mardi 18 mai 2010

Billet N°58 – Jours de Pâques aux îles Perlas (Panama)

Du Jeudi 1er au Dimanche 4 Avril 2010 -

A une trentaine de milles dans le sud-est de l’entrée du Canal de Panama, côté Pacifique, s’éparpillent quelques îles qui forment l’archipel panaméen des Perlas.

Nous soutons du gas-oil à la marina en construction de Playita de Amador, faisons quelques courses au supermarché El Rey de Panama City, une grande ville d’un autre standing que celui de Colon, une cité plus aérée, plus propre, plus sûre, passons devant le batiment grandiose de la Commission du Canal (qui devait sceller l’entente cordiale, et un peu contrainte, des Etats-Unis d’Amérique et du jeune état de Panama), puis devant la jolie villa de style colonial qui abritait autrefois le siège du pilotage.

Rentrés à bord, nous levons l’ancre pour commencer rien de moins que notre traversée … de l’Ocean Pacifique !

Nous rejoignons les Perlas en quelques heures depuis notre mouillage de Flamenco. Le vent est faible, le gennaker se gonfle à peine, la mer est d’huile, un moteur nous déhale doucement à 4 noeuds, et j’en profite pour faire de l’eau douce avec le déssalinisateur. Plein des réservoirs, lavage général du bateau, et douche pour tout l’équipage. Plus trois machines à laver.

Nous nous séparons de la crasse de Colon avec plaisir.

Barbara ressort avec bonheur ses bijoux, cachés depuis des semaines dans une petite boite étanche planquée dans une manche d’aération. Elle remet avec un plaisir visible pendentif et boucles d’oreille, une coquetterie abandonnée dans les régions un peu chaudes au niveau de la sécurité que nous venons de traverser.

L’archipel des Perlas est habité depuis des siècles par quelques pêcheurs, parfois devenus un peu pirates, mais il est surtout devenu depuis quelques décennies un lieu de villégiature pour les notables et les hommes d’affaires de Panama City, qui y ont construit quelques dizaines de luxueuses villas.

Lesquelles vont en général par paire avec un motor-yacht equipé pour la pêche au gros, amarré à l’année dans la luxueuse marina de Flamenco, à Panama City, et capable de rejoindre les Perlas en moins de 2 heures. L’île Contadora, la plus prisée, dispose aussi de son petit aérodrome où l’on voit atterrir une majorité d’avions privés.

Nous faisons notre propre atterrissage sur Isla Pachequitta, la plus au nord, et allons jeter l’ancre dans le sud-ouest de Pacheca. Un mouillage sauvage et rocheux, où nous ne pourrons pas rester pour la nuit. Il y a du courant, les marées sont sensibles, le marnage est de l’ordre de 5 mètres, et le coin est pavé de roches. Il faut ré-apprendre à naviguer comme en Bretagne, chose que j’aime bien. J’essaie de nager un peu, mais l’eau est froide, et le courant décourage vite ma tentative. Il va falloir se faire à ces nouveaux critères de ce coin de l’Océan Pacifique. En fin d’après-midi, nous quittons ce mouillage précaire, laissons Isla Bartolome à babord, et rejoignons le mouillage principal des Perlas, celui situé au sud-est de Isla Contadora. Quelques dizaines de bateaux à moteur sont ancrés là, en bout de piste du petit aéroport.

Nous y passons la nuit, et , au matin, délaissons ce mouillage également fréquenté par des jet-skis (qui vont souvent avec les motor-yachts !) pour gagner un joli mouillage plus au sud, isolé entre deux îles, Isla Chapera er Isla Mogo Mogo. L’ancre tombe à quelques dizaines de mètres d’une jolie plage de sable ocre. Après la séance de CNED, tout le monde se baigne, et les enfants passent l’après-midi sur la plage : une activité dont ils ne se lassent jamais.

Le temps est calme, le vent absent, la mer est comme un lac.

