mardi 18 mai 2010

Billet N°59 – Escales aux Galapagos

Du Samedi 10 au Samedi 17 Avril 2010


Difficile chemin vers l’enchantement…
La traversée de la zone intertropicale de convergence (ZIC), cette fois entre Perlas et Galapagos, la troisième pour nous en quelques mois, s’est révélée un peu plus compliquée qu’en Atlantique.

Nous avons du essuyer cette fois des grains orageux parfois violents (mais généralement avec peu de vent), des pluies torrentielles, et des vents absents ou erratiques qui ont duré trois à quatre jours, nous obligeant à nous déhaler dans les calmes équatoriaux avec une soixantaine d’heures sur un moteur.

Néanmoins, nous avons bouclé les quelques 860 milles du parcours sur la route directe en à peine plus de 6 jours, c’est tout à fait appréciable pour un trajet qui pose souvent problème aux navigateurs tourdumondistes.

La coque tribord gardera provisoirement un petit souvenir de cette traversée, tatoué dans l’axe du flotteur, à une vingtaine de centimètres sous la ligne de flottaison, je le constaterai après l’arrivée : nous avons heurté un tronc d’arbre de bon diamètre, assez immergé, sans doute un bois à forte densité (en Afrique de l’Ouest, au Gabon, au Cameroun et en Côte d’Ivoire, il y a des années de cela, lorsque j’ai eu l’occasion de naviguer professionnellement à bord d’un navire grumier, l’ « Antée », j’ai appris en le constatant que certains bois africains que nous embarquions ont une densité supérieure à celle de l’eau douce ou saumâtre - 1,000 à 1,010 - et d’autres, une densité supérieure à celle de l’eau de mer - 1,025 - ils ne flottent donc pas dans ce cas, ils coulent ! et devaient être convoyés vers les rades de chargement sur des barges, et non par trains de bois flottés), et le choc m’a fait bondir à l’avant, pour m’apercevoir en fait que le tronc, finalement passé entre les deux coques, s’éloignait déjà à l’arrière… Rien de grave finalement, mais à la vitesse de 10 nœuds, assez fréquente pour « Jangada », les dégâts n’auraient pas forcément été les mêmes. Il faut dire que cette zone de convergence, ses vents changeants et ses courants tournants, concentre aussi tous les débris flottants de ce coin de l’Océan Pacifique : fûts, bois flottés, bidons, bouteilles et flacons en plastique, et sans doute aussi parfois quelques containers de plusieurs tonnes dont les twist-locks ont lâché dans le mauvais temps et qui, en passant par-dessus bord depuis la pontée d’un navire porte-conteneurs, ont su trouver un subtil équilibre hydrostatique dans le respect talentueux du principe d’Archimède... (Autre parenthèse et souvenir du temps où je naviguais dans la Marine Marchande, il m’est arrivé à plusieurs reprises d’observer au large un container de 20 ou 40 pieds à la dérive en surface, largement immergé, et ne dépassant de l’eau que de quelques dizaines de centimètres, l’air assurant la flottabilité étant comprimé à l’intérieur par l’eau de mer infiltrée jusqu’à ce qu’un fragile équilibre se fasse en même temps qu’une étanchéité suffisante, ces « boîtes » étant malgré tout relativement hermétiques. Dans de telles conditions, la masse de ces containers peut aller jusqu’à une vingtaine de tonnes, voire davantage pour un 40 pieds… Dans un tel cas, la collision entre un voilier faisant route et un container à demi immergé mais néanmoins en surface équivaudrait sans nul doute à percuter une roche de granit breton à la même vitesse… Des centaines de containers sont perdus en mer chaque année, essentiellement lors de ruptures d’arrimage en pontée, dues au gros mauvais temps, mais aussi lors d’évènements de mer tels qu’incendies et abordages. Le problème est suffisamment important pour que l’Organisation Maritime Internationale ait créé une commission ad hoc pour tenter de trouver des solutions à ce problème.).

Pas jolies jolies au large les traces de la civilisation humaine…

Nous avions entendu, et lu, tout et son contraire sur le séjour des voiliers de voyage aux Galapagos, et ces informations et rumeurs n’auguraient globalement rien de très bon pour cette escale.

Nous nous étions donc préparés psychologiquement à ne voir que peu de choses, et même éventuellement à filer rapidement, après un ravitaillement express et minimum, vers l’archipel des Gambier, malgré l’aspect mythique de l’escale aux Galapagos, et son côté non moins logique sur la route de la Polynésie pour l’avitaillement en vivres frais, eau douce et carburant.

Il faut savoir une chose avant d’aborder ces îles dont l’environnement maritime, la géologie, la faune et la flore si particuliers ont fait la notoriété : les temps où un voilier pouvait y passer plusieurs semaines en toute liberté sont révolus, le gouvernement équatorien a mis l’archipel en coupe réglée pour que les dollars américains (la monnaie officielle de l’Equateur dans ces îles, mais aussi sur le continent, c’est vous dire !) soient crachés de toutes parts et au moindre prétexte par quiconque a décidé d’y poser le pied.

A son propre bénéfice (80% des ressources touristiques de l’état équatorien proviennent des Galapagos), ou bien à celui de ses ressortissants, agences de voyage, entreprises de charter, fournisseurs de matières ou de services, mais aussi, à l’évidence, fonctionnaires (militaires principalement), qui arrondissent leur fin de mois sur l’archipel…

Une fois connu ce théorème fondateur de toutes choses (de notre époque) aux Galapagos version an 2000, les versions sur la meilleure marche à suivre diffèrent. Celle que nous avons adoptée n’est pas forcément recommandable, ni applicable à des tiers. Nous avons eu sans doute aussi une part de chance. Mais elle nous a réussi.

