Samedi 29 Mai 2010. Atoll d’Amanu, aux Tuamotus.
Les enfants ont joué toute l’après-midi autour du Faré Iti Coco, leur cabane sur l’atoll. Dépendance d’une ancienne ferme perlière, aujourd’hui abandonnée.
Ils l’ont aménagée avec les objets délaissés trouvés sur place.
Ils ont aussi repéré un gros crabe de cocotier, aussitôt appelé Bob, qui réside dans les parages. Adélie voulait à tout prix que je l’attache avec une ficelle à un poteau d’angle de la cabane, jusqu’au lendemain.
J’ai essayé de négocier pour Bob le maintien en liberté conditionnelle, mais il m’a fallu finalement me résoudre à le capturer et à l’attacher par la plus grosse de ses deux pinces avec un petit bout de 4 ou 5 mètres de longueur.
Je crois qu’en réalité Adélie avait une confiance limitée dans la loyauté de Bob à son égard, et elle préférait le voir attaché à un poteau avec un rayon d’action limité, plutôt que de partager avec lui, en liberté, son nouveau domaine…
Bob était pourtant chez lui, mais bon…
J’ai ensuite eu l’idée de proposer aux enfants une chasse aux crabes dans la cocoteraie : j’avais repéré le matin même un coin de terre meuble, à quelques dizaines de mètres de l’eau du lagon, où ces charmantes petites bêtes affectionnent de creuser leurs terriers…
Nous voilà partis à la chasse aux crabes, avec la ferme intention de ramener de quoi faire un bon barbecue, de retour au faré des enfants.
Le bois flotté, le bois mort, et les bourres de noix de coco ne manquent pas.
Nous prenons nos deux paires de gants de plongée en néoprène, et un sac en maille de filet. Les tartarins de l’atoll se mettent en route.
Au bout de quelques centaines de mètres, je retrouve le spot repéré plus tôt. Le sol, jonché de noix de coco à tous les stades de maturation, est truffé de terriers de crabes.
Mais l’alerte est vite donnée chez les collègues de Bob : chaque crabe a son terrier, et tout le monde au fond du trou !
Damned !
Nous voilà à quatre pattes, à essayer d’identifier les terriers qui ont un zabitant, et ceux qui n’en ont pas. Il n’y a pas beaucoup d’amateurs, chez les enfants, pour me faire de la concurrence lorsqu’il s’agit d’aller, à l’aveuglette, glisser la main, même gantée, au fond du trou, qui peut mesurer 50 cm…
Drôle d’impression.
Le crabe qui s’y trouve n’a pas, mais pas du tout, l’intention d’en sortir, et il faut batailler dur pour lui faire entendre le contraire, sans se faire pincer, c’est préférable.
A bientôt 55 ans, me voilà dans une drôle de posture, en train de m’adonner à une drôle d’occupation ! Mais pourquoi donc ai-je proposé cette chasse aux crabes aux enfants, suivi d’un barbecue au faré ?
Je sors difficilement les premiers crabes, parfois une patte, ou une pince, me reste dans la main, mais j’arrive généralement à mes fins.
Au bout d’une demi-heure, le sac compte une douzaine de crabes.
Allez, encore deux ou trois, et le compte sera bon.
Soudain, la main au fond du trou, je me fais pincer le majeur de la main droite par un crabe plus adroit que les autres.
Malgré mon gant en néoprène de 3 mm d’épaisseur, je hurle de douleur.
La pression est énorme. Je retire mon avant-bras brusquement, ce qui arrache la pince principale du crabe (celles-ci sont dissymétriques, une grande, une petite). Et à ma grande surprise, la pression ne diminue pas, la pince continue d’appliquer sur mon doigt une pression incroyable, qui me fait hurler devant les enfants médusés !
J’ai l’impression d’avoir le doigt compressé dans un étau qui aurait été copieusement serré.
Avec Marin, nous essayons d’arracher la pince en l’ouvrant, mais cette tentative me laboure la chair, je gueule de plus belle !
Il faudra attendre 1 à 2minutes après le sectionnement de la pince pour que la pression diminue suffisamment, et que l’étreinte se relâche...
Incroyable la puissance de cet organe, j’en reste stupéfait, et endolori pour quelques heures.
Il faut dire que ces crabes se nourrissent exclusivement de noix de coco, et vous savez comme il est particulièrement difficile de décortiquer une noix de coco de sa bourre sèche. Les crabes de cocotier pratiquent cet exercice chaque jour, et, pour atteindre cet objectif vital pour eux, la nature les a dotés de pinces particulièrement puissantes.
Bon, ben, moi à qui Barbara reproche de dire de temps à autre qu’on apprend souvent dans la douleur, cet épisode ne va pas me faire changer d’avis…
Nous arrêtons là l’expérience chasse (la pêche est à venir) nature et tradition, et revenons au faré. Les enfants allument un brasero avec quelques petit bois et des bourres de cocos sèches.
