dimanche 24 avril 2011

Billet N°101 -De l’apprentissage du commerce international à la micro-entreprise prospère…

Jeudi 31 Mars 2011


Par Olivier

Evidemment, je souhaitais que ce soit nos ados eux-mêmes qui vous racontent leurs deux premières expériences de business international !

Mais rien à faire, c’est encore moi qui m’y colle…

Petit retour en arrière.

En voyage, il est facile de saisir les opportunités d’éveiller l’intérêt des enfants pour les choses nouvelles. Les occasions ne manquent pas. Un soir, fin Mars, nous sommes à l’ancre dans la rivière de Kerikeri, au fond de la Baie des Iles, en Nouvelle-Zélande. Alternativement, le courant de marée tire la chaîne de mouillage de Jangada vers l’amont, puis vers l’aval. En pleine nuit, je suis réveillé par des petits chocs étranges contre les coques. Au fil du temps, depuis notre départ, j’ai inconsciemment développé, comme tous les skippers au long cours, une perception assez sensible à toute la gamme des sons du bateau et de son environnement. L’organisme humain, revenu à un état plus proche de la nature que celui qu’il connaît d’habitude, s’adapte merveilleusement vite. Un son inconnu, une sonorité anormale, me réveillent rapidement au fond de ma bannette.

Des Maoris cannibales ? Non, en principe, il n’y en a plus.

Je finis par découvrir, à la lueur de ma lampe frontale, un kayak jaune, très sale, recouvert de branches, rempli d’eau et de feuilles mortes, que le courant a placé en travers de l’étrave tribord et de la patte d’oie de mouillage. Je m’aperçois que son petit bout d’amarrage en polypropylène bleu, usé et brûlé par le soleil, a certainement ragué longtemps avant de finir par se rompre.

Je l’amarre à l’arrière de Jangada et vais me recoucher…

Le lendemain matin, Marin est le premier à se lever. Un peu inquiet, il vient me voir et me dit :

- Papa, il doit y avoir quelqu’un à bord, il y a un kayak amarré à l’arrière !

Je lui explique l’aventure de la nuit, et je vois un large sourire se dessiner sur son visage…

Au petit-déjeuner cependant, j’explique aux enfants que le kayak, sans doute délaissé depuis un bon moment par son propriétaire, a fini par rompre son amarre, et que ce cadeau du ciel n’en sera vraiment un qu’après une période de latence disons de 24 heures, pendant laquelle nous allons laisser notre trouvaille ostensiblement amarrée à l’arrière de Jangada, pour donner une chance à l’infortuné propriétaire de retrouver son bien. Après quoi, si personne ne s’est manifesté, on pourra considérer que le butin a changé de mains !

Le lendemain matin, les enfants foncent sur la plage la plus proche et procèdent à un grand nettoyage de l’engin, qui retrouve de sa superbe. C’est un très bon kayak Viking, à 2 places, très stable, et dans un premier temps, les enfants veulent absolument le garder, ce qui ne fait pas mes affaires… Car il est volumineux, et relativement lourd. Nous faisons un essai de mise à poste sur les bossoirs ; mais l’engin nous cache toute la vue à l’arrière. Or il est bien évident que la vue imprenable sur la mer, pendant ce voyage, constitue un élément essentiel de notre standing ! Nouvel essai sur le passavant central rigide, entre les trampolines, mais on ne voit plus la chaîne et l’ancre remonter dans le davier. Non, c’est non, on n’embarquera pas ce kayak, décidément trop encombrant. Et puis nous en avons déjà un, qui avait été choisi avec soin avant le départ pour son poids acceptable et sa compacité. Moment de déception chez nos ados…

J’indique alors aux enfants que le kayak leur appartient, et que s’ils réussissent à le vendre avant notre départ, ils se partageront alors l’argent de la vente à parts égales.

Ca les branche bien. Marin et Adélie retrouvent le sourire…

Et c’est ainsi que nos deux lascars vont effectuer leurs premiers pas dans le business international !