En milieu d’après-midi, je pars sonder le seuil rocheux étroit qui sépare les deux îles, il y a suffisamment d’eau, je prends quelques repères à terre, puis nous appareillons pour Isla Bayoneta, en passant par l’ouest de l’archipel. Nous passons devant les bâtiments d’un poste de garde militaire. Hier, nous avons aperçu un offshore sur-motorisé siglé aux couleurs de la marine panaméenne en patrouille dans les îles, dont l’équipage fortement armé nous a fait ce qui devait être une démonstration de force. Visiblement, le gouvernement panaméen a décidé de sécuriser les Perlas et leurs villas de haut standing, car ces îles avaient il y a quelques années la réputation d’être le théâtre de quelques agressions armées. Les voiliers de passage qui y font escale quelques jours comme nous, sur la route des Galapagos, peuvent désormais y séjourner en toute tranquillité.

Nous rejoignons « Eglantine » à la nuit, au mouillage dans l’est d’Isla Bayoneta. Le ciel est constellé d’étoiles, la nuit est fraîche, nous dormons d’un sommeil profond.

Au matin, nous constatons que l’eau est peuplée d’une multitude de minuscules méduses sombres qui découragent toute idée de bain matinal. Progressivement, nous nous faisons aussi à l’idée, fondée, que, depuis notre arrivée dans le Pacifique, nous naviguons désormais dans des eaux couramment fréquentées par les requins. Nous nous habituerons à cette donnée nouvelle, mais pour l’heure, elle n’encourage guère les membres d’équipage de « Jangada » à batifoler dans l’eau autour du bateau, une occupation pourtant prisée d’ordinaire. Nous mettons l’annexe à l’eau et allons découvrir la mangrove environnante. Les Perlas sont des îles rocheuses au relief tourmenté, couvertes d’une végétation plutôt sèche. Les pélicans, les hérons, et quelques perroquets venus du continent peuplent ces îles arides où aucune culture n’est possible. Mais les eaux, dans la veine du courant de Humboldt, sont très poissonneuses. Je repère un diodon, ou poisson porc-épic, qui nage maladroitement en surface. J’enfile rapidement un gant de plongée en néoprène et le capture. Il se gonfle d’eau et d’air en poussant quelques petits vagissements censés impressionner le prédateur que ses piquants n’auraient pas suffisamment dissuadé. Le temps de lui tirer le portrait, et nous le remettons dans son élément. Mister Diodon reprend sa nage maladroite, et s’éloigne de nous, l’air outré de l’inconvenance dont il vient de faire l’objet…

Nous changeons de mouillage et plus au sud, découvrons une petite île du nom de Isla de la Fuenche, proche d’Isla Viveros. Une belle plage déserte de deux cent mètres de long en occupe la plus grande partie, côté sud, entre deux avancées rocheuses. Nous avançons doucement, un œil sur le sondeur, l’autre sur la surface de l’eau, pour y détecter les roches peu profondes, mais l’approche est claire, et nous mouillons dans cet endroit splendide par 7 ou 8 mètres d’eau. Petit repérage en annexe pendant la séance de CNED des enfants, puis tout le monde à la plage, kayak et équipement de pêche sous-marine compris. Le long de la grève rocheuse, à quelque distance de la plage, je repère quelques gros poissons perroquets. Patrick d’ « Eglantine », plus courageux que moi sous l’eau, en fléchera trois beaux dans 4 à 5 mètres d’eau. Le soir venu, pour la première fois du voyage, nous utiliserons le barbecue du bord directement sur la jupe arrière babord, et non à terre comme nous le faisons d’habitude. J’ai fait faire, avant notre départ de La Rochelle, un bras déporté en inox, qui s’encastre dans la lyre de la passerelle de quai, sur la plage arrière. Le barbecue est ainsi sustenté au-dessus de l’eau, à portée de main, et comme généralement le voilier se met dans l’axe du vent au mouillage, la fumée grasse s’éloigne vers l’arrière. Marin est préposé à l’office BBQ, j’ai plaisir à voir, sans machisme aucun, qu’il prend en charge de plus en plus (en souhaitant faire les choses par lui-même) les attributions habituellement réservées aux hommes : manœuvres, bricolage, moteurs, pêche sous-marine ou à la traîne, barbecue… (Au début du voyage, il y a seulement 9 mois, quand nous pêchions un poisson pélagique à la ligne de traîne, il me regardait le tuer, éventuellement l’écailler, et le vider, puis le préparer souvent en darnes ou filets, tout cela avec un dégoût affiché. Je passais presque pour un sauvage auprès de mes enfants ! Aujourd’hui, je dois souvent lui céder la place, et vous n’imaginez pas le plaisir que cela me procure secrètement ! J’avais peur que mes enfants ne connaissent que les boites de poisson pané du Centre Leclerc de Lagord…, mais aujourd’hui, Marin nage avec les requins à pointes blanches de lagon !). Annie a élaboré un succulent plat de pommes de terre au four, et j’ai pour ma part cette fois préparé les poissons. Les repas entre amis à bord sont toujours précédés d’un ti-punch façon « Jangada », avec du rhum agricole de Martinique et pas mal de citron vert, et aussi quelques calamars Pescamar de Galice dans leur encre (j’en ai trouvé quelques boîtes à Panama City). Ce soir les perroquets des Perlas sont excellents.

