vendredi 30 octobre 2009

Billet N°23 – Fin Octobre 2009 – A Dakar et Gorée

Un peu plus en Afrique…

Visite à l’île mémoire.

Nous allons passer l’après-midi sur l’île de Gorée. Une petite île désormais hors du temps, posée à quelques encablures du port de commerce. Sur Gorée, pas de véhicules à moteur, aujourd’hui la quiétude, mais jadis l’enfer de l’esclavage pour plusieurs millions d’africains déportés vers les colonies du Nouveau Monde, qui ont transité par les « esclaveries » de Gorée, en attendant leur embarquement sur les navires négriers européens, pour « le voyage sans retour ». Idéalement située à la pointe occidentale de l’Afrique, Gorée a vu se succéder depuis le XVème siècle les portugais, les espagnols, les hollandais, les anglais, et les français. L’apogée du commerce triangulaire a eu lieu à la fin du XVIII ème, l’île avait alors le double visage d’un carrefour prospère, où commerçants, soldats et fonctionnaires vivaient dans un décor de rêve, et d’un entrepôt de « bois d’ébène » avec son cortège de souffrances et de larmes.

Marin et Adélie redécouvrent les enseignements de leurs manuels scolaires, et la visite de la dernière « esclaverie » de Gorée les fait visiblement réfléchir sur l’immense aptitude de l’homme à engendrer la souffrance de son prochain…

J’essaie de leur dire quelques mots sur l’aspect économique de la traite, sans rien excuser, et leur laisse entendre que si nous avions vécu nous-mêmes à l’époque des conquêtes du Nouveau Monde, nous aurions probablement moins trouvé à y redire qu’aujourd’hui…

Les choses seraient trop simples autrement, s’il y avait seulement les Blancs et les Noirs, les méchants et les bons, les riches et les pauvres…

La porte qui ouvrait sur le voyage sans retour reste émouvante.

Et à l’époque, mieux valait ne pas tomber malade, les requins qui rôdaient en nombre autour de l’île étaient bien nourris…

Aujourd’hui, l’île a retrouvé la sérénité, et les artistes locaux l’ont à leur tour … colonisée !

Grâce à un contact des Gaget, nous allons déjeuner chez leurs cousins Stéphane et Valérie, dans le quartier (chic) des Almadies. Stephane travaille chez Orange, et comme chaque sénégalais voudrait avoir deux téléphones portables dans chaque main, il ne manque pas de boulot… Les enfants (les nôtres) apprécient la viande rouge (devenue rare à bord) proposée par Valérie, la piscine dans le jardin, et les enfants de la maison. Merci !

C’est un autre aspect de la vie en Afrique, le versant expatriation, qui, à Dakar, recharge les batteries de Barbara, pour qui le choc de l’Afrique Noire est … un peu rude.

Sur les (bons) conseils de Denis Desmoulin (Saprolait) qui a gentîment réceptionné nos colis (merci les Robergeau), nous a initiés au jus de bissap tout en remettant de l’ordre dans nos ordinateurs, nous avons affrété un taxi (normal, c'est-à-dire délabré, une R 19 Renault paraît-il, pas reconnaissable) pour l’après-midi. Le chauffeur s’appelle Momar Diaw. Pour faire simple, il fait 2 mètres de haut sur 1 mètre de large, et on l’appelle Talla (comme tous ceux qui s’appellent Momar, c’est logique non ?). Son rire franc (et massif) découvre d’incroyables dents blanches, rassurantes quand on se promène avec lui du côté du marché de Sandaga…

Je me dis que Talla ferait sensation à Deflandre sur le terrain de rugby de l’Atlantique Stade Rochelais : je lui laisse entendre qu’il y aurait un peu de ménage à faire sur le terrain, et, en poussant un énorme rire gourmand, il me dit « ah mé yé sui dacow pou véni !».

Je fais remarquer à Talla que son tableau de bord me semble 20 à 30 cms plus bas que la normale, mais il me répond que c’est normal.

