vendredi 30 octobre 2009

Billet N°23 – Fin Octobre 2009 – A Dakar et Gorée

Un peu plus en Afrique…

Visite à l’île mémoire.

Nous allons passer l’après-midi sur l’île de Gorée. Une petite île désormais hors du temps, posée à quelques encablures du port de commerce. Sur Gorée, pas de véhicules à moteur, aujourd’hui la quiétude, mais jadis l’enfer de l’esclavage pour plusieurs millions d’africains déportés vers les colonies du Nouveau Monde, qui ont transité par les « esclaveries » de Gorée, en attendant leur embarquement sur les navires négriers européens, pour « le voyage sans retour ». Idéalement située à la pointe occidentale de l’Afrique, Gorée a vu se succéder depuis le XVème siècle les portugais, les espagnols, les hollandais, les anglais, et les français. L’apogée du commerce triangulaire a eu lieu à la fin du XVIII ème, l’île avait alors le double visage d’un carrefour prospère, où commerçants, soldats et fonctionnaires vivaient dans un décor de rêve, et d’un entrepôt de « bois d’ébène » avec son cortège de souffrances et de larmes.

Marin et Adélie redécouvrent les enseignements de leurs manuels scolaires, et la visite de la dernière « esclaverie » de Gorée les fait visiblement réfléchir sur l’immense aptitude de l’homme à engendrer la souffrance de son prochain…

J’essaie de leur dire quelques mots sur l’aspect économique de la traite, sans rien excuser, et leur laisse entendre que si nous avions vécu nous-mêmes à l’époque des conquêtes du Nouveau Monde, nous aurions probablement moins trouvé à y redire qu’aujourd’hui…

Les choses seraient trop simples autrement, s’il y avait seulement les Blancs et les Noirs, les méchants et les bons, les riches et les pauvres…

La porte qui ouvrait sur le voyage sans retour reste émouvante.

Et à l’époque, mieux valait ne pas tomber malade, les requins qui rôdaient en nombre autour de l’île étaient bien nourris…

Aujourd’hui, l’île a retrouvé la sérénité, et les artistes locaux l’ont à leur tour … colonisée !

Grâce à un contact des Gaget, nous allons déjeuner chez leurs cousins Stéphane et Valérie, dans le quartier (chic) des Almadies. Stephane travaille chez Orange, et comme chaque sénégalais voudrait avoir deux téléphones portables dans chaque main, il ne manque pas de boulot… Les enfants (les nôtres) apprécient la viande rouge (devenue rare à bord) proposée par Valérie, la piscine dans le jardin, et les enfants de la maison. Merci !

C’est un autre aspect de la vie en Afrique, le versant expatriation, qui, à Dakar, recharge les batteries de Barbara, pour qui le choc de l’Afrique Noire est … un peu rude.

Sur les (bons) conseils de Denis Desmoulin (Saprolait) qui a gentîment réceptionné nos colis (merci les Robergeau), nous a initiés au jus de bissap tout en remettant de l’ordre dans nos ordinateurs, nous avons affrété un taxi (normal, c'est-à-dire délabré, une R 19 Renault paraît-il, pas reconnaissable) pour l’après-midi. Le chauffeur s’appelle Momar Diaw. Pour faire simple, il fait 2 mètres de haut sur 1 mètre de large, et on l’appelle Talla (comme tous ceux qui s’appellent Momar, c’est logique non ?). Son rire franc (et massif) découvre d’incroyables dents blanches, rassurantes quand on se promène avec lui du côté du marché de Sandaga…

Je me dis que Talla ferait sensation à Deflandre sur le terrain de rugby de l’Atlantique Stade Rochelais : je lui laisse entendre qu’il y aurait un peu de ménage à faire sur le terrain, et, en poussant un énorme rire gourmand, il me dit « ah mé yé sui dacow pou véni !».

Je fais remarquer à Talla que son tableau de bord me semble 20 à 30 cms plus bas que la normale, mais il me répond que c’est normal.

Talla nous fait visiter tout Dakar, du nord au sud et d’ouest en est, et il a du talent. Y compris l’énorme statut censée suggérer la « renaissance africaine », un projet pharaonique décidé par le président Wade, le genre d’idée lumineuse à plusieurs milliards de francs CFA, quand la pauvreté et l’insalubrité sont partout…

Une dernière escale au « Caddie », petit supermarché tenu par des libanais, et voilà le coffre de la R 19 de Talla bien rempli. Talla nous ramène au CVD, mais, une seconde d’inattention, et la R 19 se mange un méchant nid de poule. Dans un bruit d’apocalypse, la R 19 s’effondre sur la chaussée, châssis brisé en deux ! Talla éclate d’un rire tonitruant avant même de descendre jauger les dégâts : « ola di donc, là j’ai cassé la voiture, là ! ». Les enfants sont médusés, tout le monde descend, la voiture obstrue la route, et pas question de la pousser pour la ranger, elle ne roule plus ! Talla est touché, mais pas coulé, il reprend le dessus, arrête le premier collègue venu, et me dit que le mieux est de le laisser se démerder et de rentrer au CVD illico. On transfère les sacs de courses et les bidons de 8 litres de Kirène (l’eau minérale locale), et on prend congé de Talla dans ces circonstances mécaniquement douloureuses. Je le vois jouer de son portable, et me dis que la démerde est en route.

Je ne me tracasse pas trop, car je sais que pour contourner la loi qui interdit désormais le trafic de voitures d’occasion entre l’Europe et l’Afrique via le Sahara, la plupart des voitures africaines venant d’Europe sont tronçonnées en deux, voyagent comme épaves, et sont ressoudées à l’arrivée au niveau du châssis…

C’est l’Afrique. Demain, le châssis R 19 sera probablement ressoudé.

Bonne chance à toi, Talla ! Inch Allah.

Il y a quelques décennies, un slogan revenait à nos oreilles en Europe.

Il disait « L’Afrique Noire est mal partie. »

Près de 30 années après mon précédent passage en voilier à Dakar, j’ai l’impression que les choses se seraient plutôt dégradées, matériellement.

Les routes sont défoncées, les coupures d’eau et d’électricité sont légion, la pollution de l’air et de l’eau sont maximales, l’hygiène minimale, la mortalité élevée, la violence présente.

(Au CVD, le Cercle de la Voile de Dakar, dont le mouillage accueille la plupart des voiliers de passage, dont Jangada, un drame violent a eu lieu il y a quelques semaines à peine : le président du club a été assassiné sur son bateau, au mouillage, sa femme violée, etc… Presque un classique de l’Afrique Noire, Vincent et Edith savent de quoi je parle.

