samedi 30 juillet 2011

Billet N°116 – Premières impressions indonésiennes…

- Du Jeudi 7 juillet au Mercredi 20 juillet

Par Barbara

Découvrir l’Indonésie et le continent asiatique, par la ville de Kupang au Timor Occidental est une entrée en matière radicale.

Après 9 jours passés en mer où les odeurs sont inexistantes, l’odorat est comme neuf, affûté et avide. Alors au petit matin, (Olivier et Marin avaient jeté l’ancre pendant la nuit) ce sont les odeurs puissantes et plutôt malodorantes de Kupang qui m’ont réveillée en me prenant à la gorge. Nous étions mouillés devant quelques cabanes de parpaing, de bois et de taule, et quand nous avons débarqué sur la plage au milieu des détritus, notre premier indonésien était unijambiste mais habile comme un singe et sa fille d’une quinzaine d’année lépreuse ou à moitié brûlée, je n’ai pas su faire le distinguo. Dans tous les cas, nous étions bien loin de nos îles du Pacifique et tout proches, m’a-t-il semblé, de l’Asie de « Slumdog Millionnaire ». Après s’être faufilés dans des ruelles tortueuses nous avons débouché sur l’artère principale de Kupang où le flot frénétique des deux roues  nous a happé. Bienvenue en Asie, dans le vif du sujet ! Remarquez après cet atterrissage sans fioritures à Kupang,   la suite ne pourrait être que mieux…

Nous sommes restés le minimum de temps à Kupang, le temps de faire les formalités d’entrée sur le territoire indonésien, et des appros en fruits et légumes et sommes partis à la découverte d’une autre face de l’Indonésie, celle de la campagne et des villages de pêcheurs, des rizières et des zébus, des volcans et des graines de cacao qui sèchent au soleil. Bienvenue à Lembata, puis à Flores, îles situées à l’est de l’archipel de la Sonde.

Quelques données que j’ai retenues sur ce grand pays qu’est l’Indonésie : 4 fois grand comme la France, et 4 fois plus peuplé également avec ces 240 millions d’habitants. L’Indonésie est un archipel de plus de 13 500 îles qui s’étend sur plus de 5 000 km d’ouest en est, du sous-continent indien à l’Océanie. Elle comprend les îles de la Sonde (Sumatra, Java, Madura, Bali, Lombok, Sumbawa, Sumba, Florès et la partie occidentale de l’île de Timor), une grande partie de l’île de Bornéo (Kalimantan), l’île de Célèbes (ou Sulawesi), l’archipel des Moluques, ainsi que la partie occidentale de l’île de Nouvelle-Guinée (Irian Jaya). Le pays compte 4  fuseaux horaires. Environ 65 % du territoire indonésien sont recouverts de forêts équatoriales ou tropicales. Enfin, c’est le plus grand pays musulman de la planète en nombre d’habitants.

Flores est une des petites îles de l’archipel de la Sonde. Elle s’étend sur 360 km de long et 60 km de large. L’île est extrêmement montagneuse, avec des sommets atteignant 2 399 m et bon nombre de volcans en activité. L’intérieur de l’île est très boisé. Les principales productions agricoles sont le maïs, le riz, la noix de coco, la cannelle, le café, le tabac et le coton. On y élève du bétail et de la volaille, et l’on y trouve quelques exploitations de gisements miniers. De grandes quantités de nacre sont pêchées dans la mer de Florès. Sa population est estimée à environ 270 000 habitants,  très majoritairement chrétienne et souvent animiste dans les montagnes.

En photos, quelques images de l’Indonésie profonde et authentique, loin de celle des visages pales et de la frénésie touristique de Bali. Mais même loin des centres urbains, le bémol qui est de taille, est la saleté ambiante. Détritus en plastique en tout genre jonchent les bas côtés, les rivières, les chemins, les littoraux, les plages et la mer ! C’est une vraie calamité, et qui ne semble pas prête d’être endiguée. J’ai observé les enfants qui sirotaient leur canette de soda et qui tout naturellement une fois terminée la jetaient sur la route. Il n’y a pas si longtemps encore (et c’est encore le cas aujourd’hui au Vanuatu et aux Louisiades) tous les emballages et les contenants étaient fabriqués à partir de fibres naturelles de pandanus, de palmes de cocotiers, etc…alors les balancer après usage sur le bas côté du chemin ne dérangeait personne ni l’environnement ! Dans l’archipel des 17 îles au Nord de Flores, considéré comme un joyau de l’Indonésie (d’après les guides…), nous nous serions crus à « Plastic-Land », les plages regorgeaient de tongs, de bouteilles, de brosses à dent, de bidons, de poupées, etc…Dans les villes, ce sont les égouts et les décharges, à ciel ouvert qui nous ont stupéfié, forcément les détritus bouchent les égouts qui débordent, mouches, rats, moustiques et compagnie prolifèrent …C’est aussi ça malheureusement l’Indonésie.

Enfin pour conclure ces premières impressions sur l’Indonésie, question navigation, pour la grande aficionada des navigations hauturieres  que je ne suis pas, naviguer dans les îles de la Sonde restera un  paisible souvenir. Mer plate à l’abri de la côte, vent faible voir inexistant, vitesse moyenne avoisinant les 4 nœuds, ce qui suppose donc du moteur, et qui dit moteur, dit frigo bien froid, dessalinisateur  en fonctionnement et donc eau douce dans les réservoirs…Que du bonus pour la vie du bord !

Photos 1 et 2 :
Les moyens de transports collectifs sont principalement les bémos(minibus) au tarif unique quelque soit la distance parcourue en ville (2000 ou 3000 roupies, soit 15 à 20 centimes d’euro), prenant et déposant personnes et marchandises n’importe où en chemin. La musique est poussée à fond, et les enceintes d’exécrable qualité. Les bémosrivalisent en efforts de décoration.
Un autre moyen de transport : les ojeks. Ce sont des motards prenant des passagers pour un prix négociable.
Les deux roues motorisées sont le moyen de locomotion par excellence, les indonésiens y montent à 1, 2 ,3 ou 4 sans souci !



Photos 3 à 8 :
Le marché ou pasar en bahasa indonesia(langue officielle) est un lieu coloré et animé. Le plus joli et le mieux achalandé que nous ayons vu est celui, hebdomadaire (le samedi matin) de Maurole, sur la côte centrale nord de Flores. Après les ignames, le taro et autres tubercules qui étaient souvent les seules légumes de nos dernières îles du Pacifique, retrouver tout ce choix ici en Indonésie est un vrai plaisir visuel et gustatif. Carottes, concombres, tomates, salades, choux, pomme de terre, haricots verts, aubergines, échalotes, gingembre, épices colorent les étalages et ensuite nos assiettes. En revanche ce n’est pas la bonne saison pour les fruits à part les bananes. Au pasar, on trouve aussi du poisson frais ou séché, de la viande couverte de mouches, et des babioles en tout genre et en plastique de préférence.






  
Photos 9 à 11 :
L’agriculture est principalement une agriculture de subsistance. Dès que l’on sort des villes on trouve des jardins potagers, dans les villages les habitants sont soit pêcheurs soit agriculteurs. Avec des spécialités par hameau, comme par exemple l’arak (alcool de palme) ou le sucre de palme. A Flores, on cultive le cacao, le café. Devant les maisons à la campagne sèchent des graines de cacao fraîches, et du café vert.
Les terres arables sont rares et l’agriculture sur brûlis est malheureusement largement répandue.




Photos 12 à 14 :
Les premiers paysages de rizières en terrasse indonésiennes me ravissent. Ils représentent pour moi l’Asie comme je me l’imaginais. Nous observons également avec fascination ces gros buffles qui labourent les rizières et qui se vautrent dans les flaques d’eau avec plaisir. L’Indonésie est le 3e producteur mondial de riz.


Photos 15 à 17 :
Les Ikats : le terme indonésien Ikat signifie « nouer » ou « lier ». Il s’agit d’étoffe aux motifs élaborés dont les fils de coton avant d’être tissés, sont minutieusement noués et teints à partir de teintures naturelles. Les styles d’Ikat varient selon les villages et le sexe de la personne qui le porte. Certains modèles sont réservés pour des occasions spéciales comme les mariages, les enterrements, etc…A Flores, les habitants portent encore beaucoup les Ikats. Leur silhouette naturellement fine est encore plus longiligne quand ils se drapent dans cette étoffe qu’ils portent avec simplicité et élégance.



Photos 18 et 19 :
Les indonésiens ont de beaux cheveux noirs et lisses. Les jeunes garçons aiment se confectionner des coiffures branchées avec crêtes et gel.
Alors que je faisais la réflexion à un indonésien sur la beauté de leur chevelure et sur le fait que les vieilles femmes n’avaient pas de cheveux blancs, il m’a expliqué que c’était du au massage du cuir chevelu et aux shampoings au lait de coco frais. Il a alors demandé expressément à sa femme de me faire un tel shampoing…allongée sur une natte de bambous, au milieu de la cour, je n’avais plus qu’à me laisser faire…certes cela n’a pas été qu’une partie de plaisir tant Yacintha frictionnait et peignait énergiquement, mais incontestablement le résultat en valait la chandelle. Mes cheveux n’ont jamais été aussi brillants et souples.


Photo 20 :
Seul et unique triste avantage de tous ces déchets qui jonchent la plage, cette petite fille joue dans la cuisine qu’elle s’est fabriquée.

Photo 21 :
Les petits indonésiens vont à l’école tous les matins de 07h00 à 14h00, du lundi au samedi inclus. Le samedi est le jour réservé au scoutisme. Les enfants font alors des travaux d’intérêt généraux. Ils apprécient toujours d’avoir de la visite dans leur école et la cour se transforme alors en véritable volière !

