dimanche 6 septembre 2009

Billet N° 12 - A la Grande Salvage

Du Vendredi 4 au Dimanche 6 Septembre 2009

Hier nous avons quitté les îles Desertas avec une jolie brise. La nuit au mouillage s’est bien passée, moyennant quelques rondes nocturnes de sécurité du Captain, dont l’oreille s’affûte progressivement dans l’analyse des sons émis par la chaîne de l’ancre. (Lorsque le mouillage est un peu limite, je ne mets jamais de patte d’oie en cordage sur le mouillage, de façon à ne pas me priver de l’information donnée par les sons émis par la chaîne sur le davier, qui, avec l’expérience, en dit long sur la tenue de l’ancre, et son éventuel dérapage.)
L’appareillage a été un peu mouvementé : le bosco (Marin) s’est planté pour la première fois de 180° en manillant la poulie de drisse moufflée de têtière de grand-voile (à corne), il a fallu affaler et renvoyer, leçon bien apprise semble-t-il. Et après quelques encâblures passées dans le sillage (une encâblure = 100 brasses, mais une brasse ? ignorants que vous êtes ! 1 brasse = 6 pieds, mais un pied, qui vaut 12 pouces ? etc… en gros 1 encâblure = 182 m, 1 brasse = 1,82m, 1 pied = 0,348m, etc…), le Captain s’aperçoit que le capot plat-pont de la jupe arrière babord (qui contient les shorties et combis de plongée) est mal fermé : le bateau file déjà à 10 nœuds, mais le constat est vite fait : le compartiment contient déjà plus de 100 litres d’eau de mer !
Les jupes sont en effet couramment submergées dès que la mer est formée, et l’étanchéité de ces capots n’est pas parfaite, nous le savons déjà. Je regrette de ne pas avoir mis plutôt des capots spéciaux à fermeture 3 points. Je vide tant bien que mal, à l’écope, et sermonne mon jeune équipage : la mer pardonne peu les erreurs.
Allez, route sur Selvagem Grande, la plus grande des deux îles Salvage, à 145 milles de là, au sud.

Notre troisième daurade coryphène, plus grande que les précédentes, se prend à la ligne de traîne tribord (toujours la même !) et vient nous faire oublier cette séquence appareillage un peu mouvementée.
L’alizé souffle à 25 nœuds, parfois 30. Il y a 3 à 4 mètres de creux. Mais il fait beau.

Journal de Barbara : « Sale journée pour moi, dès qu’il y a de la mer et du vent, je deviens nauséeuse, mon estomac se contracte… cela me flanque le moral au plus bas très vite. Faire la cuisine est alors une épreuve, donc semoule au menu. Les enfants ne sont guère plus vaillants. Exit donc les cours du CNED, injouable. En fait le problème, c’est que contrairement à Olivier pour qui c’est une belle journée, le bateau avance, il fait beau, il y a du poisson, etc… pour moi c’est une épreuve.
Je vois bien qu’il est contrarié de me voir ainsi. En revanche, il assure toute la nuit et ça c’est vraiment sympa, même si je ne dors pas bien en bas, je ne me fais pas de mauvais trips seule sur le pont… »

Un peu plus longue que prévue l’adaptation de Barbara à la mer, mais cela ne m’inquiète pas. Je crois que la longueur du voyage, sa durée, rend l’aspect psychologique prépondérant. Et je note des progrès à ce niveau chez chacun des membres de mon petit équipage.
Il faut encore un peu de temps pour appréhender le mal de mer, et je suis foncièrement contre la prise de médicaments pour les navigations au long cours. Avec l’expérience professionnelle, je suis persuadé que la maîtrise psychologique du phénomène est primordiale pour le restreindre progressivement.

Je suis assez rarement malade en mer, mais lorsque cela m’arrive, cela ne me gêne guère. Je veux dire par là que je continue à faire ce que je dois faire, même s’il s’agit de vidanger le filtre à gas-oil en urgence dans la salle des machines…

C’est ce que j’appelle la maîtrise psychologique du mal de mer. Inconfort passager, mais pas empêchement de faire. Et biensûr, je connais bien tous les facteurs aggravant.

Mon avis est simple : jamais aucun médicament pour le mal de mer, jouer juste l’accoutumance.

J’ai réveillé Marin vers minuit pour affaler la grand-voile, nous allions trop vite. 10 minutes plus tard, il dormait à nouveau. Aux Salvages, il est préférable d’arriver de jour, les cailloux ne sont pas rares… Je termine ma nuit de quart sous solent seul, et je règle l’allure pour arriver à mon waypoint au lever du soleil. La nuit est magique, claire, la lune est pleine, les étoiles pullulent, le sillage gagne en phosphorescence, tout mon petit monde dort…

J’aime ces moments que rien ne remplace.
Cela fait un mois jour pour jour que nous avons quitté La Rochelle, le loch marque 1466 milles parcourus.

A 08H30, Marin laisse filer la chaîne devant la cabane du gardien, dans la Enseada das Cagarras, la baie des puffins. Ce mouillage sauvage est lui aussi peu sûr, et la règle veut que tout équipage qui décide de faire escale aux îles Salvages se tienne prêt à appareiller dès que les conditions l’exigent, c'est-à-dire assez vite ! La houle entre biensûr dans la baie, en contournant la petite île, mais le débarquement est jouable.

Nous convenons de débarquer à 11H00, avec Mauricio, le gardien (vigilante natureza). 27 ans après mon premier passage ici, le nombre de cabanes a doublé (4 au lieu de 2), mais à part Mauricio, qui, du coup, me demande avec respect comment c’était alors, seuls 3 ornithologues sont présents en ce moment. Mauricio nous fait visiter son île, il fait beau, et je laisse le bateau seul au mouillage se balancer sur la houle… avec toujours une appréhension vissée au corps de laisser ainsi notre bateau seul, appréhension que j’essaie toujours de dissimuler.
Quelques bébés cagarros, dont les parents émettent la nuit des cris presque humains qui nous avaient beaucoup intrigués la première fois que nous les avions entendus aux Açores, se cachent dans les amas de roches pour se protéger des attaques des goélands.
Leurs parents sont en mer jusqu’au soir, à chercher de la nourriture. Nous voyons aussi des dizaines de nids-terriers, creusés à même le sol sablonneux du plateau qui constitue l’essentiel de l’île, mais ceux-là sont déjà désertés.

Retour à bord, Barbara a confectionné un pain de poisson à la daurade coryphène, délicieux. A deux cent mètres, les vagues déferlent puissamment sur Baixa do Oeste.
Rattrapage du CNED loupé de la veille l’après-midi...

Olivier


Au mouillage de Enseada das Cagarras



Escale à Selvagem Grande



Nids-terriers à la Grande Salvage



A la découverte de Selvagem Grande



A la Grande Salvage





Jeune cagarro à la Grande Salvage



La base de Selvagem Grande