Prévenus du fait avant d’arriver au Sénégal, ayant l’expérience de certains grands ports africains, et d’un précédent séjour sur le même mouillage, où j’avais du faire fuir deux intrus montés à bord de mon bateau en pleine nuit, nous chercherons à ne pas traîner inutilement à Dakar, et prendrons certaines précautions à bord, associées à celle d’être toujours rentrés avant la nuit. Mais à aucun moment cette fois-çi je ne ressentirai pour nous une insécurité directe.

Ce peuple, foncièrement accueillant (l’hospitalité s’appelle ici teranga) et démocrate (c’est rare en Afrique, merci à Léopold S.Senghor…), fait aussi preuve d’un fatalisme incroyable : on peut lui faire apparemment supporter beaucoup de choses, même l’inacceptable. Mais il n’en est pas dupe.

Au bar du CVD, nous buvons quelques « Gazelle » (la bière locale) bien fraîches… une sensation prisée depuis que notre super installation frigorifique a rendu l’âme sous une généreuse aspersion d’eau de mer. Je fais d’abord venir une carte électronique de remplacement, puis devant l’insuffisance de la réparation, je finis par décider de tout démonter sur la table du cockpit. Il faut se rendre à l’évidence, tout le système froid doit être remplacé, je passe commande, et en attendant, on se passera de froid à bord.

Barbara accuse le coup…

Mais, par ailleurs, grâce au tuyau 20 bars envoyé par Greg, je remets en service le déssalinisateur, me débarrasse du boîtier électronique de rinçage, et finalise mon petit système perso de rinçage eau douce de la membrane avec 2 vannes manuelles.

L’eau est beaucoup trop sale sur rade de Dakar pour essayer la nouvelle installation, mais je suis optimiste !

En attendant, nous prenons nos douches au CVD, et Fatou, la gentille lavandière du CVD nous lave nos bassines de linge. A la main bien sûr. C’est son job, et elle le fait bien. Elle a posé son dévolu sur Marin, 12 ans tout de même, et demande à Barbara « si il ne l’épouserait pas pour aller en France ». L’histoire fait le tour du CVD et Marin se fait chambrer grave. Depuis que nous sommes au Sénégal, je l’ai surnommé « Moussa », ce qui lui va bien, mais ne lui plaît qu’à moitié.

Je me méfie toujours du dernier soir annoncé, et ne donne jamais, par principe et par habitude, d’informations précises sur nos allées et venues, notre date de départ prévue, etc… Ceux qui connaissent l’Afrique savent qu’il y a sur ce continent beaucoup d’individus désoeuvrés, qui passent l’essentiel de leur temps à vous observer, à regarder, à imaginer.

Et bien sûr, avec notre catamaran, nous représentons forcément la richesse, la vie à l’occidentale, à laquelle ils aspirent, le confort, la facilité.

Alors il faut être prudent, et laisser sa naïveté au vestiaire.

Il arrive que les enfants soient eux-mêmes surpris de mes réponses, quand je dis aux piroguiers de la plage d’Hann qui m’interrogent que nous sommes à l’hôtel Faidherbe, et non pas à bord de notre bateau au mouillage à quelques centaines de mètres de là…

Le dernier soir au CVD, nous ne faisons pas d’adieu tonitruant à quiconque, c’est un soir normal mais nous allons partir cette nuit, vers 3 heures du matin.

La nuit est tombée, et le vent aussi. Il fait une chaleur moite, et la puanteur qui nous vient des égouts qui débouchent sur la plage est insupportable.

Une semaine que nous sommes sur ce mouillage, sans possibilité de se baigner, car cela ne viendrait à l’idée de personne.

Je n’arrive pas à m’endormir, et à minuit, je décide de lever l’ancre, et de faire route sur le Siné Saloum.

Jangada quitte ce mouillage exécrable, et glisse sur les eaux noires de la rade.

Au petit matin, le ballet des grandes pirogues de pêche reprend. Elles quittent les villages de la « petite côte » et gagnent le large.

Les lumières de Dakar s’estompent, le catamaran glisse doucement à nouveau sur la mer.

L’eau est bleu vert, il y avait longtemps qu’on n’avait pas vu cela.

Mon petit équipage se réveille progressivement, et je lis sur les visages le bonheur d’avoir quitté Dakar. Une escale attachante pourtant, et que nous avons aimée, mais…

J’organise un méga-séance de lavage du bateau à l’eau de mer, et chacun revit.

J’ai démarré le déssalinisateur deux heures après avoir quitté Dakar, 6 heures qu’il tourne, et je vois avec bonheur le petit évent du réservoir tribord dégueuler gentiment sur le pont…

Les réservoirs sont donc à nouveau pleins d’eau douce, douche à volonté, tout le monde à poil, on remplit les seaux, les cuvettes. On brosse le pont. La crasse s’écoule à la mer. Voluptueusement.

La vie reprend à bord de Jangada.

Cap sur le delta du Saloum, à 65 milles au sud-est.

Un peu plus en Afrique.

Olivier

La pointe des Almadies, extrémité occidentale du continent africain


Arrivée à Dakar



Ile de Gorée, vue du nord-est












Marin et l'artiste en tableaux de sables, le labeur...


Gorée


Esclaverie de Gorée, émotion...


Gorée, île mémoire


Gorée, la porte du voyage sans retour

mercredi 28 octobre 2009

Billet N°22 : De Boa Vista, Cabo Verde à Dakar, Sénégal

Du 20 au 27 Octobre 2009 -


Premières impressions d’Afrique…

Nous avons quitté Boa Vista, Cap Vert, mardi 20 octobre pour rallier Dakar au Sénégal après 48h00 de mer au près serré, (ce qui n’est pas l’allure préférée de l’équipage de Jangada), mais nous faisions la route directe, ce qui est déjà une très bonne chose.

Un paquet de mer sévère a fait exploser une partie du trampoline babord, la fixation du rail devra être reprise à Dakar.

Arrivée au petit matin à Dakar, l'Afrique nous saute au visage, d’immenses pirogues colorées frôlent le bateau en partant ou en revenant de la pêche, on longe l'île de Gorée, centre névralgique du commerce triangulaire, l'île est restée telle quelle, nous irons la visiter, le poids de l'histoire dans toute son horreur, mais le Voyage c'est aussi ça, faire découvrir aux enfants ce que l'humanité a de plus beau mais aussi de plus abject...

Nous sommes mouillés dans la baie d'Hann, devant le CDV (Club de voile de Dakar) une institution pour les voiliers voyageurs, un ponton branlant, une espèce de bar les pieds dans l'eau (sale, très sale l’eau), 2 lavandières qui frottent le linge dans des bassines, un micro atelier de voilerie et de mécanique...et le WIFI! Il y a une navette qui vient nous chercher sur les bateaux pour nous déposer à terre, il est déconseillé de laisser son annexe au ponton (vols)...

