mardi 1 juin 2010

Billet N°62 – Notre première journée de navigation aux Tuamotus

Par Olivier

C’était hier, Vendredi 28 Mai 2010.

Nous avons quitte l’île paisible de Taravai aux Gambier il y a un peu plus de 48 heures, et depuis nous avons parcouru près de 400 milles. Nous avons d’abord laissé l’atoll de Maria à faible distance à tribord, puis les îles du groupe Actéon également à tribord, les atolls de Fangataufa et Moruroa à babord, l’atoll de Tureia a babord, et, vers la mi-journée d’hier, nous avons serré à le toucher l’atoll de Vaiaaretea, à tribord .

La ligne horizontale des cocotiers ne nous est apparue sur l’horizon qu’à une petite dizaine de milles de distance. Vaiaaretea est un atoll dépourvu de passe d’accès, comme la plupart des atolls au sud-est des Tuamotus. Les atolls de Moruroa et Fangataufa font exception, ils sont dotés d’une passe, et sont parmi les plus éloignés de Tahiti, ce qui leur a valu d’être choisis pour les essais nucléaires du CEP (Centre d’Expérimentation du Pacifique).

Entre 1966 et 1974, la France a procédé à 46 essais atmosphériques, et à 146 tirs souterrains entre 1975 et 1996. La dernière série d’essais eut lieu entre le 5 Septembre 1995 (Moruroa) et le 27 Janvier 1996 (Fangataufa).

Aujourd’hui, pas question d’aller pointer les étraves de Jangada dans le lagon de Moruroa, la navigation est strictement interdite à tout navire dans un périmètre conséquent autour des deux atolls mitoyens. L’armée française vous prie de passer votre chemin…

Elle n’a sans doute pas envie qu’un journaliste plus ou moins bien intentionné, peut-être même plus ou moins honnête, vienne faire un énième papier sur ce site célèbre, tout en prélevant quelques échantillons de corail, et quelques poissons du lagon, histoire d’en faire vérifier la teneur en matières radioactives… Les derniers essais effectués en Polynésie (sans faire de politique, il faut reconnaître à notre ancien Président Chirac, le courage politique qui a du s’avérer nécessaire pour décider la reprise, en 1995, d’une dernière série d’essais, alors que chacun savait qu’une telle décision allait soulever un tollé général sur la planète) ont je crois permis de valider les nouveaux missiles qui équipent aujourd’hui nos sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE), mais aussi de valider les futures procédures d’essais nucléaires en l’absence d’essais réels…

Le grand Charles a du voir juste lorsqu’il a établi le concept de dissuasion nucléaire, au début des années 60. Il faut constater qu’on n’a pas été emmerdés depuis, et que notre technologie, y compris en matière nucléaire (civile ou militaire) impose le respect à l’étranger.

Aujourd’hui, la plupart des installations militaires ont été démontées, mais un petit détachement est maintenu sur place : il est chargé de vérifier que les plus célèbres atolls de l’Océan Pacifique retournent doucement, au moins à leur isolement, sans recevoir de visites inopportunes.

De toute façon, nous n’étions pas trop tentés d’aller y faire escale, il y a tout de même 75 autres atolls aux Tuamotus…

La carte mentionne juste un point de débarquement au nord-ouest de l’atoll de Vaiaaretea, où doit se situer un tout petit village de quelques farés seulement, dont un pylone signale la présence. Sans doute la « goélette » de Tahiti passe-t-elle de temps à autre pour embarquer du coprah, et livrer quelques denrées vitales. Mais le transbordement doit être sportif. Nous avons vu les rouleaux déferler bruyamment sur l’anneau corallien de l’atoll, dans des nuées d’écume, et le vacarme des brisants nous parvenait nettement tandis que Jangada, à quelques encâblures de là, taillait sa route à 8 nœuds vers les atolls d’Hao et d’Amanu, situés plus au nord-ouest. J’avais mis les 2 lignes de traîne à l’eau en passant près de l’îlot, en espérant attraper quelques protéines, mais sans succès.