De retour au mouillage d’Opua, les enfants me demandent :

- Mais Papa, combien on peut vendre le kayak ?

- Ecoutez, il ne nous a pas coûté cher. D’une part il faut dire clairement à l’acheteur potentiel dans quelles circonstances nous l’avons trouvé, d’autre part le prix que vous allez en demander ne doit correspondre en rien à la valeur réelle du kayak, tout le monde doit faire une bonne affaire en quelque sorte, OK ? En plus, il n’a pas de pagaie. Moi, je vous conseille de le proposer à 100 NZ$, et si nécessaire, de le laisser partir à 90.

- Ouaah, tu te rends compte Marin, ça nous ferait 50 dollars chacun ! (27 euros environ). On va être « pétés de tunes » !

Dès le CNED terminé, les enfants avalent un déjeuner rapide, re-nettoient le kayak jaune, embarquent à bord de l’engin, et les voilà partis sillonner le plan d’eau d’Opua à la recherche d’un acheteur. Avec Barbara, nous observons à la jumelle les négociations qui se déroulent en anglais bien sûr, de bateau en bateau au mouillage. Nous redoutons un échec qui pourrait briser une vocation future, qui sait ? Mais le prix fixé volontairement très bas a tenu compte de cet objectif.

Une demi-heure plus tard, les enfants reviennent, enthousiastes et ravis.

- Papa, Maman, ca y est, on a vendu le kayak, il faut qu’on aille le livrer !

- Ah bon, super, mais à qui ?

- A un anglais de Manchester, là-bas, sur le monocoque blanc ! Il cherchait un kayak sur Trade Me (le principal site web kiwi de ventes privées) depuis ce matin !

- Ah bon, alors il est content ?

- Oui, il l’a bien regardé, on lui a expliqué comment on l’avait trouvé, et on l’a vendu 90 dollars ! Maintenant, il faut qu’on aille lui livrer avec l’annexe !

Un dernier coup d’éponge sur le kayak, et voilà Marin et Adélie partis avec l’annexe et l’engin en remorque. Opération livraison/ paiement.

Nous les voyons revenir hilares, livraison sans histoire, paiement cash. Ils exhibent les billets, ils sont heureux, et pensent déjà à ce qu’ils vont pouvoir s’acheter au general store.

- Papa et Maman, on est pétés de tunes !

- C’est bien les enfants, vous vous êtes bien débrouillés !

Mais le business ne va pas s’arrêter là.

Au mouillage de Kerikeri, le catamaran de Michel, Color Azul, était mouillé non loin de nous. Nous avons été chercher des coquillages ensemble, et le soir, Carmen, la vénézuelienne shangaïée par le skipper, apprend à Adélie et Marin à faire des bracelets. Elle leur a fait cadeau d’un peu de matériel, fils, perles et autres, et avec celui trouvé à bord, l’idée leur vient à l’esprit d’en fabriquer quelques uns et d’essayer de les vendre à Opua, à l’embarcadère du ferry de Russell.

Une tentative est faite l’après-midi même de la vente du kayak, et elle a bien marché ! Les 5 bracelets fabriqués ont tous été vendus, 4 dollars les petits, 5 dollars les grands.

En fin d’après-midi, les apprentis business man & woman sont à la tête d’un petit magot de 113 dollars !

Ils sont aux anges (un poil mercantiles, les anges), et décident dans la foulée de créer une micro-entreprise de business international. Barbara et moi sommes bombardés de questions, les idées fusent de toutes parts, il faut canaliser l’énergie.

- Papa, dis-donc, je pourrais peut-être vivre comme ça non, plus tard, quand je serai grande, on gagne pas mal d’argent, t’as vu ? me dit Adélie.

- Bien sur ma chérie, ce serait peut-être faisable, mais bon, tu ne vas peut-être pas fabriquer des bracelets et les vendre toute ta vie sur les quais. C’est bien pour te faire un peu d’argent de poche. Mais pour ton métier, plus tard, disons qu’on rêve de mieux pour toi, tu comprends ?

