mardi 3 mai 2011

Billet N° 103 - Nouméa, capitale et seule ville de Nouvelle-Calédonie…

Du Jeudi 14 Avril au Lundi 2 Mai 2011 -


En une dizaine d’heures, l’alizé a poussé Jangada dans le chenal sinueux qui conduit de l’Ile des Pins à Nouméa par le lagon et le Canal Woodin. A proximité des collines de latérite rouge couvertes de la végétation en grande partie endémique du Caillou, nous essuyons quelques grains costauds qui nous obligent à ariser au 2 ème ris. Au loin, les premières constructions de la ville envahissent bientôt les collines à l’est de la capitale calédonienne, aussi démesurée que sont petites les autres localités de la Grande Terre. Elle abrite plus de 100 000 habitants, 165 000 pour l’ensemble de l’agglomération, alors que la Nouvelle-Calédonie n’en compte au total qu’un peu plus de 200 000. Mais la brousse commence aux portes de la ville. Et Nouméa est la seule ville de Nouvelle-Calédonie. Nous passons au sud de l’Anse Vata, le quartier le plus balnéaire de la ville, laissons à tribord la Baie des Citrons, doublons l’Ilot Brun qui marque l’entrée des Baies de l’Orphelinat et de la Moselle, séparées par la Pointe de l’Artillerie. Sur bâbord, l’Ile Nou, devenue presqu’île, le site du pénitencier, avec , de l’autre côté, la Grande Rade et le port de commerce. Nous serrons à droite dans le goulet pour laisser sortir un paquebot de P&O qui quitte le quai du centre ville. Nous voici à Nouméa : il y a longtemps que je souhaitais connaître un peu ce bout de France des antipodes !

A droite, au fond de la Baie de l’Orphelinat, les installations de la Marine Nationale, avec quelques bâtiments de couleur grise à la poupe desquels flotte le pavillon tricolore. On devine plusieurs marinas, Port de Plaisance, Port-Sud et Port-Moselle. Mais ce qui frappe le plus lorsqu’on arrive dans la petite rade, ce sont les rejets atmosphériques de l’usine Doniambo de la Société Eramet-Le Nickel, aujourd’hui située quasiment en ville. D’épais panaches de fumées qu’on ne peut soupçonner de n’être que de la vapeur d’eau s’échappent des cheminées de cette usine historique, qui semble invoquer son âge (son installation date de 1909) pour justifier son droit apparent à polluer… Je comprendrai par ailleurs un peu plus tard que la richesse issue de l’extraction et de la transformation du minerai du nickel profite bien peu à la Nouvelle-Calédonie…Cette usine a beau produire plus de 60 000 tonnes de nickel chaque année, et être l’un des principaux employeurs de main d’œuvre de l’agglomération de Nouméa, cela ne justifie pas de s’autoriser, ou de se voir autoriser, n’importe quoi de nos jours ! Je plains les passagers des paquebots qui se mettent à quai à quelques centaines de mètres à peine de ces cheminées qui dégueulent jour et nuit leurs substances nauséabondes sur la métropole calédonienne…

Une ville cosmopolite et métissée peuplée à 50% de blancs (essentiellement « caldoches » et « zoreils » - les métros -) soit la très grande majorité de la population d’origine européenne de Nouvelle-Calédonie, 22% de « kanaks » - les mélanésiens -, 12% de polynésiens (Wallis et Futuna, Tahiti) et des asiatiques, toujours laborieux (Indonésiens, Vietnamiens et Chinois).

Nouméa est vallonnée, comme une San Francisco du Pacifique Sud, et pas mal de quartiers ont été bâtis sur les remblais d’anciennes mangroves marécageuses.

Nous approchons de Port-Moselle, passage obligé des voiliers qui arrivent sur le Caillou, y compris après l’escale clandestine à l’Ile des Pins. La marina est pleine comme un œuf, on n’y est pas (ou plus) accueilli à bras ouverts, surtout avec un catamaran de près de 9 mètres de large… La seule solution est le mouillage inconfortable et sans charme à l’extérieur des jetées, le temps minimum pour effectuer les formalités. Dans la marina de Port-Moselle, nous retrouvons l’un de mes lointains cousins, Tugdual, sur son voilier, et c’est avec sa voiture que je découvre le centre ville de Nouméa, et la banlieue de Ducos, pour les courses techniques. Le préposé à la visite phytosanitaire d’entrée sur le territoire interprétera le règlement de protection des espèces endémiques du Caillou avec largesse, et Barbara pourra faire une omelette imprévue, l’agent venu à bord ne repartant qu’avec les coquilles d’œufs de la cambuse. Il s’avèrera décidément de bonne composition, car lorsque je le ramènerai à terre avec l’annexe, notre moteur hors-bord Yamaha tombera en panne pour la première fois du voyage, et il restera imperméable dans l’immédiat à toutes mes tentatives pour le faire revivre. C’est donc avec un aviron dans la main que l’agent assermenté retrouvera le Caillou, mais je réussirai à le faire rire de la situation !

