mardi 8 décembre 2009

Billet N°30 –En Casamance (Olivier)

Du 24 Novembre au 5 Décembre 2009

Tabaski à Ehidj, avec Tomana et Mamina…

Le 24 Novembre, nous quittons Nioumoune et regagnons le cours principal de la Casamance.

La veille au soir, en rentrant de Tan-Tank, nous avons retrouvé le bateau à 100 mètres plus loin que là où nous l’avions laissé sur son ancre… Les villageois nous disent qu’il y a eu du vent au village, et l’ancre a chassé dans la vase, malgré la longueur de chaîne. Le courant de marée (semi-diurne ici) est également fort, jusqu’à 3 nœuds parfois.

Les quilles et les safrans se sont plantés dans la vase en douceur.

Dans une manœuvre, Barbara laisse tomber ses lunettes de soleil Vuarnet à l’eau…

Celle-çi est très chargée, on n’y voit pas à 20 cm, le moindre mouvement au fond lève un nuage de vase, et ma plongée ne donne rien.

Mais le lendemain matin, Alfred, qui a perçu le désarroi de Barbara, jette un filet d’une centaine de mètres à l’eau, et le remonte patiemment sur la rive, avec 3 ou 4 villageois. Je suis sceptique, mais lui est confiant, et il a raison : dans le cul du chalut, les lunettes envasées surnagent !

Je ferai don à Alfred du hamac du bord, il l’a bien mérité. Ces gens-là sont foncièrement bons.

Nous faisons escale à Pointe Saint-George, puis redescendons le fleuve le lendemain vers Karabane, qui ne nous enthousiasme pas.

Tout nous pousse à revenir à Ehidj, notre petit village enchanté.

Les enfants sont ravis, c’est un village d’une douzaine de cases dont ils ne voudraient plus jamais partir !

D’ailleurs, Marin, que les villageois appellent « le playboy », serait bien adopté par le village.

Je l’appelle Marin Soumaré, du nom de la principale famille d’Ehidj…

Il participe avec bonheur et enthousiasme à toutes les activités des hommes du village.

Il va aussi « au cabaret », le lieu, dans la brousse, où Pierre et Maurice récoltent le vin de palme.

Nous reprenons notre place au mouillage dans le petit goulet proche de la plage.

Et avec elle nos petites habitudes.

Les villageois d’Ehidj, par leur gentillesse, leur hospitalité, leur simplicité, leur humanité, nous laissent l’impression d’être chez nous depuis toujours ici…

Ils nous donnent, croyez-moi, une belle leçon de vie, humble et généreuse.

Nous sommes aussi revenus à Ehidj, car du village nous pouvons gagner Cap Skirring par les bolongs en 30 minutes d’annexe.

Or un évènement se prépare sur la piste de Cap Skirring : Tomana et Mamina, les parents de Barbara, vont y atterrir après-demain !

Ils viennent partager notre voyage au long-cours le temps d’une semaine, après avoir trouvé in extremis 2 places dans le seul avion hebdomadaire qui relie Paris à Cap Skirring via Dakar.

La veille, nous laissons les enfants faire le CNED tous seuls (la maîtresse a des doutes sur l’emploi du temps effectif de la matinée…) et allons au Cap faire les appros en annexe.

En soirée, nous « bidonnons » au puits du village pour remplir nos réservoirs : vous n’imaginez pas l’importance des bidons en Afrique. Quel que soit sa taille ou sa forme, un bidon est toujours un trésor sur ce continent.

Vendredi 27 Novembre : l’avion charter d’XL sort des nuages et se pose, en freinant sec, sur la piste de Cap Skirring, suffisamment courte pour nécessiter un changement de pilote à Dakar…

Bienvenue en Casamance, Tomana et Mamina !