Talla nous fait visiter tout Dakar, du nord au sud et d’ouest en est, et il a du talent. Y compris l’énorme statut censée suggérer la « renaissance africaine », un projet pharaonique décidé par le président Wade, le genre d’idée lumineuse à plusieurs milliards de francs CFA, quand la pauvreté et l’insalubrité sont partout…

Une dernière escale au « Caddie », petit supermarché tenu par des libanais, et voilà le coffre de la R 19 de Talla bien rempli. Talla nous ramène au CVD, mais, une seconde d’inattention, et la R 19 se mange un méchant nid de poule. Dans un bruit d’apocalypse, la R 19 s’effondre sur la chaussée, châssis brisé en deux ! Talla éclate d’un rire tonitruant avant même de descendre jauger les dégâts : « ola di donc, là j’ai cassé la voiture, là ! ». Les enfants sont médusés, tout le monde descend, la voiture obstrue la route, et pas question de la pousser pour la ranger, elle ne roule plus ! Talla est touché, mais pas coulé, il reprend le dessus, arrête le premier collègue venu, et me dit que le mieux est de le laisser se démerder et de rentrer au CVD illico. On transfère les sacs de courses et les bidons de 8 litres de Kirène (l’eau minérale locale), et on prend congé de Talla dans ces circonstances mécaniquement douloureuses. Je le vois jouer de son portable, et me dis que la démerde est en route.

Je ne me tracasse pas trop, car je sais que pour contourner la loi qui interdit désormais le trafic de voitures d’occasion entre l’Europe et l’Afrique via le Sahara, la plupart des voitures africaines venant d’Europe sont tronçonnées en deux, voyagent comme épaves, et sont ressoudées à l’arrivée au niveau du châssis…

C’est l’Afrique. Demain, le châssis R 19 sera probablement ressoudé.

Bonne chance à toi, Talla ! Inch Allah.

Il y a quelques décennies, un slogan revenait à nos oreilles en Europe.

Il disait « L’Afrique Noire est mal partie. »

Près de 30 années après mon précédent passage en voilier à Dakar, j’ai l’impression que les choses se seraient plutôt dégradées, matériellement.

Les routes sont défoncées, les coupures d’eau et d’électricité sont légion, la pollution de l’air et de l’eau sont maximales, l’hygiène minimale, la mortalité élevée, la violence présente.

(Au CVD, le Cercle de la Voile de Dakar, dont le mouillage accueille la plupart des voiliers de passage, dont Jangada, un drame violent a eu lieu il y a quelques semaines à peine : le président du club a été assassiné sur son bateau, au mouillage, sa femme violée, etc… Presque un classique de l’Afrique Noire, Vincent et Edith savent de quoi je parle.

Prévenus du fait avant d’arriver au Sénégal, ayant l’expérience de certains grands ports africains, et d’un précédent séjour sur le même mouillage, où j’avais du faire fuir deux intrus montés à bord de mon bateau en pleine nuit, nous chercherons à ne pas traîner inutilement à Dakar, et prendrons certaines précautions à bord, associées à celle d’être toujours rentrés avant la nuit. Mais à aucun moment cette fois-çi je ne ressentirai pour nous une insécurité directe.

Ce peuple, foncièrement accueillant (l’hospitalité s’appelle ici teranga) et démocrate (c’est rare en Afrique, merci à Léopold S.Senghor…), fait aussi preuve d’un fatalisme incroyable : on peut lui faire apparemment supporter beaucoup de choses, même l’inacceptable. Mais il n’en est pas dupe.

Au bar du CVD, nous buvons quelques « Gazelle » (la bière locale) bien fraîches… une sensation prisée depuis que notre super installation frigorifique a rendu l’âme sous une généreuse aspersion d’eau de mer. Je fais d’abord venir une carte électronique de remplacement, puis devant l’insuffisance de la réparation, je finis par décider de tout démonter sur la table du cockpit. Il faut se rendre à l’évidence, tout le système froid doit être remplacé, je passe commande, et en attendant, on se passera de froid à bord.