Photo 22 :
Voici notre ami providentiel, Vincent Ata Bala, rencontré à Maurole. Il  a été chauffeur à Bali et parle très bien anglais, ce qui est une véritable aubaine pour nous. En effet très peu d’Indonésiens rencontrés parlent anglais ce qui limite considérablement les échanges bien que nous essayons vainement d’apprendre et de retenir quelques mots de bahasa Indonesia.
Encore une fois, la règle se confirme selon laquelle faire une rencontre avec une personne de qualité comme Vincent, change radicalement la donne pour visiter, comprendre, saisir l’âme d’un endroit. Vincent se met avec générosité et simplicité à notre disposition pour nous faire découvrir les richesses de son île. On découvre ainsi avec lui et le bémo de son frère de petits hameaux nichés dans les collines surplombant les rizières. Vincent connaît bien son affaire et nous explique gentiment l’environnement qui nous entoure. Ce n’est pas tout, il nous invite à deux reprises à partager les repas avec sa famille élargie dans sa case de bambous. Nous touchons ainsi de tout près le quotidien d’une famille indonésienne et c’est exactement ce qu’on recherche et qu’on aime dans notre voyage. Merci Vincent !


Photo 23 :
La maman de Vincent et une cousine, drapées dans leur Ikat, fabriquent un panier. Le savoir faire semble malheureusement disparaître auprès des nouvelles générations…Plastique quand tu nous tiens !!!
 
Photo 24 :
Dans le centre de l’île de Flores, culmine une merveille de la nature, le Kelimutu. Il s’agit d’un volcan dont le cratère est constitué de trois lacs de couleurs différentes. Pour les habitants, le Kelimutu est un volcan sacré, et la légende veut que les âmes des morts montent vers ses lacs. Celles des jeunes et des gentils rejoignent le lac turquoise, celles des vieux le froid lac brun, et celles des méchants le lac noir.
Marin, Olivier et Adélie prennent la pose devant le lac turquoise…

Billet N°115-Premiers bords en Asie…

Du Jeudi 7  au Lundi 11 Juillet 2011.

Par Olivier

D’abord la Mer d’Arafura, puis la Mer de Timor.

Après notre passage du Détroit de Torrès, le beau temps est revenu au-dessus de notre catamaran. Dans les premières heures de notre navigation sur les eaux bleu pastel de la Mer d’Arafura, une mer peu profonde au fond particulièrement plat, nous apercevons encore de temps à autre quelques petits serpents marins, qui relèvent la tête hors de l’eau à notre passage sur leur terrain de chasse, et quelques tortues marines qui plongent à notre approche. Cette première semaine de mer dans l’Océan Indien restera dans notre mémoire comme l’une des plus agréables depuis notre départ de La Rochelle. Beau temps inamovible, vent portant d’une quinzaine de nœuds, mer belle. Pas de houle, empêchée par la présence, au vent, de la massive côte australienne. Un train de sénateur à bord de Jangada, qui vit même John Deere, le grand spi de vent arrière, rester à poste deux nuits durant. Un noddi brun fatigué vint passer une nuit à bord. L’avion des douanes australiennes, un bimoteur marqué « Customs », nous survola plusieurs fois, arrivant directement sur nous par l’arrière à basse altitude, en général en fin de journée ou début de nuit. S’ensuivait parfois un petit interrogatoire VHF, toujours le même. Mais au fur et à mesure que nous progressions vers l’ouest et la Mer de Timor, le zéphyr devint de plus en plus évanescent, et la risée Volvo, sur un moteur d’abord, puis deux, dut prendre la relève en fin de traversée. J’avais tracé une route légèrement au nord de la route directe pour éviter quelques champs pétroliers offshore, et nos seules rencontres furent, en fin de parcours, celles de pêcheurs de Timor présents sur les bancs du large.

La silhouette nouvelle et caractéristique de leurs embarcations, sur le pont desquelles je pouvais apercevoir aux jumelles des marins à la peau foncée et à la tête enturbannée, faisait invariablement penser à quelques bateaux pirates de la Mer des Célèbes (non loin de là, au nord), et aux récits que j’adorais lire dans ma jeunesse. Pour l’heure, je n’hésitais pas, de nuit, dès que j’apercevais leurs feux de travail, à naviguer avec tous nos feux éteints, et au pire, avec seulement notre feu flash clignotant de tête de mât ; un feu toujours intriguant quand on le croise de nuit, et qui ne donne pas directement, seul, l’indication du type de notre bateau ni celle de la direction suivie par notre voilier. Je n’hésitais pas non plus à modifier le cap de quelques dizaines de degrés pour passer à plus grande distance de ces bateaux de rencontre. Mais ces pêcheurs étaient le plus vraisemblablement parfaitement pacifiques. Il fallait seulement que notre esprit et notre imagination s’habituent à l’Asie, notre nouveau terrain de jeu.

Cependant, je me méfie, par principe de précaution, de ce que j’appelle la piraterie d’opportunité, celle qui verrait un équipage de navire de pêche local avec à sa tête un capitaine peu scrupuleux se transformer pour l’occasion (qui ferait en l’occurrence le larron), au large des côtes, en équipage pirate occasionnel capable d’une agression contre un voilier de passage. Dans ces circonstances, de jour, je laisse toujours planer un doute sur la composition réelle et le nombre de membres d’équipage de notre voilier, et je demande aux jolies filles du bord, au nombre de deux, d’éviter de se montrer. Depuis que je me suis séparé, entre les Galapagos et les Gambier, par 4000 mètres de fond, d’un revolver de gros calibre embarqué au départ à titre préventif pour notre passage aux Iles du Cap Vert (Mindelo surtout), au Sénégal (Dakar principalement), au Brésil, au Venezuela et au Panama (dans ces trois pays partout… principalement !), je me sens, il est vrai, sensiblement moins capable de dissuasion. Il me reste une matraque en teck massif habilement dissimulée sous la table du cockpit, deux fusils sous-marins, et un pistolet de détresse, normalement destiné à tirer des fusées rouges, mais qui tire aussi des cartouches détonnantes, lesquelles explosent à 250 mètres de hauteur en faisant un bruit … de canon, digne de l’artillerie embarquée de La Boudeuse !

En approchant de la pointe sud-ouest de l’île de Timor, le vent reprend et souffle à 25 nœuds établis, ce qui ne fait pas nos affaires. Nous avons en effet décidé d’arriver de jour, car le petit détroit qui sépare Timor de l’île de Semau est encombré, paraît-il d’un grand nombre de bateaux de pêche, qui ne facilitent pas le passage de nuit. Nous mettons en panne à une vingtaine de milles de l’extrémité sud-ouest de Timor, à la tombée de la nuit, mais le bateau dérive à sec de toile à plus de 3 nœuds sur le fond.

Je décide de dormir deux heures puis, la situation devenant peu confortable, nous renvoyons la grand-voile à 2 ris et le foc en ciseau, route sur le détroit. Le radar est en panne depuis des semaines, et c’est une des rares fois où il aurait été réellement utile. Il faudra s’en passer. La nuit est noire, et lorsque nous virons la pointe de Timor en serrant le vent, Marin et moi découvrons dans le détroit une barrière lumineuse quasi continue de navires de pêche qui travaillent aux lamparos ! Ce constat peu enthousiasmant fait un peu monter la pression à bord de Jangada, car nous ne savons pas exactement avec quels types d’engins ces bateaux travaillent. De plus, ce qui semble bien être des bouées à feux scintillants ajoute à l’encombrement du passage qui ne fait que quelques petits milles de large. L’esprit du skipper, qui se doit d’anticiper en permanence, imagine alors facilement des manœuvres de barre in extremis, des filets piégeant nos ailerons anti-dérive, des bouts pris dans nos hélices, et des pêcheurs indonésiens en colère qui gueulent dans la nuit… Seul point rassurant, la cartographie électronique semble bien calée. Par précaution, nous affalons la grand-voile, n’envoyons que la moitié du solent, et démarrons les deux moteurs pour être immédiatement manoeuvrants. Pour une fois, tous nos feux sont allumés, car je me doute qu’avec leurs puissants lamparos, les pêcheurs ne doivent guère voir au-delà du périmètre de leur pont. Toutes ces conditions favorables étant réunies, nous nous engageons dans le détroit avec une certaine appréhension. Mais, comme d’habitude, l’œil et l’esprit s’habituent progressivement à la situation, et les choses se décantent doucement. Nous avons mis notre projecteur à main en batterie sur le pont, et, avec Marin, nous gérons la route anti-collision de Jangada bateau par bateau, obstacle par obstacle. Nous nous en sortons pas trop mal, et sur l’écran de l’ordinateur de navigation, la trace électronique du voilier progresse vers le nord. J’absorbe plusieurs soupes chaudes et quelques moques de café qui tiennent mes sens éveillés malgré l’heure tardive. Les senteurs de la terre traversent le détroit. L’épreuve durera cependant 3 à 4 heures, avant que la plupart des embarcations soient derrière nous. A l’approche de la sortie nord du passage, les lumières de Kupang dessinent dans le ciel un halo blanchâtre qui nous guide. Nous slalomons entre quelques cargos au mouillage, croisons quelques bateaux de charge aux moteurs pétaradants faiblement éclairés et gagnons ce que nous pensons être une zone de mouillage possible jusqu’au jour. Je repère une vedette militaire au mouillage, et m’en approche.

L’ancre tombe dans la vase à quelques dizaines de mètres du rivage. Les odeurs de la ville, aux effluves discutables, assaillent nos narines. Une pirogue à moteur passe à nous raser dans l’obscurité. Il est 03H00 du matin passées. Nous avons quitté Port-Moresby il y a un peu plus de 9 jours.

Bienvenue en Indonésie ! Bienvenue en Asie !

Le lendemain matin, le muezzin suivi une heure plus tard du bruit déjà soutenu de la circulation me réveillent tôt. Je découvre Kupang, une ville qui ressemble à certains villages de pêcheurs de la côte portugaise de l’Atlantique : masures de béton, toits de tôle, falaises rocheuses encadrant de petites plages qui se révèleront d’une incroyable saleté.

Timor a surtout été connu de l’Occident, à partir du début du XVI ème siècle, pour son bois de santal. Les Portugais ont disputé la place de Kupang aux Hollandais de la V.O.C (Vereenigde Oostindische Compagnie) – la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales –  dès 1650. Par la suite, les Portugais s’établiront dans l’est du Timor, tandis que les Hollandais occuperont l’ouest de l’île. C’est ce qui conduira, beaucoup plus tard, en 1974, à l’envahissement du Timor oriental (ex-colonie portugaise, qui venait de déclarer son indépendance) par l’Indonésie après la « révolution des œillets » survenue à Lisbonne, alors que le Timor occidental  avait été préalablement intégré, lui, dans la colonie batave des Indes néerlandaises, qui avait obtenu l’indépendance en 1945, pour devenir l’actuelle Indonésie. Occupation meurtrière qui ne prit fin qu’en 1999 avec l’arrivée des forces de l’ONU à la suite du referendum organisé sous la contrainte internationale par l’Indonésie, lequel vit plus de 80% de la population du Timor Oriental refuser l’intégration dans l’état indonésien, malgré le terrorisme d’état mis en place dans la province. En 2002, le Timor Oriental a été reconnu indépendant, Kupang restant simple préfecture de la province indonésienne du Timor Occidental.