Pas le temps de souffler, quelques minutes plus tard, tout le monde s’entasse dans le vieux Land-Cruiser Toyota de Michel, un français sympathique qui a décidé de passer 4 à 5 mois par an en Casamance, où il a fait construire il y a plus d’une vingtaine d’années une belle case en lisière du village d’Ehidj. Je lui envie aussi son « arbre à hamacs », le specimen idéal pour y installer simultanément 5 hamacs parfaitement à hauteur, ce qu’il a fait. Au fur et à mesure que nous traversons le bourg du Cap, nous embarquons de nouveaux passagers, Léon venu chercher sa fiancée de Dakar, Ciquendo, Alexandre, le piroguier de Michel, tous d’Ehidj. Je regarde ma belle-mère du coin de l’œil, par-dessus les bagages, les pains de glace, les sacs de vivres, et les africains, je crains une défaillance, mais non, elle vit encore.

Le choc est rude, l’Afrique lui saute au visage sans transition, dans la chaleur de ce début d’après-midi. Les militaires en armes aux carrefours, les petits étals de fruits et légumes, le bruit de la seule rue du Cap, la poussière, l’odeur forte du poisson séché, les interpellations des sénégaulois (« toubabs ») par les africains, toujours prêts à faire un petit business…

Tout ira mieux au grand air dans l’annexe, sur la route de retour vers le village par les bolongs.

Mes beaux-parents iront dormir au campement du village, joliment construit, dans les vrais lits d’une case en dur au toit de paille de riz, au milieu des bougainvillées.

Le lendemain, ils seront totalement d’attaque, et ça tombe bien, car au village, comme dans tout le Sénégal, on fête aujourd’hui la tabaski, le mot wolof qui désigne l’Aïd-el-Kébir des musulmans.

Seules 2 familles sont musulmanes à Ehidj sur une douzaine, mais qu’importe ici, chaque fête religieuse ou civile est prétexte à faire la fête avec tout le village.

Les catholiques fêteront la tabaski, et les musulmans fêteront Noël…

Encore une leçon de sagesse, de respect et de tolérance.

Il ne fait pas bon, par contre, être de la race ovine ce jour-là, mâle, et bien en chair : un mouton est sacrifié devant chaque case musulmane, au profit de tout le village. Nous sommes invités à participer à cette fête, qui commence par le sacrifice des animaux. Pour ne pas inquiéter les 2 boucs dont le destin a été scellé, ils ont été attachés court la veille à l’arbre le plus proche des deux cases. Nous avons perdu l’habitude, chez nous, à force de ne plus aller que dans les rayons de chez Leclerc, d’assister à ce genre de spectacle.

Bon, ben pour les cœurs sensibles, je n’ai pas mis d’images sanguinolentes…

A l’égorgement succède le dépeçage, ces travaux étant confiés aux jeunes du village. Rien n’est perdu, tout sera mangé…

Puis les femmes prennent le relais, et préparent le repas pour tout le monde : riz et mouton, que l’on mange avec les doigts, et bien sûr bunuk (vin de palme) à volonté…

Et palabres sous les arbres…

Le soir, tout le village se retrouve au même endroit pour le dîner.

Au menu, les abats des moutons tués le matin, avec du riz bien sûr.

Pas d’électricité dans le village, seulement les flammes des bougies et des lampes à pétrole.

Dès la fin du repas, on écarte les bancs, et les percussions des djembé prennent le relais des palabres. Le son est envoûtant, on sent qu’il remue le sang des africains. Ca commence à bouger.

Selon l’envie de chacun, homme ou femme se lance sur la piste de sable, pour une danse rythmique courte mais soutenue et très physique.

Un spectacle naturel haut en couleurs, où dominent les rires et les commentaires bon enfant sur la performance de chacun.

Le tam-tam résonne jusque tard dans la nuit africaine…

Nous naviguerons les jours suivants sur les bolongs vers Ourong puis Elinkine, assisterons au départ des grandes pirogues de pêche vers le large, et à la prière de leurs équipages, et gagnerons Kachiouane puis Djogué, le village des Ghanéens, sur la rive droite du fleuve.

En 2004, ce village, situé à l’embouchure du fleuve, avait vécu une razzia opérée par une grande pirogue venue par le large de la Guinée Bissau voisine, montée par une bande de voyous armés jusqu’aux dents. Arrivés de nuit sur la plage après avoir franchi la barre, ils avaient pillés les maigres ressources du village. Depuis, l’armée sénégalaise a installé une mitrailleuse, planquée dans les arbres, mais qui prend la longue plage en enfilade…

Rien de tout ça dans notre petit village préféré, protégé peut-être, qui sait, par l’esprit de l’ancêtre guerrier Soumaré. Avant de quitter le havre de paix d’Ehidj, nous invitons tous nos amis à boire un verre à bord, et laissons notre marque sur le livre d’or de Léon.

