Décevantes Canaries…
Au milieu de ma nuit de quart, je m’aperçois, à un léger ronflement, qu’Adélie s’est couchée non pas dans la bannette double du flotteur tribord milieu, avec Marin, sa place normale en mer (une toile anti-roulis les sépare), mais sur la banquette opposée à la mienne, sous le roof, sous un fatras de coussins…
Adélie aime bien me tenir compagnie, et je me souviens qu’hier soir, elle m’avait déclaré qu’elle allait faire le quart avec moi… !
Au matin, nous atterrissons sur l’île de Ténérife, et faisons route directement sur Santa Cruz. Au programme : une escale purement technique. Faire du gas-oil, de l’eau douce, des machines de linge, de l’avitaillement, mais aussi trouver un tuyau de 15 mm qui tient 8 bars, un filtre à eaux grises pour le niveau circuit, etc…
Objectif : bâcher ces contraintes dans la journée, et ré-appareiller en fin d’après-midi… pour fuir les affres de la grande ville !
Nous entrons dans la marina del Atlantico, et Bob Escoffier, l’armateur malouin de vieux gréements, nous prend les aussières, sur un catway qui ne dépasse pas la moitié de la longueur du bateau. Il est en croisière sur son voilier personnel, et nous indique qu’il vient de s’engueuler avec la marina, qui lui réclamait une taxe de « signalisation maritime » hallucinante ! Sitôt amarrés, je dis aux enfants de faire le plein d’eau, puis de laver le bateau. Ni poste à carburant, ni machines à laver à pièces dans la plus grande marina de Santa Cruz… Je lance le groupe électrogène sur la machine à laver ENO de l’ami Antoine, et vois disparaître ma Barbouille au fond de la salle des machines babord, dans le coqueron, seul endroit du bord où nous avons pu loger ce satané (mais précieux) engin ! Au millimètre près, après l’avoir démonté en pièces détachées, puis savamment remonté… A chaque fois que l’opération eau douce se répète dans une marina (cela reste rare), c’est un bonheur : l’eau douce à profusion nous fait renaître, et tout passe au lavage/rinçage à grande eau ! Les enfants ne sont pas les derniers à en profiter…
Je décide d’aller tenter de savoir auprès de la marina comment on peut faire du gas-oil ici (Santa Cruz a toujours été un port de ravitaillement en combustibles bon marché, y compris pour les grands navires qui s’y arrêtent quelques heures pour souter sur le trajet Europe de l’Ouest/Cap de Bonne Espèrance). Réponse : il faut commander un camion pour le lendemain !
Quant au prix de la journée à la marina, s’ajoutent effectivement aux 46 euros de stationnement, une taxe de « signalisation maritime » de 119 euros ! J’explique que j’ai surtout besoin de gas-oil, accessoirement d’eau douce, et que je n’ai pas l’intention de payer 165 euros pour quelques heures passées sur un demi-quai et un plein d’eau douce. La préposée, qui s’est fait allumer juste avant par Bob le breton, connaît déjà le son du biniou, et me dit qu’elle comprend, que la marina n’y est pour rien (ce qui semble vrai, la décision provient de la Direction des Ports espagnole). Elle passe même un coup de fil compatissant à la marina concurrente, 3 milles au nord, et se voit répondre que oui, notre catamaran de 8,60m de large doit pouvoir s’y amarrer pour souter. Je lui promets d’être parti dans une heure, et fonce vers le seul ship du coin pour y acheter mon tuyau et mon filtre. Elle me fait cadeau de l’eau douce, et nous souhaite bonne chance…
A la Darsena Pesquera, nous embarquons plus de 600 litres de diesel oil à 0,65 euros/litre (il y a à bord 2 réservoirs de 700 litres chacun, une bonne capacité donc), et mes petits calculs de consommation depuis le départ me donneront un chiffre précieux et réaliste : chaque moteur consomme 3 litres/heure en moyenne au régime où je les utilise d’ordinaire, jamais élevé.
Tant pis pour les grandes courses prévues au Carrefour de Ténérife (avant les épiceries peu achalandées de Mauritanie et du Cap Vert), on tire un trait dessus, et on reprend la mer vers le sud de l’île.
Mouillage à Los Cristianos à minuit.
A 07H00, la Guardia Civil vient nous demander de mouiller plus loin, le ferry de Gomera arrive et a semble-t-il besoin de la zone d’évitage d’un super-tanker…. Le jour se lève sur ces incroyables concentrations touristiques du sud des Canaries. Buildings monstrueux, appartements par milliers, commerces sans intérêt. On y rencontre évidemment la faune humaine qui va avec : allemands et hollandais surtout, de préférence âgés et rouges, enduits de crème solaire, avec option bide à l’air… Los Gigantes, Las Americas, etc…
A fuir… Au mouillage, on s’apercevra même que les rochers alentour sont squattés par des hordes d’homosexuels nordiques… Drôle d’espèce humaine.
Allez on lève l’ancre, et on file à la Gomera, une île dont je garde de bons souvenirs des mouillages de la côte sud. Comme à Funchal il y a quelques jours, je croise un catamaran de day-charter CIM, et je me rappelle l’avoir vendu, quelques années auparavant, à un richissime fils à papa de Las Americas, qui carburait à la cocaïne dans les rues de La Rochelle…
Nous connaissons déjà l’intérieur de Ténérife et le massif du Pic de Teide, qui valent, eux, le détour (3717 m tout de même, et comme je note des fonds de 3800 m non loin de l’île, cela fait une sacrée montagne, à moitié submergée).