A force d’entendre d’autres équipages relater ce qui leur arrivait, par rapport aux démarches officielles qu’ils avaient engagées pour leur séjour, j’en ai vite déduit que l’arbitraire administratif était la règle la plus fréquemment appliquée aux Galapagos pour les voiliers de voyage, et le foutoir décisionnel la religion officielle de l’autorité locale, essentiellement concentrée dans les mains du « Capitaine de Port », en général un enseigne de vaisseau de la marine équatorienne, lequel, avec ses sbires, ne dédaigne pas forcément arrondir sa solde continentale avec des US dollars en cash venant du large…

J’ai aussi vite compris que le flot de billets verts (dont le débit est proportionnel à celui des touristes) qui s’abat sur l’archipel depuis quelques années, associé à la corruption ou tout au moins aux prélèvements occasionnels assez généralisés, ne poussaient pas forcément les autorités locales à dépenser une énergie excessive à contrôler scrupuleusement tous les voiliers de passage, chose qui ne manquerait pas de déclencher des complaintes officielles du côté de Quito et de ses ministères… Astucieusement, elles préfèrent jouer sur la discipline déclarative ordinaire de la plupart des skippers occidentaux (nord-américains, britanniques, français, suisses, allemands, hollandais, espagnols, italiens…) des bateaux de passage, laquelle suffit, lorsqu’elle est associée à la peur des emmerdements et des amendes répressives, à l’arrondissement des fameuses fins de mois…

Je ne vais pas vous assommer avec ce que j’ai cru comprendre de la réglementation locale.

Ce qui est certain, c’est que l’escale aux Galapagos peut vite se révéler une escale de luxe, la plus chère d’un tour du monde, tout en étant la moins claire en matière d’application des lois…

La première chose à intégrer, c’est que l’interprétation de la loi et des formalités qui en découlent ou devraient en découler se fait à la discrétion des Capitaines de Ports, lesquels changent régulièrement… La sinuosité du parcours administratif et le montant de l’addition finale pour obtenir l’autorisation de séjour dans l’une des cinq îles principales de l’archipel dépendent pour une part des capitaines de port, remplacés tous les deux ans, mais aussi des agents, dont aucun n’a encore été canonisé à ma connaissance, probablement parce que leur rôle d’intermédiaire obligatoire doit leur donner des idées… On comprend dans ces conditions que la capacité de négociation du skipper constitue aussi un élément non écrit du montant final payable en dollars cash… Ce dont on finit par être persuadé, c’est que si le gouvernement équatorien pouvait se passer de voir des voiliers étrangers faire escale aux Galapagos, il ne s’en porterait pas plus mal. Mais il ne peut pas refaire la géographie qui va du Canal de Panama à la Polynésie Française, et vis-à-vis de la communauté internationale, il lui est impossible d’interdire aux voiliers voyageurs un accès minimum aux îles, lequel est pratiquement vital pour un certain nombre de voiliers venant de Panama (900 milles) et allant soit aux Marquises, soit aux Gambier (3000 milles dans les deux cas).

La notion de non-assistance à personne (éventuellement) en danger pourrait être invoquée dans quelques cas d’avaries techniques ou de problèmes médicaux…

A la décharge des autorités, une seule excuse, l’histoire ancienne, celle des siècles derniers, qui veut que les voiliers de passage, ceux des phoquiers et des baleiniers de tous poils, dont les capitaines et les équipages ne devaient pas être toujours très fins, se soient contentés de piller la faune des îles, en particulier les tortues, qui présentaient l’avantage pour ces marins rustiques et basiques de se conserver longtemps sur pied à bord des navires sans rien manger, constituant ainsi une réserve de viande fraîche extraordinairement facile à gérer.

Mais de là à ce que les voiliers d’aujourd’hui s’adonnent au même genre de pratiques…

Pour asseoir sa politique aux Galapagos, que l’on pourrait résumer de façon expéditive en ces termes « Faire cracher les dollars dans les îles », le gouvernement équatorien a pris deux mesures principales qui lui facilitent beaucoup l’ordonnancement de la moisson, en lui fournissant aussi tout un tas d’excuses.

Il a d’abord, sous couvert de protection de la nature (une notion qui fait sourire lorsqu’on constate la fréquentation touristique de certains sites, et aussi certaines habitudes des professionnels locaux), créé un grand parc national à la réglementation draconienne, avec son staff de « rangers » associé. Il a ensuite décrété l’interdiction du transport des touristes vers les îles par voie maritime, ce qui lui a assuré la mainmise sur le fondement de la manne touristique, le transport aérien.

Le reste a suivi docilement.

Un « guide » assermenté du parc national des Galapagos est présent sur chaque bateau de charter (de 40 à 80 mètres de longueur en moyenne, à moteur, genre mini-paquebot de croisière plus ou moins luxueux), le moyen de visite des îles de l’archipel le plus adapté à la géographie des lieux. Une des attributions de ces « guides » est de dénoncer aux autorités l’éventuelle présence anormale d’un voilier sur un site maritime hors port principal.

Après une longue période d’hésitations réglementaires, sans doute nécessaire à la rencontre d’un certain nombre de cas d’école complétant la généralité, la philosophie des autorités équatoriennes vis-à-vis des voiliers de passage aux Galapagos s’est arrêtée aux quelques principes suivants :

- les voiliers privés n’exercant aucune activité commerciale et ayant moins de 10 personnes à bord sont autorisés à venir mouiller dans l’une des cinq îles des Galapagos disposant d’un « port » avec une capitainerie, et nulle part ailleurs. Ils n’ont pas le droit d’en bouger.

- si ces voiliers ne souhaitent pas entrer dans le parc national en utilisant les services d’un guide officiel et ceux d’un opérateur local, ils disposent d’une tolérance de transit de 72 heures d’escale, le temps de faire leurs approvisionnements, ou de réparer une éventuelle avarie

- si ces mêmes voiliers indiquent qu’ils souhaitent faire du tourisme dans l’archipel en utilisant les agences et guides locaux, il leur est octroyé un droit de séjour de 20 jours, qui ne leur donne pour autant nullement le droit de déplacer leur bateau du port d’entrée qu’ils ont choisi à l’origine

- dans tous les cas, les formalités sont à effectuer obligatoirement par l’intermédiaire d’un agent rémunéré, et donnent lieu au paiement de taxes diverses et variées - et variables !!! - mouillage, balisage, contrôles de l’environnement, entrée et sortie du territoire, capitainerie, immigration… Et biensur parc national :100 US dollars par personne. En général le montant final s’élève à plusieurs centaines de dollars, et sur certains bateaux, on a pu les compter en millier…

Les autorités ont réponse à tout. Si quelqu’un devait leur faire observer qu’il est anormal qu’un voilier ne puisse pas visiter les îles de l’archipel, ou tout au moins certaines d’entre elles, quitte à observer certaines restrictions compréhensibles, à signer une charte prévoyant le cas échéant des amendes en cas d’infraction, et à accepter des contrôles logiques dans ce cas, elles vous répondront que c’est possible, qu’il faut en faire la demande plus de six mois à l’avance au gouvernement de Quito, qu’il faut dans ce cas embarquer à bord à ses frais un guide du parc national, et qu’il faut (surtout) payer une somme astronomique…

Si ce genre de permis existe réellement, il n’est assurément délivré qu’au compte-gouttes…

Inutile d’espérer pouvoir se rendre incognito dans une île inhabitée de l’archipel des Galapagos pour passer quelques jours dans un mouillage paisible : la quasi-totalité des sites intéressants, même les plus reculés, sont visités chaque jour par quelques uns des dizaines de bateaux-charter de l’armada officiellement habilitée. Les voiliers qui tentent le vagabondage sont immédiatement signalés aux autorités par radio, et le guide délateur se doit d’établir un rapport écrit.