Du temps de l’arrivée à Kupang - c’était le Lundi 15 Juin 1789 - de la chaloupe du Capitaine William Bligh et de son équipage rescapé de la traversée de près de 4000 milles marins effectuée depuis l’île volcan de Tofua, aux Tonga, le comptoir batave de Kupang, dont le gouverneur de l’époque, Guillaume Adrien Van Este était alors mourant de fièvres, ne devait rassembler que quelques baraques et entrepôts de bois, et quelques voiliers de charge au mouillage sur rade.

Aujourd’hui, Kupang grouille de vie, mais nos premières impressions indonésiennes se limitent d’abord aux nuisances locales : bruit incessant des innombrables deux-roues motorisés (entre 50 et 125 cm3 de cylindrée), pollution de l’air par les gaz d’échappement, odeurs nauséabondes d’égouts et de décharges à ciel ouvert, et omniprésence de détritus en tous genres, les emballages et objets en matières plastiques étant bien sûr très majoritaires…

Si l’on ajoute à cela que le mouillage devant Kupang, sur une eau couleur indéfinie mais en tous cas glauque au milieu des sacs et autres bouteilles en plastique à la dérive, rythmé dès 04H30 du matin par l’appel à la prière du muezzin (bien que la population de l’est indonésien ne soit pas majoritairement musulmane, mais chrétienne), pas vraiment abrité, est exposé à la brise thermique qui a tendance à sérieusement se renforcer en milieu de matinée, on comprend que la seule vraie raison de notre escale ici est d’accomplir nos formalités d’entrée en Indonésie, ce qui, de notoriété publique chez les marins au long cours, n’est pas forcément si simple.

C’est qu’à la différence de la Papouasie Nouvelle-Guinée, où la corruption des fonctionnaires est sporadique, elle est ici généralisée, institutionnalisée. Inutile de tenter de passer outre, ce serait une erreur de stratégie. Ici, l’objectif est différent : il s’agit d’obtenir tous les papiers nécessaires à une croisière en Indonésie au plus vite et au moindre coût. C’est un autre challenge, qui ne me déplaît pas.

Ces difficultés administratives, qui s’ajoutent à l’absence de guide de croisière et à l’imprécision des cartes marines, ainsi qu’à une certaine phobie de la piraterie dans l’archipel indonésien, poussent la plupart des voiliers à rejoindre le rallye Sail Indonesia qui part chaque année fin Juillet de Darwin en Australie pour rejoindre Kupang au Timor, puis différentes escales dans l’archipel programmées avec le gouvernement indonésien (avec une couverture par la marine locale) vers Singapour, la Malaisie, et la Thaïlande. Mais, à bord de Jangada, nous n’aimons guère les rallyes organisés et l’ambiance de transhumance nautique bavarde et autres potlucks qui vont en général avec. A nous, plutôt, les chemins de traverse !

Les formalités indonésiennes ont commencé pour nous il y a 2 mois, au Vanuatu, avec notre demande par e-mail à un agent sélectionné de Djakarta (Arlytha Kustaryono) d’établissement d’un permis de croisière (C.A.I.T , Clearance Approval for Indonesian Territory) document indispensable pour naviguer dans l’archipel indonésien. Laquelle fut accompagnée d’un virement Western Union de 1 850 000 roupies indonésiennes (environ 160 euros) effectué depuis Port-Vila. Parce que la durée prévue de notre séjour est inférieure à 2 mois. Dans le cas contraire, il faut en sus une lettre de sponsor et 350 000 roupies de plus. Les démarches s’étaient poursuivies à Port-Moresby (PNG) pour l’établissement des visas de séjour, ce qui nous avait valu une expédition à travers cette ville paisible et sûre. L’établissement à Djakarta de ce fameux C.A.I.T s’est parfaitement bien passé, et comme convenu avec notre agent sur place, le document, dûment signé par les ministres de la Défense, des Affaires Etrangères, et des Transports indonésiens, m’attend chez l’agent local de Kupang, un certain Napa Rachman, incontournable personnage quand on arrive à Kupang. Vous ne pouvez pas tenter de poser le pied entre deux détritus sur la plage de Kupang sans qu’un ou deux hommes de main de Napa vous aident à débarquer dans les rouleaux malodorants tout en vous indiquant la direction du Lavalon, le bistrot déglingué qui sert de point de rencontre à Napa avec ses clients. Napa fait profession d’être le corrupteur agréé officiel des autorités de Kupang. Ses hommes de main sont aussi des rabatteurs, car depuis quelques temps, la chasse gardée du business de Napa s’est vue compliquée par l’émergence d’un concurrent, un certain Domingus, au faciès de caïd de la drogue, probablement encouragé par les autorités corrompues de Kupang pour … faire monter les enchères ! Bien sûr, Napa et Domingus se détestent, et je ne serais pas outre mesure surpris que l’un des deux personnages soit retrouvé un jour dans l’un des nombreux égoûts à ciel ouvert de la ville. . La première chose à faire, c’est de choisir son camp, Napa ou Domingus, mais évidemment sans le montrer jusqu’à la fin de la négociation sur le coût de la « prestation » qui sera versée au corrupteur agréé, lequel inclut bien sûr l’argent de la corruption qui sera réparti et versé par l’ « agent » aux différents « services », ainsi que sa propre rémunération. Je me suis bien renseigné auparavant, y compris sur Internet, et j’ai choisi Napa, d’une part parce qu’il travaille avec Arlytha, notre agent de Djakarta qui a fait un boulot réglo, et d’autre part parce qu’il est le plus ancien sur la place. Napa a été informé de notre arrivée par un mail que je lui ai envoyé 48 heures auparavant. Il est sur les dents de peur que je passe à la concurrence, et, lorsque je le retrouve au Lavalon, le bistrot déglingué d’Edwin, il est réellement content de me voir, un bonheur qui se lit avec des dollars australiens au fond des yeux, vous vous en doutez ! Ceci dit, et puisque ici il n’y a aucun autre choix possible (ceux qui, choqués par cette situation, ont voulu passer outre la corruption officielle pour se présenter eux-mêmes aux autorités se sont fait renvoyer sévèrement vers les « agents » ou bien  leurs études bibliques, et n’ont jamais obtenu leurs papiers d’entrée dans le pays !), je n’ai pas eu de problème avec Napa : il a effectué pour nous en 36 heures un travail impeccable, une prestation qui évite toute démarche de notre part ainsi que la moindre visite de la moindre autorité à notre bord. Du beau travail. Evidemment, il faut bien cadrer Napa au départ. Lorsque je l’ai rencontré la première fois au Lavalon devant ma première Bintang (la bière indonésienne), il a d’abord essayer de me tirer 100 000 roupies rien que pour me remettre l’original de notre C.A.I.T envoyé par Lytha, son associée de Djakarta. Alors que cette prestation avait déjà été payée par un transfert Western Union. J’ai éclaté de rire, et pour déstabiliser Napa, je lui ai d’emblée indiquer qu’on parlait beaucoup de lui sur Internet. J’avais aussi pris la précaution, en lui annonçant notre arrivée par e-mail, de lui indiquer que je voulais le rencontrer seulement pour qu’il me remette l’original de notre C.A.I.T, laissant ainsi planer un sérieux doute sur notre intention d’utiliser ses bons et loyaux services… Napa avait donc peur que je passe à la concurrence, ce qui est bon pour le commerce, et c’est tout juste s’il ne m’a pas engueulé de ne pas lui avoir indiqué notre heure exacte d’arrivée sur rade, ce qui l’a probablement obligé à activer (et à rémunérer de quelques centaines de roupies) son réseau d’informateurs/rabatteurs du front de mer. Bref Napa était conditionné pour se contenter du minimum syndical des corrupteurs, l’initiative de la négociation restant de mon côté. Dans un grand rire, je donne une tape dans le dos de Napa : il a compris qu’il n’y aurait pas de supplément pour la remise de notre C.A.I.T, et j’ai pu négocier une prestation de corruption globale à 100 dollars australiens, un bon prix car il obtient souvent plus du double. Napa tente de me convaincre que je le paye une misère, et qu’il ne lui restera rien. Une petite appréhension me traverse un instant l’esprit au moment où je remets l’original de l’acte de francisation du bateau et nos 4 passeports à Napa, mais cela fait partie du jeu. Tout se passera bien, et je récupèrerai l’ensemble des documents originaux et tamponnés le lendemain, au Lavalon, devant un thé au gingembre.

Napa, qui a du vendre plusieurs fois sa mère, me propose tout, du gas-oil en bidons pour le bateau à l’achat de poisson au marché de Kupang en passant par des excursions au Timor Occidental. Il prend sa commission sur tout. Je l’arrête tout de suite. Il tente encore de me soutirer un peu d’alcool, car Napa a une conception assez large des préceptes de l’islam. Nous nous quitterons bons amis.