Lors de notre dernier passage, Barbara et moi étions les plus étranges passagers du QE2 (prononcer « kiouitou »,le petit nom du « Queen Elizabeth 2 »), le fleuron vieillissant de la Cunard, nous franchissions toujours les premiers la coupée le matin, sac au dos et chaussures de marche aux pieds, foncions louer une voiture, et rentrions dans les derniers à bord le soir avant l’appareillage. Un quart d’heure après, douchés et changés, personne ne nous reconnaissait sur le pont arrière du célèbre paquebot, où l’orchestre de Trinidad jouait de ses steel-bands pendant qu’on nous servait un cocktail fluo. Magique, l’appareillage d’un grand paquebot…
Seul point positif de notre court passage à Ténérife: un catamaran français, lui aussi, et même breton, « Gwenvidick » (Catana 42), est venu nous rejoindre au mouillage. Avec, enfin ! 2 enfants à bord. Tour de l’Atlantique en une année. Nous nous reverrons à la Gomera.
En passant par San Sebastian, nous comprenons qu’il n’y aura pas de place pour nous dans la petite marina, même le temps d’y laisser le bateau en sécurité pour louer une voiture. Nous allons au mouillage dans la petite crique d’Oroja. L’eau est propre, claire, nous y sommes seuls. Je revis.
Débuts en pêche sous-marine. J’essaye ma nouvelle arbalète, que je trouve sur-puissante ! Impossible de la charger sans combinaison (malgré mes abdos, bien entendu ! Non, je rigole, il faut bien dire, en guise d’excuses, que 20 ans de bureau n’ont pas arrangé les choses…). Marin apprécie cette première partie, et il a tout de suite les bons gestes. Je le briefe un max sur la sécurité relative à la manipulation du fusil sous-marin, et aux dangers de la profondeur.
Chose incroyable pour une première séance : 3 tirs, 3 poissons ! Bon, 2 poissons perroquets et 1 poisson trompette, pas de quoi faire une photo souvenir, genre pêche au gros. Mais je note que la puissance de l’arbalète, qui va de pair avec sa longueur, et donc sa précision, doivent sérieusement aider au résultat !
Marin me prend pour un demi-dieu, alors que je suis vraiment piètre plongeur…
Nous visiterons l’intérieur de l’île en voiture, ferons la belle randonnée d’El Cedro (à peu de distance de l’endroit où, 27 ans plus tôt, j’avais été appréhendé par les gardes forestiers en train de chasser la palombe - il fallait améliorer l’ordinaire - dans le Parc National de Garajonay, dont j’ignorais l’existence ! Ils me verbaliseront toute une journée après m’avoir traîné de Vallehermoso à Hermigua, me prendront mon flingue, et me donneront 2 heures pour quitter leur île, ce qui précipitera mon départ pour l’Afrique…), en laissant le cata à Santiago.
Les enfants prennent doucement le rythme contraignant du CNED : la pause consiste en général en un plongeon magistral dans l’eau désormais bleue, et à 23/24°C. L’océan remplace la cour de l’école.
La maîtresse ne rigole pas avec le sujet CNED, et je dois reconnaître que cela lui prend pas loin de 5 à 6 heures par jour. Je n’interviens guère pour l’instant, et j’en profite pour bricoler, entretenir, dépanner, en me disant que j’ai bien de la chance…
Notre séjour à Gomera se terminera à Valle Gran Rey, un mouillage au pied d’une haute falaise noire au pied de laquelle les vents tourbillonnent en tous sens.
Entre les séances Internet chez Sylvain (pour envoyer les premiers billets et photos du blog !), les parties de pêche sous-marine (je raterai une seiche, et Marin aura sa première vraie frousse en plongée : il croisera une raie inoffensive d’1,50 de diamètre), et deux petites randos dans les barrancos, nous passerons 5 jours à peaufiner la première « évaluation » CNED des enfants, postée de ce village au sud-ouest de l’île, colonisé lui aussi par les teutons.
Barbara se souviendra de sa consultation chez le médecin local (allemand biensûr), 85 euros pour un diagnostic qui lui assurera une demi-surdité pour quelques jours de plus (jusqu’au centre de santé de l’île d’ El Hierro)…
Un certain nombre de voiliers sont mouillés là depuis des semaines…
J’ai hâte de gagner la dernière île de notre petit périple canarien : El Hierro, la plus petite, la plus isolée, la plus éloignée, la plus préservée.
Mais pas facile de l’aborder en voilier. C’est l’île du bout du monde de l’archipel, les falaises y sont abruptes, les fonds sont accores, les surventes rageuses, et, dans le seul petit havre susceptible d’accueillir les voiliers à la veille de leur grand saut océanique, on ne peut pas mouiller, et le ressac met à mal les coques, vieillit les défenses, et casse les aussières…
La Restinga, un village aussi petit que son brise-lames est énorme.
En route.
Le cap Blanc, la baie du Lévrier, les abords du banc d’Arguin, à 420 milles au sud.
Bye bye décevantes Canaries…
Olivier
Dans les barrancos ...
... canariens ...
... de Gomera