Je sens ma fille un peu déçue… En attendant, je propose mes services comme conseil juridique et fiscal, ce qui est accepté, jusqu’à un certain point cependant.

Je propose comme dénomination sociale de la micro-entreprise l’appellation « Pétés de Tunes Overseas Unlimited ». Objet social (à chaque fois, j’explique) très large. Et en principe licite. Accepté. D’emblée, j’indique aux enfants que les choses qui marchent et celles qui durent sont, quand c’est possible, les choses simples. Associés et co-gérants non salariés à parts égales tous les deux, partage (immédiat) des bénéfices à 50/50 après « Prélèvement de la réserve pour investissements et ré-assort », arbitrage par Papa ou Maman en cas de difficulté. Accepté. Je propose aussi de baptiser l’atelier du cockpit (atelier clandestin où ne travaillent que des enfants mineurs…) « Cash Machine ». Accepté.

Barbara suggère de tenir une petite comptabilité écrite, ce qui semble indispensable aux deux associés. Adopté à l’unanimité. La tenue en sera assurée par Adélie, Maman lui fait le canevas sur une feuille. J’interviens pour tenter de faire ajouter une colonne « Participation aux dépenses d’essence de l’annexe», mais je me fais renvoyer une première fois derrière ma ligne des 22 mètres. Du coup, je pars en live, je propose une colonne « TVA », une colonne « IS prélevé à la source », une colonne « Dotation aux amortissements », et en dernier ressort, j’essaie de sauver la mise avec une colonne « Rémunération et gratifications diverses du Conseil », mais les deux associés/ co-gérants cette fois me désapprouvent totalement, et je suis réduit momentanément au silence.

J’insiste néanmoins sur la nécessité absolue de prélever un pourcentage du chiffre d’affaire journalier pour le financement des investissements de ré-assortiment en petit matériel, essentiellement des fils colorés et des perles en bois peintes ou en plastique fluo. J’obtiens satisfaction. Cependant, la compta prendra finalement un trajet un poil plus nébuleux.

Ainsi, sur le livre des comptes, à la date du Mercredi 30 Mars, je lis :

CA = 76,80 NZ$ Investissements = 20,40 NZ$

Dépenses = 5,00 NZ$ Argent restant = 71,80 -20,40 = 51,40 NZ$

Bénéfice = 71,80 NZ$

soit pour Marin 25,70 NZ$ et pour Adélie 25,70 NZ$

Le 29 Mars, le CA était de 26,50 NZ$, le 31 Mars de 33,20 NZ$, le 1er Avril de 10 NZ$ et le 3 Avril de 15 NZ$.

La fabrication des bracelets avait lieu en général en début d’après-midi. Puis la commercialisation prenait aussitôt le relais. Nous voyions ainsi partir vers la marina d’Opua nos deux apprentis vendeurs de terrain, des dollars plein la tête. Ils se dirigeaient illico vers les files d’attente piétons ou voitures du ferry de Russell, juste devant le general store, s’assurant ainsi, auprès des touristes momentanément désoeuvrés et donc disponibles, un accès facile aux clients potentiels.

La répartition des tâches se faisait naturellement en fonction du tempérament de chacun. Adélie, qui n’a pas froid aux yeux, attaquait la conversation en anglais bien sûr, de préférence avec les grand-mères qu’elle avait identifiées comme le meilleur filon. Je corrigeais le tir en lui parlant de « segment de marché ». Marin, davantage en retrait, assurait l’intendance et la sécurité. Ils avaient tous deux été briefés par la patrouille (parentale) pour ressembler le moins possible à ces gamins des rues, souvent tenus par quelque mafia yougoslave, qui vous nettoient vite fait mal fait votre pare-brise au feu rouge.

Mais là, Barbara et moi nous disions, pour nous rassurer, qu’avec des enfants aussi charmants, le risque de la comparaison était vraiment minime !

- Would you like a bracelet ? demandait Adélie avec son plus joli sourire…

S’ensuivait une rapide discussion, où Marin intervenait plus techniquement, éventuellement une séquence choix du client, suivie alors d’un paiement cash sonnant et trébuchant.