Ce que je dis là peut paraître abusif, mais tentons une comparaison : si la pratique du tout terrain avec un véhicule 4 x 4 est interdite dans telle ou telle partie du Parc de la Vanoise, dans les Alpes, personne n’y trouvera rien à redire. Surtout pas moi, bien que j’adore mon Land-Rover Defender 4 x 4 « Papa Tango Charlie », qui me manque, snif…

Mais ce qui est choquant aux Galapagos, c’est que ce qui est interdit à certains est autorisé à d’autres. Du moment qu’ils ont payé.

Probablement assez cher, car le tourisme aux Galapagos n’est pas, vous l’avez deviné, un tourisme de masse. Cela donne l’impression que l’écologie s’achète avec des liasses de billets verts. Or je n’ai rien vu de particulièrement écologique aux Galapagos.

Le déversement journalier de touristes au milieu de ce qu’il reste de la faune côtière ne me semble pas un principe résolument écologique.

L’exploitation commerciale dans l’archipel de dizaines de bateaux de charter à moteurs, et de leurs annexes fortement motorisées, ne me semble pas non plus une idée particulièrement irréprochable sur le plan de la préservation de la nature.

Comme si de riches touristes étrangers étaient autorisés à se promener dans le Parc de la Vanoise avec de gros 4 x 4 , sous prétexte qu’ils aient payé la somme demandée.

Vous comprenez ?

Le problème qui interpelle aux Galapagos, c’est celui-là.

Finalement, on peut dire que les Galapagos, c’est du business, visiblement du bon business, et que l’écologie et le parc national semblent parfois avoir bon dos…

Je ne vois aucun inconvénient à payer 100 US dollars de taxe par personne pour participer au fonctionnement d’un parc national, à son aménagement, et à la préservation des espèces, mais j’ai davantage de mal à accepter d’être systématiquement obligé de passer, au prix fort, par des tour-operators, pour pouvoir y cheminer avec mon sac sur le dos, dans le respect de la nature, de la faune, et de la flore…

Nous arrivons au soir du Samedi 10 Avril en vue de Puerto Ayora, le port principal de l’archipel, sur l’île de Santa Cruz.

Puerto Ayora n’a de port que le nom, c’est en fait un mouillage, et qui plus est, l’un des plus inconfortables et des moins sûrs que j’ai jamais pratiqué. Academy Bay est largement ouverte au sud et à l’est, la houle du large y pénètre avec facilité, rendant l’endroit affreusement rouleur. J’y ai vu des monocoques prenant 40° de gite bord sur bord pendant des heures… La tenue au mouillage est mauvaise sur un fond de roches, la zone d’ancrage limitée (le mouillage est donc particulièrement encombré), et le plan d’eau est sillonné en permanence par les embarcations qui ravitaillent les bateaux-charter. Il n’y a même pas de quai pour les annexes, il est don préférable d’utiliser le service de water-taxi (VHF 14, 60 US cents le voyage).

Incroyable, quelques otaries dont les gènes ont du muter, conformément à la théorie sur l’évolution des espèces de Darwin, réussissent à vivre là, au milieu de ce capharnaüm.

Il est d’ailleurs incroyable de voir l’agilité qu’elles déploient pour se hisser à l’arrière des bateaux non habités au mouillage sur coffre.

L’intérêt de Puerto Ayora réside essentiellement dans le ravitaillement : qualité et prix de type insulaire (changement sensible par rapport aux supermarchés du Panama !), mais choix suffisant dans la perspective de la traversée océanique qui va suivre. Nous avons également été au marché local acheter fruits et légumes, dont un régime de bananes entier (soit plus de cent… ! 5 US dollars) qui mettra une touche de verdure dans la silhouette de « Jangada ».

Laveries, cybercafés, et distributeurs de billets à volonté pour obtenir des dollars.

Boutiques de souvenirs, agences de voyages et tour-operators par dizaines…

L’importance de Puerto-Ayora ne réside pas dans les commodités de son port qui n’en est pas un, mais c’est sur Santa Cruz que se trouve l’aéroport international, et aussi les réserves de carburant de l’archipel.

Academy Bay est donc devenue la base de départ et de retour de toutes les excursions maritimes dans l’archipel.

Pas de quai non plus pour le ravitaillement des voiliers en carburant (gas-oil pour le-les moteur-s de propulsion, essence pour le moteur hors-bord de l’annexe) et l’eau (déssalinisée), que ceux qui en ont besoin doivent se procurer en « bidonnant » (en utilisant des jerrycans ou bidons en général de 20 litres), dans une station-service, en utilisant un taxi.

Vous l’aurez compris, les autorités locales ne cherchent pas à rendre l’escale des voiliers de passage agréable…

Et il faut reconnaître qu’à Puerto Ayora, l’objectif est largement atteint.

Nous avons un contact à Puerto Ayora, Oswaldo, équatorien, qui représente aux Galapagos et en Equateur l’ONG californienne « Wildaid » (protection des espèces animales menacées). Oswaldo travaille aussi parfois pour la société CLS (Collecte Localisation Satellites) de Toulouse. Le parc de balises Argos est important dans l’archipel compte tenu des études menées sur la faune par la communauté scientifique internationale.

Oswaldo, avec qui nous avons échangé des e-mails avant notre arrivée, nous reçoit gentiment en ce dimanche matin dans les locaux de Wildaid. Nous apprenons que Bill Gates, Leonardo di Caprio, et d’autres stars ont quitté l’île la veille : ils participaient à une tournée destinée à récolter des dollars pour la préservation des Galapagos.

Décidément, la clef de l’archipel semble vraiment être le dollar US !

Oswaldo nous explique ses Galapagos, il y a vécu plusieurs années, enfant, avec ses parents, sur l’île de San Cristobal.