La nuit est maintenant tombée, nous sommes sous grand-voile haute et solent, route au 312. Le vent d’est, 15 nœuds environ, nous vient de tribord arrière. Cette nuit nous devons changer d’heure, et passer de TU – 9 à TU – 10, il y a une heure de moins aux Tuamotus et dans les Iles de la Société par rapport aux Gambier.

Cela fait donc un décalage de 12 heures tout ronds avec la France.

En deuxième partie de nuit, atterrissage sur les deux grands atolls d’Hao et d’Amanu, il va falloir ouvrir l’œil. J’ai positionné un waypoint à 2 milles au sud de l’atoll d’Amanu, et, en soirée, il nous reste environ 85 milles à parcourir pour y parvenir.

Pour cette nuit, comme pour les deux précédentes, je me suis installé dans le carré dès le crépuscule. Aux Tuamotus, il faut régulièrement contrôler sa position, de nuit comme de jour, les courants sont parfois sensibles, et la navigation, bien que beaucoup moins hasardeuse qu’auparavant avec le GPS et la cartographie moderne, exige un peu de rigueur.

Barbara, qui a du manger du chien dans son chao men à Rikitea la veille de notre départ des Gambier, n’est pas au mieux de sa forme, et apprécie d’aller dormir en bas.

Adélie, qui a visionné cet après-midi (pour la énième fois…) le film « Les deux frères » (une jolie histoire de tigres), marche à quatre pattes dans le carré en rugissant et exige que je l’appelle Sanga… Elle a construit une invraisemblable cabane dans la moitié babord du roof, et compte bien passer la nuit à l’intérieur. Bon, du moment que tous les coussins réquisitionnés ne s’effondrent pas sur l’écran de mon ordinateur de navigation, et qu’il m’en reste un pour somnoler, ma foi, cela ne me dérange guère.

Marin est allé se coucher dans la cabine milieu tribord, il n’aime guère veiller tard le soir, le sommeil le rattrape en général assez vite, croissance oblige…

La nuit commence par un splendide lever de Lune, à l’est, la pleine lune va nous éclairer toute la nuit, un élément bien agréable en mer.

Depuis les Galapagos, la planète Vénus brille tous les soirs dans l’ouest, à faible hauteur, dès que l’obscurité a recouvert la surface de l’océan. Elle perd rapidement de la hauteur sur l’horizon, puis, invariablement, disparaît à mes yeux en plongeant dans la mer.

Adélie s’endort assez vite dans le carré, mais j’entends sa respiration régulière qui me tient compagnie pendant ces longues heures d’obscurité.

J’ai vu sur mon logiciel Maxsea que la marée serait haute vers 05H00 demain matin à Hao, c’est l’heure à laquelle il faut idéalement se présenter devant la passe d’entrée de l’atoll d’Amanu, très voisin de celui d’Hao. Mais la passe est au sud-ouest du lagon, soit 7 milles après mon waypoint d’atterrissage.

Ca va être juste pour y être à l’heure optimale d’une part, d’autre part il fera encore nuit, ou tout au moins faudra-t-il se contenter des toutes premières lueurs de l’aube pour approcher notre première passe des Tuamotus… Pas complétement idéal. La situation s’annonce serrée.

J’étudie les détails de l’entrée dans le lagon sur la carte électronique que je grossis à volonté sur l’écran de mon ordinateur.

Chose rare, l’atoll d’Amanu est doté de 3 passes, mais une seule est praticable pour nous, bien qu’elle ne fasse que 0,04 mille de large, soit 75 mètres environ. Sur ces 75 mètres, seuls 25 constituent la largeur utile de la passe. Je remarque qu’une chaussée de corail ferme en partie la passe à son entrée dans le lagon, obligeant à effectuer une chicane avant de bénéficier du calme du plan d’eau intérieur…

Notre première passe aux Tuamotus, étroite à souhait, un grand lagon de plus de 200 km2, un timing pas gagné, j’essaie de cravacher Jangada en gardant de la toile dans les grains épars de la nuit, dont je vois arriver la masse sombre sur notre arrière tribord.