Et ça ne marchait pas trop mal. Dès qu’un minimum de CA avait été réalisé, les deux associés envisageaient assez rapidement une petite réjouissance, qui s’inscrirait le soir à la rubrique « Dépenses » de la compta. En général, il s’agissait d’une glace, d’un soda ou de smarties…

Plus tard dans l’après-midi, nos deux ados rentraient à bord, et il suffisait de regarder leur mine pour avoir une idée assez précise du chiffre d’affaires réalisé.

Un dernier voyage en voiture à Whangarei permit à Adélie d’acquérir le nouveau matériel nécessaire à la confection des bracelets. Elle s’était munie des 35 NZ$ qui correspondaient à la « Réserve pour investissements et ré-assort », et elle passa une heure à choisir les éléments les mieux adaptés au business de la petite entreprise, le tout pour exactement 35 NZ$.



Le plus beau coup qu’ils aient réussi eût lieu en deux temps, lors d’une vente dite « flottante », une tournée de démarchage commercial effectuée en annexe sur la zone de mouillage.

A bord d’un voilier de location se trouvait un certain Mike, un australien, quittant le bord le lendemain matin. Les bracelets lui plaisaient, mais il avait une idée précise de la couleur souhaitée pour le sien. Il fallait que le bracelet soit noir, tout noir. Il passa commande, une commande assortie de conditions.

Ce fut la première commande enregistrée par la société « Pétés de Tunes Overseas Unlimited ». Une commande à 5 NZ$. Il fallait que le bracelet soit livré avant 07H30 le lendemain matin, dans la jupe arrière de son bateau, parce qu’à 08H00, il quitterait le bord pour rejoindre Auckland et y prendre son avion pour l’Australie… Si les deux associés étaient capables de relever le challenge, il laisserait l’argent dans la jupe. Après une brève concertation entre co-gérants, le challenge fut relevé par les enfants, et Mike remercia d’avance les deux compères.

L’atelier « Cash Machine » fut exceptionnellement rouvert dans la soirée, le travail artisanal reprit, et quinze minutes plus tard, le bracelet noir était prêt. Il fut livré en annexe le soir même, et déposé avec un petit mot rédigé en anglais, dans la jupe du bateau de Mike, qui n’était pas là.

Le lendemain, vers 07H30, les deux associés, n’y tenant plus, retournèrent à son bateau.

L’équipage était parti, le bateau était fermé, mais un élégant petit sac de papier vert avait été déposé dans la jupe.

Dedans, il y avait non pas un billet de 5 NZ$, mais deux. Et aussi une tablette de chocolat.

Sur le petit sac, Mike avait écrit :

«Dear two children

Thank you for making my bracelet, it is perfect. Here is 10 NZ$.

5$ what you asked, and extra for the rushed job and delivery.

Mike, from Australia”

La journée commençait bien!

Olivier
Photo 2 - Une nuit, au mouillage de Kerikeri, un kayak abandonné, à la dérive, se met en travers des étraves. Il est top!
Photo 2 - Après un long nettoyage, l'engin est prêt à la vente, encore faut-il trouver le client! Allez, on part chercher!
Photo 3 - L'affaire est faite, la livraison effectuée, nos ados reviennent... pétés de tunes hors-taxes en dollars NZ!!!

Photo 4 - Ce joli sourire appartient à Carmen, la vénézuelienne, qui a tout appris de la fabrication des bracelets à nos deux apprentis pétés de tunes!

Photo 5 - Au travail dans Cash Machine, l'atelier de la micro-entreprise prospère... On ne devient pas pétés de tunes comme ça!

Photo 6 - Aprés le réassortiment à Whangarei, la micro-entreprise monte en gamme, les prix grimpent! Un classique...

Photo 7 - Le produit fini, après passage au contrôle qualité...

Photo 8 - Sans doute le meilleur moment dans la vie des pétés de tunes, celui où l'on compte les biffetons!
Photo 9 - Ouais, mais c'est pas tout ça, le soir, il faut faire la compta de la micro-entreprise prospère...