vendredi 8 janvier 2010

Billet N°37 - Souvenirs souvenirs, d’un autre temps.

Souvenirs en noir et blanc, ou d’une époque à l’autre…

Thanks to my brother, qui fournit à Jangada V non seulement une balise Argos et un suivi de trajectoire (Louis, tu gardes l’enregistrement de tous les positionnements, comme ça quand je serai vieux, je tracerai la route parcourue par notre voilier sur 3 planisphères, un pour chaque océan, cela me rappellera des tas de souvenirs, et je pourrai encore raconter mes guerres, à mes petits-enfants cette fois !), mais aussi parfois des photos numérisées…

En Décembre 1982, j’invite donc mon frère aîné à venir me rejoindre à Ziguinchor, en Casamance, il ne se fait pas prier, et, ensemble, nous traversons l’Atlantique vers le Brésil. Mon frère a pris ces photos à bord à cette occasion, et notre mère a longtemps gardé sur sa cheminée la photo de notre arrivée à Bahia.

(On voit bien sur ces images, entre autre à son regard parfaitement intelligent, et à sa tenue plus sérieuse, quoique l’allure générale soit en train de se dégrader après 3 semaines de mer, que mon frère est un brillant ingénieur Sup-Aéro, alors que le vent de la contestation de l’ordre des choses établies sans moi voire contre moi souffle dans la voilure de mon premier bateau, et sur mon visage de barbudo de l’océan…

Euh, c’est vrai que sur ces photos, j’ai plus de cheveux sur le crâne qu’aujourd’hui…)

Si je m’essaye à comparer les choses entre la navigation à voile en grande croisière à cette époque et celle d’aujourd’hui, 30 ans plus tard (ce premier Jangada a été construit entre 1976 et 1981) que me vient-il à l’esprit ?
• Mon premier bateau, qui était un monocoque alors que celui-çi est un catamaran, était 30% plus court que celui d’aujourd’hui, il déplaçait (conformément à la découverte d’Archimède, le poids du volume d’eau déplacé par la carène d’un bateau est égal au poids de ce bateau ! enfin, du moins tant que ce dernier accepte de flotter, sinon y a un souci, capelez les brassières ! c’est pour cela que l’on parle de déplacement, et non de poids, terme qui fait moins averti…) 30% de moins, portait 2 fois moins de voilure et marchait en moyenne et au minimum 2 fois moins vite dans toutes les conditions.
• Quant à la surface de pont, si je fais simple, elle était pour le premier de 10,00 x 3,40 = 34 m2, et pour celui-çi de 15,55 x 8,60 = 134 m2, soit près de 4 fois plus à l’avantage du catamaran !!!

Quand on vit à bord en famille avec des enfants…
• La puissance de son moteur, monocylindre horizontal (que je pouvais démarrer à la manivelle si besoin), était de 12 CV sur le premier contre 100 CV sur celui-çi (2 fois 50 CV, 1 moteur dans chaque coque)… et 200 litres de gas-oil, contre… 1400 litres !

• Il n’y avait pas d’enrouleur de voile d’avant à l’époque, on se coltinait donc la manipulation (fastidieuse, et souvent fatigante pour le solitaire) de voiles d’avant endraillées sur mousquetons, qu’il fallait tour à tour affaler, plier, ranger dans leur sac, sortir de leur sac, déplier et endrailler, en fonction de la force du vent : génois léger, génois lourd/yankee, foc de route, trinquette, tourmentin.
• Les pilotes automatiques électriques ou électro-hydrauliques pour voilier n’existaient pas en pratique non plus, ils en étaient à leurs balbutiements, et n’étaient pas fiables, alors qu’ils consommaient beaucoup. Le premier Jangada était donc équipé, sur son tableau arrière, de ce que l’on appelait un « régulateur d’allures » (le mien était un Atoms), un systéme entièrement mécanique qui comportait un aérien qui détectait la variation de cap du bateau par rapport à la direction du vent, et une pale immergée qui allait puiser dans l’eau, grâce à la vitesse du bateau, l’énergie nécessaire à la correction de l’angle de la barre franche au moyen de l’action sur celle-çi de deux drosses en textile, de façon à faire revenir le bateau à l’angle souhaité par rapport au vent. Il fallait de l’expérience pour optimiser le fonctionnement de cet appareil qui devait faire dans les 2 mètres de hauteur, et avait le poids d’un équipier. Mais quand on avait tout compris des humeurs de la bête, on l’appréciait à sa juste valeur, car il permettait de naviguer en solitaire, et donnait un bon coup de main aux équipages réduits.

Sur notre catamaran, nous avons un pilote automatique qui comporte une seule unité électronique, mais deux ensembles de puissance (un seul en fonctionnement) qui actionnent les bras de mèche des safrans.

Le premier est un vérin électrique, installé dans le coqueron arrière tribord, bien au sec : c’est celui que j’utilise, car sa consommation électrique est moindre que celle du deuxième, un vérin hydraulique installé dans le coqueron arrière babord, également bien au sec.

