lundi 19 octobre 2009

Billet N°21 : 19 Octobre 2009-au mouillage de Sal Rei, Boa Vista, Cabo Verde

De l’idée de voyager…


Je sais pourquoi j’aime le voyage, mais ce serait fastidieux de l’expliquer.
Et puis il ne s’agit là que d’idées personnelles, que personne n’est obligé de partager !
Pour être honnête, je devrais même dire que parfois cela m’arrange qu’un nombre restreint de personnes les partage !
En tout cas la vie est suffisamment compliquée pour que personne ne puisse songer à donner des leçons de vie à son voisin…
Pour faire court, je pourrais résumer en disant que voyager, j’aime ça !

Plus light, je vais utiliser quelques citations que j’aime bien, toutes proportions comparatives étant gardées par ailleurs.

Car l’un des premiers enseignements du voyage est la modestie.
La modestie devant l’environnement, et celle devant l’autre, qu’on ne connaît pas.
On peut les craindre, mais on est venu les rencontrer.
J’apprécie cette disposition psychologique, cette envie de découvrir, de savoir.

Après son incroyable aventure du début du siècle dernier (1914/1915) en Antarctique (« South », titre original de l’odyssée de l’ « Endurance » en Mer de Weddel, par (Sir) Ernest Shackleton, une aventure vécue que chacun devrait connaître), certainement l’une des plus belles histoires humaines qui soient, Sir Ernest écrivait, en guise de conclusion :

« En souvenirs, nous étions riches. Nous avions percé l’apparence des choses.
Nous avions souffert, enduré la faim, et triomphé, rampé au plus bas mais agrippé la gloire, nous élevant dans la grandeur.

Nous avions vu Dieu dans ses Splendeurs, écouté le message de la Nature.
Nous avions atteint l’âme nue de l’Homme. »
Je garde toujours ces phrases d’Ernest pas trop loin de moi…

J’ai un grand respect pour l’homme Shackleton, un homme d’une qualité rare, dont on analyse encore aujourd’hui d’ailleurs les méthodes. Son histoire est exceptionnelle, à la hauteur du personnage. Elle est biensur incomparable, et de ce fait elle est pour moi simplement un repère, comme un phare dans l’incertitude du cheminement personnel.

Toute comparaison s’arrête là bien sûr.

Pourquoi voyager, pourquoi tenter, un peu, de parcourir le monde ?

Erik Orsenna, compagnon d’expédition en Antarctique il y a 3 ans, et grand voyageur, écrivait sévèrement, il n’y a pas si longtemps :
« Il est nécessaire de voyager, c’est plus qu’une pratique, bien plus qu’une récréation : une exigence et une morale. Le moteur même de sa propre renaissance. Celui qui ne voyage pas est un rentier, rentier de la pire espèce : rentier de lui-même.
Je parle de ceux qui, à peine nés, décident d’arrêter de vivre. »

Nicolas Bouvier, dans « L’usage du monde », un livre également cher au cœur des voyageurs, écrit :
« On dit qu’on fait un voyage, alors que c’est le voyage qui vous fait. Ou vous défait. »

Partir faire un voyage au long cours, c’est avant tout un choix biensur.
Un choix qui doit presque tout à l’envie, puis à la volonté.
Pour l’envie, je n’ai pas eu besoin de me forcer : une chance.
Et la volonté, on l’a ou on ne l’a pas.
On l’aura ou on ne l’aura pas, on l’a eue ou on ne l’a pas eue.
Pour des tas de raisons, bonnes ou mauvaises.
Quand on l’a, le reste n’est que détails.
Et les détails, cela relève de la simple gestion…

Partir est aussi un risque.

Qui ne se quantifie pas. Et ne se compare guère.
La vie serait-elle sans risque ?
Il y a le risque physique, bien sûr, mais il existe partout, et il n’est pas dit qu’il soit supérieur à bord d’un voilier vagabond par rapport à celui de la vie sédentaire à terre.
Pour les enfants, aussi bien que pour Barbara, ou bien moi. Je peux tomber à l’eau, moi qui m’attache rarement. Mais je peux laisser connement ma vie sur la route, moi qui roule vite depuis longtemps.

Surtout, il y a le risque, positif, que le voyage vous fasse, au sens de Nicolas Bouvier.
C’est celui que je recherche depuis des années, à travers le fait de voyager.
Le voyage m’a fait, en grande partie, et depuis longtemps.
Heureusement, ce n’est pas encore fini.
Il faut dire qu’il y a tant à faire (pour me faire)!

Il y a aussi celui qu’il vous défasse, si vous n’êtes pas fait pour.
A priori, j’ai échappé à ce risque-là.

(Accessoirement pour moi, partir, à mon âge, est aussi un risque professionnel, qu’on appelle, si on se place de ce point de vue, une erreur. Sauf que l’on revient toujours à la notion de choix. Après 20 années passées à faire tourner une boite, j’ai eu ma part, suffisante, de considération sociale. Et ma part, encore plus suffisante, d’emmerdements qui vont avec. J’ai été comblé, et je ne regrette rien de ce que je n’ai plus… Heureusement pour moi, cela ne m’a pas fait oublier que la vie était courte…)

Au-dessus de la table à cartes de Jangada, à toute heure du jour ou de la nuit, je peux lire, pour les cas où je me demanderais ce que je fais là, une jolie phrase empruntée à Mark Twain :

« Twenty years from now, you will be more disappointed by the things that you didn’t do than by ones you did do. So throw off the bowlines. Sail away from the safe harbour. Catch the trade winds in your sails.

