Du Mercredi 4 au Samedi 7 Mai 2011.
Un dernier week-end avec nos amis calédoniens à l’îlot Pandanus, chacun avec son bateau, puis, le Lundi 2 Mai, nous effectuons les derniers approvisionnements et les formalités de départ à Nouméa. Dans l’après-midi, nous quittons la Baie de l’Orphelinat, et sortons de la Petite Rade, en direction de la passe de la Havannah. Le vent est nul et nous nous déhalons doucement avec un moteur, sur l’eau calme du lagon. Nous jetons l’ancre dans une anse du Canal Woodin pour y passer une nuit paisible. A l’aube, nous remettons en route et sortons du lagon par la passe de la Havannah. Un léger vent de sud-sud-est nous permet de faire route sur un bord vers l’île de Maré, la plus au sud et la moins fréquentée des Iles loyauté, celle qui est restée la plus authentique. Nous parvenons de nuit devant la petite baie de Tadine, où se trouve le petit port local, une simple jetée de quelques dizaines de mètres de long, qui abrite un petit quai. Seuls quelques lampadaires municipaux balisent la route côtière. Nous approchons lentement, la cartographie électronique est décalée, et l’usage du projecteur à main de rigueur. Nous jetons l’ancre à l’ouvert du petit port ; un léger ressac et le bruit des vagues qui viennent briser sur le rivage de corail mort nous accompagneront dans la nuit. Le lendemain matin, je partirai découvrir le petit hameau de Tadine, où la vie s’écoule paisiblement. Je trouverai un arrangement pour pouvoir disposer d’une voiture pour 24 heures, et sitôt la séance de CNED et le déjeuner expédiés, nous partirons faire le tour de l’île. Splendide plage de Wabao au sud, hameaux perdus de Medu et d’Eni, petit bourg de La Roche, et centre culturel Yeiwene Yeiwene, où a lieu un petit festival local. Le leader indépendantiste, tué en 1989 dans l’île d’Ouvéa en même temps que Jean-Marie Tjibaou, par un indépendantiste plus extrémiste encore, était natif de Tadine. Nous sommes passés à proximité de sa tombe, en bordure de mer, au sud du village, alors que la population locale célébrait l’anniversaire de sa mort, avec force drapeaux kanaks. Nous nous sommes faits discrets, seuls blancs présents sur place, mais n’avons pas ressenti d’agressivité ouverte à notre encontre. Par contre, au centre culturel Yeiwene Yeiwene, après le discours du grand chef de La Roche (selon la coutume), et celui du maire de la petite localité, j’ai entendu pendant une demi-heure dans la bouche d’une égérie locale apparemment marquée au fer rouge du FLNKS un invraisemblable discours qui m’a semblé d’un autre âge, dans lequel l’ « Etat colonial » était accusé de tous les maux, alors que la culture kanak était, elle, portée au pinacle… Les guerres tribales incessantes, parfois agrémentées de cannibalisme, qui se déroulaient sur ces îles comme sur le Caillou ne sont pourtant pas si lointaines… Et j’ai pourtant eu l’impression qu’aux Iles Loyauté, l’Etat colonial en question déversait (là aussi) pas mal d’argent, sans que la population locale n’apparaisse abrutie par le travail… J’ai même eu l’impression que par le biais du statut de la Province des Iles (qui s’ajoute aux deux provinces nord et sud du Caillou, mais dans laquelle les habitants ne sont que quelques milliers), les Loyauté recevaient proportionnellement encore plus de subventions de toutes sortes (en salaires de la fonction publique ou territoriale, en particulier) que les autres provinces. Le niveau de développement et de vie de la population des Loyauté n’est en tout cas pas comparable avec ceux des îles avoisinantes indépendantes de l’Ouest Pacifique. Ici, c’est l’El Dorado. A titre d’exemple, lorsqu’à quelques heures de mer plus loin, et quelques jours plus tard, nous découvrirons l’archipel indépendant des Vanuatu, ce discours passéiste nous apparaîtra bien déplacé, et difficilement entendable de nos jours… Peut-être faudrait-il songer à organiser quelques vols charter de recadrage du débat vers les Vanuatu avant la consultation à venir (prévue d’ici quelques années) sur l’indépendance du territoire calédonien… Ou bien, malgré l’investissement consenti, larguer le Caillou et les Iles en leur souhaitant bon vent, ce qui devrait logiquement faire baisser sensiblement nos impôts… Mais là encore, ne rêvez pas, il n’en sera rien, l’argent public sera seulement mal dépensé ailleurs ! Allez, passons.
