Tuamotus, l’ « archipel dangereux » de Bougainville, pour nous aujourd’hui l’archipel heureux.
« Tua » veut dire « très loin » et « motus » signifie « ilôts », en polynésien…
Nous avons aimé les jours passés à l’intérieur de l’atoll inhabité de Tahanea, dans des mouillages déserts et somptueux.
Le Dimanche 6 Juin, nous franchissons en sortie la passe Teavatapu, et mettons le cap sur la passe sud de l’atoll de Fakarava. Fakarava est le plus grand atoll des Tuamotus après celui de Rangiroa. Il est relativement habité (il n’y a pas foule tout de même, loin de là, quelques dizaines de personnes), et plus connu, et plus fréquenté que des atolls comme Amanu, Tahanea, ou Toau. Son petit aéroport dessert les atolls environnants.
Nous avalons les quelques 45 milles du trajet à bonne allure, en laissant l’atoll de Faaite à babord, poussés par un alizé de secteur est de 15 à 18 nœuds. Nous perdons successivement 2 leurres aux lignes de traîne, avalés par des monstres aux dents acérées, qui abondent dans ces eaux entourant les tombants de récifs.
Il nous manque des bas de lignes en fil d’acier, qui résistent mieux que le nylon aux lames de rasoir que sont les dents des poissons prédateurs – barracudas et thazards plus particulièrement, mais aussi requins - qui rôdent dans le coin. Il faudra s’équiper en conséquence à Tahiti…
Nous affalons à un demi-mille de la passe Tumakohua, qui permet d’entrer dans l’immense lagon de Fakarava par le sud-est. Je trouve l’alignement d’entrée aux jumelles, le courant est sortant, mais la passe est encore praticable. Elle est réputée pour être l’un des meilleurs spots de plongée au monde (avec la passe nord de Fakarava, Garuae, et celle de Tiputa à Rangiroa), sur le plan de l’observation des animaux marins. Pour l’heure, nous nous engageons dans le jusant de la passe en nous efforçant de rester sur l’alignement, et poussons le régime des moteurs à 2000 t/mn.
Les fonds remontent rapidement, nous passons à proximité de l’ancien village de Tetamanu, jadis principale agglomération de Fakarava, et même un temps capitale administrative des Tuamotus. Il ne reste plus aujourd’hui qu’une petite église, un village déserté, d’anciennes tombes, quelques rares farés habités, deux pensions pour les plongeurs sous-marins, et un petit club de plongée.
A Fakarava, (comme à l’atoll voisin de Toau d’ailleurs) notre Service des Phares et Balises a fait fort. Il a doté l’intérieur des atolls d’un balisage digne de la chaussée de Sein… Incroyable, comme si ces atolls voyaient passer un trafic commercial intense, alors que la « goélette » se contente de venir à quai au seul village de Fakarava, Rotoava, proche de la passe nord !
Là où j’ai encore été obligé de constater qu’on jetait l’argent de nos impôts par les fenêtres des farés polynésiens, c’est que, de surcroît, ce balisage est ….lumineux !!!
Alors que chacun sait que personne, absolument personne, ne navigue la nuit à l’intérieur des atolls, ce serait folie. Beaucoup trop dangereux, à cause des récifs à fleurs d’eau qui parsèment le lagon. Chaque balise, latérale ou cardinale, est ainsi équipée d’un panneau solaire, d’une batterie, d’un feu, etc…d’où un entretien conséquent, ce qui doit probablement permettre de justifier le maintien à Papeete de fonctionnaires dûment sur-rémunérés par notre lointaine république…
Les mérous du lagon n’ont pas du en croire leurs yeux le jour où on a mis tout ça en marche, mais je me dois de reconnaître que tous ces feux blancs, rouges ou verts, qui clignotent toute la nuit à la surface du lagon sont du plus bel effet, esthétiquement parlant.
Allez, je préfère changer de sujet…
Nous suivons le parcours sinueux qui permet de retrouver les eaux calmes du lagon, et allons mouiller pour la nuit à proximité du village de Tetamanu, dont la visite ne nous laissera pas de souvenirs impérissables. Le mouillage, trop proche de la passe, n’est pas très bon non plus, la chaîne se prend dans le corail, et la position d’équilibre instable du bateau au mouillage, entre effets contraires du vent et du courant, nous oblige à nous éloigner pour la nuit.
