Jacare –Village, sur le rio Paraiba.
Vous ne connaissez pas Jurandy Sax ?
Il paraît qu’il est dans le livre Guinness des Records !
Et vous savez pourquoi ? Parce que tous les soirs que Dieu fait, à 17 heures précises, il monte lentement, presque majestueusement, sur une petite barque blanche, lui-même en tenue immaculée, son saxophone à la main, et se met invariablement à jouer ce qui me semble être la version longue (à force…) du … Boléro de Ravel. On m’a dit qu’il avait dépassé la 3000 ème prestation, à vérifier sur le bouquin à la con. Jurandy est célèbre dans tout le Brésil pour cet exploit, et, chaque soir, pas besoin de montre, tandis que le soleil décline sur les collines du Paraiba, et que les caboclos font brûler au loin d’immenses champs de canne à sucre, son micro HF connecté à des putains d’enceintes m’incite à ranger mes outils dans leur boîte, et à songer que l’heure de la caïpirinha approche. Jurandy, tronche affreuse, cheveux longs bouclés gominés à moins qu’ils ne soient sales, sérieusement mâtiné de sang indien venu de la grande forêt d’à côté, a un inconvénient : il aurait tendance à vous faire croire que vous n’avancez pas dans la vie… parce qu’à la fin, servi tous les jours à la même heure et au même endroit, le Boléro de Ravel (que j’aime bien par ailleurs) a tendance à devenir, comme l’a imaginé un autre marin de passage, le beau blaireau de Ravel…
Avec Barbara, nous nous sommes tout de même offert un soir l’intégrale du spectacle, assis à la terrasse en bois sur pilotis d’un bar dont le chiffre d’affaires doit beaucoup au musicien français.
Des bateaux chargés de brésiliens viennent religieusement entourer la petite barque blanche du maestro, que son piroguier, indien lui aussi, fait évoluer avec lenteur et adresse, tandis que la glace pilée de la caïpirinha se laisse aller à la gravité de nos gosiers délicats…
Un autre soir, nous avons craqué et nous avons ingurgité, avec les enfants, de grands plats de viande, carne do sol (la viande partiellement séchée au soleil du Nordeste)en tête, accompagnés de riz, de haricots rouges et de farofa (farine de manioc), qu’Adélie adore. La viande, c’est ce que nous consommons le moins depuis le départ, essentiellement parce qu’elle est rare, chère, et introuvable dans les conditions sanitaires que nous connaissons chez nous en France.
Entre deux beaux blaireaux de Ravel, ma vie a quand même un peu avancé : j’ai bichonné nos deux moteurs Volvo (vidanges, filtres, courroies, batteries, etc…), et je me suis tapé le montage de la nouvelle installation frigo, dans la journée du 25 Décembre, jour de Noël !
Comment vous dire, Noël , par 32°C, sous le soleil, les feuilles de palmes qui ondulent dans le souffle régulier de l’alizé, en bermuda au pire, la casquette et les lunettes de soleil Harken sur la tronche, c’est pas pareil… Pas de doute, ça fait moins Noël…
C’est peut-être pour cela que j’ai bossé sur l’installation froid du bord le jour de Noël, pour me rapprocher des Noël de notre culture à nous, avec neige, frimas, et vent glacé ?
Soyons clair : Noël, sous les tropiques, ça a moins de gueule. Et cela semble ici, est-ce lié ?, avoir moins d’importance que chez nous dans la vie familiale.
Je déteste le consumérisme éhonté qui accompagne Noël chez nous, mais j’aime bien l’atmosphère de fête familiale hivernale qui accompagne ce rendez-vous annuel.
L’année dernière, le Land Rover « Papa Tango Charlie » s’embourbait dans la neige catalane, et Mamina arrivait au gîte juchée sur un tracteur bienveillant ! De vrais souvenirs d’hiver…
Bon, revenons à nos moutons, vous voulez savoir ce qu’elle donne, la nouvelle installation froid à 3600 et quelques euros sans ma main d’œuvre ?
Elle déconne !!! Elle déconne grave !!!
