samedi 27 février 2010

Billet N°45-Carnaval à Port of Spain (Trinidad)par Olivier

15 et 16 février 2010


Mais où sont donc passés les steel-bands ?

Nous quittons le joli mouillage de Crown Point à Tobago en début de nuit, le Samedi 13 Février, cap sur Trinidad. Le courant et le vent nous portent vers le sud-ouest sur les 60 milles de ce parcours tranquille, sous un ciel magnifiquement étoilé.

Au petit matin, nous nous engageons dans la Boca de Monos, la passe étroite la plus orientale des Bouches du Dragon, par lesquelles le Golfe de Paria communique, au nord, avec la Mer des Caraïbes.

Sur le canal 72 de la VHF, nous sommes attendus, pas moins de 4 voiliers connus sont à l’écoute, chacun avec un couple et 2 enfants ! Le programme de la journée s’en trouve immédiatement modifié, mouillage à l’île de Chacachacare, à quelques lieues marines de la baie de Chaguaramas, notre destination.

5 voiliers au mouillage, 5 couples et 10 enfants (et Yaya, personnage clef de Trinidad), tous en voyage, 3 pour une année autour de l’Atlantique, un quatrième pour un vagabondage dans l’est-Pacifique, et le dernier…, pour un tour du monde, si Dieu le veut !

Tant de choses peuvent arriver en chemin.

Le soir, nous gagnons le mouillage de la baie de Chaguaramas, la zone des chantiers navals de Port of Spain, la capitale de l’île et du petit état de Trinidad (et Tobago).

Le chantier Peake Yacht Services nous a confirmé par e-mail la sortie d’eau de Jangada dans son travelift de 150 tonnes pour le Mercredi 17 à 09H00.

Lendemain de Carnaval… Pourvu que tout le staff du chantier ait retrouvé ses esprits…

Pour l’heure, la fièvre monte dans la ville, à une dizaine de kilomètres plus à l’est, le battement rythmé des basses émises par des sonos monstrueuses nous parvient jusqu’au mouillage, porté par l’alizé.

Nous sommes à Trinidad pour le Carnaval !

Autant vous le dire tout de suite : n’achetez pas un billet d’avion pour venir au Carnaval de Trinidad. Il n’en vaut plus la peine. Même s’il reste le plus grand carnaval des Antilles.

« A huge, joyful, carefree celebration » disent les jounaux de Port of Spain, où tout s’arrête de fonctionner pendant 5 jours, minimum.

Désolé de revenir trente années en arrière : j’ai eu la chance d’y participer, en 1981. C’était alors, probablement, le plus grand show du monde !

Passé à Brest dire bonjour à Michel Jaouen (le bon Père) de retour d’un convoyage aux Iles du Cap Vert, je me retrouve, sans l’avoir imaginé une seconde, à bord du trois-mâts Bel-Espoir II, 10 jours plus tard, et 3 ans après y avoir effectué mon service militaire, à rempiler pour une traversée de l’Atlantique, comme Capitaine.

Ce qui m’a conduit, après 4 semaines de mer, au Carnaval de Trinidad !

A l’époque, je vous le dis, le Carnaval était grandiose. Un prodigieux délire humain.

Quelque chose comme 160 00 participants qui, pendant 5 jours, jouaient un hymne débridé à la couleur, à la musique, à l’érotisme et à l’imagination.

Mais Trinidad a bien changé depuis qu’on y exploite le pétrole off-shore, aux portes du Venezuela, le grand voisin, également gros producteur.

Et les sonos surpuissantes montées sur des gros camions (une technique copiée sur celle des « trios electricos » des carnavals brésiliens) ont remplacé les « steel bands » qui jouaient, avec des centaines de musiciens à pied, des calypsos endiablés…

Pour tout vous dire, les « steel pans », les fameux drums (fûts de pétrole de 200 litres, retaillés et accordés) de Trinidad, sont même devenus rares au Carnaval …de Trinidad !!!

Tout fout le camp!

Ces culs de fûts métalliques, façonnés par de vrais musiciens-métallos, orfèvres de l’accord à la soudure, avaient créé la musique originale de Trinidad, le calypso joué par les steel-bands sur des steel-pans.

Les pauvres, à la peau de préférence noire, après l’ère de l’esclavage dans les plantations sucrières, et avant celle du pétrole, avaient inventé une autre façon de vivre la musique, avec des instruments moins chers que les instruments conventionnels.

Michel Jaouen, jésuite de son état, pragmatique de tempérament, et dont je connaissais bien l’appréciation du Carnaval, disait à peu près ceci :

« Le grand danger qui menace un carnaval, c’est l’amélioration du niveau de vie. Le carnaval de Caracas s’est effiloché à cause du pétrole. Maintenant, les vénézuéliens viennent ici. Ceux de Rio ou de Salvador ne tiennent vraiment que par les favelas et les quartiers pauvres de ces cités. Le carnaval a toujours été le défoulement majeur qui permet de supporter les misères quotidiennes. Pendant quelques jours, c’est l’oubli. Ni riche, ni pauvre, ni cocu, ni malade, ni chômeur. Play mass ! Nous sommes tous des dieux ! »

Je partage globalement son avis.