Un chenal balisé a été tracé à l’intérieur du lagon de Fakarava, entre la passe nord de Garuae, le mouillage du village de Rotoava, et la passe sud de Tumakohua.
Nous l’empruntons partiellement le lendemain pour rejoindre au moteur le mouillage de Tiketite. L’atoll de Fakarava est suffisamment grand pour que nous n’apercevions pas, même aux jumelles, les autres rives du lagon. Je monte dans les barres de flèche pour guider Marin, aux commandes, entre les « patates » de corail. Le mouillage de Tiketite est d’honnête facture (pas terrible, ce terme, il me rappelle le boulot… !), nous irons nous y promener sur le platier, dénicherons une petite crique où Barbara pourra faire ses longueurs de nage, pendant qu’Adélie ira explorer les environs avec son sac à dos version naturaliste.
En fin d’après midi, un catamaran américain nous rejoindra au mouillage, et, la nuit tombée, mettra en marche ce qui doit être une installation home-cinéma de grande qualité, car ce sera un festival de sons et lumières pendant 2 bonnes heures ! Chacun son truc !
Moi je préfère regarder le ciel incroyablement pur des Tuamotus, où, le soir venu, la Lune, la planète Vénus et les constellations de l’hémisphère sud donnent ensemble à la nuit une agréable clarté.
Le lendemain, nous retrouvons le chenal sur près de 20 milles pour parvenir au nord de l’atoll, jusqu’au village de Rotoava. Un mouillage abrité des vents d’est, une douzaine de voiliers à l’ancre, deux épiceries suffisantes pour faire un approvisionnement de dépannage en attendant Tahiti, une boulangerie, une église, un quai en dur pour la goélette, quelques pensions, et le club de plongée Te Ava Nui, le tout maintenu sous perfusion par la liaison aérienne journalière avec Papeete.
En chemin, nous avons aperçu quelques fermes perlières, installées à proximité de petits motus (îlots), au milieu du lagon. Barbara, à l’âge de l’adolescence, était venue passer quelques jours dans l’une de ces fermes sur pilotis, avec ses parents, alors basés à Tahiti (mon beau-père commandait alors l’aviso-escorteur « Commandant Henry » de la Marine Nationale). Mais elle ne se souvient pas de l’endroit où se trouvait cette ferme.
Nous faisons quelques courses indispensables à Rotoava, car nos approvisionnements datent essentiellement de notre passage au Panama, et, depuis quelques jours, nous exploitons au mieux les fonds de tiroirs de la cambuse.
Nous trouvons à l’OPT (Office des Postes et Télécommunications) une connexion wi-fi de mauvaise qualité, et nos deux ordinateurs conjugués ne seront pas de trop pour faire parvenir à Vincent les 6 nouveaux billets du blog et les 48 photos qui les accompagnent.
Nous avons assez vite épuisé les charmes de Rotoava, et personnellement, je ne suis guère surpris que les atolls les plus fréquentés soient ceux qui me séduisent le moins…
Le prochain atoll vers le nord-ouest après Fakarava, c’est Toau. J’ai les cartes électroniques de détail, et des traces GPS intéressantes qui mènent en zigzagant au milieu du corail à ce que je suppose être des mouillages … de rêve, isolés à souhait.
Nous quittons le mouillage de Rotoava et gagnons la passe de Garuae, en sortie, à 5 ou 6 milles de là. Nous laissons la piste de l’aéroport à tribord, bon nombre de voiliers faisant escale à Fakarava vont y chercher ou y conduire un équipier. Un semi-rigide rempli de plongeurs sous-marins nous double en se dirigeant vers la passe.
Le vent est faible et nous effectuons la quinzaine de milles qui nous sépare de la passe d’Otugi au moteur.
Le courant sortant crée dans cette passe, relativement étroite, une zone de vagues déferlantes assez hautes, 1 mètre à 1,50 mètre. La encore, il nous faut solliciter la puissance de nos deux moteurs pour parvenir à franchir ce maelström , qui s’étend sur environ 3 à 400 mètres de longueur. Je demande aux enfants de s’accrocher, ce n’est pas le moment de faire des acrobaties sur les flotteurs. Barbara me donne les informations depuis la table à cartes, nous gagnons progressivement du terrain vers le lagon, puis nous passons. Dès que les fonds nous le permettent, nous quittons la veine de courant principale en virant sur la droite. La vitesse sur le fond (SOG, speed over ground) augmente doucement sur l’écran du GPS : 1,5 nœud, 2, 3, 4 puis 5 nœuds. C’est gagné !