• Sur le plan de l’énergie de service, le premier Jangada se contentait d’un alternateur attelé au moteur, et d’une petite éolienne qui débitait à peu près que dalle…

La nuit, en guise de feux de navigation, j’allumai une petite lampe à pétrole, que je suspendais au-dessus du cockpit…

Le tout allait bien avec ma philosophie et surtout, ma situation matrimoniale du moment !

Notre catamaran, à côté, est une centrale EDF : 2 alternateurs attelés aux moteurs principaux, 6 panneaux solaires de 100 W chacun, un petit groupe électrogène mobile de 2000 W, et 2 onduleurs qui fournissent du 220 V alternatif à partir du 24 V continu pour recharger tous les petits appareils électriques et électroniques du bord .

• Pas de déssalinisateur ni de frigo sur le premier Jangada, alors que notre catamaran en est équipé. Mais pas d’emmerdements non plus, alors que, bref…

Pas de douche sur le premier Jangada (j’avais seulement une douche solaire de camping à suspendre), contre un vrai cabinet de toilette avec douche (et eau chaude lorsque le moteur babord a tourné dans les dernières 48 heures), et douchette sur la jupe arrière babord du catamaran.

Sans parler de la … machine à laver le linge (capacité 3 kgs), en 220V, démontée en pièces puis remontée dans le coqueron arrière babord (à cause de l’exiguïté du compartiment) de notre catamaran, machine avec laquelle Barbara entretient apparemment des relations quasi-mystiques (mais je la comprends !).

• Question appareillage de navigation, le premier Jangada avait un loch-enregistreur Shark Plastimo qui, tous les centièmes de mille, soit 18,52 mètres, émettait un petit « clac » mécanique dont la fréquence, à force, m’indiquait à l’oreille, au 10ème de nœud près, la vitesse du bateau, sans que j’ai besoin de regarder le cadran. Il avait également un sondeur Seafarer à éclats, et un radio-goniomètre d’utilité plus que limitée. Et comme le bateau était en acier, le compas magnétique de route indiquait parfois, malgré sa compensation, le cap à … 30° près, selon l’angle de gîte du bateau… !!! Pas de radar, pas de GPS. Le véritable instrument de navigation du bord, le seul qui soit précis, c’était mon sextant Freiberger Yacht (http://fr.wikipedia.org/wiki/Sextant ), associé à des tables de navigation classiques (Tables 900), et, éventuellement, à une machine à calculer. La vérité, c’est que, sortant d’une dizaine d’années de pratique professionnelle intensive de la navigation astronomique au sextant, j’apparaissais, modestement je vous assure, comme un gourou de cet art maritime par rapport à la plupart des autres navigateurs de rencontre, qui galéraient avec la trigonométrie sphérique. Il m’arrivait souvent, aux escales, d’avoir à partager ce savoir avec d’autres voyageurs. J’ai à peu près tout oublié aujourd’hui, mais à l’époque, la méridienne et la droite de hauteur de soleil étaient le B A BA ; le plus prisé, car il donnait une position précise en l’espace d’une vingtaine de minutes, était le point avec 3 étoiles au minimum. Lequel ne se pratiquait que peu avant le lever du soleil, ou peu après son coucher, car il fallait voir l’horizon avec netteté, en même temps que les 3 étoiles choisies, éventuellement à l’aide d’un star-finder. Je me rappelle avoir écrit, à l’époque, quelques articles sur le sujet dans un magazine nautique ; si certains veulent avoir une idée de ce que ce sujet pouvait donner, je les fais figurer en annexe çi-après, mais … bon courage !

Allez, une anecdote.

Savez-vous qu’à l’époque, j’avais toujours à bord avec moi, dans ma bibliothèque de navigation, un petit livret très bien fait : il avait pour titre « Le Guide des Etoiles », aux « Grandes Editions Françaises ». Je l’ai beaucoup utilisé pour me repérer dans les constellations du ciel. Mais savez-vous qui en était l’auteur ?

Un certain Capitaine de Vaisseau Pierre SIZAIRE, membre de l’Académie de Marine… !!!

Tiens tiens, Sizaire, connu ce nom-là, à La Rochelle ! Hein Béru, l’avocat fiscaliste préféré de nombre de chefs d’entreprises rochelais…

Hé oui, Pierre Sizaire, dont descend directement notre indispensable Béru ! Pierre Sizaire, qui a aussi écrit « Le Ciel et la Mer », illustré par le peintre de la Marine Marin-Marie, ou encore « Astronomie Nautique », cours de l’Ecole Navale, et « Les Termes de Marine » (merci Hubert, de me l’avoir offert), ou encore « Le Parler Matelot ». Une sommité en matière de nav, le Captain Sizaire.
Aujourd’hui, le positionnement GPS a remplacé la navigation au sextant, permettant à de nombreux voileux de s’éloigner des côtes, alors qu’ils étaient auparavant soit plus avertis en matière de navigation, soit plus aventuriers dans l’âme…