Elle fait du froid certes, mais elle ne régule pas…la température du bazard oscille entre 0 et + 18°C ! Damned ! Pire que cela, il se produit des phénomènes techniques difficilement expliquables, tels que démarrages suivi d’arrêts immédiats injustifiés, fonctionnement aléatoire de voyants lumineux, et même, incroyable mais vrai, une nuit, démarrage de l’installation pendant mon sommeil alors que l’interrupteur principal était sur off pour la nuit… Pourtant, tout est neuf, les compresseurs, la pompe à eau de mer de réfrigération, la plaque eutectique, la carte électronique de régulation, le panneau de commande, les câbles et les embouts de connection… J’ai beau être aussi Officier Mécanicien de la Marine Marchande, et avoir eu comme professeur de thermo-dynamique le surnommé Johnny Servoz-Gavout (certains des lecteurs, marins de formation eux aussi, y ont aussi difficilement survécu, on est tous d’accord), je dois avouer que la seule explication acceptable techniquement, pour l’instant, tient en un mot : maraboutage.
Un mot lâché par Denis, à Dakar, qui a eu à connaître de ce frigo, et s’est gentiment occupé de le dédouaner, ce qui n’est pas simple là-bas, et toujours très … onéreux, surtout en fin de mois. Notre installation frigo a été maraboutée, ça nous apprendra à séjourner en Afrique, sous les baobabs et les grands fromagers, au milieu des villages diolas, et de tous leurs gris-gris. Maraboutée par qui, pourquoi ? Mystère…
Même l’avion taxi qui a embarqué le colis, qui revenait à vide, et dont c’était le seul chargement entre Dakar et Cap Skirring, a du faire demi-tour en plein vol et revenir se poser à Dakar…
La raison la plus plausible que je vois à ce maraboutage, c’est que Barbara n’a pas répondu favorablement à la demande en mariage émise par Fatou, la lavandière du Cercle de la Voile de Dakar, qui trouvait largement Marin (12 ans révolus) à son goût, et voulait revenir vivre en France avec lui…
Mais chacun sait que les maraboutages ne durent qu’un temps…, c’est ce à quoi je me raccroche, en particulier pour rassurer Barbara sur le futur fonctionnement optimal du système.
J’ai donc, pour laisser sa chance à la technologie et à la pensée cartésienne, convaincu le fournisseur, sans lui parler de maraboutage, de nous envoyer fissa à Cayenne, avant que je me fâche, un panneau de commande, une carte électronique de régulation, et un câble de liaison neufs, et là, la vérité devra bien sortir de la salle des machines tribord !
En attendant, faut pas parler de frigo de bateau à la patronne…
Le 31 Décembre en fin d’après-midi, les enfants nous tirent eux aussi une de ces tronches… Nous allons tous les quatre prendre le bus de nuit « executivo » de la compagnie Progresso qui relie Joao Pessoa à … Salvador do Bahia ! A 19H30, 23H30 en France, nous quittons la rodoviaria et attaquons les quelques 1000 kms qui séparent les deux villes par la route.
On vous imagine en train de trinquer de çi, de là, à la nouvelle année, et nous, on s’installe pour la nuit sur nos sièges à bascule, dans un froid de canard, car, pour une raison là encore obscure, la clim des bus longues distances brésiliens est toujours à fond !
Allez savoir pourquoi, un bus roulait le soir du 31 Décembre vers Bahia, mais pas le lendemain. Alors tant pis pour la petite soirée entre voyageurs à Jacare, et direction Bahia de tous les saints.
En y réfléchissant, après avoir établi de façon plus claire il y a quelques semaines le timing de notre voyage, essentiellement optimisé en fonction des conditions météorologiques et des risques de cyclones, la solution de ne pas descendre plus sud que Joao Pessoa avec le bateau, sans pour autant renoncer à faire visiter Salvador à Barbara et aux enfants, m’est apparue intelligente. On s’évite 1000 milles de trajet maritime aller-retour, dont une remontée en général assez près du vent, et Salvador se visite correctement en 3 jours, à une nuit de bus à 140 reals (2,4 reals pour 1 euro).