A nous le lagon de Toau !
Je fais un tour d’horizon aux jumelles : personne, pas un voilier dans l’atoll, malgré sa proximité avec celui de Fakarava ! Cela m’étonnera toujours…
J’aurai toujours du mal à comprendre la raison pour laquelle mêmes les voiliers voyageurs, dont on pourrait supposer les équipages amateurs de grands espaces, s’agglutinent souvent à plusieurs dans des mouillages qui ne sont pas forcément d’un très grand intérêt…
Eloquente démonstration d’un surprenant instinct grégaire, qui somme toute, m’arrangerait plutôt…
Je suis loin d’être misanthrope, mais je n’aime guère voyager au bout du monde pour me retrouver dans des concentrations migratoires de voiliers.
Autant que possible, j’apprécie que la nature soit forte, puissante, et que la main, pas toujours heureuse - tant s’en faut - de l’homme, l’ait peu altérée . J’aime revenir à ce presque rapport de forces qui remet l’homme à sa place, plus modeste que d’habitude. C’est pour cela que j’affectionne de vagabonder dans des endroits reculés, parfois difficiles, qui sollicitent ce que l’on pourrait appeler l’intelligence environnementale de l’être humain, sa capacité à s’inscrire sans heurt dans le paysage...
J’ai repéré un endroit qui semble sympathique dans le lagon, dénommé Anaite sur la carte. L’approche est bien entendue truffée de « patates » de corail. J’enregistre mentalement les infos données par la carte électronique, puis rejoint le poste de vigie dans le mât de Jangada. Le premier étage de barres de flèches n’a beau être qu’à une dizaine de mètres au-dessus de l’eau (on y monte grâce aux marches en aluminium fixées sur le mât), cette hauteur est suffisante pour disposer d’un point de vue global beaucoup plus détaillé que depuis le niveau du pont.
Marin prend les commandes du bateau, Barbara veille l’écran de l’ordinateur, et Adélie assure les liaisons. Chacun a son poste, l’équipage commence à être rôdé, et, je vais vous le dire, cela me fait plaisir.
Nous avons beaucoup gagné en efficacité depuis notre appareillage de La Rochelle, mais il a fallu un peu de temps pour que chacun comprenne que cette organisation, héritée de mon expérience de la navigation, était la meilleure pour tout le monde, c'est-à-dire qu’elle permettait d’obtenir le résultat le plus efficace et le plus sûr dans le temps le plus court.
Par exemple, Marin avait du mal à comprendre pourquoi il était justifié qu’il répète les ordres de barre ou de propulsion, comme sur un navire de commerce en manœuvre portuaire, histoire que je sois sûr qu’il les ait bien compris. Barbara rechignait à me donner régulièrement, à l’approche d’un mouillage, sans que j’aie à le lui demander, la profondeur indiquée par le sondeur. Adélie, en charge d’assurer les liaisons vocales pendant les manœuvres, s’octroyait le droit se quitter son poste sans prévenir pour aller faire un truc dans le carré qui n’avait rien à voir avec sa mission…
Aujourd’hui, et plus particulièrement après notre passage dans les Tuamotus, vous assisteriez à une manœuvre de l’équipage familial de Jangada, vous diriez :
« Ouah, dis-donc, c’est pro ! ».
En effet, en effet, et le captain apprécie…
La mer apprend la rigueur, l’efficacité, et la simplicité. Je le sais depuis longtemps.
Après quelques sinusoïdes coralliennes, nous mouillons dans l’eau translucide du lagon, par 5 mètres d’eau. Notre premier job, avec Marin, sitôt les moteurs stoppés, c’est de mettre l’annexe à l’eau avec les bossoirs, de prendre un masque et le sondeur électronique à main, et d’aller vérifier qu’aucune « patate » de corail inscrite dans le périmètre engendré par le rayon d’évitage n’est dangereuse pour les fins ailerons fixes de notre catamaran, qui descendent à 1,60 mètre sous la surface.
C’est seulement après que la vie au mouillage, paisible et ludique, peut commencer.
L’un de mes plaisirs préférés consiste alors à aller repérer le coin. J’adore.