Au Lavalon, Edwin l’indonésien me raconte l’histoire de la scission du Timor, selon lui largement encouragé en sous-main par les grandes compagnies pétrolières internationales, trop contentes de pouvoir traiter à l’est avec un petit état tout neuf et sans moyens. Son petit bistrot niché sur la falaise surplombant la mer est tellement déglingué qu’on se demande comment il peut proposer le free wi-fi. Et pourtant, ça marche ! Tous les occidentaux passent par le Lavalon car les Internet Cafés ne sont pas légion à Kupang. De vieux indonésiens à la bouche rouge sang, mâchouillant à longueur de journée leur bétel, y proposent de beaux ikats, ces étoffes colorées aux motifs élaborés dont les fils, avant d’être tissés par les femmes dans les villages, sont minutieusement noués et teints de colorants naturels. Edwin nous indique où faire nos courses, et nous sautons ainsi dans notre premier bémo, lesquels circulent par centaines dans les villes indonésiennes : minibus d’une dizaine de places, vraiment étriqués pour moi, mais j’arrive à m’y glisser. Décoration poussée au top et sono idem, conduits par des jeunes  (15/18 ans) qui font équipe ensemble : le chauffeur, un as du klaxon de naissance, qui doit vraisemblablement être sourd vers 30 ans et mourir d’un cancer des poumons à 40, et son rabatteur, qui passe ses journées sur le marche-pied de la porte latérale, toujours bloquée ouverte, pour héler les clients et aider au démarrages qui suivent les fréquents arrêts. Prix unique en ville 2000 roupies (soit en gros 20 centimes d’euros), quelle que soit la distance parcourue. Nous ressortons du mini super-marché chinois avec des sacs pleins les bras. Non loin de là, je réussis à trouver de l’huile diesel fabriquée à Singapour en prévision de mes vidanges moteurs, et même de l’eau déminéralisée pour les batteries. Mais avec 30 kilos de marchandises sur les bras et à 4, le bémo classique est inenvisageable pour nous ramener vers le front de mer. Un vigile en faction devant la banque voisine, armé d’un gros fusil à pompe, décide de nous aider. Il parle quelques mots d’anglais (ce qui s’avèrera rare en Indonésie, du moins dans les Iles de la Sonde) et nous arrange le coup avec un chauffeur de bémo hors service qui passe à vide, un truc rarissime. Nous retrouvons l’annexe, tirée sur la plage avec ses roues, laissée sous la garde de l’unijambiste du quart-monde, informateur et rabatteur de Napa, à qui nous laisserons 10 000 roupies en quitttant Kupang.

Notre ultime démarche au Timor sera d’aller nous faire couper les cheveux dans une minuscule officine locale, tenue par une jeune et jolie indonésienne qui fait bouger la nuée de ses copines pour nous faire de la place. Le premier à s’y coller est Marin, qui fait une gueule terrible. Comme moi, il a horreur d’aller se faire couper les tifs ! Mais quand de surcroît l’affaire se passe dans un salon féminin au milieu d’une flopée de jeunes filles qui ne parlent pas un mot de glaouche mais piaillent à n’en plus finir des commentaires incompréhensibles en lorgnant abusivement sur son physique de jeune homme occidental, là c’est le pompon ! Barbara est obligée de raisonner notre ado furibard, mais c’est tendu. Prudent, je passe en second, et la bougresse me rase, ou à peu près ! Barbara adore, moi je déteste. En fin de séance, je suis surpris, elle me lave les cheveux avec un petit massage du cuir chevelu, mais après la coupe, et non pas avant. Chacun sa civilisation ! C’est Adélie qui, ô surprise, terminera la séance, elle qui a une sainte horreur qu’on s’intéresse à l’épaisseur de ses cheveux  blonds, lesquels font bien sûr un tabac en Indonésie, où la couleur normale des tifs est le brun noir, mais non crépu. Je laisse royalement 75 000 roupies à la donzelle, soit 25 000 la coupe comme convenu (un peu plus de 2 euros), et j’ai plaisir à voir notre petite coiffeuse radieuse, heureuse de ce chiffre d’affaires inespéré.

Le lendemain, nous quittons sans trop de regrets le mouillage venté de Kupang ; documents en poche, mission accomplie, cap au nord vers Lembata, notre première île de l’archipel de la Sonde…

Photo 1 - En Mer d'Arafura, beau temps inamovible pour Jangada en route vers le Timor.

Photo 2 - John Deere au travail par petite brise portante.


Photo 3 - Un noddi brun fatigué vient passer la nuit à bord.


Photo 4 - Nos deux ados en vacances de CNED et de Folcoche, la maîtresse...

Photo 5 - Séance patisserie  en Mer de Timor...


Photo 6 - Kupang, préfecture du Timor Occidental, province  indonésienne.


Photo 7 - Chantier naval à Kupang.


Photo 8 - Le Lavalon, le bistrot déglingué d'Edwin, sur sa falaise.


Photo 9 - Le front de mer de Kupang, par temps calme, et sans les odeurs.




jeudi 7 juillet 2011

Billet N°114 –Le serpent du Détroit de Torrès…

Du Lundi 27 au Mercredi 29 Juin 2011 –
Par Olivier


Vous embarquez avec nous pour franchir le Détroit de Torrès ?

Autant le confesser tout de suite, je n’y ai pas fait d’images. Il n’y faisait pas beau, et nous l’avons franchi pour l’essentiel de nuit…

J’ai juste un regret pour le serpent, qui restera seulement une image incroyable dans ma mémoire, mais j’étais tellement surpris, et cela s’est passé tellement vite !



Un jour, il faut songer à quitter l’Océan Pacifique. Et pourtant, j’y reviendrais bien un jour, si Dieu me prête vie encore, pour pousser mes étraves un peu plus loin (mais pas les mêmes, 3 peut-être, ou alors 2 encore, mais plus légères, plus rapides) dans des coins comme je les aime, hors des sentiers trop battus. « J’aime l’Océan Pacifique, ça fait quelque chose de magique, y a rien à faire qu’à rêver… » comme disait la chanson des années 70 de Gilbert Montagné.

Pour l’heure, plus prosaïquement, nous sommes dans ce que j’appelle élégamment l’anus du Pacifique. Oui, oui. Cette région tout à l’ouest du grand océan, formant un entonnoir entre au nord les Iles Salomon et la Papouasie Nouvelle-Guinée, et au sud le Queensland australien, nous a donné maintes fois ces dernières semaines la preuve que s’y concentraient nuages, vents, orages et précipitations. Le soleil s’est fait rare depuis notre départ de Nouvelle-Zélande. Alors, pour poursuivre cette audacieuse métaphore, je veux bien que notre voilier soit assimilé à une petite perle du Pacifique qui aurait été ingurgitée par inadvertance et dont on attendrait l’expulsion salvatrice à la sortie … du détroit de Torrès !

Retour à la lumière, au ciel bleu, au soleil des tropiques, côté Mer d’Arafura. C’est notre objectif du moment, passer de l’Océan Pacifique à l’Océan Indien. Pour ce faire, il faut franchir une région maritime complexe sur le plan de la cartographie, une région qui inquiétait à ce point les grands navigateurs d’autrefois qu’ils avaient parfois du mal à trouver le sommeil des semaines avant d’y parvenir : le Détroit de Torrès. Sait-on que l’une des raisons, parmi d’autres, qui ont contribué à la mutinerie survenue à bord du Bounty aux Tonga (William Bligh contre Fletcher Christian, vous vous souvenez ?) a été la nervosité grandissante du Capitaine Bligh à l’approche du détroit, devant ce qu’il considérait comme le laisser-aller qui s’était insidieusement installé à bord du navire pendant les mois d’escale à Tahiti, une situation qu’il avait peine à reprendre en main, alors que le franchissement du Détroit de Torrès approchait, et se trouvait être le dernier mais aussi le plus sérieux obstacle à la réussite de la mission que lui avait confiée l’Amirauté britannique : ramener son chargement d’arbres à pain et autres plantes polynésiennes aux Caraïbes pour les y implanter, et fournir ainsi aux esclaves des plantations principalement jamaïcaines de l’empire une nourriture de base facile et abondante.

Et moi, modeste marin de l’an 2000, utilisant la cartographie électronique, la navigation par satellites, et navigant à bord d’un excellent voilier, je peux vous dire que tenter de franchir le Détroit de Torrès et ses multiples dangers, à la fin du XVIII ème siècle, en l’état de la cartographie connue et des instruments de navigation disponibles à l’époque, avec des voiliers lourds et peu manoeuvrants, c’était réellement une aventure. Y réussir était un exploit.

Messieurs, je mets bas devant vous mon chapeau de farmer néo-zélandais…

Pendant l’attente à Port-Moresby, j’ai passé du temps à étudier les parages du détroit, et j’ai programmé pour cette occasion exceptionnelle dans mes deux récepteurs de navigation par satellites (l’un ne servant jamais, mais étant là en secours) une liste d’une bonne vingtaine de waypoints (points de passage), qui jalonnent les tronçons de route que nous devrons suivre dans le détroit pour rejoindre la Mer d’Arafura. J’ai aussi pris la précaution, avant notre appareillage de Port-Moresby, de prendre contact avec le service des douanes australiennes, pas corrompu, lui, mais particulièrement exigeant et strict quant au respect de sa réglementation pour les voiliers souhaitant faire escale au pays des kangaroos. Parmi ces exigences draconiennes, celle de signaler au minimum 4 jours à l’avance son intention d’escaler en Nouvelle-Hollande avant de pénétrer dans les eaux territoriales, en envoyant préalablement un « Small vessel report » bourré d’infos sur le pedigree du bateau et de son équipage. Pour avoir négligé cette consigne, certains skippers ont connu les tribunaux aussies et la prison attenante, en sus d’une forte amende. Les moyens techniques et humains que déploie ce pays pour protéger ses frontières nord de l’immigration clandestine et de la drogue sont incroyables. Dans les 12 heures suivant mon message e-mail, le centre australien des customs me répond en accusant réception. Dès lors ils connaissent notre existence, savent que nous n’avons pas l’intention de nous arrêter sur le territoire australien en principe, mais il me semble que si jamais nous sommes obligés de le faire, en cas d’avarie par exemple, il sera probablement possible de négocier la réduction du délai de prévenance.

Pour mieux comprendre la problématique du Détroit de Torrès, sans avoir la carte détaillée sous les yeux (un joyau d’hydrographie !), peut-être faut-il savoir que 81 milles marins (1 mille marin = 1,852 km) séparent dans l’axe nord/sud le Cap York, extrême nord du mainland australien, de la pointe sud de la Papouasie Nouvelle-Guinée au droit du détroit. Mais ce détroit est truffé de hauts-fonds affleurants, de récifs coralliens, d’îles et d’îlots posés çà et là au gré des caprices du Great Barrier Reef, la Grande Barrière de Corail australienne qui pousse jusque là son fabuleux empire de vie sous-marine. C’est ainsi que selon un axe est/ouest cette fois, les formations coralliennes occupent pas moins de 180 milles de large, formant une barrière infranchissable à la navigation, à l’exception, en venant de l’est, de deux passages étroits qui se rejoignent à quelques milles au nord du Cap York, côté australien. Les eaux y sont peu profondes, les minima étant compris entre 10 et 15 mètres, ce qui limite naturellement la taille des navires de commerce qui empruntent le détroit.

