samedi 14 avril 2012

MESSAGE N° 1 – TRAVERSEE CAP VERT – ACORES

JOUR 1 – Samedi 14 Avril 2012 –

Distance de Horta (Ile de Faial, Açores) en route directe  1403 milles.

Distance directe à Furna (Ile de Brava, Cap Vert)  28 milles.
Distance réelle parcourue en 4 heures  28 milles.
Gain sur la route directe en 4 heures  27 milles.
(Position et données relevées à 12H00 bord)




A remonter les alizés de nord-est… !!!  Jangada, version Orangina… Il paraît que c’est meilleur quand on secoue !

J’en connais au moins une qui ne doit pas être jalouse de ne pas faire cette traversée…



Après une dernière nuit passée dans le petit port de Furna, saluée par un orage et une petite pluie qui a commencé à faire descendre sur le pont des petites rigoles de sable du Sahara (il faudra attendre de vrais grains pour finir le job, la poussière qui a envahi le gréement et les voiles n’a fait que descendre d’un étage), nous avons pris un petit-déjeuner rapide et calme, le dernier avant un bon moment… Alberto était là vers 07H30 pour nous larguer la longue aussière d’une centaine de mètres qui nous tenait à l’enrochement du quai par l’arrière ; il a fallu ranger tout ce fatras, saisir l’annexe au poste de haute mer, et puis relever nos 70 mètres de chaîne rouillée à souhait (il y a longtemps que la galvanisation, mal exécutée, pourtant par un fournisseur connu, a totalement disparu des maillons). La mer formée de l’alizé nous a cueillis à la sortie du port, tangage et premiers paquets de mer sans tarder. Il faudra s’y habituer. Avec les deux moteurs, il a fallu s’élever au vent d’un mille environ, avant de pouvoir parer à distance raisonnable (quelques petites centaines de mètres) la pointe nord-est de Brava. A 08H30 (TU – 1, soit 3 heures de décalage en retard sur l’heure française), nous étions sous grand-voile à 2 ris et solent à demi-déroulé, allure bon plein d’abord débridé de 10° supplémentaires pour passer à l’ouest des îlots rocheux qui débordent Brava au nord-est.

Maintenant que mon petit équipage bien rôdé n’est plus là, il a fallu redistribuer les rôles. Mon frère Louis étant très gêné par la mauvaise, impressionnante (et pas belle à mon goût) plaie qu’il a à la cheville gauche, il reste cantonné à l’arrière. Du coup, je remplace mon fiston Marin dans son rôle (qu’il pratiquait avec un métier de dingue après plus de 33 000 milles autour du monde) de voltigeur à l’avant. Fiston, où es-tu, tu me manques ! (J’ai failli l’appeler pour la manœuvre sur son tout nouveau téléphone portable !) Le geste le plus acrobatique consiste à monter à environ 4 mètres de haut dans le mât pour aller mailler le mousqueton de point de drisse de la grand-voile à corne sur le chariot double de têtière. Vous me suivez ?  Nous avons ensuite serré un peu le vent, peaufiné les réglages, et la longue séance de shaker a pu commencer. Le bonheur… Seuls ceux qui connaissent sont hélas en mesure d’apprécier… La semaine qui vient sera difficile, je l’ai baptisée « shaker week » !

Vivement le week-end prochain ! Sans doute l’une des plus difficiles de ce tour du monde, pour le bateau, et pour l’équipage. L’alizé de nord-est souffle régulièrement, comme ce matin, à 25 nœuds, vent réel.