En ce qui me concerne, Salvador, j’ai du y faire une trentaine d’escales (pendant 5 mois, il y a longtemps, j’ai même navigué sur un navire de démonstration affrété par le gouvernement brésilien qui reliait Salvador à Rio de Janeiro), et j’y ai séjourné pendant 2mois et demi avec le premier Jangada, écumant toute la baie de long en large…
Mais comment passer au Brésil sans voir Bahia dos Todos os Santos ?
Nous n’avons pas trinqué dans le bus avec les deux autres passagers, nous réservant cette réjouissance pour notre retour à bord, et nous débarquons pas trop mal en point le lendemain matin à Bahia.
Direction la Praça da Sé, le Terreiro de Jesus, et le quartier, encore assez chaud aujourd’hui, du Pelourinho, au centre de la vieille ville. Nous posons nos affaires dans une pousada, y reprenons des forces, et direction le point de vue sur la baie du haut de l’elevador Lacerda, l’ascenseur bien connu qui relie la ville haute à la ville basse.
Une multitude d’embarcations et de petits navires sort du vieux port et fait route vers la plage du Farol : le 1er Janvier, c’est la procession du Bom Jesus. Nous filons du coup au Farol, dans le quartier da Barra, et les enfants découvrent que la plage, en famille ou entre amis, au Brésil, ça ne rigole pas : c’est une institution. Devenue confortable, avec sièges et tables en plastique, parasols, multi-services de proximité, et musique biensûr.
Au Brésil, la musique est omniprésente, mais personnellement, je ne trouve pas qu’elle s’améliore… J’ai aimé Maria Bethania, Vinicius et Toquinho, Gilberto Gil, Milton Nascimento, Carlos Buarque, ou encore Antonio Carlos Jobim, mais cette fois, j’ai entendu du rap brésilien, et beaucoup de disco… Je vieillis, sans doute.
Nous avons d’ailleurs rencontré un américain malheureux, marié à une brésilienne, et qui, dans le quartier du Pelourinho, a ouvert un petit magasin de vraie musique brésilienne…un signe des temps.
C’est l’une des deux déceptions que j’ai ressenties en revenant au Brésil cette fois : l’évolution malheureuse à mon goût de la musique, la deuxiéme étant l’incroyable développement des sectes religieuses se réclamant de Jesus, sectes plus ou moins déviantes, mais très répandues et très riches.
L’une des bonnes surprises, si l’on peut dire !dans ce pays attachant mais encore violent, où les agressions sont nombreuses, a été la présence renforcée de nombreux policiers partout où nous avons été.
Je voulais faire goûter aux miens les beignets aux crevettes cuits dans l’huile de dêndé par les vieilles bahianaises sur les trottoirs du quartier da Barra, mais je n’en ai trouvée aucune, il n’y en a plus, de vieilles bahianaises en robes blanches de dentelles…
Nous nous rafraîchissons avec des cocos frais (2 reals) décapités à la mâchette, et regagnons le centre de la vieille ville en bus.
Escale technique dans l’un de ces nombreux petite restaurants qui pratiquent la « comida a kilo », chacun se sert de ce qu’il veut, puis la tenancière du gourbi pèse l’assiette (en déduisant son poids, normalement…), et applique le prix de la nourriture au kilo, qui du coup, différencie seul le standing de ces établissements.
Nous irons jusqu’au quartier de Carmo, où les façades des pousadas rivalisent de couleurs, visiterons la maison du souvenir de l’écrivain Jorge Amado, dont les lectures truculentes ravissaient mes voyages en cargo ( Dona Flor et ses deux maris, Le vieux marin, Tieta d’Agreste etc…), écumeront le Pelourinho, que j’ai connu chaud et dangereux pour le voyageur et le marin avant sa restauration et son classement par l’Unesco au patrimoine mondial.
Le bruit (pas toujours compréhensible) des oiseaux (souvent défraîchis) de la nuit nous incitera à changer de pousada pour la nuit suivante, mais, questions puces (éventuellement morpions) et odeurs sanitaires, nous ne gagneront pas au change.
