samedi 10 octobre 2009

Billet N°19 : De Sao Vicente à Santa Luzia et Sao Nicolau.

Du Mardi 6 au Vendredi 9 Octobre 2009 -

Au cœur de l’archipel du Cap Vert…

Les 6 et 7 octobre, l’alizé de Nord-Est se renforce à 30/35 nœuds, rafales à 40/45. Le mouillage de Mindelo (Sao Vicente) tient particulièrement bien, une chance. Ca étale.

Pendant que les enfants « font le CNED » à bord avec la maîtresse (en ce moment, les « évaluations », qui reviennent une fois par mois environ, et la prof principale ne rigole pas avec le sujet), je pars à travers les rues de la petite ville en traînant ma petite carriole : je vais à l’usine de gaz Enacol, faire remplir l’une des deux bouteilles de 13 kgs du bord, vide après 2 mois de service.

Des notes de morna, la musique capverdienne qui chante la saudade de ce peuple pauvre condamné au fil des siècles à l’émigration par la sécheresse et l’aridité de la plus grande partie des terres, s’échappent des mercearia, les petites épiceries locales où l’on trouve un peu de tout, et de rien.

Au Bar do Tubarao, en face de la torre de Belem, copie miniature de celle de la capitale lusitanienne, des vieux capverdiens secs, tannés par le soleil et le vent, et des années de vie austère, vident cul sec des petits verres d’aguardente do cana de Santo Antao. J’aimerais connaître la vie qu’ils ont eue, avant. Ne serait-ce, par exemple, que partager une partie de pêche avec eux, sur leur barque…

Dans l’après-midi, nous réussirons à nous connecter en wi-fi sur la place principale de Mindelo, et découvrons que le blog www.voilierjangada.com est en ligne !

Comme une trace, vers les autres, du voyage que nous avons entrepris.

Nous achetons quelques mains de bananes, des patates douces, des mangues, et du beurre hollandais en conserve, bien commode. Et de l’eau, en bidon de 5 litres, car l’eau, ici plus qu’ailleurs, c’est la vie ! Nous buvons désormais davantage d’eau, il fait plus chaud, 35° couramment.

Demain, nous reprenons la mer, pour nous enfoncer au cœur de l’archipel du Cap Vert…

8 Octobre, nous quittons la rade de Porto Grande, et tentons le passage par le nord de Sao Vicente, plus difficile au départ, puisqu’il faut remonter de face dans la mer et le vent, mais plus portant ensuite.

Pendant deux heures, l’alizé vitaminé du canal provoque le rinçage gratis des trampolines et du pont, devenus ocre couleur Sahara. Le bateau est secoué, Adélie finit par vomir, mais elle gère bien cet état qu’elle connaît encore relativement fréquemment, sans s’en formaliser outre mesure. La pointe nord de l’île passée, nous abattons vers Santa Luzia, l’île orientale voisine de Sao Vicente, inhabitée. Il y a peu d’eau entre les deux îles, et la mer lève : 4 à 5 mètres de creux. Mais à cette allure, cela va mieux.

Naviguer entre les îles n’est pas toujours plus facile qu’au large, tant s’en faut.

Puis Santa Luzia nous abrite à nouveau, sur sa côte sud, et notre catamaran reprend ses allures spacieuses.

Nous mouillons à proximité de l’Ilheu do Porto, un rocher esseulé qui émerge à une encâblure (1 encâblure = 100 brasses, soit 182 mètres environ, 1 brasse valant 6 pieds) de l’immense plage de sable blanc.

De puissantes vagues déferlent dans un vacarme assourdissant.

Le débarquement n’est pas recommandé…

J’aperçois, à l’extrémité de la plage le campement des pêcheurs. Pas de baraque en dur, une simple tente de type mauresque, sans doute venue du continent, qui claque dans le vent. Ils sont une dizaine d’hommes, armant 3 à 4 barques qui partent avant le jour et sont de retour en début d’après-midi.

Après la pêche, les barques sont tirées sur la plage, sur des rondins de bois, au seul endroit où le déferlement incessant des vagues s’atténue un peu.

Marin et moi allons repérer les abords de l’Ilheu, mais la pêche sous-marine serait dangereuse, trop de ressac autour de ce caillou.

Et puis le seul récit de croisière dont je dispose à bord indique que s’est produit ici, devant la plage, quelques jours avant le passage de l’auteur de l’article, un accident mortel avec un requin.

Pas terrible pour l’ambiance…

9 Octobre, nous faisons voile vers notre prochaine île, Sao Nicolao, en passant au nord des îlots Branco et Razo.

Prés débridé, il y avait longtemps qu’on avait pas pratiqué l’exercice ! A cette allure, le bateau bouge et mouille, mais avance bien, 8 à 9 noeuds.

Je mets les 2 lignes montées sur cannes à l’eau, avec des splendides leurres en forme de calmars fluo. A cette vitesse, les leurres sautillent sur les vagues, en surface. L’excitation des prédateurs est garantie, quand ils sont là… !

Soudain, au nord de l’îlot Branco, par des fonds faibles d’une trentaine de mètres, la canne tribord se dévire à une vitesse vertigineuse, le cliquet sonore chante sa petite mélopée joyeuse et métallique : il avertit le pêcheur qu’il y a du boulot à l’arrière !

Je le soupçonne aussi, le petit cliquetis, de provoquer chez le Captain et le Maître d’Equipage (hormones mâles obligent… ?) une décharge d’adrénaline et autres substances momentanément délicieuses…

C’est le signal attendu du branle-bas de combat avec l’animal convoité!