Tout cela crée une petite appréhension que… je garde pour moi.

J’ai corrigé légèrement, mais à plusieurs reprises, la route, au cours de la nuit.

Entre le contrôle de la position et de la route suivie, les réglages de voiles rendus nécessaires par la présence de grains, et les tours d’horizons de veille pour détecter l’éventuelle présence d’un autre bateau, je somnole, allongé à tribord dans le carré. Je règle mon minuteur de cuisine (dont la sonnerie est désagréable, mais efficace) sur 20 minutes, et je m’endors pour de courtes séquences de sommeil.

La nuit s’étire ainsi doucement. Sous ces latitudes, elle est longue, douze heures, et quand on est en mer, l’arrivée du jour nouveau est toujours un moment apprécié.

Le pont est encore mouillé de la pluie lâchée par le dernier grain. Nous ne sommes pas en avance, un moteur marche depuis une heure déjà dans le souffle mollissant de cette fin de nuit, et je mets à profit les premières lueurs qui éclaircissent l’horizon à l’est pour raccourcir la route et couper au plus court à quelques centaines de mètres de l’anneau corallien. Je vois clairement les brisants et la ligne parfaitement horizontale des cocotiers qui recouvrent l’atoll.

Nous passons, tribord amures, du grand largue au vent de travers, puis au près bon plein. A border les voiles ! Jangada affectionne ces allures relativement proches du vent, et il accélère à 10 nœuds.

Le changement de comportement du bateau, associé à la lueur du jour qui envahit doucement les cabines, sortent Marin de sa bannette, dans la coque tribord. Adélie s’étire doucement dans le carré. Nous affalons les voiles. On aperçoit quelques paumotus d’Ikitake, le petit village d’Amanu, sur la grève, qui observent la manœuvre et les préparatifs d’entrée dans la passe de Jangada.

Dans ces îles, on se lève tôt, 05H30, on vit avec le jour, et le soir, à 20H00, après deux heures d’obscurité, la plupart des villageois sont couchés.

Je jette un dernier coup d’œil à la carte détaillée sur l’écran de mon ordinateur, montre à Marin et Barbara la passe et surtout la barrière de corail qui vient obstruer en partie l’axe d’entrée au moment de pénétrer dans le lagon, obligeant à effectuer un S au moment opportun. Je leur indique qu’il leur faudra aller veiller aux étraves, chacun d’un côté, pour m’aider à franchir le passage, et trouver le calme du lagon.

Comme je le craignais depuis hier soir, nous sommes légèrement en retard, l’étale de pleine mer est passée depuis trois quarts d’heure. Lorsque nous approchons de l’axe de la passe, nous constatons qu’il existe déjà une veine de courant sortant, qui n’augure rien de bon dans mon esprit. Dans cette passe étroite qui doit vider en 6 heures (d’une hauteur d’eau de 75 cm) un immense lagon de 279 km2, avec l’aide de deux autres micro-passes, la renverse s’installe vite…

Je fais signe à un pêcheur local, qui traîne ses lignes dans le courant au sortir de la passe avec son embarcation à moteur hors-bord. Il s’approche, et me dit que je peux y aller. Par expérience, je sais qu’il faut se méfier de ce genre d’appréciation des marins locaux, ils ne naviguent pas sur le même genre de bateaux que nous, et leur expérience, leur façon de voir les choses, ne sont pas les mêmes que les nôtres.

Nous nous engageons dans l’étroit passage, chacun à son poste, mais un petit rappel de mécanique des fluides s’impose rapidement à nous : plus la passe devient étroite, plus le courant est fort…

Je pousse les moteurs à 2000 tours/minute, mais je me rends vite à l’évidence. Nous ne passerons pas, nous nous sommes présentés trop tard après la pleine mer. La renverse est déjà bien établie, et le courant sortant est déjà de 5 nœuds.