Les enfants sont ravis, il y a plein d'enfants sur les bateaux, de surcroît français, le Sénégal semble être une escale appréciée surtout des français, et le Siné Saloum et la Casamance, l’un à 60 milles, l’autre à 120 milles au sud, attirent par leur exotisme, leur authenticité, et la navigation fluviale. Ici tout le monde parle français et c'est plus facile pour commander la tiej boudienne, plat typique sénégalais (riz et poisson). On y a goûté dans un bouiboui indescriptible, quasiment accroupis par terre, les marmites qui bouillonnaient, les mouchent qui volaient, l'eau de vaisselle dans la bassine qui stagnait etc...

Olivier est le roi pour toucher directement l'âme du pays...

Sur la plage il y a chaque matin le marché aux poissons, spectacle magnifique! D’immenses pirogues multicolores débarquent du poisson en quantité, des sénégalaises en boubous de toutes les couleurs récupèrent les bassines pleines et ensuite un peu plus haut sur la plage, elles le vendent. Il y en a de toutes sortes, de toutes formes. Ca crie, ça grouille, ça rigole, ça discute, ça se chamaille. Beaucoup de beaux bébés coincés sur les dos des mamans…

Le gros bémol, la pollution ambiante, les égouts se déversent directement dans la baie, affreux de voir ce site si endommagé, il n’est pas question de mettre un orteil dans l’eau de couleur glauque et nauséabonde. Les effluves qui nous arrivent à bord sont parfois tout juste supportables.

Ici l'escale est avant tout technique, Olivier parcourt tout Dakar pour trouver les pièces détachées, en sus de celles reçues par colis ici sur place. Les journées sont donc consacrées au bricolage, tout n’est pas encore résolu à l’heure où je vous écris, mais la situation technique progresse. Modification des circuits du déssalinisateur d’eau de mer (mal monté par le chantier au départ), démontage complet du système froid etc…

Trouver le moindre raccord est toute une histoire.

Barbara

Traversée Boa Vista-Dakar


Baie d'Hann-Pirogues de pêche



Dans le bouiboui



Travaux sur le trampoline

lundi 19 octobre 2009

Billet N°21 : 19 Octobre 2009-au mouillage de Sal Rei, Boa Vista, Cabo Verde

De l’idée de voyager…


Je sais pourquoi j’aime le voyage, mais ce serait fastidieux de l’expliquer.
Et puis il ne s’agit là que d’idées personnelles, que personne n’est obligé de partager !
Pour être honnête, je devrais même dire que parfois cela m’arrange qu’un nombre restreint de personnes les partage !
En tout cas la vie est suffisamment compliquée pour que personne ne puisse songer à donner des leçons de vie à son voisin…
Pour faire court, je pourrais résumer en disant que voyager, j’aime ça !

Plus light, je vais utiliser quelques citations que j’aime bien, toutes proportions comparatives étant gardées par ailleurs.

Car l’un des premiers enseignements du voyage est la modestie.
La modestie devant l’environnement, et celle devant l’autre, qu’on ne connaît pas.
On peut les craindre, mais on est venu les rencontrer.
J’apprécie cette disposition psychologique, cette envie de découvrir, de savoir.

Après son incroyable aventure du début du siècle dernier (1914/1915) en Antarctique (« South », titre original de l’odyssée de l’ « Endurance » en Mer de Weddel, par (Sir) Ernest Shackleton, une aventure vécue que chacun devrait connaître), certainement l’une des plus belles histoires humaines qui soient, Sir Ernest écrivait, en guise de conclusion :

« En souvenirs, nous étions riches. Nous avions percé l’apparence des choses.
Nous avions souffert, enduré la faim, et triomphé, rampé au plus bas mais agrippé la gloire, nous élevant dans la grandeur.

Nous avions vu Dieu dans ses Splendeurs, écouté le message de la Nature.
Nous avions atteint l’âme nue de l’Homme. »
Je garde toujours ces phrases d’Ernest pas trop loin de moi…

J’ai un grand respect pour l’homme Shackleton, un homme d’une qualité rare, dont on analyse encore aujourd’hui d’ailleurs les méthodes. Son histoire est exceptionnelle, à la hauteur du personnage. Elle est biensur incomparable, et de ce fait elle est pour moi simplement un repère, comme un phare dans l’incertitude du cheminement personnel.

Toute comparaison s’arrête là bien sûr.

Pourquoi voyager, pourquoi tenter, un peu, de parcourir le monde ?

Erik Orsenna, compagnon d’expédition en Antarctique il y a 3 ans, et grand voyageur, écrivait sévèrement, il n’y a pas si longtemps :
« Il est nécessaire de voyager, c’est plus qu’une pratique, bien plus qu’une récréation : une exigence et une morale. Le moteur même de sa propre renaissance. Celui qui ne voyage pas est un rentier, rentier de la pire espèce : rentier de lui-même.
Je parle de ceux qui, à peine nés, décident d’arrêter de vivre. »

Nicolas Bouvier, dans « L’usage du monde », un livre également cher au cœur des voyageurs, écrit :
« On dit qu’on fait un voyage, alors que c’est le voyage qui vous fait. Ou vous défait. »

Partir faire un voyage au long cours, c’est avant tout un choix biensur.
Un choix qui doit presque tout à l’envie, puis à la volonté.
Pour l’envie, je n’ai pas eu besoin de me forcer : une chance.
Et la volonté, on l’a ou on ne l’a pas.
On l’aura ou on ne l’aura pas, on l’a eue ou on ne l’a pas eue.
Pour des tas de raisons, bonnes ou mauvaises.
Quand on l’a, le reste n’est que détails.
Et les détails, cela relève de la simple gestion…

Partir est aussi un risque.

Qui ne se quantifie pas. Et ne se compare guère.
La vie serait-elle sans risque ?
Il y a le risque physique, bien sûr, mais il existe partout, et il n’est pas dit qu’il soit supérieur à bord d’un voilier vagabond par rapport à celui de la vie sédentaire à terre.
Pour les enfants, aussi bien que pour Barbara, ou bien moi. Je peux tomber à l’eau, moi qui m’attache rarement. Mais je peux laisser connement ma vie sur la route, moi qui roule vite depuis longtemps.

Surtout, il y a le risque, positif, que le voyage vous fasse, au sens de Nicolas Bouvier.
C’est celui que je recherche depuis des années, à travers le fait de voyager.
Le voyage m’a fait, en grande partie, et depuis longtemps.
Heureusement, ce n’est pas encore fini.
Il faut dire qu’il y a tant à faire (pour me faire)!

Il y a aussi celui qu’il vous défasse, si vous n’êtes pas fait pour.
A priori, j’ai échappé à ce risque-là.

