Par Olivier
A une trentaine de km à l’est de Knysna, et à la limite des provinces du Western Cape et de l’Eastern Cape, la petite ville de Plettenberg Bay est une station balnéaire appréciée des sud-africains, blancs, bien entendu. Elle s’abrite des vents forts de sud-ouest derrière un promontoire rocheux de près de 9 km de long, le Cap Seal. Celui-çi ferme au sud une grande baie sablonneuse propice aux activités de plage. La jeunesse sud-africaine essentiellement blanche s’y délecte dans des établissements sablonneux qui sont une des choses inventées par l’homme dont j’ai le plus horreur à titre personnel. Leur existence ne me dérange pas, mais surtout ne me proposez jamais d’aller à la plage dans ce genre d’endroit, que je tente toujours de fuir à toutes jambes. Je n’aime que les belles plages à peu près désertes des îles éloignées, que l’homme n’a pas défigurées par un urbanisme moche mais sans doute juteux, qui ne sentent pas la crème solaire et les hamburgers frites, au bord desquelles aucun pavillon publicitaire pour marques de boissons sucrées ne flotte au vent, et sur lesquelles l’étalage de viande humaine plus ou moins molle reste raisonnable. Le bourg de Plettenberg est ceinturé par des centaines de villas, résidences secondaires de sud-africains aisés, les classes moyennes partageant davantage leur résidences en multi-propriété (time share). Les noirs n’y sont plus interdits, il y a des progrès, on en voit donc quelques uns, souvent en famille, mais le clivage économique a pris le relais de l’apartheid racial. C’est très efficace aussi, et beaucoup plus présentable ! Très majoritairement, la population noire habite donc dans des townships à la périphérie de la ville. La différence de niveau de vie entre blancs et noirs est énorme, même s’il est probable que depuis une quinzaine d’années, une classe moyenne noire est en train de se constituer. Nul doute qu’il faudra des années et des années (soit des décennies) pour réduire la fracture sociale (ça me rappelle quelqu’un, ça !) en Afrique du Sud. J’ai aussi noté sans surprise que dans les zones où les blancs sont très majoritaires (comme à Knysna ou à Plettenberg), on se sent évidemment, nous blancs, beaucoup plus en sécurité que dans les zones où la proportion ethnique est inversée, comme à Richard’s Bay par exemple. Simple logique de rapport de forces, y compris au premier degré, dans la rue. La chose qui finalement m’a le plus intéressée sur la plage de Plettenberg fut de voir un vieux Land-Rover d’une quarantaine d’années en parfait état avec lequel un loueur de jet-skis venait proposer ses services à la jeunesse du Cap pas encore dorée en ce début de vacances, et un autre équipé d’un canopy en aluminium dont les sud-africains sont spécialistes (Alu-Cab) et qui avait attiré mon attention. On ne sait jamais, il va peut-être falloir que je commence un de ces jours à réfléchir et à imaginer un futur prochain grand voyage autour du monde, en solitaire sans doute, histoire d’avoir une chance de survivre…
Nous quittons rapidement la plage de Plettenberg, et filons vers l’est, dans la direction de Port-Elizabeth. A une cinquantaine de km se trouve le site de Bloukrans. Y est installé le bungy (saut à l’élastique) le plus haut du monde, 216 mètres, sur un pont en béton qui traverse une ravine encaissée au fond de laquelle serpente un petit ruisseau.