L’île de Maré me rappelle l’Ile de Niue. Même genre de configuration géologique, île de corail mort, même genre de végétation dense mais pas luxuriante. Pas d’une beauté inoubliable, Maré, mais la vie semble s’y écouler avec tranquillité.
Cependant, notre deuxième nuit au mouillage de Tadine nous réserve un mauvais souvenir. Alors que le vent était jusque-là stable au sud-est à 15 noeuds, une ligne de grains s’abat sur nous vers le milieu de la nuit. Je commence à ne connaître que trop bien ce type de scénario, relativement fréquent dans l’ouest du Pacifique, et inauguré non sans dommage aux Tonga, il y a quelques mois. Le vent grimpe soudainement à 30/40 nœuds, rafales à 50, en tournant de plusieurs dizaines de degrés. D’un mouillage protégé sous le vent de l’île, nous nous retrouvons en l’espace de quelques instants dans un piège, dans l’obscurité, le vent rageur et la pluie qui tombe drue. Au vent de la côte désormais exposée aux rafales et à la mer qui déferle. J’allonge la chaîne de 50 à 80 mètres, mais ne peux faire plus dans l’immédiat. Cela améliore l’angle de traction du mouillage, mais cela nous rapproche aussi des patates de corail que nous avons reconnues avec Marin, ce matin. Sans rien voir de précis, je devine que les premières ne sont plus qu’à une quinzaine de mètres des tableaux arrière… Une situation jamais agréable. Je réveille tout le monde, on enfile les cirés, on répartit les lampes frontales… Je démarre les moteurs, qu’on n’entend même pas ronronner tant le fracas du vent et de la mer qui explose sur la côte toute proche est fort. J’hésite à larguer le reste du mouillage (20 mètres de chaîne encore) en coupant l’étalingure d’un coup de couteau, pour prendre le large. L’ancre a l’air de tenir bon, et je sais la chaîne solide, pour l’avoir vue à maintes reprises largement sollicitée. Mais je sais que si ça commence à déraper, je n’ai que quelques petites secondes pour réagir avec toute la puissance des moteurs, larguer le mouillage et appareiller dans la nuit…
C’est ce genre de situation – pris au piège à proximité immédiate de la côte et du corail, de nuit, dans un grain tropical puissant - qui se révèlera le plus dangereux pour notre sécurité pendant ce voyage. Au large, nous n’avons jamais été en danger, le risque d’abordage étant le premier qui vient à l’esprit. Le plus fort du grain durera 1 heure, suffisamment pour laisser un mauvais souvenir dans ma mémoire. Puis la pluie prendra le dessus sur le vent, un moment que j’apprécie toujours, parce qu’il signifie pour le Captain que la partie est gagnée… Il suffit alors d’attendre, de proposer à Barbara et à Adélie d’aller se coucher, puis à Marin un peu plus tard. Mais comme le vent mettra plusieurs heures à revenir au sud-est, je m’installe sommairement dans le carré pour le reste de cette mauvaise nuit.
Nous effectuerons le trajet de Maré à Lifou la nuit suivante, poussés par une petite brise portante sous un ciel étoilé. Je ne dormirai pas beaucoup non plus, car quelques îlots bas et inhabités se trouvent sur la route, et le radar de Jangada ne marche plus depuis des lunes. Je n’ai pas réussi à le faire réparer en Nouvelle-Zélande, il aurait fallu amener le bateau à Auckland… J’ai alors songé à le faire réparer à Nouméa, mais pas moyen non plus… Alors je me méfie de l’imprécision de la cartographie électronique, et vais passer une partie de la nuit à scruter des yeux dans l’obscurité la position et le déplacement relatif de la masse sombre de ces îlots non éclairés, qui défilent à quelques dixièmes de milles par le travers.
Au lever du jour, nous entrons dans la baie profonde de Wé, à Lifou, la plus grande île des Loyauté, qui abrite la plus petite marina que j’ai jamais vue. Initialement, nous n’avions évidemment pas l’intention d’entrer dans la marina de Wé, un concept (celui d’entrer dans une marina !) qui nous est devenu lointain voire étranger depuis notre départ de La Rochelle.
