Distance parcourue à midi :774 milles Distance restant à parcourir : 580 milles
Distance parcourue en 24 heures 188 millesHier après-midi, nous avons fait route en bordure du plateau continental sud malgache, et je me suis amusé à viser une sorte de petit plateau sous-marin d’environ 5 à 6 milles de diamètre, à l’extrême sud du banc.
Alentour, côté sud, les profondeurs abyssales, côté nord, des fonds de l’ordre de 100 à 200 mètres. Et sur ce petit plateau surélevé, qui doit ressembler à un fortin sous-marin, des profondeurs de l’ordre d’une vingtaine de mètres seulement. Je me suis d’abord assuré que la mer n’y brisait pas, puis j’en ai visé le milieu avec l’aide de la cartographie électronique. Un œil sur l’écran de l’ordinateur, l’autre sur le sondeur et la mer. J’attendais de constater la remontée vertigineuse des fonds, mais j’ai été déçu. Rien. Nous avons du passer très légèrement au sud, sans capter les fonds du tombant : la carte doit être approximative.
Habituellement, ce genre de topographie sous-marine est très appréciée des poissons. Toute une vie sous-marine intense s’organise autour d’un tel relief. C’est l’occasion idéale pour mettre une ligne à l’eau. Ce que j’ai fait. Moins de deux minutes plus tard, nous remontions Marin et moi un thon albacore !
Le vent a soufflé du sud-est toute la journée d’hier et toute la nuit, et nous avons marché correctement, aidé par un courant favorable d’environ 1 nœud. Plusieurs voiliers ont appareillé de l’île Maurice et de La Réunion dans les jours qui précédaient notre propre départ. Grâce à l’existence d’un réseau radio BLU informel entre navigateurs hauturiers (les anglo-saxons en raffolent d’une manière générale, reconnaissons que c’est parfois utile, mais nous ne sommes pas des
inconditionnels) sur la fréquence 8122 Khz à 06H00 TU, j’ai pu constater que c’est nous qui avions été les plus rapides depuis La Réunion, et aussi ceux qui avaient coupé au plus court au sud de Madagascar. Bien nous en a pris, car les voiliers qui ont tenu à laisser plus d’eau entre eux et le plateau sud de Madagascar avant de faire route directe vers Richards Bay ou Durban ont rencontré un contre-courant assez sensible, pas bon pour le moral. Ainsi le voilier irlandais Pylades de Fergus et Kay, qui était à couple de Jangada à la marina de la Pointe des Galets, parti 3 jours avant nous, n’est plus qu’à quelques dizaines de milles dans notre sud-ouest. Il y a de bonnes chances que nous lui prenions les aussières au Zululand Yacht Club de Richards Bay. Disons juste que sur ce coup-là, il se trouve que l’on a fait les bons choix !
Tiens, je vois en levant les yeux sur mon récepteur de navigation par satellites GP – 32 Furuno que notre enregistreur de distance parcourue (« Trip », calé à zéro au départ de La Rochelle - l’appareil était neuf) indique désormais (et depuis hier) plus de 27 000 milles parcourus.