L’équipage de Jangada a une certaine expérience de la pêche à la traîne au large, mais il a encore à apprendre... Le succès ou l’échec se jouent dans la bonne répartition des rôles.

Marin se précipite pour serrer un peu plus le frein (car la bestiole aura vite fait de dévirer le reste de la ligne, 300 m au total, avant de tout casser), je prends la barre en manuel et lofe au maximum pour faire chuter la vitesse à seulement 2 ou 3 nœuds. Les moteurs sont démarrés pour rester manoeuvrants, dès lors Barbara reste au poste de commandes. Marin et moi enroulons le solent le plus vite possible. Toudou prépare le fusil sous-marin le plus court, et le grand couteau de cuisine…tous deux ne servent qu’en phase finale … positive !

J’enfile des gants de plongée, saisit la canne et jauge la bestiole avant de passer le bazar à Marin, qui va mouliner assis sur le siège du flotteur.

Là, c’est du gros, certainement plus d’un mètre de long, mais quoi ? Thon, tazar, voilier, coryphène, barracuda ?

L’obsession, c’est d’abord de ne pas casser, car le jonc de la canne est ployé à mort, la ligne tendue comme une corde à piano. Il faut laisser l’animal s’habituer à la traction qu’il subit vers l’avant, qu’il ne comprend pas, et qui le fatigue. La traînée due à la vitesse résiduelle l’oblige à remonter vers la surface, il doit lutter pour tenter de regagner les profondeurs..

Je descend dans la jupe, me cale bien, les pieds rincés copieusement par l’eau de mer, et empoigne le nylon de 80/100 (de mm), que je ramène doucement, main sur main, en conservant toujours une tension permanente, simplement modulée selon les réactions du poisson. Derrière moi, Marin rembobine au moulinet. Quelques 120, 150 mètres à remonter, l’exercice est physique. Il peut durer une dizaine de minutes.

A aucun moment cette fois, le poisson n’a fait surface, c’est la preuve qu’il est de grande taille, costaud.

L’angulation du fil est de plus en plus prononcée, l’animal n’est plus qu’à une quinzaine de mètres. C’est la séquence la plus excitante pour les pêcheurs que nous sommes alors, découvrir la nature du poisson, ses dimensions, son comportement à l’approche du bateau qu’il a maintenant dans son champ de vision, et vivre l’incertitude de la capture.

Je fais une pose dans la traction de la ligne, le temps d’armer l’élastique du fusil sous-marin que me tend Adélie (pas la dernière à participer à la chasse), lequel va servir à harponner le poisson au ras du tableau arrière, car c’est souvent au moment de le sortir de l’eau qu’il se décroche.

Puis je la reprends d’une main pour les derniers mètres, l’arbalète dans l’autre, tandis que Marin enroule toujours au moulinet. (Mauvaise pioche, erreur de casting… !)

A 4 ou 5 mètres, on aperçoit les reflets argentés du poisson, dont les mouvements s’accentuent et deviennent brutaux. Il tente de plonger sous le bateau, et le pire qui puisse alors arriver est qu’il passe devant le safran !

Je m’apprête à le harponner à l’arbalète, mais je tergiverse quelques secondes, la ligne dans une main, le fusil dans l’autre. Le poisson est encore un peu loin, 2 ou 3 mètres, et je ne veux pas rater mon coup…

J’ai identifié la bête : dos sombre, flancs de plus en plus clairs, ventre argenté, grandes nageoires latérales antérieures, petites nageoires dorsales jaunes. Un splendide thon jaune, ou albacore, qui doit mesurer 1,50m et peser dans les 30 kgs !

Pas d’accord pour remplir nos bocaux de conserve, ni participer au barbecue évoqué pour ce soir par les enfants, il se débat avec vivacité, et la ligne plusieurs fois, est à deux doigts de m’échapper de la main.

Puis tout à coup, une dernière secousse et plus rien, mon leurre pendouille lamentablement dans l’eau à l’arrière de la jupe : le poisson a réussi à s’échapper ! Je le vois hésiter quelques instants à proximité du flotteur, surpris lui-même de sa liberté retrouvée, le temps sans doute de réaliser qu’il a gagné la partie : il file vers les profondeurs…

Je rage, et cet épisode assombrira le reste de ma journée, pourtant ensoleillée…

Leçon à retenir : tergiverser quelques secondes de trop et le poisson recouvre ses chances…J’aurais du laisser à Marin la ligne sur les 5 derniers mètres, mettre Toudou au moulinet, et me concentrer sur le tir final à l’arbalète avec mes deux mains.

La prochaine fois, notre technique commune va encore s’améliorer !

Pour aujourd’hui, le stock de bocaux restera identique, et on se passera de poisson à la tahitienne en entrée au dîner (poisson cru mariné avec citron vert, lait de coco, et un peu d’huile d’olive) et d’une belle tranche d’albacore passée à la poêle…

Un groupe de grands dauphins noirs nous escortent quelques minutes.

Nous arrivons à Tarrafal, où le ressac et l’eau boueuse nous incitent à passer notre chemin. Deux milles au sud, j’aperçois une petite plage de sable blanc, encastrée entre les rochers, je vire de 90° sur babord et décide d’aller jeter l’ancre devant la praia.

Eau turquoise à 28°C, plan d’eau calme, petite dune de sable.

Les enfants apprécient toujours…

Olivier

Sous escorte des grands dauphins noirs...



L'unique plage de sable blanc de Sao Nicolau



Pas d'albacore à la ligne, mais une première carangue, délicieuse



L'équipage à Sao Nicolau, Cap Vert



Au mouillage à Carriçal, Sao Nicolau



Village de pêcheurs de Carriçal



Marin de mieux en mieux, mais ... joke, isn't it