samedi 14 janvier 2012

Billet N°143 –Cap des Tempêtes versus Cap de Bonne-Espérance : Bartolomeu, toi seul aurait pu me dire où est la vérité…

Décembre 2011
Par Olivier

Il y a quelque chose qui ne colle pas au bout de la Péninsule du Cap.

Géographiquement, et historiquement, je veux dire.
C’est juste une suggestion, mais en réalité pour moi, une interrogation, et jusqu’à preuve du contraire, presque une conviction…
Voilà le problème : je ne crois pas vraiment que ce qu’on nous présente aujourd’hui comme le Cap de Bonne-Espérance soit le même cap que celui que Bartolomeu Dias reconnût sur sa route de retour venant de l’est (et allant vers l’ouest) en 1488, et qu’il nomma Cap des Tempêtes, en souvenir du coup de vent qui l’emmena contre son gré dans le sud. Ce Cap des Tempêtes que son roi préféra appeler, quelques mois plus tard, Cabo de Boa Esperança… en rapport avec les espoirs que son pays nourrissait depuis des décennies, à savoir que ses vaisseaux atteignent bientôt, via le sud de l’Afrique, les Indes Orientales.

Je crois que si le marin - pragmatique et respectueux du bon sens par nature et par exigence - qui croise au large des côtes d’Afrique du Sud, fait preuve d’un minimum de logique, il a forcément un doute sur la fidélité de l’histoire maritime. Mais peu de monde semble-t-il partage mon interrogation. Ce qui ne veut pas forcément dire qu’elle soit dépourvue de sens. Si, si, je persiste. Une chose a attiré mon attention et m’interpelle depuis que j’ai parcouru à terre la péninsule du Cap, me rendant de Cape Point au Cap de Bonne-Espérance par un sentier côtier, en une demi-heure à peine (les deux pointes ne sont séparées que de 2 km environ à vol d’oiseau). Depuis, aussi que j’ai regardé en détail la carte marine des lieux concernés. Ce doute n’a fait que se confirmer lorsque, par la mer cette fois, nous avons traversé l’ouvert de False Bay, doublé Cape Point, et quelques minutes plus tard à peine, le Cape of Good Hope. Seul Bartolomeu (Dias), disparu en mer en l’an de grâce 1500, exactement dans ces parages, lors d’un nouveau voyage, pourrait éclairer ma lanterne.
Son journal de bord peut-être aussi, s’il existe encore dans des archives au Portugal…

Cette interrogation métaphysique (qui ne m’empêche pas de dormir tout de même) a peut-être une réponse quelque part.
Le Cap de Bonne-Espérance d’aujourd’hui est-il à sa vraie place ?

Je ne suis malheureusement pas un érudit, pas non plus un historien maritime, mais j’ai du mal à y retrouver la logique des marins que je commence à bien connaître.
Je n’ai pas (encore !) pu étudier la question plus avant (il faudrait aller à Lisbonne faire des recherches), et certains historiens maritimes réputés pourraient sans doute contribuer à élucider pour moi le problème, mais pour l’heure, je reste sur ma faim.
Je penche plutôt pour une réponse négative.
Il y aurait pour moi confusion, mic mac, erreurs historique et géographique.

Des indices ?