Barbara accuse le coup…

Mais, par ailleurs, grâce au tuyau 20 bars envoyé par Greg, je remets en service le déssalinisateur, me débarrasse du boîtier électronique de rinçage, et finalise mon petit système perso de rinçage eau douce de la membrane avec 2 vannes manuelles.

L’eau est beaucoup trop sale sur rade de Dakar pour essayer la nouvelle installation, mais je suis optimiste !

En attendant, nous prenons nos douches au CVD, et Fatou, la gentille lavandière du CVD nous lave nos bassines de linge. A la main bien sûr. C’est son job, et elle le fait bien. Elle a posé son dévolu sur Marin, 12 ans tout de même, et demande à Barbara « si il ne l’épouserait pas pour aller en France ». L’histoire fait le tour du CVD et Marin se fait chambrer grave. Depuis que nous sommes au Sénégal, je l’ai surnommé « Moussa », ce qui lui va bien, mais ne lui plaît qu’à moitié.

Je me méfie toujours du dernier soir annoncé, et ne donne jamais, par principe et par habitude, d’informations précises sur nos allées et venues, notre date de départ prévue, etc… Ceux qui connaissent l’Afrique savent qu’il y a sur ce continent beaucoup d’individus désoeuvrés, qui passent l’essentiel de leur temps à vous observer, à regarder, à imaginer.

Et bien sûr, avec notre catamaran, nous représentons forcément la richesse, la vie à l’occidentale, à laquelle ils aspirent, le confort, la facilité.

Alors il faut être prudent, et laisser sa naïveté au vestiaire.

Il arrive que les enfants soient eux-mêmes surpris de mes réponses, quand je dis aux piroguiers de la plage d’Hann qui m’interrogent que nous sommes à l’hôtel Faidherbe, et non pas à bord de notre bateau au mouillage à quelques centaines de mètres de là…

Le dernier soir au CVD, nous ne faisons pas d’adieu tonitruant à quiconque, c’est un soir normal mais nous allons partir cette nuit, vers 3 heures du matin.

La nuit est tombée, et le vent aussi. Il fait une chaleur moite, et la puanteur qui nous vient des égouts qui débouchent sur la plage est insupportable.

Une semaine que nous sommes sur ce mouillage, sans possibilité de se baigner, car cela ne viendrait à l’idée de personne.

Je n’arrive pas à m’endormir, et à minuit, je décide de lever l’ancre, et de faire route sur le Siné Saloum.

Jangada quitte ce mouillage exécrable, et glisse sur les eaux noires de la rade.

Au petit matin, le ballet des grandes pirogues de pêche reprend. Elles quittent les villages de la « petite côte » et gagnent le large.

Les lumières de Dakar s’estompent, le catamaran glisse doucement à nouveau sur la mer.

L’eau est bleu vert, il y avait longtemps qu’on n’avait pas vu cela.

Mon petit équipage se réveille progressivement, et je lis sur les visages le bonheur d’avoir quitté Dakar. Une escale attachante pourtant, et que nous avons aimée, mais…

J’organise un méga-séance de lavage du bateau à l’eau de mer, et chacun revit.

J’ai démarré le déssalinisateur deux heures après avoir quitté Dakar, 6 heures qu’il tourne, et je vois avec bonheur le petit évent du réservoir tribord dégueuler gentiment sur le pont…

Les réservoirs sont donc à nouveau pleins d’eau douce, douche à volonté, tout le monde à poil, on remplit les seaux, les cuvettes. On brosse le pont. La crasse s’écoule à la mer. Voluptueusement.

La vie reprend à bord de Jangada.

Cap sur le delta du Saloum, à 65 milles au sud-est.

Un peu plus en Afrique.

Olivier

La pointe des Almadies, extrémité occidentale du continent africain


Arrivée à Dakar



Ile de Gorée, vue du nord-est












Marin et l'artiste en tableaux de sables, le labeur...


Gorée


Esclaverie de Gorée, émotion...


Gorée, île mémoire


Gorée, la porte du voyage sans retour