vendredi 13 novembre 2009

Billet N°26 - Médecine de brousse sur la blanche - Olivier

- Du 10 au 13 Novembre 2009


Derniers jours dans le delta du Saloum.

Bon, je ne vais peut-être pas agrémenter de photos la séquence de médecine tropicale appliquée qui a eu lieu sur la (belle) cuisse gauche de Barbara au campement de pêche Hakuna Matata, sur la rive droite du fleuve.

Chacun sait que la nature est forte en Afrique.

A Siwo, le 9 Novembre, l’état de la plaie empire. Nous pensons à une piqûre d’insecte venimeux, mais la propriétaire (de la cuisse) n’a rien senti… L’infection gagne, et le cercle violacé fait maintenant 15 cm de diamètre. Ca ne va pas dans le bon sens, tout ça. Douleur dans toute la jambe, ganglions à l’aine, moral en chute libre… J’ai incisé, mais n’ai rien sorti de concluant de la plaie. Je n’y ai rien vu non plus…

Je prépare ma nav, et je décide d’appareiller de nuit, à 5H00 du matin le 10, à la faveur du plein. Il faut que nous allions consulter les médecins de Voiles sans Frontières, qui, d’après les informations que j’ai pu obtenir par radio, doivent être en mission en ce moment à Mar Lodj. J’ai réveillé Marin, qui, depuis la table à cartes, me donne les points GPS de notre trace à l’aller. Jangada glisse sur l’eau calme du bolong dans la nuit noire. J’essaie de me remémorer la position des bancs pour éviter l’échouement.

Pas simple, j’ai hâte que les premières lueurs de l’aube viennent me faciliter la tâche.

Ce que je redoute, c’est l’élargissement des bolongs, car, en toute logique, lorsque le bolong s’élargit, la profondeur diminue…

Le plus gros est fait, nous approchons de Djirda, les premières pirogues de l’aube croisent avec surprise ce catamaran qui navigue de nuit…

L’échouement fait partie de la navigation fluviale, mais il n’arrange jamais les bateaux. On force sur les quilles, les safrans, les moteurs, alors que pendant un tour du monde, on cherche à tout préserver, à prévenir les emmerdements, à commencer par les fondamentaux, la structure, l’appareil à gouverner, le gréement, la propulsion.

Loin de ses bases, le désert technologique est souvent la règle. Alors, moins on touche, mieux on se porte….

A un moment, le sondeur, dont le capteur est installé dans le flotteur babord, indique 2,50m de fond, mais le flotteur tribord touche, la quille s’enlise dans la vase, et fait pivoter le catamaran qui se retrouve à 90° de la route. Plantés ! J’essaie de manœuvrer aux moteurs, je brasse un nuage de vase, ça fume, et je ne sais même pas dans quelle direction il faut aller ! Plus à gauche, plus à droite ?

Le bateau pivote à peine…

Sur la rive de palétuviers, les aigrettes doivent se marrer.

La marée descend, il y a du courant, il faut faire vite, sous peine de passer la journée échoués là, comme des cons.

On met l’annexe à l’eau, Marin saute dedans, et je l’envoie pousser à l’étrave, moteur à fond.

Je lui ai appris la technique à Moundé. Le bateau pivote doucement, un piroguier providentiel me donne le sens de la sortie (s’agit pas de monter un peu plus sur le banc !), dès que le bateau est dans l’axe, je mets les moteurs à fond, le bateau vibre et semble d’abord ne pas bouger, puis tout doucement, il fait sa trace dans la vase, et regagne progressivement l’eau libre ! Ouf !

Nous rejoignons le campement Hakuna Matata, tenu par Olivier l’africain (un grand copain de Titi, le boss du CLEAR, le club hippique bien connu de La Rochelle !). Il diagnostique immédiatement le problème de Barbara : un ver qui s’est installé dans la chair. L’explication : une espèce de mouche pond ses œufs dans le linge propre mouillé qui sèche au vent. Le repassage à chaud a l’avantage de tuer dans l’œuf ces charmantes petites bêtes, mais inutile de vous dire que nous avons oublié depuis des semaines ce que c’était que le linge repassé. Dès que le vêtement a repris du service, le ver, minuscule au début, traverse la peau et s’installe.

Sans tout de même passer par Ikea, il fait son chez lui, et grossit vite. Très vite.

Le porteur ne s’en trouve point aise, et tous ses anticorps affluent autour de l’agresseur.

Il nous faut prendre la calèche (carriole tirée par une mule) jusqu’à Mar Lodj, mais il n’y en aura pas avant 16H00.

Barbara est mi-figue mi raisin : contente de savoir ce qu’est son mal (tous les africains ont confirmé le diagnostic), mais dégoûtée de savoir qu’elle a un ver dans la cuisse…

Les choses s’accélèrent, une employée noire du campement va chercher un onguent gras, il paraît que la bête a horreur de ça, et que cela l’incite à se rapprocher de la sortie. Une dizaine de personnes assistent à la scène, sous la véranda en paille de riz du campement.

Effectivement, dès l’application du corps gras, des ondulations fébriles commencent à animer la plaie… C’est bon signe : l’animal est bien présent, et il n’apprécie pas.