Dimanche 4 Avril, jour de Pâques. Barbara a respecté la tradition familiale, elle a fait l’acquisition à Panama City d’un achalandage de chocolats et autres sachets de M&M’S, censés remplacer les œufs de Pâques en chocolat bien de chez nous, difficiles à trouver de ce côté-çi de l’Atlantique. Je suis, comme d’habitude aussi, chargé de les cacher, et les enfants, de les trouver ! Bon, cette année, on oublie les jolis sachets assortis aux chocolats, et l’on constate une nette américanisation des emballages, dans le genre criard et coloré. On s’adapte. Je pars sur la droite de la plage où il existe des arbres bas, de vieilles souches, et du bois flotté. Mais je suis vite confronté à un problème imprévu. L’endroit est squatté par des dizaines de bernard- l’ermites, qui courent dans tous les sens à mon approche. Je fais un petit test avec un appât : apparemment, ils ne décortiquent pas immédiatement les sachets de M&M’S, ce qui nous laisse quelques minutes. Au signal, les enfants se ruent sur les planques, et les bernard l’ermites, athées pour la plupart (bien que j’aie encore du mal aujourd’hui à piger le lien entre les œufs en chocolat et la commémoration du jour de Pâques, mais c’est un autre débat), fuient, paniqués, vers des lieux plus paisibles…

Barbara a préparé un succulent gâteau au chocolat pour ce déjeuner dominical amélioré, nous le partageons avec Patrick et Annie, puis préparons le bateau pour notre appareillage vers les Galapagos. Le kayak est remis sur ses bers, le matériel de snorkeling rangé dans le coffre de la jupe arrière babord, les fusils sous-marins rincés à l’eau douce et remis sur leurs supports intérieurs, l’annexe semi-rigide hissée sous ses bossoirs et saisie selon la procédure grand large.

Il est 15 heures locales, nous levons l’ancre et mettons le cap sur le passage entre Isla Pedro Gonzales et Isla San José.

Sous grand-voile haute et gennaker, la petite brise de nord-est nous déhale à 6 nœuds vers le large.