A Anaite, j’ai remarqué depuis mon poste de vigie dans la mâture un ancien faré dans la cocoteraie, à quelques 200 mètres du mouillage. Et à ma grande surprise, j’observe que des volutes de fumée émergent de la cime des cocotiers.
Il y a quelqu’un qui vit là, dans la cocoteraie, au bord du lagon.
Nous y découvrirons un paumotu solitaire, d’une soixantaine d’années, largement tatoué, qui se fait appeler John. Il ne parle pas très bien le français, mais je crois comprendre qu’il est originaire de Fakarava, et qu’il vit et travaille là, à entretenir le faré et la cocoteraie pour le compte du propriétaire, qui habite Fakarava. Je lui demande comment il fait pour vivre, loin de tout, car j’ai constaté qu’il n’avait pas de bateau, pas même une pirogue à balancier pour aller pêcher dans le lagon. Il me répond qu’il a un petit stock de nourriture, qu’il mange des cocos et des urus (fruits de l’arbre à pain, qui pousse sur les atolls), et qu’il va pêcher des mérous du côté du large, sur le platier. Son boss lui rend visite une fois par semaine.
Le soir venu, John démarre son petit groupe électrogène pendant une heure ou deux, et, depuis Jangada, nous apercevons une ou deux ampoules électriques qui brillent entre les troncs de cocotiers, dans le début de la nuit…
J’essaie de trouver un endroit propice aux longueurs de nage de Barbara, car ma vahinée a pris l’habitude aux Tuamotus de faire 2 fois 45 minutes par jour de natation. Elle a besoin pour cela d’une centaine de mètres si possible dépourvue de « patates » de corail, avec environ 1,50 à 2 mètres d’eau, et de préférence pas trop loin du rivage.
Au-delà, les requins de récifs rôdent…
Et même dans les limites de cette piscine naturelle, il faut être vigilant, car les mauris affectionnent les eaux très peu profondes. Avec Marin, nous assurons la sécurité de Barbara pendant ses exercices bi-quotidiens. Nous positionnons l’annexe au mouillage sur son grappin juste à l’extérieur de l’axe de nage de la belle, et nous patrouillons en plongée (snorkelling) avec nos fusils sous-marins, l’œil aux aguets.
C’est la première fois que Barbara a besoin de body-guards…
A plusieurs reprises, nous avons été obligés de renoncer, et de remonter dans l’annexe en abandonnant la partie, après avoir constaté la présence insistante d’un requin…
Ces mouillages dans les atolls sont emprunts d’une grande paix, les nuits sont calmes, nous dormons bien, je monte souvent au moins une fois par nuit sur le pont, jette un œil circulaire, assouvit par-dessus bord un besoin d’autant plus naturel que cela se passe sous la voûte étoilée (ce qui transcende cet acte hydraulique simple au départ, non ?), et regagne ma couchette pour me rendormir auprès de ma vahinée, qui n’a que rarement connaissance de mes activités nocturnes !
Le lendemain de notre arrivée à Anaite, nous laissons les enfants jouer à proximité du faré de John, et partons, Barbara et moi, faire une grande ballade sur le platier de l’atoll, côté océan. Nous marchons d’abord sur la bande de corail mort (il faut des chaussures enveloppantes, car le corail est souvent très coupant), puis rejoignons le platier submersible, qui a une largeur de l’ordre d’une centaine de mètres. C’est le royaume des petits poissons de roches, des perroquets vert émeraude, des coquillages nacrés, et des murènes grises, qui se cachent dans les roches sous 15 cm d’eau. Je m’amuse à observer leurs réactions, les déloge de leurs planques du bout du pied, et elles commencent alors une course effrénée vers l’océan, telles des anguilles surprises à découvert dans une prairie au bord d’une rivière. Elles pullulent sur le platier.
Nous parcourons ainsi plusieurs kilomètres, attentifs à chaque objet que la mer a rendu à la terre après une dérive plus ou moins longue : bois flotté, cordages divers, aussières de cargos, flotteurs de fermes perlières, bouteilles et tongues en plastique, et même un crâne et quelques vertèbres de ce qui semble avoir été une baleine à bosse (à vérifier !).