Apparemment, personne n’est jamais venu se gaufrer lamentablement dans ses eaux vives et limpides. La société Face Adrenalin est l’organisateur local des délicieuses décharges de ladite substance dans les veines de clients relativement rares, mais en fait, cette adrénaline-la, très peu pour moi : c’est totalement inimaginable pour mon esprit étroit de tenter un truc pareil pour éprouver je ne sais quelles sensations. Je n’y trouverais absolument aucun plaisir, et j’imagine même que ma résistance mentale serait telle qu’il y a probablement une chance sur deux que j’y abandonne d’une crise cardiaque fatale ma modeste vie…
“World’s most professional operation with 100% safety – 100% adrenalin”, dit pourtant la pub. En espérant du fond de mon âme un refus catégorique, je demande avec une extrême modération et un manque total d’enthousiasme aux enfants s’ils sont intéressés. Heureusement, tout le monde tombe d’accord pour regarder les autres se faire peur pour 700 rands (70 euros), réduction à 450 rands pour le deuxième saut si vous avez survécu. Avec un œil fixé sur le pont maudit , et l’autre sur le grand écran du petit restaurant qui surplombe le bazar, nous assistons avec un certain scepticisme, devant nos assiettes de fast-food, à l’une des manifestations les plus emblématiques de l’esprit humain moderne…
Nous filons vivants vers la réserve marine de Robberg, pour y effectuer une magnifique randonnée vers le cap Seal, ainsi nommé parce que depuis des millénaires des centaines de phoques y ont élu domicile. Le long promontoire rocheux domine un paysage magnifique de falaises déchiquetées et de rivages en furie, baignés par une lumière de fin du monde au coucher tourmenté du soleil. L’œil exercé du marin aperçoit au large le souffle des baleines franches et les accents circonflexes des dauphins qui sautent joyeusement hors de l’eau, à la poursuite de quelques bancs de poissons. Les eaux qui baignent cette côte de l’Afrique australe sont froides, pas plus d’une quinzaine de degrés en été, et un peu plus à l’ouest, dans l’Océan Atlantique, elles se mettront en ordre de marche vers le nord pour remonter le long des côtes de la Namibie et de l’Angola, formant le courant de Benguela, une veine bien délimitée qui apporte brumes mais aussi nourriture en quantité à une multitude d’animaux marins et d’oiseaux qui affectionnent cette côte.
Marin et Adélie sont devenus au fil des années de bons marcheurs (à défaut d’être des marcheurs enthousiastes, question d’âge sans doute, espérons que ce goût leur reviendra plus tard), et nous effectuons en 3 heures au lieu de 4 à 5 le tour de la péninsule de Robberg. Les colonies de phoques envoient dans les hauts, portées par le vent de sud-est, de fortes odeurs de déjections qui me rappellent mes séjours en Antarctique. Leurs grognements sourds nous parviennent atténués, le sentier passant à une centaine de mètres au-dessus des roches de bord de mer sur lesquelles ils se prélassent par centaines. Les voir nager d’en haut reste un spectacle magique, tant ils sont aussi à l’aise dans l’eau qu’ils sont maladroits à terre. Barbara se blesse le pied sur une roche contendante (elle marche en tongues, une salle habitude de tourdumondiste confirmée…), et les enfants se précipitent pour l’escorter dans les dernières centaines de mètres devenues difficiles. De belles images que je fixe sur la pellicule…
Nous laissons les eaux tumultueuses du Cap Seal derrière nous, l’obscurité les recouvrira bientôt, et regagnons la lagune de Knysna où nous attend notre voilier, sagement amarré au petit quai du waterfront de Knysna Quays. Le Drydock (la cale sèche), le restaurant devant la terrasse duquel nous sommes amarrés, passe en boucle indéfiniment la même bande musicale, qui ne doit pas dépasser une trentaine de minutes… Je vais finir par détester Demis Roussos, Cesaria Evora (Dieu ait son âme !), et Jacques Brel. Je ne les écoute plus, je les supporte…
Photo 1 - Bloukrans Bridge...
Photo 2 - Le bungy le plus haut du monde, 216 mètres de chute au maximum...
Photo 3 - La ravine et le pont de Bloukrans. ..
Photo 4 - Le promontoire du Cap Seal, à proximité de Plettenberg.
Photo 5 - Les colonies de phoques, sur les roches basses...
Photo 6 - Le garde-manger préféré des grands requins blancs d'Afrique du Sud...
Photo 7 - La côte sud de Robberg Marine Reserve, face au Grand Sud...
Photo 8 - Les côtes tourmentées d'Afrique australe...
Photo 9 - ... où vents forts et courants puissants s'affrontent ...
Photo 10 - ... nous rappellant les rivages extrêmes de la Bretagne occidentale...
Photo 11 - Marin fait une pause au refuge de Robberg Marine Reserve...
Photo 12 - Barbara (légèrement) blessée au pied, placée sous bonne escorte...
Photo 13 - La convalescence sera brève, à mon avis c'était une ruse de sioux dans laquelle les enfants sont tombés...