vendredi 12 février 2010

Billet N° 43 – Aux îles du Salut, en Guyane - par Adélie (avec Papa)

les Mercredi 3 et Jeudi 4 Février 2010


Cent ans de bagne… par Adélie (avec Papa)

Le Mercredi 3 Février, nous appareillons de Degrad des Cannes, et de sa rivière boueuse.

Le bateau garde les traces de son séjour en Amazonie française. Il est sale, la flottaison est marron, des algues et des coquillages se sont accrochés sur les carènes, la poussière amenée par les grains de pluie s’est déposée partout, et des micro-organismes ont noirci le pont. En Guyane, la nature est forte. Dans le long chenal de sortie, la mer est formée, les vagues déferlent. Nous passons entre le Père et la Mère, les îlots qui encadrent l’approche du port de Cayenne. Les fonds sont faibles, 5 à 6 mètres, et ils ne dépasseront pas 10 mètres jusqu’aux îles du Salut, à une trentaine de milles plus à l’ouest.

Il y a des grains, de la pluie, et du vent, et ça bouge…

Bienvenue au bagne… !!!

Un peu d’histoire…. (par Papa)

Les îles du Salut ont au nombre de trois : l’île Royale tout d’abord, 28 hectares (on en fait le tour en une heure par le sentier côtier), l’île Saint-Joseph ensuite, 20 ha, et l’île du Diable enfin, 14 ha. Les îles du Salut sont situées à 10 milles de la côte de la Guyane, juste en face de Kourou.

Nous avons fait une première visite de l’île Royale l’après-midi même de notre arrivée, puis le lendemain matin, nous en avons fait le tour par le sentier côtier, et le guide officiel de l’île nous a raconté en détails l’incroyable histoire du bagne.

En 1965, le CNES (Centre National d’Etudes Spatiales) en est devenu propriétaire, pour 1 franc symbolique. Les îles sont en effet situées sous la trajectoire des fusées lancées depuis le CSG, dont on aperçoit les tours de lancement depuis les îles. Une station de télémesure de la trajectoire des lanceurs est d’ailleurs installée sur l’île Royale ; elle a pris la place de l’ancien hôpital des bagnards, qui a été rasé…

Le nom des îles remonte à une expédition de 1763, sous Louis XV, dont l’objectif était de tenter un peuplement de la lointaine Guyane, qui, déjà, n’avait pas une très bonne réputation en métropole. Le nom de l’île Royale fut donné à l’île principale en l’honneur du Roi, celui de Saint-Joseph parce que c’était le protecteur sollicité pour l’expédition, et enfin le nom d’île du Diable fut donné à la moins accessible des 3 petites îles, couverte d’une épaisse végétation et bordée de roches noires volcanique battues par des flots inhospitaliers.

A cause de la mortalité extrêmement élevée, cette expédition fut un échec.

A partir de 1850, les trois bagnes maritimes métropolitains de Brest, Rochefort et Toulon sont pleins à craquer : 5500 bagnards s’y entassent.

Napoléon III, en 1852, accepte la solution que la Marine lui propose : vider les bagnes de métropole et envoyer le plus grand nombre possible de bagnards dans ce lointain territoire de Guyane, où sévissent des fièvres mortelles, et que personne ne parvient à exploiter.

Le 31 Mars 1852, la frégate « L’Allier » quitte la métropole avec 301 condamnés à la « transportation » et aux « travaux forçés ».

Après 40 jours de mer, elle arrive au mouillage de l’île Royale le 10 Mai suivant : c’est le début d’un siècle de bagne en Guyane.

Le bagne s’installe d’abord aux îles du Salut, puis à l’îlet La Mère, au large de Cayenne.

La corvée la plus dure pour les bagnards, c’est la « corvée de roche » : extraire, à la seule force des bras, la pierre qui sert à construire les nombreux bâtiments du bagne, et la route reliant Cayenne à Saint Laurent du Maroni.

Le taux de mortalité constaté chez les bagnards est immédiatement très élevé : entre 25 et 40% sur 5 ans.