(Accessoirement pour moi, partir, à mon âge, est aussi un risque professionnel, qu’on appelle, si on se place de ce point de vue, une erreur. Sauf que l’on revient toujours à la notion de choix. Après 20 années passées à faire tourner une boite, j’ai eu ma part, suffisante, de considération sociale. Et ma part, encore plus suffisante, d’emmerdements qui vont avec. J’ai été comblé, et je ne regrette rien de ce que je n’ai plus… Heureusement pour moi, cela ne m’a pas fait oublier que la vie était courte…)

Au-dessus de la table à cartes de Jangada, à toute heure du jour ou de la nuit, je peux lire, pour les cas où je me demanderais ce que je fais là, une jolie phrase empruntée à Mark Twain :

« Twenty years from now, you will be more disappointed by the things that you didn’t do than by ones you did do. So throw off the bowlines. Sail away from the safe harbour. Catch the trade winds in your sails.

Explore. Dream. Discover.”
Thank you Mark, I’m going to try.

Sur mon beau bureau au Chantier de Rochefort, j’ai eu dans un coin, pendant de très nombreuses années et jusqu’à mon départ récent, deux petits papiers, que seule, vraisemblablement, la femme de ménage connaissait bien : sur l’un, que pouvaient lire mes interlocuteurs (client, employé, collaborateur, ou encore inspecteur chargé du contrôle fiscal ou Urssaf), car il était monté sur un petit présentoir, était inscrite cette devise, à usage réciproque :

« Ce sera toujours la valeur des hommes qui garantira la valeur des choses… »
et sur l’autre, un rappel que je pouvais, seul, lire, et qui me tombait sous les yeux de temps à autre :
« Un homme n’est vieux que quand les regrets ont pris la place de ses rêves… »

Une phrase qui a du m’aider à rester près de 20 ans à terre…

Entreprendre un voyage au long cours en voilier, même de type familial et sous les tropiques, c’est bien sûr quelque part partir à l’aventure. La sienne en tout cas.

Car il y a aventure et aventure, mais seule la sienne propre compte.
Quel qu’en soit le niveau, qui n’a guère d’importance.

Et cette aventure, il était tentant de la tenter au moins une fois dans ma vie, histoire de repousser les limites de ma ligne d’horizon, et de se souvenir qu’il y a à apprendre des êtres rencontrés et des évènements vécus… en voyage.

Histoire, peut-être aussi, d’éviter de se croire arrivé en ayant tout compris…

Histoire aussi de retrouver un mode de vie propice à l’action spontanée, autonome et personnelle, dont la justesse ou l’erreur décidera de la bonne ou de la mauvaise suite donnée par les évènements à chaque décision prise, dans un environnement physique pas toujours conciliant mais à la proximité retrouvée.

Et ce, dans bien des domaines, car la vie à bord d’un voilier en voyage présente la particularité de faire appel à de nombreux secteurs d’activités et de connaissances, dont les limites peuvent toujours être repoussées plus loin.

Simultanément, elle autorise aussi le transport avec soi, comme le fait notre petite tortue Aglaé (confiée aux bons soins d’Evelyne, avec le poisson rouge Hinano) avec sa carapace qui la nuit lui sert de maison, d’une part de ce que nous sommes et de ce que nous aimons : décoration, livres, musique, films, hobbies…

Suivre son chemin, accepter son destin mais l’infléchir autant que faire se peut, combattre ses inquiétudes et ses peurs : j’en suis là, à essayer d’accomplir ce que je crois bon, pour un temps, pour les miens et pour moi-même, avec les moyens du bord.

Il faut être honnête, et dire que dans cette idée de partir voyager pour quelques temps, la part d’intérêt individuel n’est pas négligeable… !

Mais l’adhésion de tous à l’idée était nécessaire.

Quand j’ai un doute sur la direction à prendre, la décision à arrêter, je me dis qu’il faut peut-être essayer de choisir celles qui ne nous feront jamais regretter le sillage éphémère que chacun de nous aura tracé dans la vie.

Et puis, comme le fredonnait Georges, le vieux chanteur à la barbe blanche :

« La mer m’a donné
une carte de visite
pour me dire je t’invite
à voyager…

…j’ai du vent qui enivre
ceux qui veulent me suivre
dans l’illusion facile
de la douceur des îles… »

Bon, oubliez toutes ces confidences au coin des tropiques, tout cela n’est valable que pour moi !
A chacun sa vie, à chacun ses convictions, qu’il n’est pas nécessaire de vouloir faire partager aux autres.
Ils peuvent être si différents, les chemins et c’est tellement passionnant, le chemin des autres…
Mais moi, déjà, il me faudrait plusieurs vies pour faire tout ce que je voudrais faire…

Allez, portez-vous bien, demain matin, dès que les premières lueurs de l’aube glisseront sur les dunes de sable de Boa Vista, je lèverai l’ancre, et mettrai le vaisseau sous voiles vers Dakar, Sénégal, way-point de la pointe des Almadies au 105 à 328 milles marins.

Et je regarderai le sillage s’allonger, en écoutant … la chanson de Martin Circus !

Vous vous rappelez, dans les années 70 ?

« Je m’éclate au Sénégal », des paroles qui ont peu, certes, fait progresser l’humanité, mais qui était dans l’ai du temps.

Je l’ai faite écouter aux enfants, et ils la reprennent maintenant volontiers avec l’I-pod, la sono à fond dans le cockpit de Jangada ! Un truc pédagogique pas prévu par le CNED…

Plus sérieusement, pour conclure, je vous livre une dernière citation, toujours extraite du livre de Nicolas Bouvier, « L’usage du monde ». Quoi, vous ne l’avez pas encore lu ?

« Un voyage se passe de motifs.
Lorsque le désir résiste aux premières atteintes du bon sens, on lui cherche des raisons.
Et on en trouve, qui ne valent rien.
La vérité, c’est qu’on ne sait comment nommer ce qui vous pousse.
Quelque chose en vous grandit et détache les amarres, jusqu’au jour où, pas trop sûr de soi, on s’en va pour de bon.
Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. »

Cela me semble juste. A bientôt en Afrique !

Olivier

Faire route...



... et tracer un sillage

vendredi 16 octobre 2009

Billet N°20 : A Sao Nicolau

Du Vendredi 9 au Jeudi 15 Octobre 2009 -

Less is more…

…Alors pour varier les plaisirs et casser le rythme de nos billets je vais faire court, quand Olivier écrit plus long.