Nous sommes aujourd’hui dans le Canal du Mozambique, par une journée de grand beau temps. Il y a deux heures, nous avons raté un monstre à la ligne de traîne. Un poisson qui a commencé par dévirer au moins 100 mètres de fil avant de se calmer un peu. Le temps d’enrouler le gennaker et de mettre en panne, il ne restait que quelques tours de nylon sur le tambour du moulinet Penn Senator, celui que je préfère. On a bien essayé de ramener la bête à plus de considération pour nous, mais ce fut peine perdue. Dix minutes plus tard, alors que j’avais un mal fou à ramener le fil main sur main, il est reparti à une vitesse sidérale, et nous n’avons pu que constater que c’était pour de bon… Le poisson doit toujours avoir sa chance ! Le vent de sud-est s’essouffle progressivement en venant sur l’arrière, halant l’est. Cette nuit, il va passer à l’est puis au nord-est, en reprenant j’espère un peu de vigueur. Mais nous avons bel et bien quitté les alizés et leur régularité légendaire, la météo est ici beaucoup plus complexe et changeante. Mon frère Louis nous envoie chaque jour depuis Toulouse sa petite analyse des cartes météo satellitaires, celles sur lesquelles apparaissent la valse jamais finie des masses d’air de haute ou basse pression. C’est ce grand ordonnancement océano-atmosphérique qui génère le vent, l’état de la mer, et la nébulosité sur notre petit coin d’océan. Je compare ses informations avec les fichiers de vent que je reçois directement à bord à partir soit du réseau américain de navigateurs Sailmail en utilisant notre émetteur-récepteur radio BLU (via en ce moment la station Sailmail de Maputo, au Mozambique), soit du téléphone satellitaire Iridium auquel est associé un kit datas, qui va lui aussi chercher ses informations auprès des puissants computers américains de la NOAA.
Ainsi, sans avoir Internet à bord (si vous saviez le nombre de sites web de prévisions météo d’accès libre que je connais maintenant !), nous sommes tout de même assez bien renseignés sur ce qui nous attend sur le terrain. Les choses ont bien changé en quelques années, c’est assez incroyable l’époque que nous vivons non ?
Allez, je vais vous laisser pour aujourd’hui. J’ai de la lecture.
J’ai acheté sur Internet, à La Réunion, un petit guide assez bien fait, écrit par un navigateur sud-africain qui vit à Durban. Il y explique dans le détail la genèse des vagues « anormales » (mais elles répondent pourtant à des lois physiques précises, somme toute logiques, mais que nous ne connaissons pas forcément toutes dans le détail encore) et monstrueuses qui se forment sur les côtes sud-africaines à faible distance de la côte lorsqu’ un coup de vent de sud-ouest décide de s’attaquer au courant des Aiguilles (qui porte à son encontre) aux environs de la limite du plateau continental sud-africain, proche de l’isobathe des 200 mètres, généralement situé à seulement quelques milles de la côte. Inutile de vous dire qu’on va tout faire pour éviter ce genre de rencontre, mais les abris sont rares sur cette côte. Par exemple, entre Durban et East-London, l’un des plus mauvais coins sur la route du Cap, il y a tout de même 255 milles à se taper sans aucun abri possible… Une phrase de ce petit guide a attiré mon attention… « It is the interaction between the strong south westerly wind and the strong south westerly flowing current which at times can reach 6 knots that creates monstrous freak waves, of which the (South Africa Navy) charts warn:
Abnormal waves of up to 20 metres in height, preceded by deep troughs may be encountered in the area between the edge of the continental shelf and twenty miles to seaward thereof.”
Wow!
Tiens, cela me rappelle la passe de Maupiti ! Quand on a compris comment marche la machine infernale, on est déjà moins en danger… Alors il faut se pencher sur la question !
La côte sud-africaine, c’est le seul cas que je connaisse où, si l’on est pris dans un de ces fameux south werterly gales, soudains et brutaux, il faut, contrairement à tous les autres cas, se diriger au plus près de la côte, dans les fonds de 10 à 20 mètres ! On y trouve en général un contre-courant côtier qui apaise un peu la mer, et surtout, la faiblesse des fonds, si elle n’empêche pas le déferlement des vagues (au contraire), interdit du moins la formation de vagues monstrueuses… Vous savez quoi ?
Dans une autre vie, lorsque j’étais élève-officier au long cours, en Août 1974, en plein hiver austral, nous avons rencontré, au sud de l’Afrique du Sud, dans un féroce coup de tabac de sud-ouest, une vague monstrueuse. Il était 01H00 du matin environ. Ca valait peut-être mieux, nous ne l’avons pas vue arriver. Elle a stoppé net un gros moteur lent Sulzer de 18 000 ch.
Mais je m’en rappelle comme si c’était hier… Je vous en dirai un peu plus demain, peut-être !
Olivier