JOUR 0 – Samedi 26 Novembre 2011
A la table à cartes de Jangada, je reprends depuis un peu plus d’une heure mes habitudes de mer. L’équipage aussi qui, pour le moment quelque peu nauséeux et peut-être aussi un peu anxieux du parcours qui nous attend, a envahi les banquettes du carré, dans une position la plus proche possible de l’horizontale… C’est qu’avant même le franchissement en sortie des jetées du port de Richards Bay, la houle qui rentre dans l’embouchure de la lagune provoque un tangage désagréable qui a tendance à effacer rapidement les souvenirs d’immobilité d’un confortable séjour au port. Après 2 semaines d’escale contrastée (les relations de la communauté humaine en Afrique du Sud ont été pour nous un choc), dont 10 jours amarrés à un ponton du Zululand Yacht Club, et de multiples tergiversations et spéculations sur l’évolution de la situation météorologique compliquée de l’extrême sud de l’Afrique, nous avons appareillé à 13H00, larguant les amarres du ponton d’un des plus agréables yacht-clubs que nous ayons connus au cours de notre voyage. Eau, électricité, facilités à terre (jardin, jeux, bar, restaurant, BBQ, douches, laverie, magasin d’accastillage et internet wi-fi), rampe de carénage et chantier attenant avec moyens de sortie d’eau, tout cela pour environ 70 rands par jour (soit 7 euros) pour un catamaran de 15 mètres… ! Merci, commodore !
Nous établissons la voilure, GV et solent, laissons une quinzaine de cargos à leur mouillage d’attente sur bâbord, et faisons route d’abord vers le sud-est pour aller chercher l’avantage du courant portant des Aiguilles. Le vent, serré au départ, doit tourner instamment vers l’est, puis le nord-est dans l’après-midi. Nous infléchissons progressivement notre route vers le sud.
Notre objectif est simple : profiter de cette fenêtre météo que nous attendons depuis plusieurs jours pour aller le plus loin possible vers l’ouest le long de la côte sud-africaine, sans se faire trop chahuter et encore moins se mettre en danger. Notre destination finale est False Bay, une baie abritée immédiatement au sud de Table Bay, la Baie de la Table où se situe la ville de Cape Town. La petite ville de Simonstown, dans l’ouest de False Bay, dispose d’un port qui sert de base navale à la Marine sud-africaine. Il y a là une marina, où nous espérons trouver une place, ou au moins un mouillage. Dans le cas contraire, nous tenterons notre chance à Hout Bay, un peu plus au nord, et en dernier ressort (nous essayons d’éviter les inconvénients liés au séjour dans les grandes agglomérations), nous irons au Royal Cape Yacht Club, qui gère les facilités logistiques nautiques de la ville de Cape Town. Inutile de s’y présenter trop tôt, l’arrivée de la première étape de la Volvo Ocean Race 2011-2012 a du remplir les pontons visiteurs ! False Bay est limitée au sud-ouest par la péninsule du Cap, qui se termine par le fameux Cap de Bonne-Espérance. Mais, peut-être ne le saviez-vous pas, le cap le plus célèbre de l’Afrique australe n’est pas le point le plus au sud du continent africain. Cette position extrême en latitude est occupée par le Cap des Aiguilles (34°50’Sud), situé à environ 80 milles marins au sud-est du Cap de Bonne-Espérance (34°22 Sud). C’est donc le Cap des Aiguilles qui délimite géographiquement et différencie l’Océan Indien et l’Océan Atlantique. Alors notre objectif pour les jours qui viennent, c’est de doubler le Cap des Aiguilles, l’extrémité sud de l’Afrique, qui nous fera retrouver les eaux de l’Océan Atlantique, en refermant dans le sillage de notre voilier la porte de l’Océan Indien. Le Cap de Bonne-Espérance, quelques heures de navigation plus tard, ne sera plus qu’une formalité. Qui d’ailleurs attendra peut-être que nous rejoignions la Baie de la Table par la mer, car False Bay s’ouvre en fait à l’est immédiat du Cap de Bonne-Espérance.
Rallier le Cap des Aiguilles depuis Richards Bay représente 758 milles de navigation au plus court, et Simonstown se trouve à 848 milles de notre point de départ.
Entre ces deux points, les pièges connus des côtes sud-africaines : temps changeant rapidement, prédictions météorologiques souvent démenties par l’influence des phénomènes locaux (en particulier ceux liés au déplacement des masses d’air au-dessus de l’Afrique australe), passage de fronts météorologiques puissants et brefs, courant fort des Aiguilles portant au sud-ouest avec veines de contre-courant, possibilité de formation rapide (quelques dizaines de minutes) d’une mer très dure avec vagues (anormalement) hautes et déferlantes si un vent soutenu de sud ou sud-ouest affronte le courant principal, etc…
Vers 15H00, le vent amorce sa rotation par l’est vers le nord-est. Jangada accélère sur une mer grise sous un ciel gris, c’est parti !
Olivier