15 000 bagnards vont mourir dans la construction de cette route…

En 1856, une partie du bagne est détachée à Saint Georges de l’Oyapock, à la frontière avec le Brésil. C’est le bagne forestier, plutôt pire que celui des îles, à cause des dangers de la forêt et des fièvres qui y sévissent.

Cinq ans après l’arrivée des premiers bagnards aux îles du Salut, la colonie pénitentiaire de saint Laurent du Maroni, sur le fleuve du même nom, est créée, et devient la « capitale »du bagne guyanais. Nous sommes en 1857.

Mais la mortalité des bagnards est tellement élevée en Guyane que l’on finit par s’en émouvoir en métropole, et dès 1864, un nouveau bagne est ouvert en Nouvelle-Calédonie, qui durera 35 ans.

A partir de 1891, l’activisme de ceux qu’on appellera les « anarchistes » (prisonniers politiques) conduit à la création de quartiers disciplinaires sur l’île Saint-Joseph : 4 blocs de 30 cachots y sont installés.

Ils avaient mauvaise réputation.

Pendant toutes ces années, de 550 à 600 bagnards séjourneront en permanence sur les îles du Salut.

Au total, la Guyane sera peuplée, pendant la période du bagne, de 5500 à 6000 bagnards.

De 1895 à 1899, Alfred Dreyfus, injustement condamné, séjournera aux îles, reclus sur l’île du Diable, avec d’autres prisonniers politiques, pendant 4 ans et 4 mois.

En 1930, à l’époque de l’Indochine française, le bagne annamite de Poulo Condor est surpeuplé. Un navire dépêché par le gouvernement ramènera depuis la province d’Annam vers la Guyane une pleine cargaison de bagnards indochinois, à l’origine d’une grande partie de la population asiatique de Guyane.

En 1931, un proxénète d’origine ardéchoise, Henri Charrière, qui a « ses affaires » à Paris, tue un autre proxénète : sombre histoire de règlement de comptes. Il est condamné par la suite à la réclusion à perpétuité et se retrouve dans une section forestière du bagne, proche de Cayenne. Il réussit à s’en échapper avec une pirogue à voile, en 1944, et gagne la Guyana britannique. L’histoire, très romancée, de Papillon, est née.

En 1938, la loi du 22 Juin, votée par l’Assemblée, met fin à la « transportation ». Les 600 derniers bagnards précédemment condamnés quittent le pénitencier de Saint Martin de Ré le 27 Novembre 1938, à destination de la Guyane. Ce sera le dernier convoi.

Mais l’une des périodes les plus dures qu’ait eu à affronter les bagnards fut celle de la deuxième guerre mondiale. Les restrictions budgétaires, la pénurie de denrées alimentaires, l’absence de médicaments a fait grimper en flèche la mortalité des bagnards.

De 3000 en 1939, ils ne sont plus que 1000 en 1945…

Certains ont mis à profit les troubles de la guerre pour s’évader. Mais beaucoup n’ont pas survécu aux maladies non traitées.

En 1945, le monde découvre l’existence des camps de concentration nazis. L’opinion publique, en France, n’est pas très fière de son bagne, même si les raisons de l’enfermement et les conditions de détention ne sont évidemment pas les mêmes. Elle ne veut plus entendre parler du bagne guyanais, de sinistre réputation.

Fin 1946, l’Assemblée vote la fin des « travaux forçés », et en 1948, la fermeture du bagne. Les installations des îles du Salut sont abandonnées, puis pillées.

Le bagne fermera définitivement en 1953, à Saint Laurent du Maroni.

Les îles retournent alors à leurs cocotiers et à leurs fougères, jusqu’à ce que le CNES en hérite, et les réhabilite, à partir de 1965 donc. Ses efforts se concentrent sur l’île Royale, Saint-Joseph a été confiée à la Légion Etrangère, et l’île du Diable, à … elle-même.

Au total, entre le premier convoi de 1852 et le dernier, celui de 1938, plus de 52 000 bagnards auront connu la transportation et les travaux forcés en Guyane.

Mon escale aux îles du Salut, à travers 28 photos… (par Adélie)

• Photo 1 : Nous avons mouillé à l’île St Joseph à côté du carbet des légionnaires.