False Bay, la fausse baie. Immense, à l’est de la péninsule du Cap. Pourquoi un nom pareil ? Confusion, mic mac, erreurs, aussi. Parce que, lors des premiers voyages des explorateurs portugais vers les Indes, à partir de 1498 (Vasco da Gama), lorsque les caravelles revenaient par l’est, il est arrivé que cette baie, ouverte dans un azimut moyen approximatif de 175° soit
confondue avec la Baie de la Table, pourtant située à quelques 49 milles plus loin (de centre baie à centre baie), plus de 23 minutes de latitude plus au nord, et ouverte dans un azimut moyen approximatif de 305°. Notons aussi que False Bay doit avoir, approximativement, une superficie de 10 à 12 fois supérieure à celle de Table Bay !
Confusion, mic mac, erreurs.
Voilà que l’on retient couramment comme point extrême sud de l’Afrique le Cap de Bonne-Espérance, alors que ce statut revient en réalité au Cap des Aiguilles, situé à 80 milles dans l’azimut 111° du Cape of Good Hope, et quelques 28 minutes de latitude plus au sud.
Confusion, mic mac, erreurs.
Notez que le Cap de Bonne-espérance, tel qu’on nous le présente aujourd’hui, n’est qu’un modeste rocher, pas même un promontoire. Non seulement il ne porte aucun phare (car sa position n’en serait d’aucune utilité pour la navigation maritime), mais aucune croix, amer, ou simple cairn n’a jamais été érigé à son sommet, dont l’altitude doit être de 2 à 3 fois moindre que celle de Cape Point…
Vous trouvez cela logique, vous ? Non, c’est bizarre.
La vérité, c’est que ce cap, très secondaire, n’a aucune importance maritime, du point de vue de la navigation. Il n’est pas utile au navigateur, si vous préférez. Voilà qui n’est pas un détail, tout de même.
Tout près de ce soi-disant cap, un vrai cap existe, Cape Point, majestueux, grandiose, finissant un long promontoire qui s’effondre dans la mer de plus de 200 mètres de hauteur. Un promontoire qui ferme au sud-ouest la False Bay, et à partir duquel le marin, pour la première fois depuis qu’il a longé la côte occidentale d’Afrique, des milliers de milles plus au nord, peut enfin faire davantage route à l’est que route au sud. Cela a un sens.
Un autre indice ?
Ce cap, cas extrêmement rare, n’a pas seulement un phare puissant, mais deux. Le premier avait été installé tellement haut qu’il était trop souvent pris dans les nuages, et de ce fait peu utile aux marins, alors on en a construit un deuxième, plus près du niveau de la mer. Un cap qui a plutôt deux phares qu’un seul, c’est un signe, cela a un sens. Cela veut dire que, naturellement, les hommes, et les marins, ont depuis longtemps estimé que Cape Point était sans le moindre doute le cap le plus remarquable du secteur. Pour les marins, et l’usage maritime. Je ne dis rien d’autre. C’est exact.

Mais alors, c’est quoi ce Cap de Bonne-Espérance quasi minable qu’on nous présente aujourd’hui ?

Bartolomeu doit rêver de remonter à la surface de la mer qui lui sert de linceul pour aller remettre un peu d’ordre dans cette histoire, et dans l’Histoire.
Je crois qu’il ferait un peu de ménage.
Lorsqu’il est passé à proximité à son voyage aller de 1488 d’ouest en est, Dias n’a eu vraisemblablement que le loisir d’apercevoir à plusieurs milles de distance ce cap de très loin principal, aujourd’hui appelé Cape Point. Il fut déporté vers le sud par le mauvais temps, sans pouvoir s’en approcher. Il n’y avait d’ailleurs pas intérêt, car il aurait peut-être fait naufrage sur les récifs bien connus et positionnés aujourd’hui, mais inconnus à l’époque. C’est seulement à son passage retour depuis Mossel Bay qu’il a pu reconnaître le Cap Agulhas (nommé ainsi 10 ans plus tard par l’expédition de Vasco da Gama, à laquelle il participait), puis le cap remarquable à partir duquel on peut infléchir la route vers le nord quand on vient de l’est, et vers l’est quand on vient du nord. Ce cap remarquable, il l’a appelé Cap des Tempêtes. Et c’est ce même cap remarquable, important psychologiquement sur la route des Indes, que son roi Jean II décida de rebaptiser Cabo de Boa-Esperança…

Très franchement, quand on vient de l’est comme nous l’avons fait, on voit Cape Point, on ne voit pas le Cape of Good-Hope, qui est comparativement insignifiant. Sur une image radar, il en est de même. Dias n’en avait évidemment pas, il n’avait pas non plus la moindre carte marine un tant soit peu précise de ces lieux nouveaux pour le monde occidental, il était donc logique qu’il se contente d’aller à l’essentiel. Cape Point d’aujourd’hui est un promontoire remarquable pour le marin. Je ne vois pas Bartolomeu Dias, avec les instruments de navigation basiques dont il disposait à l’époque, porter un quelconque intérêt à ce qu’on nous présente aujourd’hui comme le fameux Cap de Bonne-Espérance. Ma conviction, c’est que Bartolomeu Dias a très vraisemblablement ignoré ce qu’on appelle aujourd’hui le Cap de Bonne-Espérance, lequel ne représentait rien pour lui en tant que navigateur. Dias, pour moi, a vu Cape Point comme il se doit, c'est-à-dire comme un cap remarquable.
Il y a là une confusion, un mic mac, des erreurs.

