jeudi 29 décembre 2011

Billet N°138 Oudtshoorn, province du Western Cape, capitale mondiale sud-africaine de l’élevage d’autruches…

Par Olivier
Il paraît qu’une autruche, c’est con comme un balais…

Moi, je suis prudent avec la notion d’intelligence. L’expérience de la vie m’a appris qu’il  en existe tellement de formes différentes…  Méfions-nous des soit disant surdoués, et des itou fieffés imbéciles. La vie sait se montrer compliquée. Bon, si on parle poids du cerveau, l’autruche ne s’en sort pas très bien, c’est sûr. Seulement 40 grammes pour un poids moyen de l’animal de l’ordre de 120 kg, pouvant aller jusqu’à 150. C’est vrai que quand vous regardez une autruche droit dans les yeux, vous avez l’impression de vous trouver en face de Paris Hilton, la plastique en moins. Question étincelles, c’est donc limité. Chacun de ses yeux aligne par contre 60 grammes sur la balance, l’autruche n’est peut-être pas lumineuse, mais elle a une vision exceptionnellement bonne. Cependant ce cerveau gros comme une noix n’est pas l’explication du principal problème de l’autruche, à savoir qu’elle ne sait pas, qu’elle ne peut pas voler. Il y a très longtemps, ce devait être le cas pourtant, mais le concept de l’évolution des espèces cher à Darwin a changé sérieusement la donne chez l’autruche, depuis probablement quelques dizaines de millénaires. Par contre, c’est connu, elle a de bons jarrets, et elle court vite : jusqu’à 70 km/h ! Pour autant, les courses d’autruches montées sont un mythe. Dans la tradition locale, elles n’ont jamais existé, autrement que pour amuser le touriste. L’autruche peut vivre plus de 40 ans, mais le gros avantage de la bestiole, c’est qu’elle est capable d’atteindre un poids de 100 kg en seulement 14 mois après la naissance, tout ça avec un joli plumage, une performance qui a largement favorisé l’idée de son élevage. Et aussi, malheureusement pour elle, son rendez-vous précoce à l’abattoir…L’autruche pond un œuf tous les 2 jours, et  dans son milieu naturel, la ponte cesse d’elle-même à environ 15 œufs, le maximum que le couple parental peut couver. Dans les fermes d’élevage, la ponte s’étend de Juillet à Février, et ne cesse jamais pour peu qu’on enlève à l’animal ses œufs au fur et à mesure de sa production…

Un œuf d’autruche équivaut à 24 œufs de poule, commode pour faire d’un coup une belle omelette ! L’épaisseur de la coquille est de l’ordre de 3 mm, c’est du solide ! Barbara et Adélie se sont amusées à marcher sur des œufs (pleins) sans pour autant se retrouver avec les phalanges inférieures repeintes en jaune gluant. Dans la nature, les mâles sont d’un tempérament territorial qui peut devenir rapidement agressif. Ce sont eux qui possèdent les plus jolies plumes, longues et soyeuses, d’un noir profond. Le plumage des femelles, de texture plus grossière, est de couleur grisâtre, moins beau, et commercialement sans intérêt, sauf pour en faire des plumeaux à poussière. Alors que les plumes des mâles sont utilisées par les danseuses de cabaret du monde entier ! Dans les fermes, les revenus attachés à l’élevage d’autruches se répartissent de nos jours en 60% pour le cuir, 30 % pour la viande, et 10 % pour les plumes. Eh oui, on se promène de moins en moins avec une plume d’autruche sur le chapeau, et encore moins dans le cul…sauf du côté du Lido ou du Moulin Rouge !

La petite ville d’Oudtshoorn, située à une centaine de km de la côte au niveau de Mossel Bay, s’est développée sur les plateaux du Little Karoo, une des plus belles régions d’Afrique du Sud. Encadrées par deux massifs montagneux orientés est-ouest, le Swartberg au nord et l’Outenika au sud, les terres semi-arides du Little Karoo offrent des paysages splendides de défilés rocheux et de vallées encaissées sur fonds de montagnes grandioses. Laissant le bateau à quai sur le Waterfront de Knysna, nous avons décidé de venir y passer la journée avec une voiture de location.

L’intérêt de l’homme pour l’autruche s’est développé à partir du XVI ème siècle, lorsque les élégantes dames de la société aristocratique  européenne ont commencé à déambuler gracieusement dans les salons en utilisant des plumes d’autruche comme accessoire décoratif. A cette époque, point d’élevage, la chasse à l’autruche, aisée,  pourvoyait aux besoins, jusqu’à ce que le nombre des volatiles diminue dangereusement.  Un classique de la bêtise humaine. Les commerçants en plumes furent les premiers à évoquer l’idée de l’élevage des autruches, à la fin du XVIII ème siècle. La première ferme d’élevage vit le jour dans ce qui est devenu l’Algérie d’aujourd’hui.  En Afrique du Sud, l’élevage d’autruches prit de l’ampleur dans la région d’Oudtshoorn, particulièrement propice, très chaude en été, à compter de 1863. L’abondance des terres disponibles favorisa à l’époque l’élevage extensif. Malgré la relative sécheresse (en surface) des terres plutôt arides du Little Karoo, l’eau abonde dans les nappes phréatiques sous-jacentes à faible profondeur, alimentées par les nombreuses petites rivières dévalant des massifs montagneux proches, et  la culture de la luzerne (qui demande beaucoup d’eau) a beaucoup contribué au développement de l’élevage d’autruche, de plus en plus intensif. La luzerne est coupée, ensilée, puis transformée en granulés, avant d’être distribuée aux animaux tout au lond de l’année comme aliment complémentaire, et parfois même principal. Implantée à compter de 1860, la luzerne s’est également révélée particulièrement propice au développement rapide du plumage des autruches, du fait de son apport riche en protéines.