Eric, depuis son île de l’Océan Indien, nous a ouvert en grand son carnet d’adresses, ce dont nous profiterons largement pendant notre escale. Nous ferons ainsi la connaissance de Bernard et Emmanuelle, chirurgiens-dentistes et navigateurs (en ce moment dans cet ordre, leur cata ne quittant plus le quai que le week-end, mais l’inverse a eu cours pendant longtemps, et un jour reviendra où…), lesquels nous recevrons chez eux dès notre arrivée. Et, à travers eux, de Jacques et Viviane, qui vivent à bord de leur catamaran à Port-Sud. Nous bénéficierons ainsi à travers ces contacts amicaux et tellement plaisants en voyage de beaucoup de bonnes informations en un minimum de temps, et profiterons grâce à eux de multiples services qui transformeront agréablement notre séjour à Nouméa. Bernard et Emmanuelle mettront à notre disposition un coffre idéalement positionné dans la Baie de l’Orphelinat, et cette opportunité nous permettra de quitter l’environnement peu confortable et peu convivial de Port-Moselle, pour nous rapprocher des quartiers chics du sud de la ville. Merci à vous, néo-calédoniens d’un temps, qui n’ont pas oublié la magie du voyage et celle des rencontres !

Très vite, entre la Xantia de Tugdual et le 4x4 Kia de Viviane, je deviens un fin connaisseur des quartiers de Nouméa : Vallée du Tir (pour faire éprouver nos bouteilles de plongée !), Nouville (pour les shipchandlers), Ducos (pour les fournisseurs industriels), Magenta (pour le supermarché Champion), Motor Pool (chez Bernard et Emmanuelle, et Europcar aussi), l’Anse Vata et la Baie des Citrons (pour le coup d’œil et les bars branchés, où l’on ne va pas), ou encore la Vallée des Colons ou le Faubourg Blanchot. Mais notre résidence à nous, c’est la Baie de l’Orphelinat, à bord de Jangada, solidement amarré sur sa bouée. Pour nos liaisons avec la terre, nous squattons discrètement le cat-way de Jacques et Viviane dans la marina de Port-Sud, et en l’espace de 24 heures, nous tenons depuis notre bord une position enviable en plein centre de Nouméa. Merci les amis !

Nouméa centre ville, qui n’est pas particulièrement jolie, ni propre. On pourrait se croire dans le vieux Fort de France, avec des trottoirs en mauvais état, des problèmes de drainage des eaux de pluie et d’écoulement des égouts. Aux odeurs nauséabondes de la basse ville se joignent des images de population kanake jeune mais désoeuvrée. Malgré tout, cela reste plaisant pour les voyageurs que nous sommes de retrouver pour un bref laps de temps des enseignes commerciales de chez nous (d’ailleurs Barbara a disparu depuis un moment chez un coiffeur Frank Provost, je crois…), et des produits bien français acheminés aux antipodes dans des conteneurs CMA-CGM. De temps à autre, nous allons nous connecter au wi-fi du « Bout du Monde », le bistrot de la marina de Port-Moselle, et en profitons pour aller chercher du pain frais délicieux à proximité, tout en lisant la presse magazine fraîchement débarquée de l’avion de la métropole…

Historiquement, le développement de Nouméa doit beaucoup à la présence, pendant plus de trois décennies (1864 – 1898), du bagne calédonien sur l’île Nou, aujourd’hui reliée à la ville par l’isthme dévolu au port de commerce. La main d’œuvre quasi gratuite des bagnards (22 000 forçats ont été déportés en Nouvelle-Calédonie) a permis à la colonie d’assainir les mangroves et de réaliser les grands travaux de terrassement et de voierie à partir desquels la ville a pu prendre de l’ampleur. Nous flânons sur la Place des Cocotiers, ombragée de flamboyants, faisons un détour par la cathédrale Saint-Joseph, sur son petit promontoire, passons par la bibliothèque Bernheim, installée dans un ancien pavillon (démonté et transporté pour être ré-assemblé sur place, comme le phare Amédée) de l’Exposition universelle de Paris (1900). Les enfants, eux, préfèrent aller aux « Jeudis du Centre Ville », sur la place des Cocotiers, en fin d’après-midi, en compagnie des petits copains de la marina. Nous ne faisons que passer dans les quartiers chics de Nouméa, Anse Vata et Baie des Citrons principalement, relativement éloignés de notre mouillage. Et puis, question plages, même si celles de Nouméa ne sont pas désagréables, nous avons connu ces derniers mois ce que la nature a fait de mieux au monde sur le sujet, dans certaines îles perdues au milieu de l’Océan Pacifique…

