samedi 28 janvier 2012

Billet N°144 – Franshoek, histoire d’un petit coin de France... en Afrique du Sud.

Jeudi 12 Janvier 2012 – Franshoek, histoire d’un petit coin de France... en Afrique du Sud.
Par Olivier

La Petite Ferme, Mont Rochelle, Haute Cabrière, La Bourgogne, La Petite Dauphine, Haut Espoir, La Brie, Landau du Val, Véraison, La Chaumière, Grande Provence, Dieu Donné, Chamonix, Plaisir de Merle, Val de Vie, Allée Bleue, La Chataigne, La Motte, La Vigne…



Bienvenue à Franshoek (le « coin des Français »), à quelques 70 km à l’est de la ville du Cap.

Dans le cimetière du village, pas mal de tombes portent des patronymes bien de chez nous : Du Toit, Le Roux, Du Plessis, Dufour, Dupré, De Villiers, Joubert…

Ces pionniers qui, contraints, avaient choisi l’exil, ont magnifiquement réussi leur pari. Plus de 3 siècles plus tard, la petite bourgade de Franshoek, paisible et agréable, témoigne de la réussite de l’aventure vécue par ces colons emmenés vers la Colonie du Cap par les vaisseaux de la Compagnie Hollandaise des Indes Orientales.



Le 12 Janvier au matin, nous sommes à nouveau à Cape Town, pour y faire quelques courses techniques (filtres à huile et à gas-oil pour les moteurs Volvo, chariot de latte de grand-voile Antal, huile moteurs…) et y effectuer les formalités de sortie d’Afrique du Sud. Nous avons laissé le bateau sur son swinging mooring (coffre) devant le petit Yacht-Club de Saldanha, un mouillage gratuit, bien protégé et sûr. Et nous avons parcouru les quelques 140 km  qui séparent Saldanha du Cap à vive allure, dans des paysages semi-arides qui préfigurent le désert namibien, avec notre énième Hyundai i 10  de location. Petite mais bonne voiture. Notre technique est maintenant bien rôdée pour contourner les éventuelles difficultés locales avec l’agence Avis. Nous faisons jouer à plein la puissance du réseau international. La mondialisation, en somme ! (Elle a des bons, et des mauvais côtés, la mondialisation. L’important, pour soi, très égoïstement, c’est d’être du côté de ceux qui peuvent choisir les bons côtés…) Un petit coup d’œil sur le site Internet d’Avis South Africa pour localiser l’agence la plus proche et obtenir l’indication en direct du meilleur tarif pour la catégorie choisie (toujours la plus simple pour nous), puis nous quittons ce web-site local pour aller sur le site d’Avis France. Là, c’est très simple, on fait la même demande qu’à l’agence locale sud-africaine pour une location locale identique, on ne vous oppose aucune difficulté (genre disponibilité de la voiture, limitation du kilométrage…), et on vous propose soit de payer en ligne, soit de payer à l’agence locale. Si vous payez en ligne, c’est juste 30% moins cher ! Dans la minute qui suit, vous recevez par e-mail un voucher avec toutes les infos, que vous imprimez, et il vous suffit alors de vous rendre à l’agence locale à l’heure et au jour dits pour remplir le contrat et prendre livraison du véhicule, qui vous y attend, c’est la règle chez Avis, dont le slogan commercial est, en ce moment, We try harder. Prix journalier à peine plus de 22 euros, kilométrage illimité  (avec la location par l’agence locale, il existe une limite journalière à 200 km).

Beaucoup moins cher à quatre que le bus, et la liberté en plus.

Merci Avis France, Internet, et, dans ce cas, la mondialisation !

Après le parcours initiatique habituel des formalités de sortie du territoire, qui va, au hasard des informations glanées en chemin, d’un building du gouvernement à l’autre dans le centre de Cape Town, nous déjeunons en terrasse au Café Mozart, un endroit plein de charme, dans une petite rue piétonne proche de Long Street.

Puis nous quittons Cape Town définitivement, pour aller passer l’après-midi à Franshoek, ce petit coin de la province du Western Cape, où une poignée de huguenots (protestants) majoritairement français ou francophones se sont installés comme viticulteurs et fermiers, à la fin du XVIIème siècle, fuyant les persécutions consécutives à la révocation de l’Edit de Nantes.

Petit retour en arrière historique sans prétention.

