mardi 1 septembre 2009

Billet N°10 - A Madère


Du Dimanche 30 Août au Mardi 1er Septembre 2009
Nous avons jeté l’ancre dans une baie sauvage, à l’extrémité orientale de l’île, dans Baia de Abra, aussitôt viré la pointe de Barlavento. Un cadre volcanique grandiose, quasi lunaire, qui incite à penser à la création du monde.

Ici, les roches ont souffert, le magma a jailli de mille fissures. Les pressions devaient être énormes, les températures hallucinantes. Aujourd’hui, tout est refroidi, le calme est revenu, et nous sommes là, avec notre voilier, en simples témoins tardifs de ce cataclysme qui a façonné les roches.

L’ocre, le brun, le noir : le soleil couchant donne à ce paysage des temps originels un visage magnifique.

Nous faisons une rando à terre, en laissant l’annexe au mouillage sur son grappin. J’apprends à Marin à pratiquer cette technique qui évite le raguage contre les roches.

Il apprend tous les jours un peu plus, et je m’en réjouis secrètement. Il mouille le bazar à une trentaine de mètres, et rejoint le rivage à la nage. L’eau est maintenant à plus de 20°C. Je lui ai montré, et maintenant, c’est lui qui s’y colle. En 2 minutes, il est sec.

Nous attaquons la pente. Marin a le titre de Maître d’Equipage à bord, de bosco donc. Sur le plan technique, c’est lui qui me seconde pour les manoeuvres à bord. Cela arrange la patronne, qui certes voudrait encore le couver, le petit, quand je l’engueule d’une voix forte sur le coup, mais toujours en venant lui expliquer gentîment, dans les 5 minutes qui suivent, le pourquoi de ses erreurs, et les conséquences possibles. Il croche dedans, et je le vois progresser doucement, mais sûrement.

Barbara en est d’autant soulagée, elle apprécie peu la technique pure, à laquelle elle semble plutôt imperméable. Pas de problème de partage des tâches à bord, on est d’un classique, je vous dis pas ! Chacun ses spécialités, moi je suis interdit de séjour à la cuisine, la patronne a horreur de m’y rencontrer… Inversement, dommage, je ne tombe pas souvent sur elle dans les salles des machines, la clef de 12 à la main… Mais pour le CNED, c’est la maîtresse incontestée, et là, je souffle ! ça n’a pas l’air d’être de la tarte…

J’aurais plutôt tendance, moi, à considérer que pendant trois ans, l’école de la vie à bord et en voyage pourrait suffire à mes petits, mais là, je suis prié de garder pour moi mes théories primitives…

Plus embêtant, mais pas dramatique, pour l’instant tout au moins (j’ai bon espoir que cela change progressivement), je ne la rencontre pas souvent non plus pour la relève de quart la nuit à la « passerelle ». A suivre, le partage des tâches, le dossier est ouvert…

En rentrant de la belle rando du jour, je vide le grand sac à dos tête en bas, mauvaise idée : ma montre de voyage, avec compas, altimètre etc… tombe directement dans le dalot tribord du cockpit, et disparaît vers le fond. Les boules !

J’endosse la bouteille de plongée de 6 litres, palmes, masque et tuba, mais il y a du courant au mouillage, et je ne la retrouverai pas. Il faut vous dire que je ne suis ni bon nageur, ni bon plongeur. Pour l’instant, parce que ça va changer. Mais j’ai tout le matériel à bord.

Le 31, nous gagnons le mouillage de Funchal, et allons au marché.

Autrefois, j’y achetais, un peu à l’écart du parvis, mes fameuses bottes de Madère, fabriquées par un artisan local pour les montagnards de l’île. Avec leurs semelles en pneu cousues à la main, et leur col retourné, elles étaient inusables. La première paire que j’avais acquise, c’était en 1981, lors d’une escale à Funchal avec le trois-mâts Bel-Espoir II, que nous emmenions alors aux Antilles. J’ai parcouru avec des centaines de kms à pied, et des milliers à moto, dont 18000 en Afrique en 1986.

Tout cela n’existe plus, seule une version pour touriste homosexuel est désormais proposée… Retour à bord avec des filets d’espadas, ces poissons de grand fonds à la seule gueule caractéristique, quelques maracujas, fruits de la passion au goût délicieux, et une mangue rose trop mûre.