Less is more : notre vie est simple très simple, rudimentaire, on vit avec la lumière du jour, on se nourrit d’un régime alimentaire de base (poisson, poisson et encore poisson, fruits et légumes qui deviennent également rares dans ces îles peu arrosées, même le pinard n’est plus sur la table, il a tourné), on s’habille peu (sauf si j’insiste fortement pour que les garçons mettent une chemise avant de passer à table), on bouquine, on pêche, on dort.

Less is more : plus de dessalinisateur, plus de froid, plus de pompe de cale tribord depuis 3 jours, je me répète le proverbe british pour garder bon moral…

Less is more : coupes de cheveux pour tout l’équipage, (rationnement de l’eau et chaleur obligent), les filles ont des carrés très courts, les garçons encore plus court.

Less is more : Marin traverse une période un peu récalcitrante avec le CNED, il applique à mauvais escient la maxime…

Donc simple la vie à bord de Jangada mais si riche par ailleurs, la ravissante petite plage au sud de Tarrafal où nous sommes restés 3 jours est un bijou que nous avons tous apprécié.

Les langoustes grillées sur la plage déserte de Porto da Lapa (abandonné) hier soir étaient so delicious, et le coq qui chante dans le mouillage du jour (petit port de Carriçal à l’est de l’île) me ravit.

Nous avons loué un truck Toyota pour visiter Sao Nicolau, verte et vallonnée, avec un pic, le Monte Gordo, qui culmine à 1304 m. L’île est pauvre, les habitants plutôt désoeuvrés restent dignes et accueillants. De nombreux enfants en uniforme remplissent les cours d’école…

Quel sera leur avenir ?

J’ai le sentiment que l’île a mieux vécu autrefois, des conserveries de poissons à l’abandon témoignent d’une activité économique aujourd’hui disparue.

Less is more pour les habitants de Sao Nicolau…pas certaine…

Demain nous quitterons Sao Nicolau pour Boavista, dernière escale capverdienne avant Dakar.

Barbara

En truck Toyota à Sao Nicolau



Le dragonnier, endémique de l'île de Sao Nicoalu



Collecte du bois à Sao Nicolau



Ecoliers à Tarrafal



Baa au port de Preguiça



Père et fille



Toudou Rose



Avec Joao,capverdien et constructeur naval

Merci à la société toulousaine CLS-Argos pour ce service

Map Monde ...un petit point rouge : JANGADA V ...déjà plus sur le même fuseau horaire



Plus précis



... et le détail !

samedi 10 octobre 2009

Billet N°19 : De Sao Vicente à Santa Luzia et Sao Nicolau.

Du Mardi 6 au Vendredi 9 Octobre 2009 -

Au cœur de l’archipel du Cap Vert…

Les 6 et 7 octobre, l’alizé de Nord-Est se renforce à 30/35 nœuds, rafales à 40/45. Le mouillage de Mindelo (Sao Vicente) tient particulièrement bien, une chance. Ca étale.

Pendant que les enfants « font le CNED » à bord avec la maîtresse (en ce moment, les « évaluations », qui reviennent une fois par mois environ, et la prof principale ne rigole pas avec le sujet), je pars à travers les rues de la petite ville en traînant ma petite carriole : je vais à l’usine de gaz Enacol, faire remplir l’une des deux bouteilles de 13 kgs du bord, vide après 2 mois de service.

Des notes de morna, la musique capverdienne qui chante la saudade de ce peuple pauvre condamné au fil des siècles à l’émigration par la sécheresse et l’aridité de la plus grande partie des terres, s’échappent des mercearia, les petites épiceries locales où l’on trouve un peu de tout, et de rien.

Au Bar do Tubarao, en face de la torre de Belem, copie miniature de celle de la capitale lusitanienne, des vieux capverdiens secs, tannés par le soleil et le vent, et des années de vie austère, vident cul sec des petits verres d’aguardente do cana de Santo Antao. J’aimerais connaître la vie qu’ils ont eue, avant. Ne serait-ce, par exemple, que partager une partie de pêche avec eux, sur leur barque…

Dans l’après-midi, nous réussirons à nous connecter en wi-fi sur la place principale de Mindelo, et découvrons que le blog www.voilierjangada.com est en ligne !

Comme une trace, vers les autres, du voyage que nous avons entrepris.

Nous achetons quelques mains de bananes, des patates douces, des mangues, et du beurre hollandais en conserve, bien commode. Et de l’eau, en bidon de 5 litres, car l’eau, ici plus qu’ailleurs, c’est la vie ! Nous buvons désormais davantage d’eau, il fait plus chaud, 35° couramment.

Demain, nous reprenons la mer, pour nous enfoncer au cœur de l’archipel du Cap Vert…

8 Octobre, nous quittons la rade de Porto Grande, et tentons le passage par le nord de Sao Vicente, plus difficile au départ, puisqu’il faut remonter de face dans la mer et le vent, mais plus portant ensuite.

Pendant deux heures, l’alizé vitaminé du canal provoque le rinçage gratis des trampolines et du pont, devenus ocre couleur Sahara. Le bateau est secoué, Adélie finit par vomir, mais elle gère bien cet état qu’elle connaît encore relativement fréquemment, sans s’en formaliser outre mesure. La pointe nord de l’île passée, nous abattons vers Santa Luzia, l’île orientale voisine de Sao Vicente, inhabitée. Il y a peu d’eau entre les deux îles, et la mer lève : 4 à 5 mètres de creux. Mais à cette allure, cela va mieux.

Naviguer entre les îles n’est pas toujours plus facile qu’au large, tant s’en faut.

Puis Santa Luzia nous abrite à nouveau, sur sa côte sud, et notre catamaran reprend ses allures spacieuses.

Nous mouillons à proximité de l’Ilheu do Porto, un rocher esseulé qui émerge à une encâblure (1 encâblure = 100 brasses, soit 182 mètres environ, 1 brasse valant 6 pieds) de l’immense plage de sable blanc.

De puissantes vagues déferlent dans un vacarme assourdissant.

Le débarquement n’est pas recommandé…

J’aperçois, à l’extrémité de la plage le campement des pêcheurs. Pas de baraque en dur, une simple tente de type mauresque, sans doute venue du continent, qui claque dans le vent. Ils sont une dizaine d’hommes, armant 3 à 4 barques qui partent avant le jour et sont de retour en début d’après-midi.

Après la pêche, les barques sont tirées sur la plage, sur des rondins de bois, au seul endroit où le déferlement incessant des vagues s’atténue un peu.

Marin et moi allons repérer les abords de l’Ilheu, mais la pêche sous-marine serait dangereuse, trop de ressac autour de ce caillou.

Et puis le seul récit de croisière dont je dispose à bord indique que s’est produit ici, devant la plage, quelques jours avant le passage de l’auteur de l’article, un accident mortel avec un requin.