Les choses ont bien changé.

Marin et Adélie repartent avec des T-shirts siglés Wildaid et des brochures de l’ONG, et nous partons visiter la station Darwin, à quelques centaines de mètres du bourg. Un bien grand mot dans la mesure où les droits du visiteur se limitent à voir quelques tortues élevées dans de petits parcs aménagés dans un terrain accidenté de lave torturée. La Fondation Charles Darwin est assez peu pédagogue, apparemment. Je ne garderai pas un souvenir impérissable de sa station.

J’explique à Oswaldo la problématique du navigateur de passage aux Galapagos sur un voilier - qu’il ne connaît pas vraiment – car, ancien de la marine équatorienne, Oswaldo connaît bien le capitaine de port de Puerto Ayora, le plus gradé de l’archipel, le lieutenant de vaisseau Washington Tamayo.

Au téléphone, Oswaldo lui fait part de mon souhait de faire également escale sur l’île d’Isabela, car elle semble être plus authentique que Santa Cruz, moins fréquentée, et le mouillage de Puerto Villamil semble être mieux protégé que celui de Puerto Ayora.

Mais le lieutenant Tamayo ne veut rien savoir, il confirme à Oswaldo d’une part qu’il faut prendre un agent à nos frais pour effectuer les formalités, et d’autre part que nous devrons nous contenter de l’escale de Puerto Ayora, ce qui ne nous empêche pas d’effectuer une croisière (à prix d’or) dans l’archipel, ou des excursions terrestres, en passant biensur par les agences de voyage et les TO locaux qui ne manquent pas.

Magnanime, Washington nous octroie un rendez-vous le lendemain matin à 08H00 à son bureau, avec notre agent, pour les formalités et le paiement des taxes.

Nous quittons Oswaldo, et l’invitons à venir dîner le soir même à bord de « Jangada ».

J’ai mon idée, et souhaite lui exposer calmement sans le heurter.

En attendant, nous mettons à profit cette journée à Puerto Ayora pour retirer des dollars et faire des courses.

Je fais aussi la tournée de quelques voiliers du mouillage, tous aussi dépités les uns que les autres.

Et ce que j’entends me confirme dans l’option que j’ai bien envie de prendre, parce qu’elle me paraît la moins mauvaise, les appros étant faits (ce qui autorise si nécessaire un départ précipité vers la Polynésie), sauf le gas-oil, mais il en reste suffisamment à bord pour effectuer la traversée vers les Gambier avec sérénité.

Le soir venu, j’explique à Oswaldo que, comme je le craignais, Puerto Ayora et l’île de Santa Cruz ne semblent pas constituer la meilleure solution pour nous, puisque nous n’avons droit à effectuer qu’une seule escale dans l’archipel : mauvais mouillage, beaucoup de monde, pas beaucoup de possibilités de visites or « racket » du parc national.

Je lui dis que nous préfèrons rejoindre l’île d’Isabela, et le mouillage de Puerto Villamil.

Je sais qu’Oswaldo aime Isabela, son île préférée dans l’archipel. Il est intelligent, il comprend vite, et ne soulève aucune objection. Je lui demande s’il peut annuler le rendez-vous prévu le lendemain matin à la capitainerie, cela ne pose pas de problème.

Je lui confirme que dans ces conditions, nous quitterons le mouillage de Puerto Ayora le lendemain matin, lundi, incognito.

Je passerai la nuit dans le carré, à veiller pour éviter un abordage avec nos infortunés voisins, lequel serait forcément violent du fait de la houle qui sévit sur le plan d’eau. Nous allons poster les « évals » du CNED à l’ouverture de la Poste, rentrons à bord et appareillons vers Isabela. Pas de vedette des garde-côtes dans le sillage, Puerto Ayora nous oubliera vite, nous y sommes inconnus, c’est parfait.

« Eglantine » partage la même déception que nous, ils ont levé l’ancre aussi et déciderons dans la journée, en pensant que tout cela est décidément bien compliqué, et pas très agréable, de faire route directement vers les Gambier…

Nous savons que nous ne repasserons sans doute pas de sitôt aux Galapagos, et voulons tenter Isabela, qui était notre première option avant notre contact avec Oswaldo.

Nous ne le regretterons pas, et notre séjour d’une semaine au mouillage de Puerto Villamil restera finalement un excellent souvenir … des Galapagos.

Nous ne ferons aucune formalité, aucune, pas même d’immigration, ni pour nous, ni pour le bateau. Nous ne paierons aucune taxe, pas un dollar, et ne verserons pas non plus la taxe du Parc National des Galapagos, dans lequel nous ne rentrerons pas.

Ce n’est pas nouveau, trop d’impôts tue l’impôt, et trop d’emmerdements non justifiés encourage à passer outre.

Nous ne pouvons recommander à personne de suivre la même voie que nous pour une escale aux Galapagos, disons simplement qu’elle nous a réussi.

Nous n’avons jamais été contrôlés (mais d’autres l’ont été et ont du sortir des dollars), certains de ceux qui ont voulu jouer le jeu des autorités ont eu plus de soucis que d’autres qui avaient fait le minimum syndical, et nous qui n’avons fait aucune démarche avons coulé des jours heureux et insouciants à Isabela. Allez comprendre !

Seuls des rangers du Parque Nacional des Galapagos venaient parfois patrouiller sur le mouillage et relever le nom des voiliers, sans suite, car le mouillage se trouve hors des limites du parc…

Notre séjour incognito vis-à-vis des autorités équatoriennes ne nous empêchera pas de voir des choses étonnantes sur l’île d’Isabela. Au meilleur rapport qualité/prix…

Nous voyons la grand-voile d’ « Eglantine » s’estomper sur la ligne d’horizon vers l’WSW, bon vent à eux pour les 3000 milles qui les attendent! Nous avons convenu de nous envoyer un bref message chaque jour avec notre position respective. La nôtre ne bougera pas beaucoup pendant huit jours…

