jeudi 24 décembre 2009

Billet N°34 - arrivée au Brésil, à Cabedelo/Joao Pessoa, mouillage de Jacare

23 Décembre 2009, .


Lenteur en mer…

Ces 48 heures de mer passées à escorter le voilier blessé « Tahiti » depuis Fernando, sont éprouvantes. Nous avons commencé par prendre 1 ris dans la grand-voile pour freiner le bateau, mais il a fallu rapidement se résoudre à prendre le 2ème, puis le 3ème ris, en conservant seulement un petit bout de solent, pour ne pas distancer Charlie, Cielo et leur petit chien Alba, dont le voilier endommagé, et qui fait eau, ne marche qu’à 4 nœuds...

Pas question de le brutaliser, alors que sa structure est sérieusement endommagée.

Nous prenons tout de même une daurade coryphène, probablement pas bien réveillée (à faible vitesse, les prédateurs détectent le piège des leurres, bien visibles et plus statiques, et la pêche à la traîne est alors peu productive, la vitesse idéale se situant entre 6 et 8 noeuds), tandis que les reliefs tourmentés de l’île de Fernando do Noronha s’estompent doucement dans notre sillage matinal. Le poisson à la tahitienne est assuré pour le déjeuner !

Nous restons à portée visuelle du voilier escorté, et régulièrement, Charlie nous confirme en VHF que la voie d’eau reste stable.

La veille, au mouillage à Fernando, Charlie (belge) et Cielo (espagnole), qui vivent depuis 25 ans aux Baléares, à Majorque, nous ont raconté leur aventure peu enviable avec ces cachalots de rencontre.

A environ 350 milles de Fernando, leur voilier en polyester (un Kelt 11,30 mètres, pourtant solidement construit, un des premiers dériveurs intégraux), venant du Sénégal, faisait route babord amures au bon plein, dans un alizé de sud-est de 15/18 nœuds, avec un angle de gîte d’une trentaine de degrés sur tribord. Vers midi, ils s’apprêtent à prendre l’apéro dans le cockpit. Il fait beau. Ils ne voient rien venir, mais soudain, un premier choc ébranle le bateau, puis quelques secondes après, un second, beaucoup plus puissant, envoie le bateau latéralement à 3 ou 4 mètres sur la gauche de sa trajectoire initiale, mais avec une gîte inversée de 30°, sur babord cette fois… !

Charlie crie de surprise et d’effroi, puis voit une famille de 3 cachalots, dont un petit, s’éloigner doucement. L’épisode n’a duré que quelques secondes. Il évalue la taille des adultes à 15/20 mètres…

La séquence choc est terminée, restent les dégâts… Charlie constate que sa table à cartes, située à tribord, s’est déplacée de 30 cm, que la porte du cabinet de toilette ne ferme plus, que deux varangues sont brisées dans les fonds, que des cloisons structurelles ont bougé, que l’eau rentre dans son bateau. Il constatera même un peu plus tard avec stupéfaction que le bol en verre de son pré-filtre gas-oil, localisé dans le compartiment moteur, a éclaté sous l’impact!

Jusqu’à Fernando, atteint 2 jours et demi plus tard, il faudra assécher plus de 100 litres à l’heure.

Je me rendrai à bord au mouillage de Fernando pour me faire une idée du problème, puis je proposerai à Charlie et Cielo, après avoir convaincu les miens du bien-fondé de cette proposition, de repartir rapidement vers Joao Pessoa, avec Jangada comme escorte, au cas où les choses empireraient. Nous leur passons une pompe de cale mobile supplémentaire.

Je constaterai pour ma part ultérieurement que l’impact du cachalot a porté sur le bouchain tribord, un peu en dessous de la flottaison, probablement sur une surface de l’ordre d’1 m2.

La violence du choc a été impressionnante, et Charlie pense que dans un premier temps, son voilier a heurté le « petit » cachalot qui évoluait à proximité de ses deux parents, et qu’à la suite de ce premier choc, l’un des adultes a chargé violemment le voilier, dans un réflexe de défense naturel.