• Photo 2 : On suppliait Papa de nous déposer sur le coffre mais quand il a fallu rentrer à la nage et que Papa disait qu’il y avait « quelques petits requins inoffensifs », on a moins rigolé…
Sur un coffre, à l'île Saint-Joseph. Papa nous criait faites les pingouins!

• Photo 3 : Petite ballade autour de l’île Royale et vue sur l’île du Diable.

• Photo 4 : Ce grand bâtiment était l’hôpital des surveillants des bagnards. Le toit, détruit récemment par une tornade, a été reconstruit par le CNES.

• Photo 5 : Tous les bagnards allaient à la messe le dimanche après s’être lavés et s’être habillés correctement. Elle a été décorée par un bagnard, George Lagrange, qui représentait les têtes des autres bagnards a la place de celles des anges.

• Photo 6 : La maison des Sœurs en ruines. C’était aussi l’hôpital des femmes.
Ce qui reste de la maison des Soeurs, 60 ans après la fermeture du bagne.

• Photo 7 : Le phare de l’île Royale à côté de l’hôpital des surveillants.

• Photo 8 : Maman, Marin et moi devant l’hôpital des surveillants.

• Photo 9 : Cachot ouvert dans le quartier de la réclusion.

• Photo 10 : Cellules individuelles dans le quartier de la réclusion.
Le quartier de la réclusion, à Royale.

• Photo 11 : Bagnard très recherché et très méchant !!!
La porte de cachot reconstituée pour le film Papillon, à Royale.

• Photo 12 : Emplacement de la guillotine des bagnards au milieu du quartier de la réclusion.
Les plots de support de la guillotine, dans le quartier des condamnés, sur l'île Royale.

• Photo 13 : L’île du Diable inaccessible et à l’état sauvage.
L'île du Diable, difficile d'accès, est retournée à sa solitude.

• Photo 14 : Un iguane bronze tranquillement au soleil…
D'étranges animaux habitent les îles du Salut!

• Photo 15 : Il vaudrait mieux s’en aller, il n’a pas l’air commode celui-là…

• Photo 16 : Un mélange de marmotte et de gros rat… Les îles pullulent d’ agoutis qui aiment les noix de cocos (voir photo17).
... des agoutis, qui savent...

• Photo 17 : Un trou d’agouti dans une noix de coco.
... découper les noix de coco nickel chrome!

• Photo18 : Pendant la visite d’une des nombreuses cellules, deux petits singes sont venus nous rendre visite.
... des singes...

• Photo 19 : Ce perroquet dit « ara » a attaqué Papa pendant qu’il essayait de le photographier !!!
...des aras d'Amazonie, et aussi des rats!

• Photo 20 : Après être tombées, les noix de coco prennent racine dans la terre pour donner vie à de nouveaux cocotiers !
Les cocotiers ont envahi les îles, depuis la fermeture du bagne.

• Photo 21 : Voici le carbet de la Légion à l’île St Joseph.
Le carbet de la Légion Etrangère, sur l'île Saint-Joseph.

• Photo 22 : Le chemin pavé de l’île St Joseph.
Le chemin du plateau, à Saint-Joseph.

• Photo 23 : Les ruines du bagne de St Joseph où était enfermés les « très très méchants ».
Ruines du bagne à Saint-Joseph.

• Photo 24 : Le « dortoir » des bagnards se fait envahir par la végétation. Ils accrochaient leurs hamacs au crochets de fer sur les cotés.
La nature reprend progressivement ses droits, à Saint-Joseph.

• Photo 25 : Le cimetière des surveillants et leurs familles sur l’île St Joseph. Beaucoup sont des enfants.
Le cimetière de l'île Saint-Joseph.

• Photo 26 : La petite plage de St Joseph.
La jolie petite plage de Saint-Joseph.

• Photo 27 : Un bagnard essaie d’attraper des noix de cocos et vous montre très fièrement qu’il a réussi à enlever ses menottes.
Marin apprend à grimper au cocotier!

• Photo 28 : Un autre bagnard hisse le drapeau de la liberté !!!
Le bagne n'existe plus, vive la liberté!