Je sors prudemment les crabes un par un du panier, leur arrache les pattes et les pinces (sympa), seul moyen de les immobiliser (et puis c’est marqué dans notre livre de recettes de Robinsons en voyage !), et les met à cuire au barbecue, pinces comprises, sous les yeux effarés de Bob, qui observe cette scène d’horreur depuis sa planque précaire, à faible distance, localisable en suivant la ficelle qui le prive provisoirement de liberté.
Adélie et moi avons passé un deal concernant Bob : il aura connu pendant quelques heures la captivité, soit, mais sera relâché demain, et échappera au sort de ses infortunés congénères !
Un quart d’heure plus tard, Barbara nous rejoint au faré et nous dégustons nos crabes, avec une nette préférence pour les pinces. Le corps est très huileux, cette espèce de crabe stockant l’huile de coco dans une poche attenant à l’abdomen, laquelle est crevée lors de la cuisson sur le feu…
Suite des travaux pratiques. Les enfants, tout à l’heure, en aménageant un chenal balisé pour accéder avec l’annexe et le kayak à leur faré, ont repéré un petit requin de récif à pointes noires, qui nage dans deux mètres d’eau et a visiblement ses habitudes dans le coin. Ils l’ont surnommé Black Jack. Son aileron dorsal dépasse fréquemment de la surface, il est aisément reconnaissable, et rôde dans le quartier, à l’affût d’une affaire. Les enfants n’osent plus trop se servir du kayak, ni aller chercher l’annexe sur le coffre qu’a mouillé Marin à 5 mètres du rivage, sur le platier.
Décidément pas à une connerie près ce jour-là, je propose aux enfants de tenter de le capturer au filet, cette nuit, histoire de savoir à quoi il ressemble, de près.
Réponse enthousiaste immédiate des enfants.
Nous allons chercher le tramail (un filet constitué de 3 mailles juxtaposées, une de section plus petite au milieu de deux de section plus grande) de 25 mètres que nous avons à bord, et que nous n’avons utilisé que 3 ou 4 fois depuis le départ, prenons des flotteurs, des plombs de plongée, et, peu de temps avant la nuit, Marin et moi posons le filet devant le faré, à une trentaine de mètres du rivage, par 4 à 5 mètres d’eau.
Marin s’endort avec la jouissive perspective de pêcher pendant son sommeil. J’ai connu cela à son âge.
Le soleil se lève sur le Dimanche 30 Mai. Nous vivons avec le jour, nous couchons tôt, mais sommes debout à 06H00.
Marin et moi avalons un rapide petit-déjeuner, puis filons avec l’annexe vers le faré, et le tramail posé devant. J’explique à Marin qu’il est déjà tard pour relever un filet, et que dans les endroits où sont présents des prédateurs, ces derniers ont souvent déjà profité de l’aubaine matinale que leur offrent les poissons pris dans les mailles.
Le filet est là, immobile, ses flotteurs en surface.
Mais quand nous commençons à relever le tramail, une surprise nous attend !
J’aperçois immédiatement Black Jack pris dans les mailles, mais il n’est pas seul !
Le filet a été martyrisé par des requins, et il présente plusieurs déchirures.
Marin et moi embarquons dans l’annexe 6 requins à pointes noires, 3 adultes et 3 jeunes, et un petit requin gris.
L’un des adultes a commencé à se faire dévorer par l’un de ses congénères.
Pas un seul autre poisson du lagon dans le filet !
Bon, à l’évidence, ce n’est pas une très bonne idée de pêcher au tramail aux Tuamotus !
Que les âmes sensibles à la vision des images se rassurent : ce petit prélèvement involontaire dans la population des requins du lagon d’Amanu est indolore pour la faune locale.
Il y a des centaines de requins dans le lagon d’Amanu.
Dans l’annexe, nous faisons attention, à nos pieds d’abord, aux boudins gonflables de l’annexe ensuite. Certains des requins pris dans le filet bougent encore, et leurs dents sont particulièrement acérées. Elles coupent comme des lames de rasoir.
Nous rentrons à bord, où Barbara et Adélie sont aussi surprises que nous de notre coup de filet.
Hisser le tout sur le pont avant tribord de Jangada ne sera pas chose aisée.
Nous dégageons un à un les requins, emprisonnés dans les mailles, et quelques morceaux de coraux qu’ils ont arraché au fond en se débattant.
Le tramail est remisé dans sa caisse en plastique dans la jupe arrière babord, ce n’était pas une bonne idée !
Olivier
Bob, le crabe de cocotier du Fare Iti Coco...
Retour de pêche au tramail, aux Tuamotus...
Bon, ben on a du faire un tout petit prélèvement...
... dans la nursery...
... des requins de récif à pointes noires du lagon d'Amanu!
Ce mauri a les dents propres, et acérées...
... et cela se voit sur son congénère!
Père et fils, pêcheurs de requins aux Tuamotus...