Je mets une ligne à l’eau, et peu de temps après, le cliquet avertisseur (qui déclenche une sécrétion d’adrénaline chez le pêcheur à l’écoute de ses instincts que je suis redevenu) nous oblige à mettre en panne. Avec l’habitude, on peut jauger de la taille du poisson pris à la ligne : le bruit du cliquet est le premier indice, quand il s’affole, c’est du gros. La flexion de la canne en matériaux composites est le deuxième indice : il arrive qu’elle ploie à 90°, et là, c’est aussi du costaud. Il y a aussi le tout simplement trop gros : là, le déroulement des choses est expéditif. Frein plus ou moins serré, peu importe, le moulinet se déroule à une vitesse vertigineuse, ça chauffe, la canne ploie, les 300 mètres filent en quelques secondes, et la rupture qui accompagne la perte du matériel est inéluctable. On ne peut pas jouer impunément dans toutes les catégories ! Mais tout cela est relatif : les poissons pris à l’hameçon de la ligne de traîne ont des réactions de défense très variables selon les espèces. Certaines sont combatives, d’autres beaucoup moins. Les thons sont parmi les plus difficiles à sortir : ils sont musclés, très physiques, et se battent pour échapper à la jupe arrière de « Jangada ». Ils ont de surcroît l’habitude, à l’approche du bateau dont ils commencent à apercevoir les coques et les safrans, de plonger le plus verticalement possible, jusqu’à, parfois, aller sur l’avant des tableaux arrière. Nous en avons perdu plus d’un de la sorte, le fil nylon de 80/100 ème s’emmêlant autour des mèches ou des hélices, le raguage provoquant alors une rupture immédiate de la ligne. Inversement, j’avais été surpris par la relative résolution devant son destin de l’espadon-voilier de 2,26 mètres que nous avions pris à proximité des Rochers Saint-Paul, en Atlantique, il y a quelques mois. Biensûr, la canne était ployée à l’extrême, le moulinet avait déviré, malgré le frein serré à la limite du bloquage, la quasi-totalité de la ligne (300 mètres environ), mais, une fois le bateau mis en panne, le splendide poisson s’était presque résigné, se débattant assez peu lors de la phase finale de la pêche. Etait-il partiellement noyé, ce n’est pas impossible, car lorsque il a mordu au leurre, le bateau marchait à 8 ou 9 nœuds, et se faire traîner dans l’eau à cette vitesse là pendant plusieurs minutes la gueule ouverte occasionne probablement la noyade, même pour un poisson. Un homme n’y survivrait pas plus de quelques secondes. Depuis, j’ai re-visionné le film « Un jour sur Terre », où l’on voit une séquence consacrée aux espadons-voiliers, de merveilleux nageurs, les poissons les plus rapides de l’océan, capables de pointes de vitesse à 110 km/h !!!

Biensûr, la réflexion sur cet épisode a fait son chemin dans mon esprit, je connais mieux ce bel animal, et je ne le mettrai plus en conserves dans les cales de « Jangada ». L’espadon-voilier vaut mieux que cela. Je le relâcherai dans son élément si jamais, par malheur, je devais en prendre un autre.

Pour l’heure, c’est un poisson plutôt combatif qui nous occupe. Le ramener progressivement vers le voilier, à la force des bras, les mains gantées de néoprène pour saisir directement le fil de nylon, s’avère assez physique. Le poisson se débat, il faut parfois relâcher de la longueur, mais sans jamais renoncer à fatiguer l’animal. Avec Marin, qui tient la canne et enroule au moulinet au-dessus de moi, nous avons du mal à identifier ce poisson qui se défend. Finalement, nous harponnerons au ras du tableau une carangue jaune d’environ 8 kgs, l’un des poissons les plus prisés des pêcheurs au gros, du fait de sa combativité bien connue. C’est un sac de muscles à la chair très rouge, au sang presque noir.

Allez, bon début de traversée pour la cambuse…

Olivier

Paysages des Perlas, Panama.

Adélie, version pêche au large. Euh, au moteur par mer plate, ma chérie, tu es sûre de ne rien prendre! Les poissons se marrent en observant le leurre!

Sur une plage d'Isla Chapera, aux Perlas.

Dans la mangrove, à Isla Bayoneta, aux Perlas.

Erosion sélective, sur Isla Bayoneta.

La plage d'Isla Bayoneta, aux Perlas.

Isla de la Fuenche et son joli mouillage.

A la recherche des oeufs de Pâques 2010, sur Isla de la Fuenche.

Mister Diodon, alias le poisson porc-épic.

Jangada et Eglantine au mouillage aux Perlas le jour de Pâques.

La carangue jaune, un poisson très combatif.