Mais, biensûr, on ne va pas reprocher aux habitants de Port of Spain d’avoir vu leur niveau de vie augmenter sensiblement avec la manne du pétrole et l’activité des chantiers navals…

On ne va pas leur recommander de rester pauvres pour nous offrir un beau carnaval !

Il n’empêche, les deux conséquences les plus voyantes dans les rues de la ville pendant le Carnaval sont le nombre de gros 4x4 rutilants, et la quasi disparition des steel-bands à pied, remplacés par ces gros trucks sponsorisés qui ont à bord des milliers de watts de puissance sonore, et quelques synthétiseurs…sans oublier deux ou trois donzelles largement dénudées, animées d’ondulations plutôt lascives.

Plus riches, les citoyens de Trinidad ont viré les steel-bands et les drums au profit des groupes électrogènes et des synthés. Et le Carnaval a tendance à tourner à la beuverie sexy, plutôt disco.

Pas de doute, il a beaucoup perdu de son attrait.

J’ai acquis la conviction au fil du temps que plus on est riche, moins on sait faire la fête…

Le Carnaval dure cinq jours.

Dès le « vendredi gras » c’est l’élection des « King and Queen of the Bands ».

Le « samedi gras », c’est « Panorama », le carnaval des enfants. La rue est à eux, à leurs écoles, et à leurs associations sportives.

Le « dimanche gras », c’est le « all mass », carnaval de rue, populaire, informel, bruyant. Les vrais costumes du Carnaval sont encore au secret. Mais les décibels font des petits avec les watts. Le maître-mot, c’est « jump », danser.

Pas compliqué a priori, mais là encore, il semble que plus on a la peau noire, mieux on sait danser, au moins sur ces rythmes-là.

Les deux vrais jours du « Carnival » (Trinidad et Tobago a surtout connu la colonisation anglaise, mais Tobago a eu aussi une période française), ceux sont le lundi et le mardi.

Le lundi, c’est « J’ouvert », en français, l’ouverture officielle. La fête continue, et le spectacle, entendez costumé, commence.

Et le mardi, c’est le d-day du Carnaval, the « Parade of the Bands », le défilé officiel des bands.

Le jour le plus coloré, le plus intense, le plus sonore.

Au Carnaval de Trinidad, à peu près tout est permis, mais malgré tout là encore, moins qu’auparavant.

Couleurs, imagination, fantasmagorie, paillettes, plumes, masques, petites culottes, et pas mal d’érotisme.

La mémoire de Bob Marley est très présente dans les couches populaires, davantage par les idéaux qu’il véhiculait que par son reggae, puisque Trinidad a sa propre musique, le calypso. Les dreadlocks fleurissent sous les bonnets de laine rouge vert et jaune des rastas.

L’alcool coule à flot, bières Carib ou Stag, rhum blanc ou vieux de toutes les Antilles, whisky et vodka. Les caniveaux sont jonchés de canettes, de bouteilles, et les trottoirs de fêtards dont on ne sait pas très bien s’ils sont morts ou vivants. Mais de toute façon saouls.

La ganja (la marijuana) embaume les rues de Port of Spain pendant ces jours très permissifs.

L’exutoire est en place.

Mais la police est très présente.

Car le Carnaval a toujours été, aussi, le théâtre d’une certaine violence : règlement de comptes (à la machette, ou par balles, les deux méthodes sont prisées ici), vols, viols.

Il n’y a pas que des anges derrière les arbres de Queen Savannah Park.

Pour temporiser les excès, les moyens sont variés : cela va de la police montée (à cheval), matraque à la main, jusqu’au dirigeable ultra-moderne, qui plane majestueusement au-dessus de la ville pendant toute la durée du Carnaval, et dont la nacelle climatisée est bourrée, paraît-il, de caméras.

Pour notre part, nous irons au Carnaval les lundi et mardi, avec les enfants, en restant en groupe, et en rentrant avant la nuit.

Marin et Adélie découvrent, prudemment au début, ce grand défoulement collectif. Je leur recommande de se boucher les oreilles devant l’empilement des enceintes qui débitent des centaines de décibels, à vous faire exploser les tympans.

Adélie observe avec envie les costumes à paillettes multicolores, et se met à ramasser de çi de là de quoi se faire sa propre parure de carnaval. Elle y arrivera ! Marin regarde avec étonnement toutes ces filles légèrement vêtues dont la vertu, pendant le Carnaval, ne semble pas être le premier objectif…

Ce qui les étonne le plus, ce sont les camions-toilettes, intercalés avec les trucks des sonos, des semi-remorques qui avancent au pas, comme tout le carnaval, et qui sont chargés d’une vingtaine de cabines WC, libres d’accès.

Une banderole résume la situation : « organised confusion ».

Allez, je vous joins mes meilleures images du Carnaval 2010 à Trinidad !

Olivier
L'un des derniers steel-bands traditionnels du Carnaval de Port of Spain.

Les pans, les drums musicaux de Trinidad.

Carib, notre bière préférée à Trinidad!

Beauté locale...

Autre beauté locale...

Et une autre beauté locale...

D'autres beautés locales...

Beauté locale fraîche et en forme...

Beauté locale fatiguée, mais touchante...

Joli sourire de Trinidad

Adélie et ses petites amies, Océanie et Julie.

A quoi peux bien penser...

...une petite fille de 11 ans au Carnaval de Trinidad