dimanche 22 avril 2012

MESSAGE N° 8 – TRAVERSEE CAP VERT – ACORES

JOUR 8 – Samedi 21 Avril 2012 –

Distance de Horta (Ile de Faial, Açores) en route directe  338 milles.
Distance directe à Furna (Ile de Brava, Cap Vert)  1114 milles.
Distance réelle parcourue en 24 heures  159 milles.
Gain sur la route directe en 24 heures  158 milles.

Une semaine de mer ce matin, depuis le départ de Brava.

Et une journée finalement meilleure que celle que j’avais imaginée. Le vent a bien eu quelques hésitations sur la période, gommées par 2 ou 3 heures de moteur qui nous ont permis de refaire de l’eau douce avec le watermaker (capacité de production 60 litres/heure). Mais globalement, nous avons pu tirer notre épingle du jeu ces dernières 24 heures. Le gennaker est entré en service hier en milieu de journée, avec une adonnante du vent venu plein est, et il a fait des merveilles toute la soirée et toute la nuit, abattant des milles régulièrement vers les Açores, avec parfois des pointes à 9 nœuds de vitesse. Nous avons à l’évidence changé de masse d’air depuis 36 heures, et celle dans laquelle nous évoluons désormais est plus stable, générant moins de grains. La mer s’est aplatie, devenant belle (selon la nomenclature météorologique, qui ne se place pas d’un point de vue esthétique), la houle a quasiment disparue, le confort qu’offre la navigation à bord d’un grand catamaran est revenu au premier plan.

Hier soir à la nuit tombante, alors que nous venions d’apercevoir loin à l’horizon les superstructures d’un premier cargo, Louis, toujours enclin à mettre une ligne de traîne à l’eau (pour officiellement remonter le niveau du stock de conserves de poisson en bocaux, qu’il continue à trouver anormalement bas), a récolté un gros distribil dans le moulinet Penn de la canne bâbord. Il a fallu ouvrir le boîtier (bourré de petites pièces métalliques qui ne demandent qu’à en sortir en s’éjectant…), mais plus il avançait dans la résolution du problème mécanique, plus je voyais les boucles de fil nylon s’entremêler gravement sur le tambour !

Quelques jurons plus tard, j’ai réussi à le convaincre qu’il fallait, pour se dépêtrer du problème, remettre le leurre de bas de ligne et le laisser filer dans le sillage pour obtenir une tension constante et rectiligne, seule capable de ne pas générer ces damnées boucles indémerdables. Avec 300 mètres de fil, il y a de quoi se prendre la tête quand les choses commencent à déconner. Je me suis retrouvé à maintenir à la main le fil qui filait par-dessus bord, pendant qu’il réduisait lentement le nombre de boucles sauvages, histoire de revenir progressivement à une situation plus enviable. Alors que je voyais, avec une certaine anxiété de la suite, improbable mais possible, le leurre s’éloigner dans le sillage à 20, 30, puis 40 mètres et que nous marchions à 7 ou 8 nœuds, l’idée m’est évidemment venue à l’esprit que ce n’était surtout pas le moment qu’un poisson vienne mordre au bas de ligne ! Comme elle était restée à l’eau plusieurs heures auparavant sans intéresser le moindre quidam pélagique, le risque me semblait minime.

Bon, vous avez deviné la suite ?

Un putain de poisson a commencé à attaquer le bazar, et j’ai senti une première secousse, suivie d’une deuxième, beaucoup plus forte. Le bas de ligne a cassé violemment, j’ai conservé de justesse les deux doigts que j’avais affecté prudemment à ce travail, et l’animal s’en est retourné vers les profondeurs océanes avec le bas de ligne dans la gueule, dont un joli leurre orangé. Ce qui a, provisoirement, resserré les boucles de fil sur le tambour du frangin… Quelques jurons supplémentaires plus tard, motivés plus largement cette fois (le bazar revenu illico sur le tambour, la perte d’un leurre,  d’un hameçon en inox et d’un émerillon, et celui d’un joli poisson !), la situation avait été stabilisée, le problème résolu, la canne  gréée à nouveau, prête à reprendre du service, mais la nuit était tombée… Nous nous sommes, d’un commun accord, réfugiés dans un ti-punch, version cap-verdienne, dans laquelle le grog de Santo Antao joue le rôle du rhum agricole, inégalable, des Antilles françaises.

A la séance BLU (bande latérale unique, un mode de transmission radio haute fréquence qui désigne en fait l’émetteur/récepteur radio longue distance du bord) du soir, des nouvelles satisfaisantes nous sont parvenues de Toulouse, indiquant que le petit émetteur expérimental installé sur la coque tribord (et dont Christophe, le constructeur délégué, n’a jamais dû imaginer combien d’eau de mer son petit appareil

- bel et bien étanche - allait recevoir sur la tronche les 5 premiers jours de notre traversée), fonctionnait à nouveau à plein régime, après un petit traitement technique de remise en forme que nous lui avons fait subir à l’abri du roof.

La nuit, même avec la voile bleue à poste à l’avant, a été plutôt sereine pour une fois, et j’ai pu récupérer du sommeil. Le bateau a retrouvé, comme le skipper (qui envisage de se raser bientôt, et qui a dores et déjà  pris une énorme douche à l’eau chaude) une allure présentable, et l’île de Faial se rapproche doucement, là-bas, encore loin devant.

Mais il a fallu que je ressorte mon gros pull breton, qui n’avait pas servi depuis bien longtemps. Il ne fait guère plus de 15°C la nuit au large.

L’anticyclone revient bien dans le sud-ouest de l’archipel, mais un peu plus lentement que prévu, ce qui devrait nous autoriser ce vent léger de secteur est, légèrement sud-est, pendant les prochaines 48 heures.

Certes pas violent, avec sans doute de temps à autre la nécessité d’une petite risée Volvo en appoint pour renforcer un poil notre vent apparent. Et probablement pas suffisant pour boucler la traversée dans les 2 jours qui viennent. Le centre de l’anticyclone devrait donc nous couper la route avant les digues du port de Horta, et avec lui ses calmes associés, une impolitesse de sa part qui sera suivie d’une rotation brutale du vent à l’ouest-nord-ouest Mardi, pour ce que nous espérons être notre dernière journée de mer avant l’arrivée aux Açores.

A demain !

Olivier