A bord de notre catamaran, j’ai 2 GPS fixes, et un GPS portable. Le GPS fixe principal est interfaçé avec à peu près tous les autres appareils de navigation du bord.
Je vais vous faire deux aveux, dont je ne suis pas spécialement fier, mais ils prouvent que les temps ont bien changé : le premier, c’est qu’en toute connaissance de cause, j’ai longtemps hésité à embarquer ou pas, pour ce voyage, mon sextant et mes tables de navigation, et, finalement, je ne l’ai pas fait (un sextant est relativement encombrant avec sa boîte en bois). J’ai jugé que c’était inutile. Le deuxième, c’est que depuis notre départ de La Rochelle, je n’ai jamais enlevé le capot de plastique qui recouvre le gros compas de route de la console de barre…

Pour autant, n’allez surtout pas croire que je suis un inconditionnel de la navigation électronique, pas du tout, je suis toujours très attentif à vérifier le cap du bateau, mais en prenant des repères naturels, sans avoir besoin de consulter un compas magnétique.
Notre catamaran est également équipé d’un petit radar, d’un récepteur AIS, et d’un récepteur Navtex, trois appareils que j’utilise peu., car je trouve leurs performances techniques limitées.

Par ailleurs, une centrale de navigation me donne en permanence plus d’infos qu’il ne m’en faut, comme par exemple la température de l’eau de mer, tiens 29,0°C à l’instant, alors que nous naviguons à 2 milles de la côte du Nordeste brésilien, dans 8 mètres d’eau., en route pour le petit port de Luis Correia.

Enfin, un logiciel de navigation Maxsea synthétise tous ce fatras moderne sur mon ordinateur, ce qui malgré tout contribue désormais à réduire l’aspect navigation à une activité secondaire en mer.
• Mais, avec la navigation, c’est peut-être encore en matière de télécommunications que la différence est la plus voyante entre les deux époques.

A bord du premier Jangada, les choses étaient simples : il n’y avait qu’une VHF fixe, point barre. Pour le reste, c’était courrier manuscrit en poste restante, ou bien téléphone international depuis la terre.

A côté, notre cata d’aujourd’hui fait figure de chalutier russe en mission d’espionnage du côté de la base américaine de Guantanamo…

VHF fixe, VHF portables, BLU Icom, téléphone par satellite Iridium. Et pour la messagerie e-mail au large, 2 logiciels, Sailmail avec la BLU (un système très peu onéreux génial, utilisant la BLU, mais aléatoire et qui demande du doigté), et Skyfile avec le téléphone par satellite (système payant, cher, mais rapide et très efficace).

Et, pour la sécurité radio, rien à bord du premier Jangada, mais 2 balises de détresse et une balise Argos à bord du catamaran.
Et pourtant, et pourtant, vous me croirez ou pas, toujours est-il que notre voilier d’aujourd’hui, s’il est, c’est clair, bien équipé, n’a aucun équipement technique vraiment superflu. Sa conception le maintient dans le registre des bateaux de grande croisière efficaces et sûrs, mais sans fioritures inutiles.

Aujourd’hui, de nombreux autres voiliers de voyage ont à bord de nombreux équipements supplémentaires, qui, à mon goût, contribuent plutôt à en faire des usines à gaz que de bons bateaux pour tailler la route et aller loin avec le minimum d’emmerdements.

Notre catamaran est un bon compromis, les fonctionnalités essentielles y sont techniquement correctement traitées, c’est très important.

Car il ne faut surtout pas oublier cet aspect des choses : la mer reste un milieu naturel particulièrement exigeant pour le matériel.

Et Barbara, qui voit le temps que je passe à faire marcher le bazar, l’outil souvent à la main, serait la première à vous dire que pour faire fonctionner, maintenir en bon état, et dépanner l’ensemble des appareillages techniques d’un voilier comme Jangada V, il faut déjà un certain bagage technique, faute de quoi votre joli voilier se trouve assez vite réduit à l’état de pirogue…

A titre d’exemple, quels sont les équipements qui nous ont causé des soucis techniques depuis le départ ? Réponse : les éléments de « confort », comme le déssalinisateur, le frigo, et … la machine à laver !

Le challenge, c’est bien de trouver le bon équilibre entre confort minimum suffisant pour naviguer longtemps en famille (cela, par ailleurs, ne suffit pas forcément à assurer le succès de cette difficile entreprise…), et réduction des emmerdements au minimum possible.
Olivier

Le premier Jangada au mouillage en Casamance, Décembre 1982.



Mon frère Louis et moi, lors de la traversée Casamance-Brésil, Décembre 1982.l


A cette époque, navigation au sextant et régulateur d'allure Atoms de rigueur...


Photo 4 sur 5 de 37 - ... et rédaction manuscrite d'un journal de bord.


Le 7 Janvier 1983, mon frère et moi, nous arrivons à Salvador de Bahia.