Explore. Dream. Discover.”
Thank you Mark, I’m going to try.

Sur mon beau bureau au Chantier de Rochefort, j’ai eu dans un coin, pendant de très nombreuses années et jusqu’à mon départ récent, deux petits papiers, que seule, vraisemblablement, la femme de ménage connaissait bien : sur l’un, que pouvaient lire mes interlocuteurs (client, employé, collaborateur, ou encore inspecteur chargé du contrôle fiscal ou Urssaf), car il était monté sur un petit présentoir, était inscrite cette devise, à usage réciproque :

« Ce sera toujours la valeur des hommes qui garantira la valeur des choses… »
et sur l’autre, un rappel que je pouvais, seul, lire, et qui me tombait sous les yeux de temps à autre :
« Un homme n’est vieux que quand les regrets ont pris la place de ses rêves… »

Une phrase qui a du m’aider à rester près de 20 ans à terre…

Entreprendre un voyage au long cours en voilier, même de type familial et sous les tropiques, c’est bien sûr quelque part partir à l’aventure. La sienne en tout cas.

Car il y a aventure et aventure, mais seule la sienne propre compte.
Quel qu’en soit le niveau, qui n’a guère d’importance.

Et cette aventure, il était tentant de la tenter au moins une fois dans ma vie, histoire de repousser les limites de ma ligne d’horizon, et de se souvenir qu’il y a à apprendre des êtres rencontrés et des évènements vécus… en voyage.

Histoire, peut-être aussi, d’éviter de se croire arrivé en ayant tout compris…

Histoire aussi de retrouver un mode de vie propice à l’action spontanée, autonome et personnelle, dont la justesse ou l’erreur décidera de la bonne ou de la mauvaise suite donnée par les évènements à chaque décision prise, dans un environnement physique pas toujours conciliant mais à la proximité retrouvée.

Et ce, dans bien des domaines, car la vie à bord d’un voilier en voyage présente la particularité de faire appel à de nombreux secteurs d’activités et de connaissances, dont les limites peuvent toujours être repoussées plus loin.

Simultanément, elle autorise aussi le transport avec soi, comme le fait notre petite tortue Aglaé (confiée aux bons soins d’Evelyne, avec le poisson rouge Hinano) avec sa carapace qui la nuit lui sert de maison, d’une part de ce que nous sommes et de ce que nous aimons : décoration, livres, musique, films, hobbies…

Suivre son chemin, accepter son destin mais l’infléchir autant que faire se peut, combattre ses inquiétudes et ses peurs : j’en suis là, à essayer d’accomplir ce que je crois bon, pour un temps, pour les miens et pour moi-même, avec les moyens du bord.

Il faut être honnête, et dire que dans cette idée de partir voyager pour quelques temps, la part d’intérêt individuel n’est pas négligeable… !

Mais l’adhésion de tous à l’idée était nécessaire.

Quand j’ai un doute sur la direction à prendre, la décision à arrêter, je me dis qu’il faut peut-être essayer de choisir celles qui ne nous feront jamais regretter le sillage éphémère que chacun de nous aura tracé dans la vie.

Et puis, comme le fredonnait Georges, le vieux chanteur à la barbe blanche :

« La mer m’a donné
une carte de visite
pour me dire je t’invite
à voyager…

…j’ai du vent qui enivre
ceux qui veulent me suivre
dans l’illusion facile
de la douceur des îles… »

Bon, oubliez toutes ces confidences au coin des tropiques, tout cela n’est valable que pour moi !
A chacun sa vie, à chacun ses convictions, qu’il n’est pas nécessaire de vouloir faire partager aux autres.
Ils peuvent être si différents, les chemins et c’est tellement passionnant, le chemin des autres…
Mais moi, déjà, il me faudrait plusieurs vies pour faire tout ce que je voudrais faire…

Allez, portez-vous bien, demain matin, dès que les premières lueurs de l’aube glisseront sur les dunes de sable de Boa Vista, je lèverai l’ancre, et mettrai le vaisseau sous voiles vers Dakar, Sénégal, way-point de la pointe des Almadies au 105 à 328 milles marins.

Et je regarderai le sillage s’allonger, en écoutant … la chanson de Martin Circus !

Vous vous rappelez, dans les années 70 ?

« Je m’éclate au Sénégal », des paroles qui ont peu, certes, fait progresser l’humanité, mais qui était dans l’ai du temps.

Je l’ai faite écouter aux enfants, et ils la reprennent maintenant volontiers avec l’I-pod, la sono à fond dans le cockpit de Jangada ! Un truc pédagogique pas prévu par le CNED…

Plus sérieusement, pour conclure, je vous livre une dernière citation, toujours extraite du livre de Nicolas Bouvier, « L’usage du monde ». Quoi, vous ne l’avez pas encore lu ?

« Un voyage se passe de motifs.
Lorsque le désir résiste aux premières atteintes du bon sens, on lui cherche des raisons.
Et on en trouve, qui ne valent rien.
La vérité, c’est qu’on ne sait comment nommer ce qui vous pousse.
Quelque chose en vous grandit et détache les amarres, jusqu’au jour où, pas trop sûr de soi, on s’en va pour de bon.
Il ne tarde pas à prouver qu’il se suffit à lui-même. »

Cela me semble juste. A bientôt en Afrique !

Olivier

Faire route...



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