L’approche du mouillage de Puerto Villamil doit se faire de jour, le coin est pavé de roches sur lesquelles la houle vient se briser lourdement. Un catamaran Outremer 45, que nous allons saluer, a voulu entrer de nuit et s’est mis sur la chaussée rocheuse. Il ne faut pas utiliser les logiciels de navigation et la cartographie électroniques pour ce genre d’approche, les erreurs ou approximations ne sont pas rares sur les cartes marines (surtout d’intérêt commercial secondaire), et les décalages de positionnement de 100 à 300 mètres sont fréquents, ce qui est largement suffisant pour remplacer sous la quille un chenal avec 5 mètres d’eau par de méchants récifs à fleur d’eau… Pour cet équipage, les rêves de Polynésie se sont évanouis, les safrans sont tordus, les embases moteurs faussées, il n’y a plus d’hélices, et les fonds de coques ont souffert. L’objectif pour eux se réduit maintenant à tenter de rallier l’Equateur et un chantier naval avec leur bateau sérieusement blessé… Petit rappel à l’ordre, jamais inutile, pour le marin que je suis…

Le premier jour au mouillage de Puerto Villamil, nous occupons la place du dernier arrivé, la plus exposée, la moins abritée. Je pars repérer les lieux en annexe, mais la zone d’ancrage est limitée par des cayes, et j’en déduis que la seule solution pour profiter d’un meilleur abri est de veiller l’appareillage d’un voilier qui occupait une place enviable. L’évènement aura lieu le lendemain matin, et nous nous précipiterons pour changer de mouillage, sans laisser le temps à quiconque de nous faire concurrence. Nous sommes désormais tranquilles, bien mouillés dans quelques mètres d’eau, à l’abri de la houle, et allons pouvoir envisager d’aller randonner à terre.

Des otaries nagent entre les bateaux au mouillage, à la recherche de petits poissons. Je prendrai l’habitude, l’obscurité du soir venue, d’allumer les deux projecteurs intégrés aux bossoirs : les petits poissons sont immédiatement attirés par le faisceau lumineux, et les otaries ne tarderont pas à repérer ce bon spot entre les deux coques de « Jangada ».

Nous assisterons ainsi chaque soir au fabuleux ballet aquatique nocturne des otaries en pêche. Une nuit, une série de vibrations me tirera du sommeil : j’ai la désagréable impression que nous commençons à talonner sur les roches ! Une fois sorti dehors, le temps s’avérera calme, le mouillage paisible. Je m’apercevrai vite, dans la pénombre, qu’une otarie de belle taille apprécie la jupe arrière tribord de notre catamaran. Elle s’est hissée dessus, et s’y prélasse en m’observant. Mais ma lampe frontale l’a effrayée, elle râle deux ou trois fois, hésite, puis se glisse dans l’eau avec souplesse.

Je retourne me coucher, réconcilié avec les Galapagos.

Une autre fois, un bruit de chute à l’eau attirera l’attention de Marin et la mienne : une jeune otarie s’essaye à grimper dans notre annexe !

De temps à autre apparaît la silhouette plus discrète d’un pingouin, à la nage caractéristique. Nous oublions Puerto Ayora et Santa Cruz, et commençons à découvrir un autre visage des Galapagos.

Nous recevons un message d’Oswaldo qui cherche à s’assurer que tout s’est bien passé pour nous, et que nous sommes heureux à Isabela. Merci d’avoir compris, Oswaldo, que nous aimons la liberté, et la simplicité, dans le respect de la nature.

Nous marchons jusqu’au village, passons sans nous attarder devant la capitainerie, trouvons une lavandière et un cybercafé, l’Albatros, pour envoyer à Vincent les documents de mise à jour du blog.

Avec Marin, nous avons glané à bord d’ « Etoile de Lune », un voilier en escale, des informations intéressantes sur quelques excursions à faire qui ne nécessitent pas d’entrer dans les limites du parc national. Marin et Adélie vont jouer à la plage, et, avec Barbara, nous nous offrons une bière bien fraîche à la terrasse paisible et ombragée d’un petit bistrot du village, en compagnie d’un couple de convoyeurs italiens qui ramènent un voilier de 55 pieds de Tahiti aux Baléares via Panama et l’Atlantique. Felice n’a plus d’annexe, elle a rendu l’âme, et il nous offrira, pour nous remercier de le ramener de terre jusqu’à son bord le soir venu, de délicieux pamplemousses des Gambier, d’où il est parti il y a 23 jours pour rejoindre Puerto Villamil.

Mercredi 14 Avril, nous partons dès 06H30 avec l’annexe explorer, non loin du mouillage, un site sauvage, celui des Islas Tintoreras, qui protègent notre mouillage de la houle du large.

Les vraies Galapagos viennent à notre rencontre.

Nous croisons d’abord une petite colonie de pingouins des Galapagos, une espèce endémique qui a pu s’établir dans l’archipel grâce au courant froid de Humboldt. Ils sont en pleine période de mue, et sèchent leur plumage sur des rochers à peine émergés non loin du mouillage.

Un joli bobby (une espèce de fou) aux incroyables pattes palmées d’un bleu clair intense leur tient compagnie. Nous nous enfonçons avec l’annexe dans un dédale de roches noires volcaniques découpées par la mer, croisons un pélican, beaucoup moins peureux que ceux des Perlas, apercevons une raie de taille respectable qui nage dans 2 mètres d’eau, puis une tortue marine, qui plonge à notre approche.

Nous laissons l’annexe à un petit ponton de bois, dans une eau translucide d’une propreté absolue.

De splendides crabes rouges nous observent à faible distance, sans guère d’appréhension. Nous empruntons un sentier tracé dans de la lave noire chahutée par les éruptions volcaniques qui, jadis, ont façonné cet archipel si particulier, et partons à la rencontre d’un animal lui aussi endémique des Galapagos : je veux parler d’ Amblyrhynchus Cristatus, vous l’avez deviné !

Amblyrhynchus Cristatus !!!

L’iguane marin des Galapagos, biensur.

Quelques dizaines de mètres plus loin, nous tombons nez à nez avec plusieurs specimens de cette espèce : ils nous réconcilient avec les Iles Enchantées.

J’ai relu les passages consacrés à son séjour aux Galapagos écrits par Charles Darwin dans son livre « Voyage d’un naturaliste autour du monde ».

L’île d’Isabela s’appelait Albemarle en 1835 pour le capitaine Robert Fitz-Roy (27 ans environ) et l’équipage du navire anglais « Beagle ».