Surtout, ne pas faire demi-tour, le passage est trop étroit, le bateau irait toucher les roches latérales. Ralentir progressivement le régime des moteurs, tout en conservant son cap entrant dans l’axe de la passe, laisser le courant prendre le dessus, et se laisser éjecter vers le large comme un bouchon pris dans le jusant.

Leçon N°1 de la navigation dans les lagons des Tuamotus :

1) Regarder la surface du lagon : plus il est grand, plus il y aura d’eau à sortir (et rentrer) dans la ou les passes

2) Compter le nombre de passes dont est doté le lagon : certains atolls n’en ont aucune, là, c’est simple, on reste dehors. Une seule passe : toute l’eau concernée par l’amplitude de la marée devra passer par cette seule passe, cela promet une renverse rapide et un joli débit, donc un fort courant dans la passe. S’il y a deux ou trois passes, elles contribueront à diminuer le courant dans la passe principale. De l’hydraulique de base, donc.

L’équipage est déçu de se retrouver dehors, nous devrons attendre maintenant l’étale de basse mer, dans près de 5 heures, pour entrer dans le lagon. Deux solutions maintenant pour patienter, soit se laisser dériver, les fonds descendent en quelques trois cent mètres de distance à des profondeurs abyssales, soit tenter de mouiller sur l’accore du récif corallien, puisque nous sommes sous le vent du récif.

J’irais bien faire un repérage en annexe de la passe et du mouillage, aussi choisissons-nous la deuxième solution. Sur la carte, à faible distance de la passe, je vois une petite langue de corail qui s’avance de quelques dizaines de mètres vers le large. Nous la trouvons au sondeur, et jetons l’ancre dans 20 mètres d’eau. Marin allonge à ma demande 70 mètres de chaîne, et le sondeur indique 50 mètres de fonds… Mouillage précaire, mais qui permettra aux enfants de « faire le CNED », pendant que j’irai en repérage à l’entrée du lagon.

Je laisse les consignes, prend avec moi une VHF portable pour être joint immédiatement si besoin, emmène le sondeur électronique à main, et pars avec l’annexe remonter le courant de la passe. Des turbulences et des remous déjà impressionnants ont pris naissance dans la veine de courant sortant. Je passe avec de la vitesse, repère de part et d’autre la chicane de sortie, et débouche dans l’immense lagon, dont je n’entrevois pas les extrémités.

Le minuscule village d’Ikatake est installé, comme souvent aux Tuamotus, à proximité de la passe. Je découvre un petit mouillage abrité par une ancienne digue en dur, aujourd’hui submergée. Mais je ne relève que 1,60 mètre d’eau dans l’entrée, trop peu pour nous.

Un voilier dériveur est mouillé à l’intérieur. J’apprendrai plus tard qu’il appartient à un géomètre de Tahiti, venu cadastrer l’atoll d’Amanu. Beau métier, la géométrie en Polynésie !

J’amarre l’annexe à un petit quai de corail, et serre la main du premier paumotu qui se présente : c’est le policier municipal du village, un grand costaud seulement vêtu d’un short.

Il me souhaite la bienvenue, et comme il ne voit pas notre voilier, me demande d’où je viens. Je lui explique que nous avons du rester dehors en attendant l’étale de basse mer, mais que nous arrivons des Gambier. Il habite le fare le plus proche, et j’aperçois sa femme qui est occupée à confectionner un collier de fleurs sur le pas de sa porte. Mon hôte me dit que ce soir, il y a fête à Ikitake, pour l’inauguration de l’église rénovée. Je lui demande s’il y a d’autres voiliers dans le lagon en ce moment, et il m’indique que deux ou trois voiliers sont mouillés à l’est, sous le vent des motus.