Le seul critère qui pourrait œuvrer un tant soit peu en faveur de ce cap peut-être usurpateur, alors que tous les autres militent contre lui, c’est que, bien que je n’ai pu le vérifier à terre (n’ayant pas de GPS avec moi), à seulement quelques mètres près, les rochers extrêmes de l’actuel Cap de Bonne-Espérance sont peut-être positionnés très légèrement plus au sud que ceux de Cape Point. La carte marine ne permet pas de lever franchement ce doute, seulement de le supposer. Autrement dit, l’actuel Cap de Bonne-Espérance serait très légèrement dans le sud-ouest, et non pas seulement dans l’ouest, de Cape Point.
Mais à l’époque de Bartolomeu Dias, où l’on était capable de prendre False Bay pour Table Bay, les marins avaient d’autres chats à fouetter. Ils étaient dans l’impossibilité totale de connaître avec précision la valeur de la déclinaison magnétique (qui varie avec le lieu et avec le temps), et plus encore celle de la déviation de leur compas - son erreur instrumentale - (qui varie en fonction de critères encore plus nombreux et aléatoires). Alors croire qu’ils étaient en mesure de lever le doute sur 1 ou 2 degrés de relèvement (est-ouest) entre un cap et un autre situés à seulement 1,17 mille marin l’un de l’autre, c’est assurément se tromper. Et je ne pense pas que ces marins, qui étaient avant tout de rudes explorateurs, et non pas des mathématiciens passionnés de cosmographie, aient passé beaucoup de temps sur ces subtilités.

Autre indice, plusieurs documents historiques (des cartes entre autres) montrent que pendant des décennies qui se comptent peut-être en siècles, on a utilisé l’appellation Cap de Bonne-Espérance comme une appellation générale qui désignait la colonie installée dans la Baie de la Table à partir de 1652 par les Hollandais (le premier administrateur colonial fût Jan van Riebeeck), et non pas seulement un cap qui aurait été bien défini et situé au sud de la péninsule, à plusieurs dizaines de kilomètres de distance de cette même colonie.

On a donc à l’évidence beaucoup mélangé les faits, les rôles et les choses dans cette affaire depuis des lustres, postérieurement au premier voyage de Bartolomeu Dias dans les parages, et le résultat, c’est que rien n’est moins certain ni moins contestable que le fait d’attribuer au Cap de Bonne-Espérance (Jean II du Portugal) d’aujourd’hui, alias le Cap des Tempêtes (de Bartolomeu Dias) la position géographique secondaire et sans grand intérêt pour les marins qu’il a de nos jours sur les cartes marines et sur les cartes touristiques de la province du Cap Occidental (Western Cape).

Cape Point, beaucoup plus évident, n’est-il pas un cap usurpateur de la véritable Histoire ?

Hé, Bartolomeu, toi seul pourrais me dire ce qu’il en est…


Photo 1 - Le Cap des Aiguilles. Pour lui, au moins, c'est clair. C'est le point le plus sud du continent africain...

Photo 2 - Sur la péninsule du Cap, des antilopes (des autruches, et des babouins aussi)...

Photo 3 - Cape Point et ses deux phares, un vrai cap, et assez vraisemblablement, le Cap des Tempêtes de Bartolomeu Dias, en 1488...

Photo 4 - Le phare inférieur de Cape Point, un cap particulièrement remarquable depuis le large...

Photo 5 - Ma supposition, c'est que le Cape Point d'aujourd'hui serait peut-être le Cap des Tempêtes de Bartolomeu Dias...


Photo 6 - Et dans ce cas, Cape Point serait le Cap de Bonne-Espérance du roi Jean II du Portugal...


Photo 7 - Perché sur la haute falaise entre Cape Point et ce qu'on appelle  le Cap de Bonne-Espérance, je réfléchis,et je photographie...

Photo 8 - Le Cap de Bonne-Espérance d'aujourd'hui...

Photo 9 - ... un cap géographiquement très secondaire, sur lequel personne n'a songé à ériger un phare, tiens tiens...

Photo 10 - L'équipage de Jangada prend la pause devant la pancarte, mais notez que de là, le cap n'est même pas visible!