Nous retrouvons ensuite le corail mort, puis traversons la cocoteraie (200 à 300 mètres de largeur), et prenons le chemin du retour, plus paisible, en longeant le rivage côté lagon. Des raies nagent au ras des roches, des araignées tissent leur toile entre les arbustes, des crabes s’enfuient à notre approche, quelques rares oiseaux s’envolent de la cocoteraie, des frégates planent haut dans l’azur.
Je repère des empreintes de sabots dans le sable corallien : ceux sont celles de cochons sauvages, échappés des enclos d’anciens farés, et retournés à la vie sauvage.
L’idée me vient que si j’avais pu en rencontrer un… la cambuse s’en serait trouvée mieux ! Encore qu’attraper l’animal et lui faire sa fête, malgré un certain retour de mes instincts aux valeurs primaires depuis quelques mois, n’aurait pas été partie gagnée d’avance…
De retour à bord, je pique une tête entre les deux coques de Jangada, quel bonheur !
Puis je me rince à l’eau douce dans la jupe arrière babord, et regarde le soleil rejoindre de plus en plus vite la ligne d’horizon…
Le mouillage de Maragai, que nous avons rejoint 48 heures plus tard, est celui d’un ancien village de ramasseurs de coprah, aujourd’hui déserté. Il subsiste quelques cabanes de bois, un peu de mobilier, des flotteurs, une citerne d’eau douce. Les enfants y trouveront leur bonheur pendant deux autres jours, à condition de faire reculer dans la cocoteraie abandonnée elle aussi les dizaines de bernards l’ermites qui ont pris possession des lieux, quelques araignées, et quelques guêpes…
Des requins de 30 cm de long nagent dans 20 cm d’eau.
Le temps s’est arrêté, pour nous, dans ces atolls magnifiques…
Nous franchissons la passe Otugi en sortie, et longeons pendant une quinzaine de milles le tombant du récif, entre 100 et 300 mètres de distance. Le sondeur capte rarement les fonds, tellement le profil de l’atoll est accore. Nous perdons encore deux leurres aux lignes de traîne, mais finalement nous réussissons à ramener à bord un splendide thazard d’1,50 mètre de longueur. C’est un des plus redoutables prédateurs de l’extérieur du récif, un poisson profilé pour la vitesse, doté par la nature d’une dentition proche de celle du barracuda.
Une fois harponné depuis la jupe, nous parvenons à le sortir de l’eau, et je lui bloque rapidement la mâchoire ! C’est mieux pour nos phalanges !
Nous nous apercevons aussitôt que son dos et ses flancs portent 3 petites blessures à vif, parfaitement découpées, d’environ 3 cm de diamètre. A chaque blessure, un peu de chair a été très proprement enlevée, en creux, comme avec une petite cuillère qui serait affûtée comme une lame de rasoir incurvée. Nous restons perplexes, et hésitons à le vider, en nous demandant si ce ne sont pas là les symptômes d’une maladie de l’animal.
Dans le doute, je le vide quand même, et me dis que tout à l’heure, en arrivant à l’anse Amyot, nous demanderons à Gaston s’il peut nous éclairer sur ce mystère.
Ce qui déterminera la destinée finale de notre thazard, sans pour autant lui rendre la vie, qu’il a perdue.
L’anse Amyot est une échancrure naturelle dans l’anneau corallien de Tohau, située au nord-ouest de l’atoll. Elle a tout d’une passe, sauf qu’elle n’en est pas une : un platier de corail recouvert d’1 mètre d’eau à peine ferme complètement l’accès au lagon. L’anse ainsi formée constitue par contre un excellent mouillage, très abrité.
Mais très connu. Lorsque nous y arrivons, une douzaine de voiliers sont mouillés sur les coffres installés par Gaston !
Cela provoque toujours chez nous un réflexe immédiat de réserve… Nous n’apprécions guère l’instinct grégaire, comme vous le savez déjà…
Deux familles paumotus sont installées là depuis toujours, organisées autour de deux sœurs. Valentine, épouse de Gaston (la quarantaine tous deux), s’occupe du petit boui-boui polynésien, et sa sœur gère la pension de 5 minuscules farés installés sur la grève, à quelques mètres de l’eau. Le club de plongée de Rotoava (Fakarava) dispose ici d’un local utilisé par les plongeurs.
Ces deux familles paumotus , dont la vie a radicalement changer depuis moins d’une dizaine d’années, sont – et restent - d’une extrême gentillesse, et l’anse Amyot ne désemplit pas.