Comme partout en Polynésie, les chiens sont nombreux dans le village. Un vrai fléau pour le visiteur ! Barbara, qui en a peur, va être servie…

Je ne traîne pas, et reprends la passe en sortie pour rejoindre le bateau sans tarder.

Un peu avant 11H00, nous relevons l’ancre, et faisons route vers la passe. Cette fois, il subsiste juste un peu de courant sortant, 1 ou 2 nœuds pas plus, c’est pas plus mal pour entrer, le bateau gouverne mieux à la barre. Nous nous engageons dans la passe sous les yeux de plusieurs villageois, et cette fois, nous la franchissons sans difficulté, d’autant qu’à marée basse, les cayes de corail sont plus visibles.

Nous mouillons à proximité du village, dans une quinzaine de mètres d’eau, et allongeons 60 mètres de chaîne. Mais je n’aime guère ce mouillage, au vent du rivage, avec 6 ou 7 milles de fetch (distance sur laquelle a soufflé le vent à partir du dernier abri), soit la largeur de l’atoll.

Comme souvent, quand l’ancrage est délicat, ou vital pour le bateau, je demande à Barbara, toujours aux commandes pour les manoeuvres de mouillage, de tirer progressivement sur la chaîne en fin d’opération, avec les deux moteurs, pendant que j’observe le comportement de la chaîne, qui en dit long sur la tenue ultérieure du mouillage.

Nous déjeunons puis allons à terre en début d’après-midi.

Le village d’Ikitake est typique des Tuamotus. Des petites maisonnettes espacées avec un toit de tôle, entourées d’un jardinet, quelques arbres, des petites ruelles de terre battue ou de corail concassé, une église, un temple, un terrain de volley, la mairie-école-OPT (Office des Postes et Télécommunications), quelques ruines de maisons bâties en dur avec de la pierre de corail noircie par le temps.

Les paumotus n’ont pas l’air trop regardants sur la netteté de leur environnement. Quelques arbres à pain, des frangipaniers, des hibiscus, et des cocotiers, beaucoup de cocotiers. A l’ombre d’un grand arbre sur la place du village qui borde la passe d’entrée dans le lagon, nous croisons trois hommes assis, qui nous interpellent joyeusement. L’un est le pêcheur croisé ce matin à proximité de la passe. L’un de ses amis me tend un verre de ce que je crois être du vin blanc. Il semble avoir largement attaqué sa soirée, même si le soleil est encore haut dans le ciel. Nous échangeons quelques mots en rigolant. Non loin de là, nous entendons les répétitions de la chorale, ce soir le village fête la rénovation de son église « Sanito », une branche dissidente des Mormons. Pour l’occasion, un pasteur américain a fait le déplacement jusqu’à Ikitake, via Papeete et Hao.

C’est un autre trait surprenant de la population polynésienne : son aptitude à adhérer à ce que nous appelons des sectes, ou tout au moins des mouvements religieux dérivés des deux principales religions chrétiennes présentes en Polynésie, protestantisme (majoritaire) et catholicisme . Il y en a de toutes sortes, et il semble qu’elles aient un pouvoir d’attraction plus important sur les polynésiens que les grandes religions traditionnelles.

Nous croisons un raé raé, sur le pas de porte de la petite maison familiale. Il a les ongles longs, couverts de vernis rouge sang, et nous confirme la raison des festivités du soir.

Certains paumotus, qui ont de la famille à Amanu, sont venus de Hao, l’atoll voisin, en speed-boat , à cette occasion. Un peu plus loin, nous voyons les préparatifs culinaires de la fête : des tables ont été dressées sous un toit de pandanus, et trois femmes font cuire des mérous du lagon sur des braseros où se consume la bourre des noix de coco. Un homme est en train de râper des cocos. Ils nous demandent d’où nous venons, et lorsque je lui réponds des Gambier, son œil s’illumine, il est originaire de Mangareva. Hervé, notre maraîcher fournisseur de légumes et fruits de Taravai, nous avait parlé de son oncle qui vivait à Amanu.