Darwin présentait les îles Galapagos ainsi :



« L’archipel des Galapagos se compose de dix îles principales, dont cinq considérablement plus grandes que les autres. Cet archipel est situé sous l’équateur, à 5 ou 600 milles à l’ouest de la côte de l’Amérique. Toutes les îles se composent de roches volcaniques… Quelques cratères dominant les plus grandes îles ont une étendue considérable, et s’élèvent à une altitude de 3 ou 4000 pieds. Sur leurs flancs on voit une quantité innombrable d’orifices plus petits. Je n’hésite pas à affirmer qu’il y a deux mille cratères au moins dans l’archipel entier…Le climat n’est pas extrêmement chaud, si l’on se rappelle que ces îles sont situées exactement sous l’équateur. Cela provient sans aucun doute de la température singulièrement peu élevée de l’eau qui les environne et qu’amène dans leur voisinage le grand courant polaire du sud. »



Le jeune naturaliste, alors inconnu, relatant sa journée du 29 Septembre 1835 sur l’île d’Albemarle (Isabela), écrivait :



« Des lézards noirs ayant 3 ou 4 pieds de longueur abondent sur les rochers de la côte… C’est un animal hideux, de couleur noir sale ; il semble stupide et ses mouvements sont très lents. Ce lézard nage avec la plus grande facilité et avec beaucoup de rapidité. Un matelot attacha un gros poids à un de ces animaux pour le faire couler, pensant ainsi le tuer immédiatement ; mais quand une heure après il le retira de l’eau, le lézard était aussi actif que jamais… A chaque pas, on rencontre un groupe de 6 ou 7 de ces hideux reptiles, étendus au soleil sur les rochers noirs, à quelques pieds au-dessus de l’eau…

J’ai ouvert plusieurs de ces lézards ; leur estomac est presque toujours considérablement distendu par une plante marine broyée qui pousse sous forme de feuilles minces vert brillant ou rouge sombre… Quand ils sont effrayés, ils ne vont pas se jeter à l’eau. Ils ne semblent même pas avoir l’idée de mordre ; mais quand ils sont très effrayés, ils lancent de chaque narine une goutte d’un fluide quelconque. »



Nous rencontrons en quelques centaines de mètres des dizaines d’iguanes marins, ils ont certes le délit de sale gueule inscrit dans les gènes, mais, une fois leurs principales habitudes observées, je les trouve plutôt sympathiques. Ils ont de l’allure.

Plus tard, et en d’autres lieux sur Isabela, nous les verrons nager, se déplacer au milieu des embruns du rivage, et se nourrir de ces petites algues qui poussent sur les roches de l’estran. Les approcher à moins de 2 mètres est chose facile, plus prés, ils sont sur leurs gardes, s’arrêtent en vous fixant de leur œil immobile, et à moins de 50 centimètres, ils crachent et tentent la fuite sur quelques mètres, laquelle reste lente et très reptilienne.

Ils ne s’éloignent guère de plus de quelques dizaines de mètres du rivage, et sont beaucoup plus à l’aise dans l’eau.

Un peu plus loin, nous débouchons sur une plage parsemée de rochers sur laquelle se repose un troupeau d’otaries. Elles profitent du soleil matinal après leur chasse nocturne. Certaines se prélassent dans quelques dizaines de centimètres d’eau, et nous les approchons doucement. Les enfants sont sous le charme, mais ils restent prudents devant la taille de ces animaux.

Cela me rappelle mes séjours en Antarctique, à ceci près que les galets là-bas remplacent le sable, que la température et l’équipement ne sont pas les mêmes, et que dans le grand Sud, il vaut mieux débarquer sur les plages à otaries avec un bon aviron de bois à la main…, l’agressivité de ces animaux sauvages pouvant présenter un réel danger.

Nous découvrons une petite otarie délaissée en haut de la plage, qui s’est hissée sous le couvert des premiers feuillages : elle n’est pas vielle, semble apathique et maigre, malade probablement. Ses jours semblent comptés, les enfants ont de la peine à la regarder.

Des requins des Galapagos ont l’habitude de somnoler dans une faille rocheuse des Tintoreras, mais nous sommes trop proches de la marée basse, et ils sont absents.

Nous rentrons à bord, heureux de ce parcours animalier matinal.

Nous avons rendez-vous à 09H00 avec notre fournisseur de gas-oil. Il arrive avec sa lancha et quelques futs de gas-oil de 80 litres. Nous avons traité l’affaire au prix de 2 US dollars le gallon. Une fois la barque amarrée le long du bord, nous hissons les fûts sur les coques à l’aide d’une drisse, et remplissons les deux réservoirs par syphonnage. Marin découvre cet usage ignoré de la drisse mouflée de gennaker.

Nous rejoignons le village, et pendant que les enfants vont jouer dans les vagues de la plage, Barbara et moi empruntons le sentier qui conduit à la ferme d’élevage des tortues terrestres. Il traverse la mangrove et pénètre de quelques centaines de mètres vers l’intérieur de l’île. Cette ferme fait vraiment de l’élevage intensif de tortues géantes des Galapagos. Réparties par tranches d’âge depuis la culture des œufs en batterie jusqu’à l’âge adulte dans différents parcs ombragés, nous en voyons des dizaines qui cheminent en tous sens.

Au sujet des tortues géantes des Galapagos, voici ce qu’écrivait le grand Charles, 23ans environ, diplômé de Cambridge :



« Pendant ma promenade je rencontrai deux immenses tortues, chacune d’elles devait peser au moins 200 livres ; l’une mangeait un morceau de cactus ; quand je m’approchai d’elle, elle me regarda avec attention, puis s’éloigna lentement ; l’autre poussa un coup de sifflet formidable et retira sa tête sous sa carapace. Ces immenses reptiles, entourés par des laves noires, par des arbrisseaux sans feuilles et par d’immenses cactus, me semblaient de véritables animaux antédiluviens… M.Lawson, un Anglais, vice-gouverneur de la colonie, m’a dit avoir vu des tortues si grosses, qu’il fallait six ou huit hommes pour les soulever de terre… Depuis longtemps cet archipel est fréquenté ; il l’a été d’abord par les boucaniers et plus récemment par les baleiniers ; mais il n’y a guère que six ans qu’il s’y est établi une petite colonie. Il y a deux ou trois cents habitants ; ce sont presque tous des hommes de couleur bannis pour crimes politiques de la république de l’Equateur, dont Quito est la capitale…On trouve, dans les bois, des quantités innombrables de cochons et de chèvres sauvages ; mais les tortues leur fournissent leur principal aliment. Le nombre de ces animaux a, bien entendu, considérablement diminué… On dit qu’autrefois de simples bâtiments ont emporté d’un coup jusqu’à sept cents tortues, et que l’équipage d’une frégate en apporta en un seul jour deux cents à la côte…Un jour j’accompagne les Espagnols dans leur baleinière jusqu’à une saline ou lac où ils se procurent le sel. Il y a quelques années, les matelots d’un baleinier assassinèrent leur capitaine dans cet endroit retiré ; j’ai vu son crâne au milieu des buissons… Pendant que j’étais dans cette partie supérieure, je me nourrissais entièrement de viande de tortue. La poitrine rôtie à la mode des Gauchos, carne con cuero, c'est-à-dire sans retirer la peau, est excellente ; on fait de fort bonne soupe avec les jeunes tortues ; mais je ne peux pas dire que cette viande me plaise beaucoup…