En venant de Port-Moresby, Jangada va emprunter le Great North East Channel. A l’inverse, les bateaux en provenance du Queensland australien empruntent le Great South East Channel, un chenal long de plus de 400 milles qui serpente entre les formations coralliennes à l’intérieur de la Grande Barrière jusqu’à la latitude de la ville de Cairns. Ces deux chenaux se rejoignent au nord du Cap York pour poursuivre leur route à l’ouest par Prince of Wales Channel, lequel conduit aux eaux libres de la Mer d’Arafura en une quinzaine de milles.

A cette géographie très particulière des lieux s’ajoutent deux critères qui compliquent encore la donne : le courant sud-équatorial de l’Océan Pacifique pousse ses eaux vers l’ouest dans le détroit, ce qui crée un flux principal portant à l’ouest, d’une part ; et d’autre part, le courant de marée, alternatif lui, vient s’ajouter ou se retrancher au courant sud-équatorial. On observe ainsi à certains endroits du Détroit de Torrès des courants supérieurs à 10 nœuds, mais disons que dans la partie utile du détroit, les courants de 2 à 5 nœuds sont fréquents. En ce qui concerne l’état de la mer, il est bien sûr directement lié à la direction et à la force du vent soufflant sur le détroit, mais aussi à la combinaison des courants, variable d’heure en heure, sachant que le vent soufflant à l’inverse du courant lève vite une mer hachée, cassante, et potentiellement dangereuse. Le nombre incroyable de récifs qui encombrent l’endroit a tout de même un avantage : la mer y est cassée assez systématiquement, et le creux des vagues s’en trouve réduit. Par temps maniable, on navigue donc en eaux relativement calmes, malgré une augmentation fréquente de la force du vent aux parages de Torrès.

Jangada quitte le lagon de Port-Moresby, ses raskols et ses douaniers véreux, le 27 Juin en fin d’après-midi. Le vent est encore soutenu, 25 nœuds, et les moteurs peinent à nous hisser jusqu’à Basilisk Pass, dans l’axe du vent. Avant d’abattre vers le goulet, nous envoyons la grand-voile à 2 ris, et dès que nous laissons porter, le speedomètre grimpe à 9/10 nœuds. La mer est encore formée, le pont se fait rincer, puis les récifs de tribord parés, nous mettons le cap sur notre premier waypoint, à quelques 135 milles dans l’ouest. Le ciel est bas, chargé de gros nuages sombres qui roulent rapidement sur une mer grise à la tombée du jour. Mon petit équipage montre assez peu d’enthousiasme à ce départ en fanfare, mais pour ma part, j’apprécie d’en finir rapidement avec ce coin obscur du Pacifique. Le premier danger à parer avant d’entrer dans Torrès, ceux sont les Portlock Reefs, à laisser à une dizaine de milles au sud de la route. Par un temps pareil, la mer doit y briser de façon absolument grandiose, mais je préfèrerais voir ce spectacle d’un bon hélico à double turbine, plutôt que depuis le pont de Jangada. Lorsqu’on passe nord/sud de Portlock Reefs, les fonds océaniques passent brutalement de 1200 mètres à moins de 100 mètres. Ce sont les marches en dur au bord de la grande piscine océanique. Je regarde avec amusement l’écran de notre sondeur capter cette remontée vertigineuse. Nous sommes encore à 65 milles de Bramble Cay, qui marque l’entrée nord-est du Détroit de Torrès. La nuit a été mouvementée, mais on a bien marché. Un jour toujours gris se lève sur une mer qui ne l’est pas moins. Nous sommes le 28 Juin. 35 milles plus loin, nous laissons East Cay à bâbord. Au sud de ce récif existe une entrée secondaire au Great North East Channel, Pandora Passage, qui conduit à Flinders Entrance. (La Pandora était le navire britannique envoyé par l’Amirauté pour pourchasser et ramener en Angleterre ceux des mutins du Bounty revenus à Tahiti, mais ce navire allait être drossé peu après sur les récifs…). Jangada file bon train et vers 15H30, dans un vent qui a molli à 20 nœuds, nous approchons de Bramble Cay, qui porte un phare qu’on ne voit pas avec cette mauvaise visibilité. Nous sommes dans Bligh Entrance, le début du Détroit de Torrès. Eh oui, encore ce satané William Bligh, non pas parce qu’il emprunta ce passage avec sa chaloupe de rescapés de Tofua (vous vous souvenez de la grotte ?) sur la route de Timor, puisqu’il passa par la côte est-australienne au sud, mais parce qu’il l’emprunta bel et bien lors de son deuxième voyage dans le Pacifique, au cours duquel, chose que l’on sait rarement, il s’acquittât, et cette fois sans mutinerie, de sa mission originale à Tahiti. A partir de Bligh Entrance, le franchissement NE/SW du Détroit de Torrès représente en ligne droite une route de 133 milles au milieu des récifs selon un cap moyen au 233, entre Bramble Cay et la bouée de dégagement de Harrison Rock à la sortie de Prince of Wales Channel, à l’ouvert de la Mer d’Arafura. Dans la réalité, le franchissement du détroit représente exactement 141 milles de navigation au milieu des hauts-fonds. Au sud de Bligh Entrance existe une vaste zone de récifs d’où émergent principalement Darnley Island et Campbell Island. Le premier segment de route court au 236 pour 27 milles jusqu’à Stephens Islet à bâbord. Les fonds ne sont plus que d’une quarantaine de mètres. Le segment suivant court au 224 pour 29 milles jusque par le travers d’Arden Islet à bâbord. A l’ouest, l’étendue immense de Warrior Reefs. Au milieu de ce segment existe un premier mouillage possible sous le vent de Dalrymple Island à tribord du chenal, utilisable par ceux qui préfèrent éviter de naviguer de nuit dans ce dédale de formations coralliennes ourlées de sympathiques courants. En ce qui nous concerne, et malgré l’absence de radar (en panne depuis des lunes), notre choix, à partir du moment où nous avons eu l’assurance que la cartographie électronique était fiable et bien calée par rapport à la réalité, a été, avec 2 GPS programmés à l’identique à la table à cartes, et un temps globalement maniable, de faire route sans s’arrêter ni tenir compte de la lumière du jour. Troisième segment au 209 pour 15 milles, obligeant à serrer le vent SE de plus en plus, mais en conservant une bonne vitesse, jusqu’à Dove Islet à tribord. Les fonds sont alors inférieurs à une vingtaine de mètres. Segment suivant 14 milles au 213, avec un léger répit au niveau du cap. La route laisse Coconut Island et Richardson Reef à bâbord, jusqu’au droit de Vin Islet du même bord. Le segment suivant, au 260 pour 10 milles, implique un bon virage à droite entre Bet Reef au nord et Sue Reef au sud, par Vigilant Channel. C’est ce passage étroit entre deux récifs, tout de même balisés d’un phare chacun, qui m’inquiétera le plus, m’obligeant à croire pendant 1 heure environ à l’infaillibilité et à la précision de la navigation moderne, heureusement favorablement éprouvée au cours des heures précédentes. Pour ajouter à mon insomnie totale de cette nuit du 28 au 29 Juin, les fonds ne sont plus que de 10 à 15 mètres à cet endroit. Deuxième mouillage possible sous le vent de l’île Sue, par fonds inférieurs à 10 mètres, sur une langue de corail qui déborde cette île à l’ouest. Puis 10 milles au 200 jusqu’à Harvay Rocks à tribord, pour le segment le plus serré du détroit par rapport au vent : je démarrerai le moteur tribord en appoint sur ce parcours. C’est le moment que choisira, dans l’obscurité totale, la poulie de bosse du 2ème ris pour exploser ! Je retrouverai au matin l’axe principal d’accroche de la poulie aux sangles de chute en morceaux épars sur le pont, mais la poulie, elle, restera dans les fonds tourmentés du Détroit de Torrès, comme un souvenir intemporel de notre passage en ces lieux. S’ensuivit une manœuvre acrobatique d’urgence du Captain pour fixer, lampe frontale en action, une poulie neuve et repasser la bosse, afin de poursuivre la route au plus tôt sans laisser place à une dérive dangereuse. Le dernier segment de Great North East Channel, au 239 pour 17 milles, rejoint l’île double de Twin Island à tribord. Le chenal se faufile alors entre Twin Island et East Strait Island, par des fonds de 15 à 20 mètres, et opère 5 milles plus loin dans le 258 la jonction avec Great South East Channel, provenant de la Grande Barrière de Corail. Vers 06H00 du matin, nous franchissons la longitude du Cap York, 142°32’ Est. Près de 456 jours après être entrés dans l’Océan Pacifique à Balboa, à la sortie du Canal de Panama (c’était le 30 Mars 2010), nous laissons derrière nous cet immense étendue d’eau qui nous laissera tant d’images inoubliables. 15 mois se sont écoulés. Nous entrons dans l’Océan Indien. Un couple de bouées vert/rouge, que je découvrirai dans la lueur pâle de l’aurore, une moque de café noir à la main, marque le début de Prince of Wales Channel, long de 14 milles pour 4 segments orientés en moyenne au 256. Ce chenal passe au nord immédiat de Wednesday, Hammond et la fameuse Thursday Island. Un no man’s land douanier, une zone à réglementation particulière où certains voiliers choisissent d’effectuer leurs formalités d’entrée en Australie, avant, en général, de poursuivre leur route sur Darwin. Pour notre part, nous avons considéré à bord de Jangada que passer quelques jours dans la grande ville du nord du pays ne nous apprendrait pas grand-chose sur l’Australie, un pays suffisamment grand pour préférer le visiter un jour, peut-être, en Land-Rover, par les pistes de l’intérieur. Un nouveau jour se lève sur l’extrême nord de l’Australie. Fatigué par cette nuit sans sommeil passé devant les écrans de ma table à cartes, mais aussi à manœuvrer et même à réparer, je regarde avec Marin défiler ces côtes arides des Northern Territories australiens. Pas âme qui vive, le courant nous emmène à une vitesse de 10 nœuds vers la sortie du détroit. J’aperçois enfin la bouée d’Harrison Rock, oblique dans la veine de courant : la fin de nos peines. Il est 08H00 du matin, nous naviguons en Mer d’Arafura, une mer étonnamment peu profonde, 10 à 15 mètres au début, pour seulement une cinquantaine quelques 300 milles plus à l’ouest, au nord du Cap Wessel qui ferme le golfe de Carpentaria. Il faut encore parer quelques hauts-fonds, puis passer à proximité de Booby Island, avant de naviguer à nouveau en eaux libres vers Kupang, notre port d’entrée en Indonésie, quelques 1100 milles plus loin… Kupang, au Timor Occidental (aujourd’hui province indonésienne), où se rendait l’incontournable William Bligh, sans doute mauvais capitaine mais certainement bon marin, avec sa chaloupe non pontée de 21 pieds et 9 pouces, et ses 18 hommes d’équipage restés loyalistes, une traversée de plus de 3600 milles marins effectuée en 48 jours depuis Tofua aux Tonga, qui le vit arriver à destination, lui, ses hommes et son petit canot, en très mauvais état, mais sans perte de vie humaine, le 15 Juin 1789… A l’issue, il faut lui rendre un juste hommage sur ce plan, d’un des plus grands exploits maritimes de tous les temps…