Pas terrible pour l’ambiance…

9 Octobre, nous faisons voile vers notre prochaine île, Sao Nicolao, en passant au nord des îlots Branco et Razo.

Prés débridé, il y avait longtemps qu’on avait pas pratiqué l’exercice ! A cette allure, le bateau bouge et mouille, mais avance bien, 8 à 9 noeuds.

Je mets les 2 lignes montées sur cannes à l’eau, avec des splendides leurres en forme de calmars fluo. A cette vitesse, les leurres sautillent sur les vagues, en surface. L’excitation des prédateurs est garantie, quand ils sont là… !

Soudain, au nord de l’îlot Branco, par des fonds faibles d’une trentaine de mètres, la canne tribord se dévire à une vitesse vertigineuse, le cliquet sonore chante sa petite mélopée joyeuse et métallique : il avertit le pêcheur qu’il y a du boulot à l’arrière !

Je le soupçonne aussi, le petit cliquetis, de provoquer chez le Captain et le Maître d’Equipage (hormones mâles obligent… ?) une décharge d’adrénaline et autres substances momentanément délicieuses…

C’est le signal attendu du branle-bas de combat avec l’animal convoité!

L’équipage de Jangada a une certaine expérience de la pêche à la traîne au large, mais il a encore à apprendre... Le succès ou l’échec se jouent dans la bonne répartition des rôles.

Marin se précipite pour serrer un peu plus le frein (car la bestiole aura vite fait de dévirer le reste de la ligne, 300 m au total, avant de tout casser), je prends la barre en manuel et lofe au maximum pour faire chuter la vitesse à seulement 2 ou 3 nœuds. Les moteurs sont démarrés pour rester manoeuvrants, dès lors Barbara reste au poste de commandes. Marin et moi enroulons le solent le plus vite possible. Toudou prépare le fusil sous-marin le plus court, et le grand couteau de cuisine…tous deux ne servent qu’en phase finale … positive !

J’enfile des gants de plongée, saisit la canne et jauge la bestiole avant de passer le bazar à Marin, qui va mouliner assis sur le siège du flotteur.

Là, c’est du gros, certainement plus d’un mètre de long, mais quoi ? Thon, tazar, voilier, coryphène, barracuda ?

L’obsession, c’est d’abord de ne pas casser, car le jonc de la canne est ployé à mort, la ligne tendue comme une corde à piano. Il faut laisser l’animal s’habituer à la traction qu’il subit vers l’avant, qu’il ne comprend pas, et qui le fatigue. La traînée due à la vitesse résiduelle l’oblige à remonter vers la surface, il doit lutter pour tenter de regagner les profondeurs..

Je descend dans la jupe, me cale bien, les pieds rincés copieusement par l’eau de mer, et empoigne le nylon de 80/100 (de mm), que je ramène doucement, main sur main, en conservant toujours une tension permanente, simplement modulée selon les réactions du poisson. Derrière moi, Marin rembobine au moulinet. Quelques 120, 150 mètres à remonter, l’exercice est physique. Il peut durer une dizaine de minutes.

A aucun moment cette fois, le poisson n’a fait surface, c’est la preuve qu’il est de grande taille, costaud.

L’angulation du fil est de plus en plus prononcée, l’animal n’est plus qu’à une quinzaine de mètres. C’est la séquence la plus excitante pour les pêcheurs que nous sommes alors, découvrir la nature du poisson, ses dimensions, son comportement à l’approche du bateau qu’il a maintenant dans son champ de vision, et vivre l’incertitude de la capture.

Je fais une pose dans la traction de la ligne, le temps d’armer l’élastique du fusil sous-marin que me tend Adélie (pas la dernière à participer à la chasse), lequel va servir à harponner le poisson au ras du tableau arrière, car c’est souvent au moment de le sortir de l’eau qu’il se décroche.

Puis je la reprends d’une main pour les derniers mètres, l’arbalète dans l’autre, tandis que Marin enroule toujours au moulinet. (Mauvaise pioche, erreur de casting… !)

A 4 ou 5 mètres, on aperçoit les reflets argentés du poisson, dont les mouvements s’accentuent et deviennent brutaux. Il tente de plonger sous le bateau, et le pire qui puisse alors arriver est qu’il passe devant le safran !

Je m’apprête à le harponner à l’arbalète, mais je tergiverse quelques secondes, la ligne dans une main, le fusil dans l’autre. Le poisson est encore un peu loin, 2 ou 3 mètres, et je ne veux pas rater mon coup…

J’ai identifié la bête : dos sombre, flancs de plus en plus clairs, ventre argenté, grandes nageoires latérales antérieures, petites nageoires dorsales jaunes. Un splendide thon jaune, ou albacore, qui doit mesurer 1,50m et peser dans les 30 kgs !

Pas d’accord pour remplir nos bocaux de conserve, ni participer au barbecue évoqué pour ce soir par les enfants, il se débat avec vivacité, et la ligne plusieurs fois, est à deux doigts de m’échapper de la main.

Puis tout à coup, une dernière secousse et plus rien, mon leurre pendouille lamentablement dans l’eau à l’arrière de la jupe : le poisson a réussi à s’échapper ! Je le vois hésiter quelques instants à proximité du flotteur, surpris lui-même de sa liberté retrouvée, le temps sans doute de réaliser qu’il a gagné la partie : il file vers les profondeurs…

Je rage, et cet épisode assombrira le reste de ma journée, pourtant ensoleillée…

Leçon à retenir : tergiverser quelques secondes de trop et le poisson recouvre ses chances…J’aurais du laisser à Marin la ligne sur les 5 derniers mètres, mettre Toudou au moulinet, et me concentrer sur le tir final à l’arbalète avec mes deux mains.

La prochaine fois, notre technique commune va encore s’améliorer !

Pour aujourd’hui, le stock de bocaux restera identique, et on se passera de poisson à la tahitienne en entrée au dîner (poisson cru mariné avec citron vert, lait de coco, et un peu d’huile d’olive) et d’une belle tranche d’albacore passée à la poêle…

Un groupe de grands dauphins noirs nous escortent quelques minutes.

Nous arrivons à Tarrafal, où le ressac et l’eau boueuse nous incitent à passer notre chemin. Deux milles au sud, j’aperçois une petite plage de sable blanc, encastrée entre les rochers, je vire de 90° sur babord et décide d’aller jeter l’ancre devant la praia.

Eau turquoise à 28°C, plan d’eau calme, petite dune de sable.

Les enfants apprécient toujours…

Olivier

Sous escorte des grands dauphins noirs...