Je montais souvent sur leur dos ; si l’on frappe alors sur la partie postérieure de leur écaille, la tortue se relève et s’éloigne ; mais il est très difficile de se tenir debou tsur elle pendant qu’elle marche. On consomme des quantités considérables de la chair de cet animal et comme viande fraîche et comme viande salée ; les parties grasses fournissent une huile admirablement limpide… ».



Aujourd’hui, les tortues terrestres endémiques des Galapagos ne sont plus en danger, elles sont protégées, mais on ne les rencontre que rarement en liberté.

Elles peuvent peser jusqu’à 270 kg et vivre 200 ans.

Le Jeudi 15 Avril, nous avons rendez-vous avec Fabricio. La veille, il nous a proposé un marché : pour 50 US dollars par personne, il va nous emmener avec son copain Roberto et sa lancha (en polyester, appelée ici fibra) sur le site de Los Tuneles.

Pendant 45 minutes d’une chevauchée fantastique nous faisons route full-speed le long de la côte d’Isabela vers le nord-est, poussés par un Yamaha 115 CV Enduro. Nous croisons une quinzaine d’énormes raies manta, qui nagent en surface.

De temps à autre, Roberto est obligé de bricoler son moteur, et je commence à regarder avec intérêt le moteur de 75 CV qui lui sert de propulseur de secours… Je commence à regretter aussi de ne pas avoir pris une VHF portable dans mon petit sac à dos…

Je veux bien faire les 3000 milles vers la Polynésie en voilier, mais dans une lancha à la dérive, c’est autre chose !

Mais la vérité, c’est qu’entre Roberto et son moteur de 115 Cv, il existe une alchimie au sujet de laquelle la mécanique ne sait pas tout expliquer…

Nous arrivons à hauteur du site étrange de Los Tuneles, une zone de quelques hectares où, sur le rivage, la lave en fusion coulant du cratère de Sierra Negra a rencontré l’eau de l’océan., créant un incroyable réseau de canaux étroits, de ponts de lave, et de grottes marines. Une chaussée rocheuse déborde l’ensemble vers le large, et la houle enfle et se brise bruyamment sur le platier. Roberto ralentit, et approche doucement de la barre, prenant la mesure du train de vagues. J’ai tendance à faire confiance à Roberto et Fabricio, et je sais que Roberto est le meilleur marin de fibra de Puerto Villamil.

Mais, il y a deux jours de cela, l’un de ses collègues moins adroit a mis tous ses passagers à la patouille dans les vagues… Soudain, Roberto pousse les 115 CV de son hors-bord dans les tours, et la lancha franchit la passe au milieu des déferlantes, sans qu’une goutte d’eau salée ne passe le pavois. Nous entrons dans un monde étrange, lunaire, que baignent des eaux peu profondes aux couleurs d’émeraude. Roberto se faufile avec dextérité dans ce dédale géologique, peuplé d’otaries, de bobbies, de pélicans, et de tortues marines.

Nous débarquons, et franchissons quelques ponts de lave. Les Galapagos présentent une somme incroyable de curiosités géologiques, et la faune et la flore de l’archipel ne sont pas en reste en matière de singularités endémiques.

Nous franchissons la passe sans encombre en sortie, c’est plus facile à partir du rivage en allant vers le large, et la lancha nous emmène, sur la route du retour vers Puerto Villamil, dans une petite baie encombrée de roches que Roberto connaît visiblement bien aussi.

Après un parcours sinueux entre les cayes, il demande à Fabricio de jeter le grappin par dessus-bord. Nous enfilons palmes, masques et tubas, et nous glissons dans l’eau. Mais je suis le premier à suivre - sans précipitation excessive - Fabricio, plongeur émérite, Barbara et les enfants ont tendance à traîner un peu… Fabricio nous a indiqué que nous allions à la rencontre de quelques hippocampes, mais aussi de quelques requins à pointes blanches…

Nous nageons dans 3 ou 4 mètres, l’eau, brassée par le ressac, est un peu trouble, ce qui ne fait pas nos affaires… Nous apercevrons, dans les frondaisons aquatiques des palétuviers du rivage, quelques hippocampes vacant à leurs occupations matinales. Mais il faut avoir un bon œil.

Bientôt, Fabricio nous entraîne vers un enchevêtrement de roches volcaniques submergées. Insensiblement, les rangs se resserrent derrière lui, l’appréhension est là. Il nous fait signe de ne faire ni bruit ni geste brusque, et nous guide vers un pont rocheux sous-marin, proche de la surface. De l’autre côté du pont, un amas de roches a créé des caches sombres de temps à autre éclairées par un rayon de soleil.

Puis il tend son index devant lui : pour la première fois de notre existence, nous apercevons 3 requins (à pointes blanches), d’environ 2 mètres de long, qui nagent calmement, à moins de 3 mètres de nous, de l’autre côté du pont de roches. Les pointes blanches de lagon sont réputés non agressifs envers l’homme, mais l’appréhension humaine léguée par le mythe qui entoure l’animal en général nous fait d’abord frissonner, puis, devant l’impassibilité de ces squales à notre égard, la curiosité prend le dessus rapidement. Nous restons quelques minutes à les observer, puis ils finissent par s’éloigner.

Nous regagnons la lancha, à une centaine de mètres de là, sans pouvoir nous empêcher de surveiller nos arrières, remontons à bord, et nous jetons sur nos sandwichs. Les émotions, ça creuse !

Le lendemain, 16 Avril, nous partons pour une randonnée de 5 heures vers le Muro de las Lagrimas, un haut mur de pierres volcaniques, en forme de barrage, construit par des prisonniers exilés sur Isabela. Sac à dos, couvre-chef, gourde d’eau, et chaussures pas vraiment adaptées, nos vraies chaussures de randonnée sont malheureusement restées dans notre Land-Rover, en Bretagne, chez nos amis Bernard et Anne !