Dès les premières heures de la journée du 29 Juin, moins de 48 heures après notre départ de Port-Moresby, le ciel se dégage sur la Mer d’Arafura. Nous doublons Booby Island sous un ciel immensément bleu, tandis que Jangada glisse sur des eaux d’un vert-bleu étincelant : nous sommes dans l’Océan Indien !

Les jours qui suivront seront parmi les plus agréables à la mer que nous ayions connus depuis le départ de La Rochelle. Vent portant de 15 à 20 nœuds, grand beau temps, spinnaker de vent arrière, pêche à la bonite, et ti-punch (avec du rhum ambré papou !) au coucher du soleil pour le Captain. Un noddi brun viendra passer une nuit sur le garde-corps bâbord. Il a du se perdre au large du Golfe de Carpentaria. Il sentira la terre le lendemain matin à proximité des îles Wessel, et nous quittera au blanchiment de l’aube.

De temps à autre, les jours suivants, le bi-moteur blanc et rouge des douanes australiennes, certainement bourré d’électronique, nous survolera à basse altitude, nous posant invariablement à chaque fois les mêmes questions en VHF : nom du bateau, pavillon, port d’immatriculation, port de départ, port de destination, nombre de personnes à bord, présence éventuelle de passagers clandestins…



Mais à bord de Jangada, un souvenir particulier de notre passage du Détroit de Torrès restera gravé à jamais dans ma mémoire.

Davantage que cette nuit sans sommeil, davantage que les heures passées à observer sur l’écran de mon ordinateur le spectacle incroyable de la carte marine du détroit.

Nous venons de doubler Bramble Cay, et filons à une dizaine de nœuds, cap au sud-ouest. Il est 17h00 environ, le 28 Juin, la lumière du jour décline sous le poids des nuages sombres. Soudain, mon regard, désormais habitué à scruter sans effort le moindre recoin de mer dans notre horizon, est attiré par une forme inhabituelle à la surface de l’eau, à quelques dizaines de mètres devant les étraves. Une forme étrange, lovée en spirale, de couleur beige clair uniforme, occupant peut-être 1,10 à 1,20 mètre de diamètre, flotte à la surface, droit dans la trajectoire de Jangada. Elle est immobile, mais le bateau s’en rapproche rapidement. Au-dessus se dresse, peut-être d’une cinquantaine de centimètres, ce qui semble être une tête oscillante. Je pense à un serpent, mais là, en pleine eau ! Nous nous rapprochons très vite, je crie « Venez-voir ! » à Barbara et aux enfants. La barre à roue mécanique est débrayée, comme toujours au large pour économiser le travail du pilote automatique. Avant que ce qui me semble bien être un serpent ne disparaisse sous la nacelle, j’acquière la certitude que c’en est un. Il a vu le voilier arriver sur lui, mais il est trop tard pour choisir la fuite, alors il a adopté une position d’attaque, là, à la surface de l’eau ! Nous lui passons dessus dans un fracas de vagues et de gerbes d’eau, et je ne verrai pas sa détente. Probablement a-t-il choisi de lancer sa gueule ouverte vers l’un des flotteurs, mais cela s’est passé sous la nacelle, hors de notre vue. A cet endroit, le bateau n’offre aucune prise à la morsure. Quand il réapparaît entre les deux flotteurs à l’arrière, il s’est étiré de tout son long, et nage, furieux, vers nous, comme s’il voulait nous rattraper ! Il mesure au moins 4 mètres de long, et le diamètre de son corps devait atteindre une quinzaine de centimètres…



Très vite, il disparaît dans les vagues chahutées du sillage, tentant de nous poursuivre…

C’était le serpent du détroit, une image à jamais gravée dans ma mémoire…


Carte 30 juin - Passage du detroit de Torres

-----Message d'origine-----


De : Jangada & Co
Envoyé : mercredi 29 juin 2011 23:19
Cc : Vincent LARROQUE
Objet : Adieu le Pacifique !
Non, nous sommes en route pour Kupang, cote ouest du Timor Occidental, notre port d'entree en Indonesie. Mais le detroit de Torres est un endroit truffe de recifs sur 150 milles de long; qui obligent a suivre un chenal sinueux entre les dangers pour passer en Mer d'Arafura. Nous sommes entres Mardi a 15H30 locales dans le detroit, par Bligh Entrance, avons navigue toute la nuit dans les cailloux (pas dormi une seconde, et 25/30 nds au pres dans certains troncons), et sommes sortis par Prince of Wales Channel au nord de l'Australie, a 08H00 locales hier matin Mercredi. Adieu le Pacifique... Bref, on a suivi la seule route possible quand on vient du nord, le passage de Bligh. Si tu as une trace Argos avec une bonne carte, ce peut etre marrant. Nous voila cap a l'ouest, pour 1100 milles vers Kupang, hier vent faible, et depuis minuit 8 nds de vitesse, grand largue babord.

Bonne journee

Olivier and Co
"Saisie d'écran sur la carto Argos en zoomant. On voit qu'il vaut mieux ne pas sortir du chenal..."
Louis Mesnier

mercredi 6 juillet 2011

Billet N°113 –Port-Moresby, Papouasie Nouvelle-Guinée, une escale sous haute protection…

Du Mercredi 22 au Lundi 27 Juin 2011.
Par Olivier


En appareillant des Louisiades, j’étais bien décidé à naviguer à quelque distance des côtes de Papouasie Nouvelle-Guinée, histoire d’éviter les éventuelles rencontres inopportunes en mer…

Ceci étant, je suis persuadé que le danger dans ce pays, pour nous, ne réside guère en mer, mais bel et bien en escale. Souhaitant n’exposer personne, et surtout pas les 3 enfants du bord, je traçai la route à quelques dizaines de milles des côtes.

Et j’étais par ailleurs décidé à n’arriver que de jour à Port-Moresby, histoire d’avoir le temps d’apprécier le risque sécuritaire auquel nous pourrions être exposés, et ensuite de verrouiller une situation acceptable à ce niveau avant la tombée de la nuit.

C’est ainsi que nous quittâmes le grand lagon des Louisiades, cap sur Port-Moresby avec, pour moi, un bon niveau de vigilance chevillé à l’esprit… Information succincte donnée à Barbara et aux enfants, mais pour autant, inutile de les abreuver d’informations alarmistes... J’avais néanmoins pris soin, lors de notre dernière connexion Internet au Vanuatu, de rechercher sur la toile les récits d’agressions, parfois extrêmement violentes, dont avaient été victimes des voiliers ayant pris le risque de faire escale sur les côtes de la grande terre de Papouasie. Toutes avaient eu lieu sur le mainland, aucune dans les îles extérieures. Notre option consistait donc à rallier directement la capitale de Papouasie Nouvelle-Guinée, à faire en sorte d’y arriver en plein jour, et à se démerder pour sécuriser notre petit bazar avant la nuit.

Autant vous dire tout de suite que ce fut la bonne méthode, celle que l’on peut recommander aux voiliers tentés par la petite aventure que constitue une escale à Port-Moresby, une escale réputée sensible.

Le 22 Juin en milieu de journée, Jangada se présente devant la passe de Basilisk, entourée de deux grands récifs coralliens. Dans le lagon, le vent se met subitement à grimper à 30 noeuds. C’est le début du coup de vent annoncé, il était temps d’arriver ! Nous nous dirigeons vers le fond de la baie, en zigzaguant entre les navires à l’ancre, cargos, navires de pêche, supplies vessels. Nous longeons le promontoire qui porte les quartiers du centre ville, des constructions sans charme au milieu d’une végétation fournie. La ville s’est développée autour du port, aujourd’hui situé en ville, une situation qui changera probablement dans les années à venir. La marina du Royal Papua Yacht Club se situe après le port de commerce, dans le quartier de Konedobu, au nord.

