vendredi 20 novembre 2009

Billet N°27 - En Casamance - Olivier

A partir du 14 Novembre 2009

Retour à Ehidj, 27 ans plus tard…

Je ne vais pas vous raconter toutes mes guerres, seulement quelques unes !

Au petit matin, j’ai beau chercher aux jumelles, je ne trouve pas la bouée d’atterrissage de la Casamance. Elle est déradée.

Je me dirige vers le premier couple de bouées de la passe.

Timing impeccable, nous sommes en fin de marée montante, le meilleur moment pour franchir toutes les barres du monde. Et celle de la Casamance n’est pas particulièrement paisible.

L’eau est verte, on aperçoit au loin la pointe de Djogué, et à un demi mille, les brisants s’écrasent lourdement sur les hauts-fonds.

Voiles affalées, Jangada s’engage dans la passe, longue de plusieurs milles.

Les Volvo (50 CV chacun) ronronnent, je les pousse à 2000 tours/mn. (Robert, comme tu vois, cela reste raisonnable !)

Par le travers du phare de Djogué, je tente de rentrer dans le premier bolong à droite, celui de Kachiouane. J’ai sorti ma carte marine de 1982, où je retrouve quelques notes écrites au crayon à papier, lors de mon précédent passage, avec le premier Jangada, il y a 27 ans…

J’y lis « Serrer à droite », mais j’ai beau serrer à droite, je vois le sondeur amorcer une remontée vertigineuse… Je tâtonne sans succès, et je touche, du bout de la quille tribord. Les fonds ont visiblement complètement changé, la carte n’est d’aucune utilité, et je dois renoncer pour l’heure à cette option.

Direction Karabane, en amont, vent debout et début de courant descendant. Je monte à 2200 t/mn. (Robert, ça va encore !)

Premier comptoir établi par les français en Casamance, on trouve à Karabane une église bretonne en ruine, et aussi la tombe d’un vaillant capitaine (Protêt), français lui aussi, qui a tenu à se faire enterrer debout, pour faire face à l’ennemi…

Je tâtonne encore pour trouver l’entrée du bolong d’Elinkine, manque encore de toucher, et localise enfin le nouveau lit du bras de fleuve, qui lui aussi s’est déplacé de plusieurs centaines de mètres.

Les choses sont plus simples dès lors qu’on a franchi l’entrée du bolong : nous retrouvons 3 à 4 mètres d’eau en direction d’Elinkine. Une odeur pestilentielle nous accueille à l’approche du gros village : des étals de poissons sèchent (pour ne pas dire pourrissent) au soleil. Ce poisson séché gagnera plus tard l’intérieur du pays, le Mali et le Niger.

Après la modification des fonds depuis mon précédent passage, le deuxième changement notable que j’observe dans les paysages de Casamance, ce sont les pylônes (Orange ou Tigo, les 2 concurrents locaux) d’antennes pour la téléphonie mobile… Les opérateurs ont quadrillé le delta pour verrouiller ce marché très lucratif en Afrique. Par-dessus le faîte des fromagers et des baobabs, les pylônes balisent la position des villages…

Je remarque aussi que les passagers des pirogues portent tous ici une brassière, du jamais vu en Afrique. Plus encore, au mouillage d’Elinkine, je m’aperçois que toutes les pirogues qui circulent vont se faire voir au ponton (branlant) de la marine nationale sénégalaise. Contrôle du port des brassières ! Incroyable. Nous apprendrons qu’il y a 2 mois, une pirogue a chaviré de nuit non loin d’ici : 22 morts…

La Casamance a aussi en mémoire le drame du Joola, le ferry local qui reliait Ziguinchor, capitale régionale, à Dakar. Il y a 2 ou 3 ans, surchargé, mal entretenu, armé par un équipage incompétent, il a chaviré de nuit au large de la Gambie (petit pays enclavé dans le Sénégal, entre Siné Saloum et Casamance) : plus de 2000 morts, oui, deux mille…, pire que le Titanic.

L’Afrique…

Nous gagnons le petit village d’Ehidj, un village qui m’est cher en Casamance. J’y ai des souvenirs chaleureux de l’accueil incroyable que j’y avais reçu il y a 27 ans. Ce petit village d’une dizaine de cases était habité essentiellement par la famille Soumaré, des diolas catholiques, agriculteurs et pêcheurs.

Raymond et Blandine, qui avaient une dizaine d’enfants de 1 à 18 ans à l’époque, j’en avais 27, m’avait assimilé à leur famille pendant une dizaine de jours. Nous allions chasser dans « la savane », Raymond m’emmenait (une histoire d’hommes) récolter le vin de palme (c’est lui qui montait en haut du palmier, moi je restais en bas à siroter !), nous mangions tous assis par terre sur une natte dans la case en banco couverte de paille de riz le ragoût de corbeau pris avec les doigts dans l’unique plat commun, puis nous allions pêcher à l’épervier en pirogue…

Entre Elinkine et Ehidj, j’essaie de retrouver le passage entre les bancs, et à mesure que Jangada se rapproche du petit promontoire sur lequel est installé le village, ces souvenirs remontent dans ma mémoire.

