Cap des Aiguilles, le point le plus sud du continent africain.
Photo 11 - Cape Point, au sud de la péninsule du Cap. Un vrai cap celui-là.
Photo 12 - Le Cap de Bonne-Espérance, un promontoire très modeste et sans phare, mais est-ce le Cap des Tempêtes de Bartolomeu Dias...