samedi 4 juin 2011

MESSAGE N°4 – TRAVERSEE de la MER de CORAIL

Samedi 4 Juin 2011
Distance parcourue : 604 milles
Distance à l’arrivée : 246 milles



Conformément au fichier de vent reçu à bord via Sailmail, l’alizé revenu a adonné en venant sur l’arrière. Nous sommes progressivement depuis hier passés d’un vent apparent par le travers bâbord, au largue puis au grand largue bâbord amures. En fin de matinée, nous avons même fait passer le solent en ciseau, son point d’écoute étant alors immobilisé par 3 cordages différents. La mer commence à ressembler à une mer d’alizé, avec de plus en plus de zones de bleu dans le ciel jusqu’alors chargé. Le bateau glisse sur l’eau à grandes enjambées, sans effort, juste poussé par le vent. A chaque houle, le pilote corrige la trajectoire d’un discret, invisible, et silencieux petit coup de vérin électrique. Cette nuit, vers 02H00 du matin, une surprise de taille est venue mettre une animation inhabituelle sur le pont de Jangada à cette heure. J’ai été réveillé entre deux rondes de veille par une chute sensible de la vitesse. Les deux seuls instruments de la table à cartes qui distillent une faible lumière la nuit sont le GPS, dont l’afficheur me donne en permanence 4 informations précieuses (la route fond à suivre pour rejoindre le waypoint choisi, la route fond effectivement suivie - indication qui me permet d’effectuer sur le clavier du pilote de petites corrections au degré près plusieurs fois par jour-, la distance restant à parcourir jusqu’au waypoint choisi, et la vitesse sur le fond (speed over ground) instantanée) ; le deuxième cadran étant le répétiteur de la centrale de navigation, qui est en général positionné sur la force du vent apparent (apparent wind speed) que reçoit le bateau, lequel est la combinaison du vent réel qui souffle sur le plan d’eau et du vent de vitesse généré par l’avancement de celui-çi. Or, cette nuit, je suis bel et bien réveillé par une baisse de régime du catamaran. Un coup d’œil au cadran du GPS me donne une vitesse de 4 nœuds seulement, alors que le vent apparent n’a pas changé. On devrait aller 2 fois plus vite ! Je sors à l’extérieur, et au fur et à mesure que mes yeux s’habituent à scruter la quasi-obscurité, j’ai du mal à les croire ! Je vois distinctement la forme du solent qui se détache sur le ciel à l’avant, mais je ne vois plus la grand-voile ! A la place, au-dessus de la bôme, quelques étoiles se détachent dans le triangle vide que dessinnent le mât, la bôme et la balancine ! Damned ! On a beau arriver chez les Papous, pendant quelques secondes, je n’en reviens pas. Je passe sous le vent, et je m’aperçois que la grand-voile est à peu près correctement affalée sur la bôme, entre ses 2 lazy-jacks ! Seules 2 lattes pendouillent au-dessus du flotteur tribord, et les bosses sont en désordre, à moitié dans l’eau ! J’attrape une lampe frontale, et constate au pied du mât ce que je subodore déjà : la drisse de grand-voile a cassé, et j’ai 50 mètres de cordage en vrac au pied du mât ! Apparemment plus de peur que de mal là encore. Je réveille Timothée et Marin, étonnés eus aussi. Personne n’a rien entendu, la rupture a eu lieu en haut du mât à 20 mètres de hauteur, au niveau de la gorge de mouflage de la drisse. Appuyée par le vent portant contre le haubannage, la voile a du descendre progressivement… Dès qu’on est proche du vent arrière, je sais que les mouvements brutaux de la corne de grand-voile sollicitent la drisse là-haut. Hier matin, j’avais tenté d’observer l’état d’usure du cordage aux jumelles, sans rien déceler d’anormal.

Cela doit faire la quatrième fois que l’on va refaire l’amarrage là-haut, 2 après rupture, et 2 avant, après constat d’usure, à titre préventif, la dernière étant intervenue en Nouvelle-Zélande, il n’y a pas si longtemps. Dans l’immédiat, rien de grave, on va renvoyer la grand-voile avec un ris en utilisant la balancine en guise de drisse simple, et la drisse de trinquette va servir de balancine jusqu’à l’arrivée. Inutile et dangereux de monter en haut du mât pour repasser la drisse en mer, les mouvements de rappel sur un catamaran sont beaucoup plus brutaux que sur un monocoque, et je serais arraché du mât avant de parvenir en haut… Manœuvre de nuit pendant 45 minutes avec mes deux fistons, et voilà notre pirogue mélanésienne de nouveau en route à 8 nœuds dans la nuit.

Au matin, un petit bout de drisse de 40 cm salue l’arrivée du jour du haut du mât… Nous retrouvons nos habituels petits oiseaux pêcheurs qui ont bien compris l’intérêt pour leur pitance de voler à quelques mètres en avant des étraves de Jangada : c’est la zone de décollage (plusieurs par

minute) des poissons volants effrayés par l’arrivée soudaine des carènes du catamaran au-dessus d’eux, et dont ils se nourrissent.

Pour ses fans, que je sais nombreux, Barbara va beaucoup mieux ce matin.

Après de longues heures passées dans sa bannette hier, elle a repris en main la cuisine (qui sent la Javel), fait du rangement dans le carré (il y en avait besoin), pressé un pamplemousse et épluché un ananas pour le petit-déjeuner, et préparé une délicieuse tarte au fromage, poivrons et curry dont elle a le secret, pour le déjeuner.

Les enfants lisent (un peu) et jouent (beaucoup) à des jeux électroniques qui sont pour moi d’un autre monde. Ce matin, j’ai passé 2 heures à étudier le franchissement du Détroit de Torrès, un coin truffé de corail, de hauts-fonds et de courants violents, qui marquera dans quelques trois semaines notre sortie de l’Océan Pacifique et notre entrée dans l’Océan Indien.

A demain, veille d’atterrissage sur l’archipel des Louisiades.

Bon week-end !

Olivier