Je surveille Barbara du coin de l’œil, mais, avant que j’ai pu dire ou faire quoi que ce soit, l’employée noire saisit à deux mains plusieurs kilos de quadriceps (entendons-nous bien, la cuisse est fuselée, of course), et commence à presser en partant de loin. Barbara dérouille, tente de gueuler, mais la femme noire nous explique qu’il faut presser de plus en plus fort, sans jamais suspendre la pression, sinon le ver en profite pour regagner ses pénates en profondeur…

La séance de pressions dure entre 5 et 10 minutes, ma douce tourne de l’œil, je lui tiens la main et lui cache la plaie, pas jolie, mais elle est encouragée à la fois par les africains qui voient que l’extraction progresse, et aussi par les quelques blancs présents qui poussent des « Ah, c’est dégueulasse ! » quand la bête, en cours d’expulsion, commence à montrer le bout de son nez, en se tortillant allègrement….

L’infirmière de brousse improvisée prévient que le dénouement est proche, et quand la moitié de la bestiole est visible, elle annonce le coup de grâce : je redoute l’arrachement des chairs, l’altération du patrimoine familial, etc… toujours est-il qu’une dernière pression sauvage expulse le ver de la plaie.

Soulagement général.

1cm de long, 3 mm de diamètre, s’il n’est pas de la famille des asticots, c’est un cousin germain…

Il gigote dans tous les sens, ondule, rampe sur le coton, tout le monde l’admire, car c’est un beau specimen : je le montre à son ancienne propriétaire, plutôt contente de la présentation.

Elle sait que maintenant un bon traitement antibiotique local et général va remettre de l’ordre

dans la belle machine.

Pour l’heure, cela suppure dru, et un joli trou subsiste comme souvenir de l’intrus.

Direction la pharmacie du bord, et au travail.

Mais le moral de ma douce est déjà remonté d’un sérieux cran.

Le soir, au campement Hakuna Matata, dîner d’huitres de palétuviers grillées et d’un ragoût de poulet au riz du Saloum..Un guitariste vagabond à l’accent québécois pousse la chansonnette jusqu’à 2 heures du mat, quelques Gazelle bien fraîches font passer la première dose d’antibiotiques, et au dodo.

Le lendemain, nous remontons le bolong de Ndangane, y faisons quelques appros : légumes, fruits, pain, et eau minérale. Pas l’abondance, mais de quoi survivre. C’est aussi le seul endroit du delta où l’on trouve « le 10 de Kirène », le bidon de 10 litres (1000 Francs CFA, soit 1, 53 euro) de l’eau minérale sénégalaise, sans laquelle le blanc a du mal à survivre dans ces contrées où l’eau n’apporte pas que des bonnes choses. Je trouve des belles crevettes fraîches, modèle gambas, 1500 FCFA (2,30 euros) le kilo. Juste passées à la poêle, dans l’huile d’olive, et légèrement relevées d’une sauce piquante, le dîner de ce soir sera succulent.

Le 13 Novembre, nous prenons le train descendant de la marée du fleuve, et faisons route vers Djiffere.

Le nombre de pirogues de pêche sur la plage de ce village qui garde l’embouchure du Siné Saloum est impressionnant : des centaines.

Le fleuve, depuis quelques années, a creusé une nouvelle passe de sortie pour retrouver l’océan. Il a délaissé la pointe de Sangomar, à plusieurs milles au sud, a coupé la presqu’île, créé une île, et s’est frayé un passage dans les bancs de sable directement vers le large. Mystères de l’hydrologie.

La nouvelle passe vient juste d’être balisée, et nous décidons de l’emprunter pour quitter le Saloum.

Le soleil décline, nous franchissons le dernier couple de bouées, et hissons la grand-voile, un rituel où chacun a désormais son poste, et ses attributions. C’est la manœuvre la plus physique du bord. Cela faisait un moment que nous n’avions pas envoyé de la toile ! Les coulisseaux Antal sont gorgés de sable ocre apporté par les vents du désert, les haubans sont à l’unisson, la belle voile Incidences prend des couleurs méconnues dans les pertuis rochelais….

En Afrique, le bateau prend des allures de 4 x 4…

Route au sud-ouest pour s’éloigner de l’embouchure de la Gambie, le cata fait route à 8 nœuds sous voiles, impressions délaissées quelque temps.

Mais nous découvrons aussitôt un hallucinant champ de mines de casiers de pêche, des centaines, les fonds, très plats, ne font qu’une dizaine de mètres.

J’évite les premiers au pilote, mais il y en a de plus en plus, Barbara prend la barre, je prends une étrave et Marin l’autre, et le slalom durera une bonne heure, par chance nous sortirons de ce piège à la nuit tombée, sans dégâts.

Nous mettons le cap sur la passe d’entrée de la Casamance, à 80 milles au sud.

Mon petit équipage va se coucher.

Je démarre le déssalinisateur, un bonheur de le voir désormais marcher à merveille (merci Greg pour l’envoi du tuyau 20 bars), et je commence ma nuit de veille, sous les étoiles, à veiller les pirogues.

Olivier

Pirogue de transport sur un bolong du Saloum



Pain de singe, le fruit du baobab


Pain de singe, le fruit du baobab