Le premier boom commercial, essentiellement lié au commerce de la plume, intervint sur une décennie, entre 1875 et 1886. A cette époque, en Europe surtout, il n’était pas un chapeau de femme qui ne soit pourvu de quelques plumes d’autruche. En quelques années, on dénombra jusqu’à 32 000 fermes d’autruches dans la région d’Oudtshoorn. L’élevage des volatiles venait souvent en complément des cultures traditionnelles locales, comme les céréales et le tabac, occupant 40 à 50% du travail des fermiers en 1880. La richesse induite par le boom de la plume entraîna rapidement un courant d’immigration vers la région d’Oudtshoorn, dont un filon juif lituanien qui se spécialisa rapidement dans le commerce de la plume, exportée principalement vers Londres, Paris et New-York. Vers 1890, la dégradation qualitative du marché de la plume d’autruche fût une conséquence directe du nombre excessif de fermes et de sociétés commerciales liées à une activité qui avait atteint rapidement ses limites. Nombre de structures de production et de négoce s’effondrèrent et disparurent. Seules subsistent alors les plus solides, qui vont connaître une nouvelle période d’expansion, jusqu’à la première guerre mondiale. C’est que la plume d’autruche est désormais utilisée non seulement sur les chapeaux des élégantes, mais aussi sur les robes et les accessoires de mode. Entre 1900 et 1910, l’Afrique du Sud couvre plus de 80% des besoins mondiaux en plumes d’autruche. Le bourg d’Oudtshoorn  change alors de visage. Quelques belles fortunes se créent en quelques années, et l’on voit les « barons de la plume » se faire ériger en ville de somptueuses demeures dénommées feather palaces, dont il subsiste aujourd’hui quelques exemplaires. La guerre de 14, ainsi qu’à moindre degré, la surproduction, la spéculation sur les prix et la précarité de la mode provoqueront l’effondrement durable du marché. Il faudra attendre l’avènement des années 1970 pour que l’élevage d’autruche reprenne quelques couleurs. La plume passera alors au troisième et dernier rang des revenus des fermiers, alors que la viande (Oudtshoorn possède un abattoir spécialisé) et plus encore le cuir deviendront les principales sources de revenus liés à cette activité. La peau de la bestiole donne un cuir de très bonne qualité, très résistant, ourlé de petits points régulièrement répartis qui furent autant d’attaches de plumes, et qui tient bien la multiplicité des coloris. On en fait des sacs, des ceintures, des porte-monnaie et des portefeuilles, des abat-jour aussi …  Quant à la viande, elle gagne à être connue. Nous nous étions promis de déjeuner d’un steak d’autruche à Oudtshoorn, et nous n’avons pas été déçus. Pour chacun de nous, ces steaks grillés, tendres et juteux, entre magret de canard et bœuf fondant, vraiment délicieux, furent  parmi les tous meilleurs filets que nous n’ayons jamais dégustés. Cela m’a rappelé la viande délicieusement tendre et merveilleusement bien préparée que j’allais manger, lorsque j’avais 25 ans, dans certains restaurants spécialisés du centre de Buenos-Aires. Le kilo de filet d’autruche est vendu environ 200 rands (20 euros) dans les bonnes boucheries du pays, et même en supermarché. On peut aussi déguster de l’autruche sous forme de viande séchée, appelée biltong, très prisée à l’apéritif pat les afrikaners de souche.

Oudtshoorn, devenue aujourd’hui une petite ville aérée et paisible, au tempérament néanmoins très afrikaner, vit toujours de l’autruche, version touristique. Le marketing est passé par là, et les coquilles d’œufs du volatile, travaillées jusqu’à l’extrême, sont déclinées en une multitude d’objets qui se veulent décoratifs. Le meilleur investissement reste peut-être celui d’un sac ou d’un portefeuilles en cuir d’autruche, qui, sur place, est d’un très bon rapport qualité/longévité/prix. Depuis quelques années, quatre fermes d’autruche ont ouvert leurs portes au public dans la région d’Oudtshoorn, en proposant un service de restauration à midi avec autruche à toutes les sauces, une activité qui représente pour elles jusqu’à 50% de leur chiffre d’affaire annuel.

L’élevage des autruches, c’est finalement pas plus mal que celui des cochons, la bestiole est probablement plus con mais elle sent moins mauvais…

Une piste de job, peut-être pour moi, à la fin du voyage ?


Photo 1 - Dans les environs d'Oudtshoorn, sur les monts du Swartberg...

Photo 2 - Question taille, Marin va bientôt rattraper son père, 1,86 m...

Photo 3 - Les paysages du Little Karoo, en début d'été austral...

Photo 4 - Des terres arides, une température élevée, mais un sous-sol riche en eau...

Photo 5 - Elevage intensif de jeunes autruches, essentiellement à base de granulés de luzerne...

Photo 6 - Femelle autruche dans son enclos...

Photo 7 -  La séduction du mâle passe par la danse, pas un truc pour moi ça...

Photo 8 - Bon, ben voilà le résultat...

Photo 9 - Un père (à g.) trés attentif, qui couve la nuit, la femelle (à d.) s'y collant le jour...

Photo 10 - Barbara marche sur des oeufs, aucun problème, c'est du solide!

Photo 11 - Charcuterie d'autruche et d'antilopes, à Outshoorn...


Photo 12 - Filet grillé d'autruche, frites et petits oignons, un délice!
Photo 13- Dans les rues d'Oudtshoorn...
Photo 14 - Le commerce de la rue, sans doute parallèle...
Photo 15 - La plume d'autruche, à l'origine des malheurs de l'animal, mais du bonheur des dames...