J’appelle « Papa Yankee Charlie », l’indicatif du Yacht Club, sur le canal 84 de la VHF. Une voix féminine me répond, mais elle s’avère ensuite incapable de me donner la moindre instruction. Nous passons entre les navires à l’ancre dans la rade et entrons dans la marina sous l’œil du gardien en uniforme qui, pour l’occasion, est sorti de sa guérite, installée au bout de la jetée. J’aperçois une caméra qui contrôle les entrées et sorties de la marina. Le gardien m’indique de prendre le seul coffre qui reste disponible, dans l’enceinte de la marina, à quelques dizaines de mètres des pontons, occupés par des bateaux locaux, sur lesquels aucune place n’apparaît disponible. Nous comprendrons plus tard que le RPYC a pour politique de ne rien faire pour encourager le passage des voiliers de voyage. Mais la mauvaise réputation de la ville dissuade d’elle-même les voyageurs au long cours. La marina et le club sont faits pour les blancs de Port-Moresby, la plupart australiens, les bateaux de voyage sont à peine tolérés, et de toute façon relégués sur coffres (il n’y en a que quatre) ou pire, au mouillage dans l’enceinte de la marina. Ceci dit, le mouillage est de bonne tenue, et l’essentiel pour les bateaux de passage est bien de bénéficier, surtout la nuit, de la sécurité absolue de l’enceinte de la marina, ceinturée de hauts grillages, du fait du gardiennage permanent assuré par le Yacht Club, aussi bien côté mer que côté terre. La situation m’apparaît précaire, le vent est monté à 40 nœuds et va souffler en coup de vent pendant 2 jours d’après la météo; mais le coffre est positionné beaucoup trop près des deux bateaux les plus proches. Une fois amarrés dessus, même très court, il ne nous restera au mieux que 2 ou 3 mètres entre notre arrière et les autres coffres. Alain et Lydie, du catamaran Paradoxe, rencontrés à Lifou, et qui ont perdu un safran pendant leur dernière traversée, ont préféré le mouillage. Malgré tout, je préfère tenter la manœuvre et dormir tranquille amarré à un solide corps-mort, plutôt que de risquer de voir notre ancre déraper dans le port dans une rafale et nous retrouver avec le bateau drossé sur la jetée toute proche en quelques secondes… Timothée et Marin embarquent dans l’annexe, nous préparons des bouts d’amarrage en nombre, et la manœuvre, délicate, se passe bien. Jangada est rendu solidaire du corps mort par 6 aussières. C’est que … j’ai envie de bien dormir ! Nous sommes face à la sortie de la marina, curieusement positionnée dans l’axe des vents dominants : les rafales rageuses et le clapot nous tombent directement dessus, mais le coffre semble fiable. C’est pas terrible, mais on finira par apprécier…

Bienvenue à Port-Moresby, l’escale de tous les dangers !

Avant la visite des autorités, appelées par le Yacht Club, nous profitons de la tolérance qui permet de débarquer sur les pontons et de pousser jusqu’au gigantesque club house. Le Royal Papua Yacht Club, noyauté par les australiens, est un club à l’ambiance très british, encore que les purs british la trouveraient plutôt aussie ! C'est-à-dire de seconde zone. Une atmosphère qui rappelle l’époque, pas si lointaine en Papouasie Nouvelle-Guinée, des colonies. L’indépendance date de 1975. Nul besoin de posséder un yacht pour en être membre : son bar, son restaurant, sa terrasse, sont parmi les endroits les plus courus de Port-Moresby. Au-dessus de la porte du hall d’entrée, évidemment gardée par des sbires, l’ancien pavillon de la colonie, celui d’avant l’indépendance, et le portrait de la reine Elizabeth II. Comme si le temps s’était arrêté. Sur le mur, les noms et portraits en noir et blanc des commodores qui se sont succédé à la barre du RPYC depuis le début du XXème siècle. Aucun n’était papou, vous l’aviez compris. Nous demandons à la nuée des jeunes filles bronzées (et papoues, elles) de la réception la visite des autorités (douanes, immigration, quarantaine) pour le lendemain matin, histoire de ne pas payer de frais inutiles d’ « overtime », un truc très apprécié des fonctionnaires de ce genre de contrées. Rendez-vous est pris pour 09H00, c’est parfait. Mais moins d’une heure plus tard, le préposé des Douanes, qui s’occupe aussi de l’immigration, est là, et demande à se rendre à bord pour les formalités. A son air mafieux, je comprends immédiatement que ce colosse est en train de ruser avec nous pour arrondir sa fin de mois. Un grand classique du genre. Je lui fais donc observer que le rendez-vous était fixé au lendemain, et que s’il a choisi de venir maintenant, c’est son choix, et pas le mien. Il est 15H00, le colosse mafieux me confirme que nous sommes bien en « overtime »… L’adrénaline se répand assez vite dans mes veines avec ce genre de types, et alors que nous montons dans l’annexe pour rejoindre le bord, je lui signifie avec une fermeté à laquelle il ne semble pas habitué (la plupart des plaisanciers paye l’argent de la corruption sans broncher) que je n’ai pas d’argent pour payer l’ «overtime », et que je ne le paierai pas. Il est déstabilisé, mais ne dit rien, espérant sans doute me ramener ultérieurement à plus de docilité. Finalement, cette attitude ferme et faussement décontractée de ma part (ce genre de douanier véreux peut vous créer un tas d’emmerdements sous un tas de prétextes !) aura raison de ses mauvaises habitudes, et le colosse s’acquittera de son job rapidement et sans nouvelle tentative. Je le ramènerai à terre avec le sourire, le sien étant plutôt forcé et tirant sur le jaune. Le lendemain, à 09H00, la miss en charge de la « quarantine » sera beaucoup plus amène, elle ne nous embêtera pas avec nos fruits et nos légumes des Louisiades (une escale pourtant clandestine), et me racontera la vie encore primitive dans son village des highlands papous. Ah, si j’avais plusieurs vies…

Pendant que le coup de vent s’installe dans les aigus, nous poursuivons notre visite du Royal Papua Yacht Club. A l’étage, bibliothèque en bois verni, bar d’une bonne vingtaine de mètres de long, mini casino avec machines à sous, salon cosy à souhait où les tongues ne sont plus tolérées après 18H00, restaurant avec nappes blanches où la tenue de soirée est exigée (le desk vous remet à votre arrivée les dispositions de l’étiquette du club), terrasse avec BBQ à l’australienne, wet bar où la SP, la bière locale, coule à flot dans des gosiers blancs très essentiellement, dès 17 heures, le tout servi par une bonne cinquantaine de barmen et stewardess, tous papous, et dont ma simple curiosité aurait aimé connaître le salaire mensuel… Le samedi soir, cravate et chemise blanche de rigueur pour les hommes, robe longue pour les femmes. Au rez-de-chaussée, sanitaires (nous profiterons chaque matin des douches chaudes avec eau à volonté), salle de musculation, espaces enfants, club de voile (Laser et Hobie Cat). Nous achetons une carte Wi-Fi prepaid (100 kinas, la monnaie locale, soit 30 euros tout de même), et retournons à bord pour capter nos messages e-mail.

Le lendemain, nous tentons une première sortie hors du club, sous le regard désapprobateur des vigiles du poste de garde principal à l’entrée du parking, qui proposent de nous accompagner. Un petit supermarché, situé à 300 mètres du RPYC, tente notre curiosité. Mais attention aux raskols, les bandits locaux auteurs des nombreuses agressions qui font la mauvaise réputation de la ville (plus d’un meurtre tous les 2 jours en moyenne). On passe les consignes, aucun bijou, pas de montre, rien dans les mains, rien dans les poches. Je mets un peu d’argent dans une poche basse de bermuda, et un billet de 20 kinas (6 euros) à portée immédiate dans ma poche gauche. Si on est agressé, je largue le billet au raskol, et on file en sens inverse. Dans ma main droite, je tiens ostensiblement une VHF portable (éteinte), je me dis que cela suggère une liaison radio permanente avec un PC sécurité. Dissuasif. Pas d’appareil photo, vous comprenez pourquoi, et donc pas d’images de la rue sur le blog, hélas ! Bon, nous voilà partis dans l’arène. Route crasseuse, déchets partout, mines patibulaires des papous déracinés dans la grande ville (où sévit 80% de chômage), loin de leurs villages des highlands où il fait bon vivre de pas grand-chose (les chauffeurs de taxi me le confirmeront, ils sont tous originaires des montagnes de l’intérieur et ne rêvent que d’y retourner avec un petit pécule durement gagné à Port-Moresby). Cette première sortie a été bien calculée : à mi-chemin des 300 mètres qui séparent le RPYC du supermarché sont installées deux grandes banques, ANZ et BSP, qui louent les services d’une flopée de vigiles armés. Escale possible, vous me suivez ? Pour se rassurer, mieux vaut éviter de regarder longuement les visages des papous de la rue : la grande majorité a la bouche rouge sang, parfois dégoulinante, du jus de bétel (noix d’arec) que ces populations du Sud-Est asiatique ont l’habitude de mâchouiller en permanence. Les trottoirs, quand il y en a, sont constellés de crachats rougeâtres, on dirait qu’il y a eu un meurtre tous les 2 mètres, c’est bon pour l’ambiance ! Et c’est vrai, mais ils n’y peuvent rien, certains papous ont une tronche à faire peur, selon nos critères européens. Des vendeurs de crabes de vase nous proposent des grappes de ces bestioles qui ne rappellent qu’assez peu les beaux tourteaux de Bretagne nord… Mais, surprise, la plupart des papous de la rue sont plutôt souriants à notre égard. Nous marchons tous ensemble, d’un bon pas. Le petit supermarché est constellé de vigiles, il y en a même dans les rayons ! Nous faisons les courses sous haute protection… Retour au RPYC avec notre sac de victuailles, l’allure est soutenue. Nous repassons le poste de garde principal, puis le poste secondaire. C’est gagné ! Nous voilà revenus dans la forteresse, indemnes.

C’est sûr, je ne me baladerais pas seul à partir du couchant dans les rues de Port-Moresby. Pourtant, les papous de la rue ont l’air plutôt sympathiques, avides de contacts même avec les étrangers que nous sommes. La plupart des « colons » blancs, australiens pour la plupart, mais aussi anglais et américains, circulent dans des gros 4x4 aux vitres teintées, à l’air conditionné, aux portes verrouillées…

Notre sortie suivante, le lendemain, aura pour objectif l’ambassade d’Indonésie, où nous devons obtenir nos visas. Pour affréter un taxi, mieux vaut le faire appeler par le desk du Yacht Club. Cela évite de se retrouver éventuellement conduit par un driver indélicat au milieu d’un gang de raskols dans le bidonville de sa tribu, pour y être tabassé, dépouillé, voire dépecé… Cela ne vous évite pas la négociation sur le prix de la course, mais là, j’ai du métier ! Je ne monte jamais dans un taxi, dans ce genre de contrées, sans en avoir conclu préalablement le prix avec le chauffeur, ayant pris soin auparavant de me renseigner sur le juste prix du trajet. Le prix est ramené de 40 kinas à 20, et nous partons, avec Timothée et Marin, pour ce trajet d’une dizaine de kilomètres à travers la ville étendue. Un paysage urbain qui rappelle l’Afrique Noire. Nous empruntons le seul tronçon d’autoroute de Papouasie, qui doit bien faire 3 km, la capitale n’étant que très mal reliée par la route au reste du pays. Nous traversons une zone industrielle assez fournie, comme le sont celles des pays neufs en développement dont le sous-sol est riche, passons devant le seul hypermarché de PNG, le RH Hypermarket, ouvert récemment par une grande société malaise, dans lequel, par curiosité davantage que par besoin, nous irons traîner quelques jours plus tard. L’ambassade d’Australie surclasse toutes les autres en volume et moyens, la PNG est pour eux une succursale, c’est évident. Au bord de la route, beaucoup d’enfants joyeux, des jeunes qui jouent au ballon, des écoles, des vendeurs ambulants, des étals de fruits et légumes, des bidonvilles, et bien sûr beaucoup de papous désoeuvrés qui zonent. Nous passons devant le grand marché papou, en plein air, dans la banlieue de Port-Moresby, où j’aurais aimé aller faire un tour, mais c’est inenvisageable sans l’escorte d’au moins 4 membres du GIGN armés jusqu’aux dents, et encore…