Nous faisons vite le rapprochement, c’est lui ! Nous lui donnons des nouvelles fraîches de son neveu, et lui indiquons qu’Hervé a prévu de lui faire parvenir quelques échantillons de sa production légumière par Orphée, un autre voilier qui arrivera dans quelques jours à Amanu depuis Taravai.

Nous allons jusqu’au bout du village, là où l’interminable cocoteraie qui fait de façon presque continue le tour du lagon, commence. Une baraque abrite le local des 2 groupes électrogènes, dont l’un tourne de 5 heures du matin jusqu’à 22 heures le soir.

Mais j’aperçois un grain noir qui se forme au vent du lagon, et nous décidons de rentrer à bord. Je préfère aller mouiller dans la partie orientale du lagon, sous le vent de l’anneau corallien. Ce sera plus calme, et plus sûr.

Nous laissons passer le grain, puis tentons de relever le mouillage, mais il faut se faire à l’évidence, la chaîne est prise dans le corail. Elle se tend verticalement alors qu’il y a encore 50 mètres à l’eau, et nous oblige à des manœuvres au moteur, dans plusieurs directions, pour tenter de la dégager de l’emprise du fonds. Le guindeau travaille dur, la poutre avant encaisse les efforts, je n’aime pas ça. Je fais toujours très attention à notre matériel, et le guindeau est un équipement technique capital à bord de Jangada. Il assure non seulement la fonctionnalité mouillage, très importante car nous y passons l’essentiel de notre temps de voyage, mais aussi le hissage de la grand-voile avant son étarquage, une manœuvre particulièrement physique lorsqu’il faut l’effectuer au winch manuel, bien que la drisse de grand-voile soit mouflée (c'est-à-dire qu’elle constitue un palan à deux brins). Nous utilisons pour le glissement du guindant de la grand-voile sur son rail des chariots Antal sur patins et non sur roulements à billes. Ils sont beaucoup plus solides et durables que ces derniers, mais le frottement est un peu plus important au hissage.

Barbara aux commandes, Marin au guindeau, Adélie à la transmission des informations au milieu du bateau (cela évite de trop gueuler !), et moi à l’avant à voir ce qui se passe et à donner les consignes.

Il nous faut un bon quart d’heure pour parvenir à désengager cette première prise, mais à 35 mètres (la chaîne porte des marquages tous les 10 mètres), le problème se renouvelle.

Et cette fois, cela semble encore plus sérieux. Avant, arrière, à droite, à gauche, on dévire, on vire la chaîne. Rien n’y fait. Le temps passe, le guindeau s’échauffe, je souffre avec le matériel ! Nous sommes immobilisés là, avec notre chaîne emprisonnée dans le corail, au vent du rivage. Je n’aime pas trop ça.

Nous remettons l’annexe à l’eau, je prends un masque et essaye de voir ce qui se passe au fond, à l’avant du bateau. Il n’y a qu’une quinzaine de mètres d’eau, mais nous sommes à proximité de la passe, et je ne vois pas suffisamment nettement le fonds pour comprendre d’où vient le problème et manœuvrer en conséquence.

Je regrette infiniment de ne pas être capable de plonger avec une bouteille. J’ai tout le matériel nécessaire à bord, une grosse bouteille, une petite, deux détendeurs, combinaison, ceinture de plomb, etc … et même un gilet de flottabilité ! Je m’étais juré de suivre la formation du niveau 1 l’année précédent notre départ, justement pour pouvoir plonger dans ce genre de situation, mais voilà, la perspective de me taper des séances en piscine à La Rochelle au cours de l’hiver, puis quelques plongées dans les pertuis avec un bon 15 cm de visibilité devant le masque, le tout ajouté à ma dose de boulot habituelle, est venue à bout de ma bonne résolution…

Et aujourd’hui, je regrette infiniment.