Certains navigateurs en font même un peu trop à notre goût, et Gaston et Valentine ont une patience infinie de les supporter… Par philosophie de la navigation (la nôtre), nous décidons de ne pas nous éterniser dans cet endroit.
Gaston nous rassure immédiatement au sujet des blessures de notre thazard : l’animal a été attaqué par un banc de petits requins à pointes noires, le long du tombant, non pas une fois qu’il a été pris à la ligne de traîne, mais un ou deux jours plus tôt. Et c’est la morsure des petits squales qui a occasionné le prélèvement de chair, à la forme si caractéristique. Les petits requins attaquent donc en meute, comme les loups.
On savait déjà qu’il se passait des choses sous l’eau dans le quartier, mais on n’imaginait pas que même les grands prédateurs n’étaient pas à l’abri d’un traquenard!
Nous nous mettons au travail pour découper le thazard et faisons 6 grands bocaux de conserve, stérilisés à la cocotte-minute, pour les jours plus difficiles.
Nous gardons 1 ou 2 kgs de filets qui seront préparés en poisson cru au citron et à l’huile d’olive, tellement délicieux…
Nous sommes conviés à partager le dîner des 12 ans de mariage de Gaston et Valentine. Un cochon a été tué le matin avant notre arrivée. Chacun amène quelque chose, et la soirée s’avance tard dans la nuit, parsemée de rires, d’histoires d’atolls et de mer, et de chansons polynésiennes accompagnées à l’ukulélé.
Le lendemain, j’irai m’immerger au large de la passe, à marée montante, avec palmes, masque et tuba, et me laisserai rentrer dans l’anse par le flot (le courant parvient à passer par-dessus le platier de corail qui obstrue la passe et contribue ainsi au remplissage du lagon, et à sa vidange), tout en gardant le cordage de l’annexe à la main, en la remorquant derrière moi, prêt à sauter dedans en cas d’alerte. Le paysage sous-marin qui défilera sous mes yeux est fantastique de vie, de couleurs et de lumière.
Marin préfèrera longer le parc à poissons de Gaston, et verra de près de grosses murènes impressionnantes.
J’emmènerai cette fois Barbara faire ses longueurs à l’intérieur du lagon, dans une petite retenue d’eau sécurisée.
Nous assisterons le Dimanche matin à un incroyable prêche de Valentine, dans une petite chapelle érigée là par Gaston et son épouse, après leur conversion au christianisme peu avant leur mariage.
Nous assisterons ainsi à une description inattendue, et ô combien précise, de l’arche de Noé, du paradis et de l’enfer, version paumotu, qui ne serait probablement pas conforme aux canons liturgiques de la papauté de Benoît XVI, mais qui restera gravée dans nos mémoires pour longtemps…
Allez, le moment est venu de quitter notre « archipel heureux »…
Cap sur … Tahiti !
Olivier
Franchissement de la passe d'Otugi, en entrant dans l'atoll de Toau, sous un grain.
Au mouillage de Tetamanu, atoll de Toau, devant le faré de John le paumotu solitaire.
Coté exterieur,les 4 zones distinctes de l'anneau corallien. L'océan, le platier, la bande de corail mort, la cocoteraie.
Rivage intérieur du lagon de Toau.
Paysage du lagon de Toau.
Promenade sur le platier de Toau, et découverte d'un crâne de cetace.
Barbara s'entraîne à danser le tamouré, en prévision du Heiva de Juillet...
Marin et Adélie dans leur faré de Maragai, à Toau.
Lancement du radeau d'Adélie, dans le lagon de Toau.
Un requin de récif à pointes noires, ou mauri, dans peu d'eau.
Couchers de soleil grandioses sur l'eau calme du lagon de Toau.
Mouillage paisible à Maragai, atoll de Toau.
Pêche d'un joli thazard, entre la passe d'Otugi et l'anse Amyot,le long du tombant, atoll de Toau.
Ce redoutable prédateur est néanmoins attaqué par des bancs de petits requins mauris. Observez les blessures sur son flanc...
Valentine, convertie il y a douze ans, à son prêche du Dimanche, à l'anse Amyot.
Gaston et Valentine, nos hôtes paumotus de l'anse Amyot, atoll de Tohau.
Si loin du monde, ou bien au coeur de celui-çi...