On dit aussi que les carènes de voilier recouvertes de peinture anti-fouling de couleur noire peuvent ressembler sous l’eau à des orques-épaulards, grands prédateurs marins…

Charlie, qui ne s’est pas départi pour autant de son humour, me regarde avec un grand sourire, et me dit : « Tu vois, Olivier, jusqu’à maintenant, je pensais que ce genre de trus n’arrivait qu’aux autres ! »

Je lui réponds que dans l’immédiat, nous tenons à ce que ce soit lui qui reste notre héros spécialiste des grands cachalots… D’autant que, mathématiquement, étant 2 fois plus larges, nous avons 2 fois plus de chances de nous encadrer un cachalot… Allez, on parle d’autre chose !

Au petit matin du 23 Décembre, nous mettons en panne à l’approche du chenal d’entrée de Cabedelo, le petit port de commerce qui garde l’embouchure du Rio Paraiba : nous attendons « Tahiti », à une dizaine de milles derrière. J’explique aux enfants qu’en Amérique, le balisage latéral est inversé, bouées vertes à laisser à babord, bouées rouges à laisser à tribord, en entrant. Nous nous engageons dans la passe, et je montre à Barbara et aux enfants une jangada qui fait voile pour pêcher à proximité du récif.

Nous laissons les brisants déferler à tribord, puis gagnons les eaux calmes du Rio Paraiba, qui donne son nom à l’état brésilien du même nom.

Nous longeons, sur le fleuve, le quai du port de commerce de Cabedelo, et je raconte aux enfants une petite aventure qui m’est arrivée exactement à cet endroit, il y a … 30 ans.

En général, quand je vais chercher dans mes souvenirs de voyages (j’ai de la réserve), les enfants, drivés de longue date par leur Maman, me disent : « Ca y est, Papa va encore nous raconter l’une de ses guerres ! ».

Je réponds alors : « Bon OK, OK, je me tais, je ne raconterai rien, mais là, vous perdez vraiment quelque chose… ! » Je gagne alors à tous les coups, car les enfants veulent bien sûr savoir ce qui a bien pu m’arriver il y a si longtemps à cet endroit. Et quand Barbara se met elle aussi à tendre l’oreille, alors là, je savoure discrètement un petit bonheur instantané, et je me lance !

Premier Lieutenant à bord du cargo « Clisson » de la Compagnie de Navigation d’Orbigny, je devais avoir alors 22 ou 23 ans, nous faisons escale à Cabedelo, en remontant la côte du Brésil. Le Commandant Le Hoerff était vraiment sympa, il m’avait autorisé, au départ de France, à embarquer ma planche à voile à bord du cargo. C’était une des premières « Dufour Wing ». Il n’avait rien à y gagner, en tant que « responsable de l’expédition maritime », et je m’étais promis de ne pas lui faire regretter cette décision impensable dans une autre Compagnie. Ma planche était devenue un sujet majeur d’intérêt pour l’équipage, et nombreux étaient ceux qui voulaient s’y essayer, à leurs heures de disponibilité. J’allais toujours repérer en premier le plan d’eau, et à Cabedelo ce jour-là, c’est ce que je fis. Mise à l’eau avec la grue de la cale 6, la plus en arrière, qui ne devait pas friser la surcharge, l’opération de mise en service demandait 3 minutes. Et me voilà parti sur le Rio Paraiba, qui, sur sa rive gauche, longe la très jolie petite île verdoyante de Restinga, ourlée de plages de sable blond immaculé, sur lesquelles on ne rencontre, c’est bien connu au Brésil, que de jolies filles peu vêtues, etc…

Plan d’eau idéal, petit vent léger régulier, je me dis, quel beau métier, la belle vie !

Mais, à l’occasion d’un bord de retour vers le cargo à quai, en pleines opérations commerciales, j’aperçois 2 personnes sur le quai, qui me font des grands signes avec les bras…

Je m’approche, et à 200 mètres environ, je distingue la silhouette et les galons du Commandant Le Hoerff en uniforme et celle, plus ramassée, de l’agent de la Compagnie !