Bon, je ne dis pas que j’aurais été très à l’aise pour plonger là, seul, à proximité de la passe, même dans 15 mètres d’eau. Les pêcheurs du village m’ont dit tout à l’heure que oui, biensur, les requins étaient présents partout dans le lagon, et que les plus gros affectionnent plus particulièrement les parages de la passe…

Nous avons prévu d’offrir un stage de plongée à Marin pour son anniversaire en Août, dans les Iles Sous le Vent. Il a déjà des bons gestes de plongeur, et je me dis qu’il est grand temps que je le fasse aussi, ce stage !

Il nous faudra plus d’une heure de manœuvres pour parvenir à désengager la chaîne du corail.

L’après-midi est déjà avancée, le soleil a amorcé sa descente sur l’horizon, c’est maintenant un peu juste pour entreprendre la traversée du lagon vers l’est, mais je n’ai pas envie de remouiller dans ce champ de mines de « patates » de corail. Allez, en route, et sans traîner !

Je laisse Barbara aux commandes, Adélie au relais vocal, et Marin et moi nous nous hissons jusqu’au premier étage de barres de flèches, le poste de vigie de Jangada.

Moteurs à 1700 t/mn, nous traversons le lagon d’Amanu, le regard scrutant les flots pour détecter les cayes de corail à fleur d’eau. L’œil s’y exerce vite, mais le soleil, dans notre dos (indispensable pour naviguer à vue à l’intérieur des lagons, non hydrographiés) est déjà bas sur l’horizon, ce qui n’est pas idéal.

C’est étrange comme, au milieu des lagons, par des fonds le plus souvent de l’ordre de 20 mètres, s’élèvent des cathédrales de corail parfois de plusieurs dizaines de mètres de diamètre, qui viennent, heureusement systématiquement, affleurer la surface. Comme l’amplitude de la marée est faible (de 50 cm à 1 mètre), on les distingue généralement avec une relative facilité, pour peu que l’on respecte la règle impérative qui veut qu’à l’intérieur des lagons on ne navigue exclusivement qu’avec le soleil derrière soi.

C’est la course contre la nuit, qui arrive vite aux Tuamotus. Nous montons à 2000 t/mn avec les moteurs, rien d’extraordinaire pour la mécanique, mais nous ne dépassons jamais 1500t/mn d’ordinaire.

Nous approchons de l’autre rive de l’atoll.

Quelques changements de cap plus tard, nous approchons d’un motu couvert de végétation, et approchons doucement du rivage débordé par un platier étroit.

Fonds de sable corallien, parsemé de quelques « patates ».

Nous trouvons une zone de mouillage qui nous assure le rayon d’évitage sur 360°, et jetons l’ancre dans une eau assagie, à l’abri de l’anneau corallien et de la cocoteraie qui le recouvre à cet endroit. La chaîne a fait tête, le mouillage est bon.

Le soleil plonge dans la mer, on a réussi notre coup !

Allez, ti punch au rhum agicole Depaz pour les grands, et ti punch enfants pour les jeunes (citron vert, sucre de canne, eau fraîche).

Puis plâtrée de pâtes au basilic pour tout le monde, suivie d’un (gros) pamplemousse des Gambier, juteux à souhait et tellement délicieux.

Fin de notre première journée aux Tuamotus…

La nuit s’annonce calme, demain sera un autre jour, nous partirons découvrir le lagon d’Amanu.

Olivier
Devant la passe étroite de l'atoll d'Amanu, à l'étale de basse mer.

Les ruelles du village d'Ikitake, seul village de l'atoll d'Amanu.

Au poste de vigie de Jangada, à veiller les patates de corail.

Au mouillage dans le lagon, sous le vent de l'anneau corallien, atoll d'Amanu.

Marin aux commandes de Jangada, dans le lagon.

Le calme et la beauté déserte d'un lagon, aux Tuamotus.

Jeune vahinée, très fashion, à Amanu.

Popaa confirmée, sur une plage de corail, atoll d'Amanu.

Le captain a les traits un peu tirés, la première journée aux Tuamotus a été longue.