Un élément m’a surpris dans l’histoire de Nouméa, ce sont les traces vives laissées dans les lieux et les mémoires par le séjour de l’armée américaine à partir de 1942, et jusqu’à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Au lendemain de l’attaque japonaise à Pearl Harbor, fin 1941, le gouvernement américain, en accord avec les autorités de la France Libre à laquelle la colonie s’est très tôt ralliée, décide de faire de la Nouvelle-Calédonie sa principale base arrière dans la Guerre du Pacifique. Les américains amènent avec leurs GI’s, leurs aviateurs et leurs marins, outre leur matériel de guerre, une certaine modernité qui marqua ici les esprits : chewing-gum, dancings, snacks, Coca Cola, Camel, etc… L’american way of life a accompagné la construction des pistes d’aéroports de Nouméa (Tontouta, et Magenta), toujours en service, ou encore laissé en héritage à certains quartiers de la ville les noms de guerre de l’US Army.

Mais habiter Nouméa suppose souvent de se tourner vers la mer à l’approche du week-end. L’immense lagon calédonien ne manque pas d’attrait. Les environs de Nouméa sont truffés d’îlots qui constituent autant de destinations de fins de semaine. Ilots Sainte-Marie, Canard, Maître, Signal, Larégnère, Pandanus et bien d’autres. La plupart de ces îlots coralliens sont protégés, mais également aménagés a minima pour recevoir la visite dominicale des plaisanciers. Nous aurons ainsi l’occasion, par deux fois, de faire partie d’un petit convoi nautique sympathique vers Larégnère, puis Pandanus, avec au programme BBQ sur la plage et jeux aquatiques. L’îlot du phare Amédée constitue quant à lui une destination prisée des touristes, en particulier japonais. Son phare métallique de 56 mètres de hauteur marque la position de la passe de Boulari, principal accès au port de Nouméa en venant de l’Est.

Et puis, nous allons visiter le fameux centre culturel Jean-Marie Tjibaou, à Tina, à quelques kilomètres à l’est de Nouméa. Ce lieu qui se voudrait le symbole de la conciliation, ou de la réconciliation, entre le monde mélanésien et le monde occidental ne m’a pas vraiment convaincu, sauf en ce qui concerne son architecture extérieure, vraiment originale. Sa création a certainement contribué à apaiser les esprits après ce qu’on appelle ici « les évènements », qui ont opposé « caldoches » et « kanaks » dans les années 1980. Mais, pour nous qui venons de séjourner 5 mois en Nouvelle-Zélande, le constat du contentieux qui perdure plus ou moins sur le Caillou entre les deux principales communautés, et la pérennité de l’extrémisme apparent de certaines revendications « indépendantistes », malgré l’abondance presque choquante de l’argent métropolitain déversé sur ce petit territoire depuis le début des années 1990 (et a fortiori si l’on fait des comparaisons avec les archipels voisins !), est surtout celui d’un archaïsme dépassé dans les rouages culturels et sociaux locaux, comme un dialogue dissonant dans lequel chacun aurait oublié qu’il est de toute façon un immigré sur le Caillou. On n’est bien sûr pas là pour donner des conseils, on n’a aucune qualification pour ce faire, n’empêche qu’en tant que citoyen de la planète avant tout, et juste de passage en Nouvelle-Calédonie, on aurait juste envie de dire aux habitants du Caillou qu’ils feraient bien de délaisser (ce qui ne veut pas dire oublier) quelque peu les avatars de l’Histoire et de se tourner d’urgence vers leur destin désormais commun. Un aspect bien décevant de notre passage en Nouvelle-Calédonie.

Olivier
Photo 1 - Jangada au mouillage dans le lagon calédonien.
Photo 2 - Rencontre avec Bernard et Emmanuelle, qui nous on touvert leur porte, et d'autres!
Photo 3 - Marin, Adélie, et leurs petits copains calédoniens, en week-end sur l'îlot Pandanus.

Photo 4 - Le centre culturel Tjibaou, à Nouméa.