L'unique plage de sable blanc de Sao Nicolau



Pas d'albacore à la ligne, mais une première carangue, délicieuse



L'équipage à Sao Nicolau, Cap Vert



Au mouillage à Carriçal, Sao Nicolau



Village de pêcheurs de Carriçal



Marin de mieux en mieux, mais ... joke, isn't it

vendredi 9 octobre 2009

Billet N°18- à Santo Antao (Iles du Cap Vert)

Du dimanche 4 et lundi 5 Octobre 2009


Santo Antao, est la 2ème île de l’archipel à la fois par la taille 780 km2, et par l’altitude de son point culminant à 1979 m, l’île est escarpée, avec de profondes vallées spectaculaires au nord. Grâce à des précipitations plus abondantes qu’ailleurs, Santo Antao a la production agricole la plus importante de l’archipel.

Nous laissons le bateau au petit matin au mouillage à Mindelo, et prenons le bateau ferry qui relie les deux îles. A l’arrivée un aluguer collectif (taxi) nous monte vers le centre de l’île verdoyant avec des sapins et des eucalyptus. Ensuite à pied nous descendons 6 heures durant dans une ravissante vallée, de la canne à sucre, des bananiers, des papayers. La vallée est habitée et cultivée, de petites cases la parsèment, des enfants avec leurs ânes font un bout de chemin avec nous, souriant avec leurs grands yeux.
Le sentier étroit en lacets est pavé, cela m’émeut toujours de voir ce qu’a fait la main de l’homme. Il me semble qu’il y a quelques siècles, le décor devait être sensiblement identique, un sentier pavé, un enfant et un âne.

Une nuit dans une pension « chez Louisette » à Ponta do sol, au nord de l’île. Louisette parle bien français, elle a travaillé à Dakar et en France. Une chambre propre et ô grand luxe une douche à forte pression avec eau chaude…chacun de nous y reste 10 min. Le lendemain à pied d’œuvre, nous entamons la 2ème randonnée du séjour et empruntons un ravissant chemin accroché à la falaise jusqu’à Cruzinha de Garca, autant dire le bout du monde !
Quel bonheur de trouver sur ce sentier pavé ancestral de petits hameaux habités, des petites filles nattées sortent des cases à notre arrivée. Marin et Adélie n’en reviennent pas de leur isolement.

Nous pensions trouver un aluguer à l’arrivée et emprunter une piste qui nous ramènerait vers le port de Porto Santo pour prendre le ferry, mais c’était sans compter les très fortes pluies qui avaient détruit la route une quinzaine auparavant. Le village est complètement isolé, coupé du monde. Impossible de faire demi tour, il nous faudrait refaire les 5h00 de marche, et alors adieu le ferry de 17h00.

Les villageois nous expliquent qu’il est possible de remonter le lit de la rivière jusqu’à retrouver la route praticable. 2h00 à nouveau d’une marche très rapide. A l’approche d’un village nous croisons des collégiens en claquettes qui rentrent de l’école, pour eux 4h00 de marche quotidienne aller retour pour se rendre au collège semble naturel…et compte tenu des dégâts des pluies, ils ne sont pas prêts d’y retourner en bus.
Dans un village paumé dans la montagne Olivier réussit à trouver un aluguer qui nous rapatrie fissa au port, le prix est élevé mais le chauffeur promet d’être dans les temps…à 17h00 nous sommes à bord du ferry, perclus de fatigue, couverts de poussière mais heureux de ces 48h00 intenses, sportives et colorées. Santo Antao demeurera une très belle escale.

Barbara


La vallée de Paul, côte orientale de l'île de Santo Antao, Cap Vert


Randonnée entre le cratère de Cova et la vallée de Paul, Santo Antao, Cap Vert


Ferme typique de Santo Antao, Cap Vert



Barbara sur les sentiers abandonnés
de Ponta do Sol à Cruzinhas, Santo Antao

Carte - Trajet JANGADA V (billet 1 à 18)

Tout le monde n'a pas la connaissance du Globe comme notre capitaine Olivier, alors pour mieux vous repérer sur les mers du monde, j'essaierai au cours du voyage de situer le JANGADA V sur une carte.
(Vincent)

Cliquez sur la carte pour l'agrandir


Cap Vert : les 10 dernier jours ...

Merci à la société toulousaine CLS-Argos pour ce service

jeudi 8 octobre 2009

Billet N°17 - A Sao Vicente et Santo Antao (Iles du Cap Vert)

Du 29 Septembre au 7 Octobre 2009

(Par Olivier)

Nous sommes vraiment en voyage, désormais.

L’Afrique est proche, ses senteurs, ses odeurs, ses chaleurs.

A l’aube du 29 Septembre, nous nous engageons sous voilure réduite dans le canal de Sao Vicente, entre l’île du même nom et sa voisine, beaucoup plus grande et beaucoup plus montagneuse, Santo Antao. Je connais la fréquente accélération du vent entre les deux reliefs, les rafales à plus de 40 nœuds n’y sont pas rares.

Vers 3 heures du matin, j’ai réveillé Marin pour qu’il m’aide à affaler la grand-voile. La présence de la corne de grand-voile (qui permet une augmentation de la surface de toile) complique un peu la manœuvre, plus facile à deux. Entre autres jobs, il a celui de grimper à 4 mètres de hauteur le long du mât pour aller déverrouiller le mousqueton de têtière. Marin a une énorme qualité pour … un marin : il se rendort très vite après la manœuvre (çà c’est pour rassurer sa Mamina…)

Je lui fais remarquer que notre hôte de la veille, une hirondelle capverdienne perdue en mer à plus de 200 kms de la terre la plus proche, qui s’est posée à bord à bout de forces, était toujours en vie, perchée sur la lampe à pétrole, à l’abri du roof. Toute la nuit, sa tête a disparu dans son plumage, mais elle a repris des forces, et aux premières lueurs d’un nouveau jour elle aura le bonheur d’apercevoir son île, à quelques milles devant les étraves. Elle virevoltera quelques secondes autour du bateau, partira vers la terre sur quelques dizaines de mètres, mais reviendra se poser quelques instants sur l’écoute de solent, comme pour dire au revoir et merci, avant de s’envoler vers son salut, portée par le vent…

Je suis heureux que ce jour commence ainsi.

Avant de parvenir dans l’archipel, nous avons tout entendu sur les problèmes de sécurité (vols, agressions) aux Iles du Cap Vert. Certains bateaux renoncent même à y faire escale.

Nous avons seulement rangé à l’intérieur du bateau tout le matériel voyant qui pouvait susciter l’envie.