Barbara recommence à rêver à un quatre étoiles, tandis que je me dis que le sommeil est seulement une nécessité vitale…
Nous irons à l’église de Bonfim, la plus célèbre du pays pour les brésiliens, et y ferons nos vœux, secrets, qui flottent encore au vent du parvis.
Les enfants ne sauront pas où diriger leurs yeux dans le Mercado Modelo, et Adélie, déjà fashion victim, cassera sa tirelire pour s’acheter une robe blanche à fleurs violettes qui, évidemment, ne plaît pas du tout à sa Maman…, tandis que Marin craquera pour une casquette dont la couleur importe moins que la marque : apparemment l’hésitation portera sur le choix entre Quiksilver et Billabong, mais de toute façon, aucune des deux ne plaît à sa Maman… !!!
Je regarde tout cela avec amusement, mais détachement, tellement ce n’est pas mon monde…
Nous admirerons l’église franciscaine incroyablement riche en décoration baroque du Terreiro de Jesus, et, plus prosaïquement, nous découvrirons tout à côté un français expatrié, Georges Laporte, qui, dans sa petite lanchonete, propose des glaces maison incroyablement succulentes, avec tous les parfums du Brésil en sorbets délicieux.
Ma formation professionnelle sans doute, mes métiers de marin au long cours d’abord, puis de constructeur de grands, beaux et bons voiliers (d’un avis assez répandu, Dieu soit loué), ensuite, m’ont appris à apprécier à leur juste valeur les personnes qui ont acquis, par eux-mêmes, à force de travail, de sueur, d’expérience, et de créativité, un vrai savoir-faire, souvent manuel.
Je fais part à George Laporte de nos félicitations pour la qualité de ses glaces, et nous discutons un peu. C’est ainsi que nous apprenons qu’avant de s’installer à Salvador il y a 8 ans, il a surtout vécu à l’étranger, et est né en Equateur.
Du coup, nous lui parlons de nos amis Lepoutre, et, biensûr, Lepoutre en Equateur, il connaît. Mais sa mère, une certaine Françoise Lambert, mariée là-bas avec un certain James Laporte, connaît encore mieux. Comme elle est à Salvador en ce moment, il l’appelle, et au bout de deux minutes, on a en live sur la terrasse du Terreiro de Jesus, à Bahia, toute la filiation des Lepoutre d’Equateur... !
Pas beau , ça ?
Nous irons enfin battre les planches des pontons de la marina du vieux port de Bahia, pour tenter de trouver (avec succès !) une équipière du Rallye des Iles du Soleil qui prend l’avion back-home le soir même, et pourra ainsi poster directement en France les « évaluations » CNED de Marin et Adélie, que nous avons emportées avec nous à dessein.
Nous y retrouverons l’un des rares voiliers avec enfants rencontré depuis le départ, Havanita, aperçu dans le delta du Saloum, et déciderons de finir nos 3 journées à Bahia en emmenant tout ce petit monde, soit 7 enfants, à la célèbre plage d’Itapoa, avec Jean.
Le soir, bus jusqu’à la rodoviaria de Salvador, et retour en « executivo » dans la nuit vers Joao Pessoa, en passant par Recife.
Nous retrouvons Jangada sagement amarré à l’extrémité du ponton branlant de Jacare-Village, et le skipper est rassuré, c’est toujours une épreuve d’abandonner son bateau pour plusieurs jours en plein voyage…
Je démarre l’installation froid, mets le champagne au frais, et pour nous, l’année 2010 sera arrosée le 4 Janvier.
Tout le monde est content d’avoir été à Salvador.
Maintenant, la route du Cap Sao Roque est ouverte.
Olivier
Praia da Barra, au pied du Farol de Salvador da Bahia.
La plage du fort à Salvador, le 1er Janvier 2010...
L'elevador Lacerda, qui relie les villes basse et haute de Salvador.
Le mouillage du vieux fort et la Baia de Todos os Santos.
Façade de pousada dans le quartier du Pelourinho.
Dans la maison de l'écrivain Jorge Amado.
Devant le Mercado Modelo.
L'église du Senhor do Bonfim...
... la plus célèbre du Brésil...
... et son parvis où flottent au vent de l'espèrance humaine, des milliers de voeux.