Nous raccompagnons Tomana et Mamina à Cap Skirring, les enfants profitent de la belle plage baignée par l’océan, puis nous nous apprêtons à gagner Ziguinchor, à 35 milles en amont, pour préparer notre traversée de l’Atlantique.

Nous appareillons à 5 heures du matin pour profiter du courant de la marée montante, mais, incroyable, une brume épaisse enveloppe le delta. On n’y voit pas à 30 mètres ! Je navigue au radar entre les bancs pour gagner le cours du fleuve, la brume finira par se dissiper en fin de matinée.

Ziguinchor est la grande ville de Casamance, mais elle reste sympathique et porte des traces de son passé colonial : nous y sommes venus pour y faire notre approvisionnement en carburants, vivres, eau minérale, fruits et légumes, visas de sortie sur les passeports, récupération du colis de notre nouveau frigo enfin arrivé à Cap Skirring, après pas mal de déconvenues et autres taxes astronomiques.

Deux mois que nous avons appris à nous en passer, et il faudra encore attendre le Brésil pour que j’attaque son installation…

Ultimes contrôles techniques avant l’appareillage pour le Brésil, désormais proche.

Pour l’heure, mon attention se porte sur les rares renseignements dont nous disposons au sujet des Rochers Saint-Paul, ces minuscules îlots perdus au milieu de l’Atlantique, à mi-chemin entre Afrique et Amérique du Sud, légèrement au nord de l’équateur. (00°55’N ; 29°20’O)

Appartenant au Brésil, ils se trouvent généralement dans la zone intertropicale de convergence, aussi appelée « pot-au-noir » (calmes équatoriaux).

Ils culminent (si l’on peut dire !) à 22,50 mètres de hauteur, et s’étendent sur seulement 350 mètres du nord au sud et 200 mètres d’est en ouest.

Comme on peut s’en douter, ils ont été découverts par un malheureux hasard, dès le 20 Avril 1511, lors du naufrage d’une caravelle portugaise qui faisait partie d’une escadre de six, en route pour le Brésil.

Avant l’équipage de Jangada ( !), la dernière célébrité à s’y être arrêtée est Charles Darwin, qui faisait route au sud à bord du HMS Beagle, le 16 Février 1832.

Plus récemment (1er Juin 2009), le drame du vol 447 d’Air France qui devait relier Rio de Janeiro à Paris en Airbus A 330 s’est déroulé dans les parages des Rochers Saint-Paul.

On ne peut pas considérer notre prochain passage aux Rochers Saint-Paul comme une véritable escale, il faudrait que l’océan soit vraiment très calme pour que nous puissions y débarquer (la houle s’y brise avec violence habituellement), mais peut-être aurons-nous la chance de nous y arrêter quelques heures, s’il fait beau et qu’ un mouillage apparaît praticable.

Mettre l’annexe à l’eau, aller faire un tour dans cet endroit impensable, ce serait fantastique !

Nous verrons bien ce qu’il est possible de faire, avec prudence, quand nous apercevrons ces roches perdues émerger de l’océan devant nos étraves, sans doute à faible distance..

Au pire, je sais que les parages des rochers sont très poissonneux.

Et si nous ne pouvons pas nous y arrêter parce que la mer est trop forte, eh bien, nous continuerons notre route vers l’île de Fernando do Noronha, où nous espèrons être arrivés pour Noël !

Vous pourrez suivre notre progression sur l’océan, du coin de votre cheminée, via notre balise Argos…

A Ziguinchor, Casamance, le 8 Décembre 2009, veille d’appareillage pour l’Amérique du Sud

Olivier

L'équipage de Jangada et ...



... nos invités de marque!



Vues à Kachiouane, 3 générations


Mamina et sa petite fille.


Mamina et Tomana en Casamance...


Jangada au mouillage de Kachiouane...


A Elinkine...


Préparation du dîner de la Tabaski


La fête de la Tabaski à Ehidj...