Cela fait plus d’une semaine que nous sommes au mouillage de Mindelo, le plus grand port de l’archipel, et nous n’avons rencontré que des autochtones charmants, ou à peu près. Bien entendu, il y a toujours le quota de ceux qui ont abusé du « grog » (redoutable) et/ou des plantes « aromatiques » qui viennent des vallées de Santo Antao par le « Ribeira do Paul », le « bateau vomi » qui assure, en roulant et tanguant plus que nécessaire, la liaison avec l’île voisine. La nouvelle république du Cabo Verde, qui a abandonné son option marxiste il y a quelques années, et bénéficie aujourd’hui de l’aide internationale, est pauvre, mais pas misérable. Moi qui ai eu l’habitude de fréquenter les coupe-gorges, je ne ressens ici aucun sentiment d’insécurité.

Je m’ouvre de cette mauvaise réputation aux policiers avec qui je m’acquitte des formalités d’entrée dans le pays, et ils me répondent que le Cap Vert est le pays le plus sûr d’Afrique, et j’aurais tendance à les croire. La culture portugaise est très présente ici, les européens sont les bienvenus, et le gouvernement mise aujourd’hui beaucoup sur le développement touristique, encore très embryonnaire, sauf à l’île de Sal, où se trouve l’aéroport principal de l’archipel.

Je me méfie bien davantage de Dakar, où il conviendra d’être sur ses gardes.

Le mouillage est de très bonne tenue sur rade de Mindelo, bien que très ventilé. La poussière du Sahara, portée par l’alizé de nord-est, a recouvert le gréement, les antennes, et on la retrouve accumulée dans tous les recoins du bateau, au grand désespoir de Barbara.

Mélangée au sel, cette poussière ocre rend le bateau poisseux.

Les enfants observent les barques de pêcheurs, propulsées par les inévitables Yamaha, passer à proximité de Jangada pour aller pêcher à la senne dans la baie.

Prémices de l’Afrique continentale…

Le marché aux poissons de Mindelo est à 150 mètres du bateau. Il foisonne de poissons aux noms inconnus pour nous, mais on y trouve aussi thons, daurades, bonites, langoustes… et mouches, par milliers, dont quelques dizaines ont la mauvaise idée de s’installer à bord de notre catamaran.

Mais le poisson du bord est forcément pêché par l’équipage, pas question d’en acheter au marché !

Le mercado aux fruits et légumes regorge des produits venus de Santo Antao, l’île voisine, aussi montagneuse, arrosée et verdoyante que Sao Vicente est basse, sèche et aride, saharienne. Avocats, oranges vertes, citrons, papayes, mangues, bananes, patates douces, tomates, oignons, courgette, manioc, café… Pour 100 escudos capverdiens (environ 1 euro), on a 1 kg de fruits.

Barbara débusque du beurre hollandais en conserve qui fera l’affaire jusqu’au Brésil, et je localise une boulangerie (le pain est subventionné au Cap Vert) qui fabrique des petits pains individuels assez goûteux, le meilleur que nous ayons trouvé depuis que nous avons déserté la boulangerie Jaulin, du côté des parcs rochelais…

Je suis surpris par le nombre impressionnant de commerçants chinois qui ont colonisé la ville de Mindelo avec leurs petits bazars qui regorgent de tout un fatras de merdouilles made in China, venues par conteneurs entiers ; le plastique c’est … fantastique !

A l’alliance française, dont la jolie maison datant de l’époque coloniale portugaise arbore le pavillon tricolore et donne sur le front de mer, je prends un café (de Santo Antao) et feuillette rapidement Paris-Match. Sans nouvelles (de fonds) du monde depuis 2 mois (on s’en porte très bien, je le savais déjà), je retiens comme nouvelle essentielle que Georges Clooney s’est trouvé une julie italienne, ce qui porte, ai-je du moins cette impression, un léger coup momentané au moral de Barbara…Je m’empresse de lui dire que la ritale est biensûr canonissime, mais un peu vulgaire, et je sens que je sauve ainsi mon statut…

Nous n’avons pas croisé Césaria dans les rues de sa ville, mais nous nous sommes offerts un dîner dans un restaurant typique de Mindelo, où jouaient délicieusement de vieux musiciens capverdiens, qui eux ont échappé à la renommée, mais pas à la grâce de leur art.

Je suis, sans doute au fur et à mesure que j’avance moi-même en âge, toujours autant captivé par le talent que certaines personnes ont acquis au fil du temps, quelle que soit la discipline, le métier ou l’art pratiqués : cela me semble un bien infiniment précieux, peut-être parce que ce savoir-faire est appelé à disparaître avec chacune d’entre elles ?

Les enfants rattrapent progressivement le retard du CNED accumulé pendant la traversée depuis les Canaries. La maîtresse ne plaisante pas avec le sujet. Le proviseur s’aligne…

Pendant que le carré sert de salle de classe (le matin en général), j’entreprends de plonger pour tenter de localiser avec certitude l’origine du bruit sourd que j’ai entendu en mer pour la première fois, du côté de la jaumière babord. Je soupçonne le palier inférieur du safran babord d’avoir un jeu excessif qui s’accentue semble-t-il.

Seul petit problème : il y a des requins aux îles du Cap Vert, des requins marteaux et des requins citrons, entre autres. Mais je vois les pêcheurs à la senne sauter de temps en temps dans l’eau pour éviter que les poissons encerclés ne s’échappent du filet.

Certes les pêcheurs sont noirs, mais les requins ne doivent pas être racistes… ?

Je prends mon courage à deux mains, enfile combinaison, palmes, masque, tuba, et me glisse discrètement à l’eau. On ne voit pas à 50 cms, quelque part ça m’arrange !

Je fonce en bas du safran babord, puis du safran tribord, fait jouer l’ensemble : le diagnostic est vite fait, les paliers inférieurs ont pris du jeu.

Il faudra commander des paliers de rechange du côté de Marans, et probablement sortir le bateau de l’eau pour les mettre en place…

Marin me hisse (au guindeau) en haut du mât pour une autre vérification : tout va bien de ce côté-là.

Au mouillage de Mindelo, la BLU a du mal à passer et nous ne recevons plus les messages SAILMAIL. A terre, le wifi fonctionne très lentement, Internet n’en est qu’à ses débuts au Cap Vert… Les échanges d’e-mails sont difficiles.

Adélie a 11 ans le 2 Octobre ! Elle a passé commande à sa Maman de pâtes à la carbonara, et a confectionné elle-même un délicieux fondant au chocolat. Bougies, petits cadeaux, et tour de Sao Vicente en aluguer (pick-up Toyota) avec les petits amis du catamaran Gwenvidik, Félix et Rose, arrivés entre temps eux aussi des Canaries…

Joyeux anniversaire ma petite fille !

Depuis 4 jours, nos regards se portent vers les montagnes de Santo Antao, où nous nous sommes promis d’aller marcher…

Olivier

Mindelo, île de Sao Vicente, Cap Vert



Playa de San Pedro, Sao Vicente



Adélie, alias Toudou Rose, 11 years happy birthday, on a truck!