En vent apparent, le bateau reçoit donc un vent voisin de 30 nœuds qu’il capte avec un angle de l’ordre de 40 à 45°. La rencontre avec la mer est agitée et la discussion humide et salée… L’étrave tribord, au vent, coupe les vagues comme une lame de couteau, c’est de là que s’envolent la plupart des embruns  qui traversent le pont en rafales. Attention avant de sortir, tous aux abris ! L’étrave bâbord, sous le vent, fait la même chose, sauf qu’on s’en fout, par ce que ces embruns-la rejoignent la mer sous le vent. Seuls les poissons-volants sont arrosés, mais ils adorent ça. Parfois, les deux étraves décident de plonger ensemble dans la mer après une lame un peu plus escarpée que les autres. C’est pas une très bonne idée ; mais ma fille Adélie n’a jamais voulu que je « range » sa cabine à l’avant, dont le poids accumulé au fil des mois et des escales accentue le tangage, elle a deviné ce que le terme « ranger » voulait dire dans la bouche du Captain… Alors là, il y a davantage de spectacle encore. Des centaines de litres d’eau de mer s’invitent sur les trampolines, et souvent même ils poussent la visite jusqu’à la poutre avant. S’ils parviennent à la franchir, c’est feu vert pour gagner l’arrière en passant par les passavants. Rinçage gratis. Le roof ramasse copieux lui aussi, des dizaines de litres par minute, j’aurais du installer des essuie-glaces ! On a étanché à Praia le capot tribord avant (cabine de Marin) qui, vieilli, est bon à changer, et les capots de jupes arrière souvent submergés eux aussi à cette allure.

Bon, vous comprenez maintenant pourquoi l’itinéraire de notre voyage prévoyait de boucler la boucle avant les Iles du Cap Vert ? Pour permettre un débarquement de mon petit équipage à Praia de Santiago, avant d’attaquer la séance de plantage de pieux dans l’Atlantique Nord, tout en lui faisant bénéficier de la magie d’avoir fait le tour du monde à la voile… Je savais depuis longtemps que ce parcours Cap Vert/Açores ne serait pas très fun… Les réglages techniques de la voilure et de l’accastillage sont plus importants que d’habitude pendant cette traversée, surtout la première semaine, celle qui sera la plus dure, avec le vent le plus serré et la mer la plus frontale. L’objectif, c’est d’abord de ne rien casser, alors que les efforts, les tensions, les impacts vont être soutenus et permanents. En haute mer, l’avarie est toujours à redouter, la série d’avaries est encore pire. Premier objectif : ne pas forcer. Mais en même temps, il faut garder suffisamment de puissance motrice pour passer dans les vagues en conservant une vitesse correcte, et cependant non excessive pour ne pas trop accroître la vitesse de rencontre avec les mêmes vagues. 7 à 8 nœuds, pas plus, sinon mieux vaut réduire la toile.

La structure du bateau est particulièrement sollicitée dans une traversée comme celle-là. Surtout sur un catamaran, large de surcroît, et donc particulièrement raide à la toile. Le cap ? Il ne faut pas trop chercher à serrer le vent (bien que notre catamaran, avec ses ailerons fins et profonds remonte particulièrement bien au vent), on perd en puissance et en vitesse. Il est préférable de couvrir plus de distance avec un cap un peu plus abattu qui améliore l’angle de percussion avec les vagues et la vitesse, plutôt que de vouloir serrer le vent et la mer sur une telle distance. Le bon réglage des voiles est capital. Marin, j’ai trouvé une nouvelle position de barber-hauler pour l’écoute de solent qu’on n’avait jamais utilisée jusque là ! Vu que c’est un barber intérieur, et non extérieur ! Je t’explique : j’ai frappé une poulie sur l’organeau arrière en alu de la poutre longitudinale de compression bâbord, et je renvoie le barber sur la poupée du guindeau. C’est le grand luxe, il suffit d’appuyer sur le bouton électrique pour adapter le réglage ! Quand on vieillit, vois-tu, on réfléchit davantage avant de faire des efforts, mais toi, tu n’en es pas là ! Ce barber ne sert que pour aplatir la chute du solent, et l’équilibrer avec la bordure, quand celui-çi est partiellement enroulé. Quand tout est correctement réglé au bon cap, il faut encore s’occuper de prévenir l’usure. J’ai rajouté une protection sur la bosse du 2ème ris, choqué en grand le lazy-jack sous le vent, passé  deux rabans sur la grand-voile… Notre affaire commence à avoir de l’allure.

Au déjeuner, Louis nous a fait une salade de riz  avec poivrons, tomates, œufs et poulet de Brava.

Mais diable, que la route est longue avant d’aller se goinfrer d’un gin tonic (plusieurs peut-être d’ailleurs) chez Peter, au Café Sport, à Horta !

A demain !

Olivier