En récupérant notre annexe dans la petite marina de Funchal, toujours bondée, d’autres souvenirs me reviennent en mémoire : en Août 1982, il y a 27 ans, c’est là, à quai, que j’ai rencontré Bernard et Anne, nos amis de Locqmariaquer. Ils effectuaient alors une croisière à bord de leur Gib Sea 28, mais pour eux, le temps était venu de mettre à nouveau le cap au nord ; moi j’étais en escale avec mon Chatam, le premier Jangada et faisais route au sud.

Mais il faut se méfier des rencontres en bateau, car elles peuvent manipuler insidieusement la notion d’ « amis de 30 ans ». Eh oui, dans 3 ans, nous y sommes ! Le 4 Juillet dernier à La Rochelle, le Land Rover coiffé d’une tente de toit qui abritait Lou, Elsa, et Adélie, c’était Bernard (devenu depuis Capitaine du Grand Nord) et Anne, armateurs d’Isbjörn, le bateau de l’Arctique (tapez « Escales Polaires » sur Internet). Barbara a travaillé longtemps pour Escales Polaires quand Marin et Adélie étaient petits, et aujourd’hui, à nouveau en voyage, on pense fort à vous les amis !

Le lendemain, nous louons une voiture à Machico, un mouillage qui m’a été recommandé par Miguel et aussi par Joao, une autre vieille connaissance de Madère. Nous laissons le bateau au mouillage, seul pour la journée, et partons dans les montagnes. De Ribeiro Frio à Portela, belle journée de randonnée pédestre. 5 heures de marche à suivre une levada, rigole d’eau douce captée dans les hauteurs du relief, qui l’achemine à des altitudes inférieures, permettant la culture de fruits et de légumes, nécessaires à la survie des colons, et plus tard, à celle des habitants des hauteurs.
Incroyable ce que la main de l’homme a pu façonner ici, depuis le XVème siècle…parfois au flanc de parois à pic où je me prends à avoir le vertige. Ces travaux incroyables ont exigé le tribut de plus d’une âme… Je rappelle fréquemment les enfants à la prudence, l’étroit sentier longe des abysses, mais ils ont le pied sûr, et marchent bien. Depuis le temps que nous les emmenons en rando, Barbara et moi, ils continuent à maugréer parce qu’ils préfèrent de loin mater un DVD sur le videoplayer Sony du bord, n’empêche qu’ils sont tous deux devenus de bons marcheurs. Ils en étonnent plus d’un sur les sentiers pédestres !

Barbara, elle, adore marcher, elle le ferait pendant des heures sans se poser de questions, c’est donc à moi d’intégrer dans la timing de la journée de marche la notion de retour…

En fin d’après-midi, nous passons par Funchal pour demander les autorisations spéciales d’escaler aux îles Desertas et aux îles Selvagens, classées réserves naturelles.

En 10 minutes de téléphone, j’obtiens mes deux numéros : feu vert pour ces cailloux à l’écart du monde. Bien joué.

Demain, on mettra le cap au sud, direction le Farilhao, cette aiguille de roche acérée qui délimite au nord les îles Desertas.

Mais demain est un autre grand jour : les enfants font leur rentrée scolaire !!! A bord biensûr… Dans une nouvelle académie : le CNED (Centre National d’Enseignement à Distance). La maîtresse semble un peu stressée (on la comprend, car la tâche a la réputation d’être hardue), les enfants semblent diversement motivés (Adélie davantage que Marin), et dès la rentrée, pour m’être baladé quelques instants semble-t-il à poil dans la cour de l’école, les deux élèves de la promo Jangada Cned 2009/2010 m’affublent du surnom de « proviseur quéquette » !!!
Je décide d’assumer le surnom tant qu’aucun qualificatif désobligeant n’y est associé, et pour tenter de conserver ma dignité, au moins de Capitaine, je décide d’appareiller de Baia de Abra pour l’insolite micro-mouillage (au ras des cailloux, pratiquable uniquement par très beau temps) de Deserta Grande, où le gardien, détaché là par le gouvernement de la région autonome de Madère a du être prévenu de notre arrivée prochaine…

J’entends que des listes de fournitures scolaires complémentaires sont établies, et je me dis que c’est ni aux Desertas ni aux Selvagens que le proviseur et la maîtresse vont pouvoir trouver çà…

Olivier


Au mouillage de Baia de Abra


Au mouillage de Baia de Abra


Jangada vu de Punta da Barlavento


Les espadas de Madère


Au mercado de Funchal




Rando des levadas




Levada de Portela




Dans les montagnes de Madère


A la vôtre!