Mais mouiller à Wé n’est guère facile, le platier corallien déborde la côte partout, la houle entre dans la baie, et la chose n’est guère prévue. Alors je me décide à remonter lentement le petit chenal et à entrer doucement dans la micro-marina. Virage à droite serré, regards matinaux étonnés, à Wé, la largeur de Jangada semble déplacée. Pourtant, nous avançons, sans autre but que de découvrir cette minuscule marina, jusqu’au fond de l’abri, et là, le miracle, pas même attendu, se produit. L’équipement, géré par les mélanésiens locaux, n’avait pas de directeur depuis presque 2 ans. Le dernier avait succombé quelques heures après une opération de sauvetage d’un voilier en difficulté. Mais, depuis quelques jours, il y en a un nouveau, qui, fraîchement débarqué, doit progressivement reprendre les choses en main. Le voilà qui s’active sur le petit ponton capitainerie, et sans que nous ne lui demandions rien, se met en tête de faire déplacer un autre cata pour nous offrir la place d’honneur, au quai d’honneur. Incroyable ! Un peu inquiet, je lui demande combien cela va nous coûter, en lui précisant que nous ne sommes là que pour quelques heures, 24 au maximum, selon l’intérêt que nous aurons à visiter le village de Wé, capitale de Lifou et des Iles Loyauté. Il me fait comprendre qu’il vient d’arriver, et que le temps de reprendre les choses et les tarifs en main, le séjour sera gratuit pour Jangada ! Jolie surprise, comme quoi il ne faut pas trop médire sur la gestion des outils provinciaux par la mouvance indépendantiste, elle peut parfois avoir de bons côtés ! Nous allons ainsi profiter de ce mouillage inespéré en eau calme, sous un soleil de plomb, avec eau douce et électricité le long du bord ! L’un des premiers à nous prendre les amarres sera William, le directeur du seul hôtel de Wé, le Drehu Village, de bonne tenue. Passionné de voile, il connaît déjà Jangada et son voyage par la revue Multicoques Magazine, et nous étonne en nous appelant tous par notre prénom ! Plus tard, nous irons profiter de la connexion Internet de l’hôtel, et William nous racontera la vie dans les Iles Loyauté autour d’une Number One dégoulinante de fraîcheur. Nous ne garderons pas un souvenir impérissable du village de Wé, tout en longueur, malgré la préparation de la soirée « Bingo », chère aux insulaires. Fin d’une petite escale imprévue au quai de la marina de Wé, d’où Jangada ressortira lavé à l’eau douce, lessivé et rincé abondamment, comme le linge mis à sécher dans le gréement. La météo est favorable pour faire route sur le sud de l’archipel des Vanuatu, à quelques 150 milles de là, sur un bord, au près bon plein dans l’alizé modéré. En route pour Port-Resolution, sur l’île de Tanna, au pied du volcan Yasur. Drôle d’impression que de rebrousser chemin en longitude, pour quelques degrés, en faisant route à l’est, alors que nous sommes désormais, depuis notre appareillage de Nouvelle-Zélande, sur le chemin du retour. Mais l’archipel du Vanuatu semble valoir le détour, et plus tard, nous ferons route vers celui des Louisiades, en Papouasie Nouvelle-Guinée, alors ce petit crochet semble se justifier. Au détriment du Queensland australien, qui, probablement, ne nous laisserait pas le même genre de souvenirs.
Olivier
Photo 1 - Baie de Wabao, ïle de Maré, Loyauté.
Photo 2 - Ombre et lumière sur la plage de Cengeite, à Maré.
Photo 3 - Case de village, à Eni, au sud de Maré, Iles Loyauté.
Photo 4 - Eglise de La Roche, Maré, iles Loyauté.
Photo 5 - Cimetière de Medu, à Maré.
Photo 6 - A Maré, on se souvient du leader indépendantiste Yeiweine Yeiwene, originaire de Tadine.
Photo 7 - Sa tombe est située au sud du village, au bord de la mer.
Photo 8 - Il fut assassiné en même temps que Jean-Marie Tjibaou, par un indépendantiste extrémiste, à Ouvéa, le 04 Mai 1989.
Photo 9 - Le drapeau kanak, très présent dans les Iles Loyauté.
Photo 10 - A La Roche, nous assistons à un petit festival local.
Photo 11 - Couleurs locales...
Photo 12 - Artisanat local...
Photo 13 - Le Hano, jeu local, qui sera adopté à bord de Jangada, sur les trampolines!
Photo 14 - Grand Chef local...
Photo 15 - Jeunes beautés locales...
Photo 16 - Cuisine locale...
Photo 17 - Ouverture du plat de fête en Nouvelle-Calédonie, le bougnat...
Photo 18 - ... cuit dans des feuilles de bananiers, dans le four traditionnel, dans le sol.
Photo 19 - Incroyable, Jangada s'est trouvé une place dans la minuscule marina de Wé, à Lifou!
Photo 20 - Escale imprévue avec eau et électricité, c'est rare!
Photo 21 - Marin a trouvé un plongeoir de choix, la jetée du petit port de Wé.