J’appréhende les nouvelles que je vais bientôt avoir, au village.

Raymond et Blandine sont-ils encore de ce monde ? Qui est resté au village, de ceux que j’y ai connus ? Hilaire, Pierre ?

Vingt-sept années ont passé. L’espérance de vie dans ce pays n’est que de 52 ans…

Nous jetons l’ancre à 100 mètres de la petite plage en contre-bas du village, et je prends seul l’annexe pour aller aux nouvelles. Deux hommes viennent à ma rencontre, je leur dis que j’ai séjourné ici il y a près de 30 ans, et que j’y avais été plus particulièrement accueilli par Raymond et Blandine Soumaré, et tous leurs enfants.

A mon regard interrogateur, Léon et Benoît répondent par un silence empreint de douceur et de respect à mon égard.

Je comprends que l’un et l’autre ont changé de monde.

Raymond en 1997, Blandine il y a deux ans. Déception, et tristesse. Cela m’aurait vraiment fait plaisir de les embrasser.

Je demande où ils sont enterrés dans le village, mais j’apprends que sur l’île d’Ehidj, village fondé par l’ancêtre guerrier Soumaré, on n’enterre pas les morts. La sépulture a lieu de l’autre côté du bolong. Croyances animistes, fétichistes, harmonieusement mêlées ici au christianisme. Dieu reconnaîtra les siens. Et les esprits les leurs.

Mais Léon se retourne et me dit que la personne, là-bas, sous le fromager, c’est Pierre Soumaré, un des fils de la fratrie. Je me souviens de lui, il avait 10 ans à l’époque, 37 aujourd’hui, et il n’avait pas son pareil, à la chasse où il me suivait, pour plumer en quelques secondes les oiseaux que j’arrivais à dégommer avec mon fusil Baïkal calibre 12 à un coup.

Pierre approche, et je m’amuse, en faisant mine de m’étonner qu’il ne me reconnaisse pas…

Je lui rappelle quelques détails de ce séjour, et m’aperçois qu’il a gardé en mémoire quelques autres souvenirs que j’avais moi-même oubliés.

Dès lors, le village nous est grand ouvert, le respect mutuel et la gentillesse sont la règle, et nous nous sentirons comme chez nous à Ehidj. Pierre m’explique qu’il est le seul enfant à être resté au village, ses frères et sœurs sont tous à Dakar ou en France. Je ne suis pas surpris, leurs parents étaient pauvres, mais intelligents, lumineux.

Un soir de mon précédent passage où j’avais invité Raymond et Blandine à venir dîner sur mon bateau, j’avais eu la surprise de voir débarquer de la pirogue monoxyle de Raymond : Raymond biensûr, mais aussi Mélanie, 18 ans, formes rondes sympathiques, poitrine arrogante, fille aînée de Raymond et Blandine… Il y avait là derrière un dessein qui n’avait pas été simple à gérer pour le navigateur solitaire que j’étais alors, mais je m’en étais plutôt bien sorti. Le dîner avait été tout de même un poil compliqué…

Pierre m’apprend qu’un crocodile a été tué par Maurice il y a 2 jours non loin du village.

Je lui dis que je pensais qu’il n’y en avait plus en Casamance, voilà les enfants refroidis quant à leurs jeux aquatiques dans les bolongs…

Effectivement, la bête est passée à la casserole, j’en découvre les restes dans la cuisine de la case de Maurice…

La vieille case de Raymond et Blandine n’existe plus, je me réfugie avec mes souvenirs sous la petite paillote qui a été dressée sur la plage par Léon.

Les deux singes Jules et Timmy font les pitres et attrapent au vol les arachides qu’Adélie leur lance.

J’emmène Barbara se promener dans la brousse, derrière le village.

Les vautours décollent lourdement des palmiers, les aigrettes, les oiseaux marabouts, les hérons fuient à notre approche.

La nuit venue, je pars poser le tramail de 25 mètres avec Marin et Adélie. J’accroche une extrémité à une branche de palétuvier, et l’autre plonge dans l’obscurité de l’eau noire du bolong.

Ne reste plus qu’à regarder les étoiles qui scintillent sur la voûte céleste, dans la nuit africaine.

Retour à Ehidj, où rien n’a vraiment changé depuis presque trois décennies.

Olivier

 

Mouillage à Elinkine



Dans les rizières de Vindaye, avec Nelly



C'est pas mignon, çà!



Equipage en goguette...



Premiers jours de récolte à Ehidj



Jules, le meilleur copain d'Adélie, à Ehidj.



Ce soir au dîner, crocodile de Casamance!