Et puis le Samedi 25, nous accompagnons Timothée à l’aéroport Jackson. Il prend un avion d’Air Niugini à destination de Singapour, et de là file sur Londres et Paris. Avant son passage en 2ème année de médecine, et après ces 6 semaines de vacances heureuses que nous venons de passer à bord tous ensemble je crois, son job d’été l’attend dans quelques jours à Ars en Ré. Pour la troisième fois du voyage, alors que nous le laissons partir vers le hall d’embarquement, j’essaie de cacher mon émotion, comme chacun de nous je crois. Bon retour au pays Tim ! Nul doute qu’il se souviendra de son passage au Vanuatu et peut-être plus encore de notre séjour dans l’archipel des Louisiades. On n’y va pas tous les jours dans une vie !

Avec Philip, notre taxi driver papou des montagnes, le deal fonctionne bien. Après l’aéroport Jackson, il revient nous chercher à l’heure convenue et nous emmène flâner au RH Hypermarket, pompeusement appelé par ses promoteurs Vision City. Ca me rappelle mes voyages à Dubaï, ces dernières années, même s’il y a du chemin à faire pour égaler Emirates Mall. On a franchement et objectivement rien à y foutre, mais c’est tout de même quelque chose de voir ces papous tous droits descendus des montagnes se confronter avec la société de consommation et un mode de « distribution » auquel ils sont encore complètement étrangers. Soyons clair, le RH Hypermarket est construit dans une enceinte clôturée de hauts grillages avec poste de garde et vigiles de toutes parts. La plupart des papous lambda restent à l’extérieur… On croise surtout le staff des ambassades, les familles du gouvernement, et celles des blancs attirés en PNG par le boom des ressources du sous-sol. C’est que la Papouasie Nouvelle-Guinée, 6 millions d’habitants pour 463 000 km2, démocratie parlementaire, indépendante depuis 1975, 600 îles, autant de tribus et 800 dialectes différents, est en plein essor depuis quelques petites années. Son sous-sol est riche. Pendant longtemps, la terre abordée par le Captain anglais John Moresby et annexée par ses soins à la couronne britannique en 1873, une dizaine d’années avant l’arrivée des premiers colons européens, est restée essentiellement vierge, sauvage et primitive. Depuis 2 ans, Exxon-Mobil développe en PNG un gigantesque projet d’extraction de gaz naturel liquéfié qui booste l’économie du pays. Mais l’industrie pétrolière n’est pas en reste, et l’exploitation minière est également très importante. Le cuivre, le nickel-cobalt, mais surtout l’or, qui occupe 6 des 7 sites miniers de PNG, contribuent au développement du pays, bien qu’on ait surtout l’impression pour l’instant que ces richesses ne profitent que peu à la population locale, dont 85% vit encore dans une économie de simple subsistance… Plus traditionnelles, l’exploitation forestière et les pêcheries, la culture du café, du cacao, et la fabrication d’huile de palme exportent vers l’Asie, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.. La Papouasie va certainement beaucoup changer dans les trois décennies à venir !

Timothée parti, notre séjour à Port-Moresby touche à sa fin. Le tourisme n’est guère à l’ordre du jour. J’étudie sur les cartes marines le franchissement du Détroit de Torrès. Nous récupérons nos passeports à l’ambassade d’Indonésie le lundi matin, et demandons aussitôt le passage des autorités pour faire notre clearance de départ. La fenêtre météo semble favorable à partir d’aujourd’hui vers le détroit, à quelques 200 milles plus à l’ouest. Nous attendrons près de 3 heures au Yacht Club l’arrivée d’un douanier encore plus corrompu que le premier ! Il nous a éconduit pour accompagner à l’aéroport un couple italo-canadien arrivé de Nouméa avec un monocoque et pas mal d’avaries. Outre le coût des visas qu’ils n’avaient pas, la note à payer cash et sans reçu du douanier papou a du être particulièrement salée pour eux. Mais sa lucrative journée n’est pas finie, du moins le pense-t-il. Lorsque je le vois arriver, ma première réaction est la répulsion. Lui, il suffit de lire sur son visage, c’est marqué en clair, c’est un bandit. Il doit peser, apparemment c’est un critère de recrutement des customs ici, 120 bons kilos de muscles, et il doit avoir des biceps trois fois comme les miens… C’est à lui qu’Alain et Lydie de Paradoxe avaient du verser une somme rondelette à leur arrivée. L’énergumène les reconnaît avec plaisir ! Wilson est son prénom. Mais on ne va pas se battre avec Wilson, la preuve, c’est qu’il nous emmène loin du desk du RPYC, il s’assoit à une table du bar extérieur, loin des oreilles indiscrètes. Je le vois venir gros comme un immeuble, et vraiment je déteste ce genre de types. Je sens que je vais avoir du mal à me contenir… Je demande aux enfants de rester avec moi, et de s’asseoir tout près, je sais que ça va gêner Wilson, et contribuer à me calmer. Alain et Lydie sont là aussi, prêts à résister. Ce genre de partie désagréable se joue pour l’essentiel à l’intellect, au cran, au tempérament. Wilson est physiquement impressionnant, et il a une sale gueule sans se forcer. Nul doute qu’il use beaucoup de ces atouts pour tripler ou quadrupler son salaire mensuel en kinas… Bon, je m’assois ostensiblement exactement en face de lui, et d’emblée je prends une attitude peu conciliante, peu docile, limite agressive. Je constate immédiatement que Wilson évite de me regarder droit dans les yeux, et je note l’avantage dès le départ. Reste à l’exploiter plus avant, quand il va accoucher de son aveu de corruption. Il commence par la clearance de Paradoxe, autre bon signe. Alors qu’il n’a qu’à tamponner les passeports et à écrire 5 mots sur la clearance de départ du pays (qui nous est systématiquement demandée à l’arrivée dans le pays suivant) et à la tamponner, je le vois qui tourne, qui vire, regarde les visas, prend son tampon, le repose, le reprends. Je place ostensiblement quelques gestes d’impatience, histoire de lui mettre un peu la pression. Il finit par tamponner les passeports d’Alain et Lydie, par remplir et tamponner la clearance de Paradoxe, et, au moment où il n’a plus qu’à la remettre au skipper, il accouche : « There is a departure tax to be paid. 50 kinas/person ! » Alors là, j’aboie. Il est surpris. Alors que je ne suis pas encore directement concerné, je lui dis droit dans les yeux qu’il n’y a rien à payer pour ces formalités, et que je vais de ce pas avertir le manager du Yacht Club qu’on a un problème sérieux avec lui, Wilson. Tant qu’à faire, je parle aussi de la french embassy, if need. Il me répond « Ok, in this way, I go back ! » Je me lève et fonce au desk, ce geste le surprend. J’y informe la flopée de charmantes papoues en uniforme de la réception qu’on a un problème de corruption avec le « customs officer », qui nous réclame 50 kinas par personne (une fortune en PNG) alors que j’ai pris soin juste avant l’arrivée du sbire de me faire confirmer par le Yacht Club qu’il n’y avait rien à payer à la douane au départ. Elles me regardent, sidérées. Sans attendre une réponse, je retourne m’asseoir devant Wilson, l’air mauvais. Devant moi, il donne la clearance à Alain, de mauvaise grâce, mais il le fait. La partie est à moitié gagnée. Dès lors, je m’efforce de faire peser sur lui un regard lourd à souhait, et je le vois s’exécuter laborieusement, à contre-cœur. Je m’inquiète en silence d’une possible visite de Wilson à bord pour se venger (mais je n’ai rien à cacher), et, pendant 2 minutes, il me questionne sur le départ de Timothée pendant l’escale. Mais je ne désarme pas. Il sait qu’il a perdu la partie pour cette fois. Il joue avec son tampon, finit par l’apposer sur nos documents, et me les rend, l’air las, presque dégoûté. Je fais l’erreur de lui dire merci. De mon côté, je me contente de me satisfaire de savoir que Wilson a désormais davantage de respect pour moi que si je lui avais donné les 200 kinas de son arnaque. Mais ça ne va pas changer la face du monde, on est bien d’accord. Voilà, les formalités sont finies, nous avons notre clearance, nous pouvons appareiller pour l’Indonésie. C’était juste la petite histoire de la corruption ordinaire.

Nous regagnons le bord, larguons les amarres du coffre, traversons la rade et mettons le cap sur Basilisk Pass. De temps à autre, je me retourne pour vérifier qu’une vedette des Customs ne se dirige pas vers nous ! Mais, après tout, j’ai tous mes documents en règle !

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Bye-bye, Papouasie Nouvelle-Guinée !

Allez, à envoyer la toile vers le détroit de Torrès…
Photo 1 - Jangada sur coffre dans la marina de Port-Moresby, PNG. A gauche, la guérite de l'ange gardien...
Photo 2 - Le hall du Royal Papua Yacht Club, côté cour
Photo 3 - La terrasse du Yacht-Club, côté marina.
Photo 4 - Seul intérêt majeur pour nous, douches à volonté.
Photo 5 - Le rendez-vous du tout Port-Moresby, et une cinquantaine de serveurs et bar-maids...
Photo 6 - Sur la route de l'aéroport Jackson, un truck joyeux...
Photo 7 - Nous passons à côté de la brasserie nationale, SP Lager Beer.
Photo 8 - Samedi 25 Juin 2011, à l'aéroport de Port-Moresby,Timothée grimpe dans un Boeing d'Air Niugini pour Singapour, Londres et Paris...