La piste sinueuse longe d’abord le rivage vers le nord, puis s’enfonce vers l’intérieur de l’île. Ce qui m’a d’abord frappé dans les paysages des Galapagos, en arrivant du large, c’est l’aspect verdoyant des îles, tout au moins en cette saison, si l’on excepte le rivage le plus souvent constitué de lave noire. Certes la végétation est celle des zones globalement sèches, mais, même clairsemée, elle n’en recouvre pas moins la quasi-totalité de la surface terrestre, jusqu’à ce que l’altitude laisse définitivement la place aux paysages volcaniques lunaires qui entourent les nombreux cratères occupant la partie supérieure du relief.

Régulièrement, nous empruntons des chemins de traverse qui nous conduisent en quelques dizaines de mètres à des curiosités géologiques, plage immaculée, tunnel de lave, trou d’eau saumâtre.

Nous observons sur le rivage des dizaines d’iguanes marins, occupés à manger leurs petites algues vertes dans les rochers baignés par le ressac. Nous passons sous des ponts végétaux très denses de palétuviers géants, et débouchons dans une clairière à la fraîcheur appréciable, baignée par un petit cours d’eau douce qui descend depuis les hauteurs d’Isabela, qui culmine à 1707 mètres.

Plus loin, la piste s’éloigne de la côte, et nous apercevons dans les buissons d’épineux les fameux pinsons de Darwin, que le naturaliste, lors de son voyage à bord du « Beagle », se contentera de répertorier en notant les analogies, mais dont il tirera, plus tard, en grande partie, les bases de sa théorie sur l’évolution des espèces.

Darwin écrit en Septembre 1835, à bord du « Beagle »:



« Les autres oiseaux de terre forment un groupe très singulier de moineaux ressemblant les uns aux autres par la conformation de leur bec, par leur courte queue, par la forme de leur corps et par leur plumage. Il y en a treize espèces que M.Gould a divisées entre quatre sous-groupes. Toutes ces espèces sont particulières à cet archipel… Le fait le plus curieux est la parfaite gradation de la grosseur des becs chez les différentes espèces de Geospiza… Quand on considère cette gradation et cette diversité de conformation dans un petit groupe d’oiseaux très voisins les uns des autres, on pourrait réellement se figurer qu’en vertu d’une pauvreté originelle d’oiseaux dans cet archipel, une seule espèce s’est modifiée pour atteindre des buts différents. »



Le capitaine du « Beagle », Fitz-Roy, est cultivé, intelligent, mais il a reçu une éducation stricte, et est d’un naturel plutôt rigide. Darwin est un novice, enthousiaste, mais qui apprend vite. A bord du « Beagle », l’équipage le surnomme « le philosophe », sans doute pour son aptitude à réfléchir et à commenter tout ce qu’il observe. Il est néanmoins déjà, à l’époque, imprégné de certaines idées évolutionnistes qui se développent dans les milieux scientifiques depuis le début du 19ème siècle, et en particulier de celles de Lamarck, Jean-Baptiste de Monet, chevalier de Lamarck, scientifique français fondateur des premières théories sur l’évolution, à qui Darwin volera la vedette, du fait de la notoriété ayant accompagné le retour de campagne du « Beagle ». Au cours du voyage, l’amitié qui liera le capitaine Fitz-Roy et le naturaliste Darwin ira grandissant.

Mais par la suite, il en sera différemment : lorsque Darwin publiera, vingt années après la fin de son voyage, en 1859, son livre essentiel, « L’Origine des Espèces », qui précisera les contours de sa théorie de l’évolution, son vieil ami Fitz-Roy, devenu amiral de la Royal Navy et météorologue réputé, ne lui pardonnera pas d’avoir attenté aux Saintes Ecritures, et il deviendra l’un de ses contradicteurs les plus remontés…



Moi, modeste voyageur au long cours, heureux d’être là, je me contente de faire quelques photos de pinsons… On verra plus tard, j’ai au moins vingt ans devant moi !



Nous pique-niquons au sommet d’un petit promontoire rocheux, et atteignons le mur des larmes en début d’après-midi.

Le chemin du retour nous ramène à la Playita de Amor, une splendide plage immaculée baignée de vagues idéales d’un bleu azur. Notre immersion dans l’eau est un bonheur sensuel, cette randonnée entre soleil et roches volcaniques a été épuisante.

Nous sommes obligés de chasser de quelques mètres une vingtaine d’iguanes marins qui se prélassent sur le sentier d’accès à la plage, nous barrant le chemin. Ils reprennent leur position surchauffée aussitôt après notre passage.

Puis nous regagnons notre bord, heureux, de notre séjour aux Galapagos.

Le lendemain, veille de notre appareillage pour la Polynésie, nous reviendrons à cette plage de rêve et les enfants s’y baigneront pendant des heures, sous l’œil intrigué mais placide des représentants d’Amblyrhynchus Cristatus…

Pour ma part, en cheminant sous un soleil de fin d’après-midi vers le mouillage des Tintoreras, réconcilié avec les Iles Enchantées, je songe à la longue route qui nous attend dans l’Océan Pacifique, vers l’archipel polynésien des Gambier…
Olivier
Traversée du pot au noir (ZIC) entre Perlas et Galapagos.

En mer, avant d'arriver aux Galapagos...

Pour 5 dollars, du vert dans le gréement de Jangada!

La rade et le mouillage de Puerto Villamil, à Isabela.

Embarquement de gas-oil, au mouillage de Puerto Villamil.

Sur le sentier des Islas Tintoreras, à Isabela.

Le blue bobby, et ses magnifiques pattes bleues.

Les otaries sur leur plage des Tintoreras, à Isabela.

Plaisir du bain matinal aux Galapagos.

Le crabe rouge des Galapagos.

En pleine mue, un pingouin des Galapagos.

Pélican faisant sa toilette après la pêche.

Adélie, à la rencontre des otaries d'Isabela.

Amblyrhynchus Cristatus, l'iguane marin des Galapagos!

Délit de sale gueule permanent, mais finalement plutôt sympathique!

Aux Galapagos, on partage sa place au soleil avec les indigènes...

175 ans après Charles.

Un pinson de Darwin, à Isabela.

Galapago soi-même, la tortue terrestre géante des Galapagos.

Los Tuneles, une curiosité géologique d'Isabela.

La tortue marine des Galapagos.