Damned !

Je termine mon bord le long du quai, et m’affale dans l’eau à 3 mètres aux pieds du Tonton, pressentant des soucis. Le Hoerff me dit : « Olivier, sortez de là tout de suite, le coin est truffé de requins !!!Montez à l’échelle, là ! »

« OK, Commandant !, je ne savais pas ! » Dès que je suis sur le quai, dégoulinant dans l’ancêtre des shorties d’aujourd’hui, le Commandant, rassuré sur le sort de son Lieutenant, est à deux doigts de m’embrasser… L’agent m’explique que le plan incliné, là, à 150 mètres du cargo, alimente en cétacés sanguinolents l’usine baleinière de Cabedelo, la dernière du Brésil, qui tourne à plein régime. Les nombreux rejets d’abats que l’usine opère dans le fleuve entretiennent le plus bel échantillon brésilien de requins de diverses espèces, qui ont élu domicile à proximité. Requins pas trop regardants, d’après l’agent, sur l’origine exacte des morceaux de viande…

Bon, ben merci Commandant, je range la planche pour quelques temps…

Le lendemain, en me promenant sur le petit marché local de Cabedelo, je trouverai de la viande de baleine sur les étals, et quelques dizaines de mâchoires de requins fraîchement décharnées, à vendre pour quelques cruzeiros. Le Commandant Le Hoerff sera d’accord avec moi pour trouver, le soir même, que la viande de baleine, c’est pas terrible, ça ne vaut pas un bon tourteau des Sept Iles…

« Dis-donc, Papa, tu as eu chaud, tu aurais pu te faire bouffer par un requin ! »

Et là, c’est facile pour moi de peaufiner l’image du père :

« Oui, mais tu sais, cet épisode ne m’a pas empêché de refaire de la planche à voile, quelques jours plus tard, à proximité de Manaus, au confluent de l’Amazone et du Rio Negro, en pleine Amazonie… Et cette fois, je faisais tout pour ne pas tomber dans l’eau, et lorsque c’était le cas, crois-moi, je remontais vite fait sur ma planche ! Tu sais pourquoi ? »

Et l’enfant de répondre :

« A cause des piranhas ! »

Le père :

« Eh oui, biensûr ! »

Fin du récit de guerre…

Le slipway existe toujours, il est maintenant utilisé par les petits ferries qui traversent le fleuve ; l’usine baleinière n’existe plus, elle a été fermée peu de temps après ma séquence « émotions » (mais pas à cause d’elle), le Brésil ayant décidé de renoncer à la chasse baleinière.

Nous remontons le fleuve sur quelques milles jusqu’au mouillage de Jacare (crocodile en brésilien), et jetons l’ancre en face des deux pontons en bois installés là par deux Français, Philippe et Françis, qui ont créé à cet endroit une petite marina, Jacare-Village.

Barbara, Marin et Adélie viennent de boucler leur première traversée océanique : félicitations du Captain !

Jangada V est arrivé au Brésil, cela se voit à quelques amers remarquables pour le marin au long-cours : les maillots de bain des jeunes filles se mesurent en cm2, et les rayons des mercadinhos, des mercados, et des super mercados regorgent de cachaça Pitu !

Nous avons le wi-fi à bord, un luxe incroyable pour nous, et, dès le premier soir, les notes apaisantes du Boléro de Ravel nous parviennent depuis le bar sur pilotis qui jouxte le mouillage.

Nous laissons les enfants, ravis, à leurs plongeons dans la petite piscine de Jacare-Village, et j’emmène Barbara boire une caïpirinha pour arroser notre arrivée sur l’autre rive de l’Atlantique.

Demain, c’est Noël !

Olivier

Tahiti, le voilier blessé...


Désormais en sécurité!


L'équipage à l'arrivée de sa 1ère transatlantique...


Pas de doute...


... nous sommes arrivés au Brésil!


Décoration de Noël à bord.


Feliz Natal!!!


Soir de Noël pour les petits ...


... et les grands!