1572, massacre de Wassy, début des guerres de religion dans le royaume de France. 1572, massacre de la Saint Barthélémy. 1593 : pour assurer l’unité du royaume en péril, Henri IV se convertit au catholicisme. 30 Avril 1598 : Henri IV proclame l’Edit de Nantes, un texte de compromis et de tolérance entre catholicisme (religion d’Etat) et protestantisme (toléré, et protégé) qui ramène la paix dans le royaume de France et de Navarre. 14 Mai 1610, assassinat de Henri IV par Ravaillac. La main du meurtrier était-elle commanditée ? Les protestants s’inquiètent, et redoutent de nouveaux complots, peut-être de nouveaux massacres. Novembre 1620 : le roi Louis XIII entre avec ses troupes en Béarn. Les protestants se réunissent en secret à La Rochelle, crée une constitution fédérative de provinces protestantes, et s’allient sous la bannière d’Henri de Rohan. Les guerres de religion de Louis XIII vont durer jusqu’en 1629. L’épisode guerrier  le plus connu est bien sûr le siège de La Rochelle (1627-1628). Riche de son commerce et de sa flotte, la ville, en majorité protestante, a tendance à développer sa propre politique. Inacceptable. Le roi, conseillé par Richelieu, décide de la réduire. On connaît la suite. Jean Guitton, le maire, capitule en Octobre 1628 après 13 mois d’un siège très dur, qui ne laisse à la ville que 1 500 habitants contre 27 000 au départ. Les Eglises de France sont seules face au pouvoir de la royauté. En 1656, les choses se gâtent à nouveau pour les protestants. Louis XIV, qui commence à caresser à cette époque des rêves impériaux, décrète une interprétation  rigoureuse de l’Edit de Nantes. Le roi fait examiner de près, et sans concession, les droits historiques sur lesquels repose l’existence de tous les temples du royaume. Dans le Poitou, en 1665, la moitié des temples protestants sont fermés ou détruits. Le roi, bouclier de la foi, se croit investi d’un sacerdoce royal, détenant de Dieu seul son pouvoir. Un peu mégalo, notre souverain, comme on le sait, mais ce trait de caractère ne nous a pas laissé que des avatars. C’est le début du culte du Roi-Soleil. En 1678, Louis XIV sort vainqueur du conflit avec les Pays-Bas (Provinces- Unies) protestants.

L’histoire de Franshoek, petite bourgade d’Afrique du Sud, commence là.

A compter de 1679, les choses empirent pour l’Eglise Réformée. Le Clergé  adresse « L’Avertissement Fraternel » aux protestants du royaume, pour tenter en vain la réunification pacifique des Eglises. En vain.

1685 : Louis XIV promulgue l’Edit de Fontainebleau, qui révoque l’Edit de Nantes. Le culte protestant est interdit, les pasteurs qui refusent la conversion au catholicisme sont expulsés du royaume. La quasi-totalité des temples sont détruits en quelques mois. Beaucoup de protestants adoptent une conversion de façade. Certains, fidèles à leur religion, liquident leurs affaires et choisissent l’exil. Mais la victoire de Louis XIV n’est qu’apparente. Le souverain, peut-être mal conseillé, et tout entier voué à son propre culte de grandeur, a sous-estimé le nombre et la puissance économique des protestants. Malgré l’interdiction qui leur est faite de quitter le royaume, eux et leurs biens, on estime que quelques 300 000 protestants ont fui le royaume de France entre 1680 et 1690. Les pays d’accueil sont la Suisse, les Pays-Bas, l’Allemagne, et l’Angleterre. A cette époque, la majeure partie de l’Europe du Nord est protestante.La solidarité envers les persécutés joue favorablement, les exilés y sont bien accueillis. Les Provinces-Unies (Hollande) sont, depuis un siècle, une terre de liberté, de tolérance et de refuge. En 1685, elles deviennent « la grande arche des fugitifs », la principale destination des réfugiés protestants..



C’est ainsi que se noue l’histoire des Français de Franshoek.



(Pour que prévale définitivement la tolérance, à travers la liberté de conscience et celle, conditionnée, du culte, il faudra attendre 1787 et l’Edit du même nom du roi Louis XVI, suivi en 1789, avec la Révolution,  de la Déclaration des Droits de l’Homme qui stipulera que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses pourvu que leur manifestation ne trouble point l’ordre établi par la loi ».)



Les huguenots étaient principalement des commerçants et des artisans qualifiés, souvent appréciés sur leur lieu de résidence, en exil. Dans les Provinces-Unies, où ils furent acceptés nombreux, leur présence finit néanmoins par poser un problème d’intégration.

Or, à l’époque même de cet exode religieux, le gouverneur néerlandais de la Colonie du Cap, Simon van der Stel, demandait avec insistance à la puissante VOC (Verineedge Oost-Indische Compagnie), Compagnie Hollandaise des Indes Orientales, émanation des six Chambres de Commerce des Pays-Bas,  qui avait entrepris de concurrencer vigoureusement l’avance portugaise sur les commerces prometteurs de l’Océan Indien, d’envoyer davantage de colons, fermiers, agriculteurs et éleveurs, pour développer la colonie, encore très modeste, et assurer le ravitaillement en denrées fraîches des navires (viande, fruits, légumes, vin), de plus en plus nombreux de la Compagnie, en route vers les Indes, ou revenant d’Orient. Le gouverneur insistait aussi sur l’accroissement des effectifs de défense dont avait besoin la Colonie. Quelques huguenots isolés étaient déjà parvenus à la Colonie du Cap, de façon individuelle, avant 1688 : François Villion, Guillaume et François du Toit, Jean Le Long, Nicolas de Lanoy…

Mais, le 13 Avril 1688, en baie de Saldanha, à une soixantaine de milles marins au nord de la Baie de la Table (un bien meilleur abri, sur le plan maritime) le vaisseau Voorschoten de la VOC débarque 21 huguenots français venus de Hollande. Entre 1688 et 1700, environ 200 d’entre eux débarqueront de navires de la VOC. Jusqu’à 1720, 70 autres huguenots rejoindront la Colonie du Cap, fondée en 1652.

Les conditions posées par la VOC aux huguenots pour leur transport au Cap à la charge de la Compagnie  étaient les suivantes :

-          ils devaient faire serment d’allégeance à la VOC

-          seuls les bagages nécessaires à leurs stricts besoins personnels étaient autorisés

-          ils pouvaient par contre emmener avec eux tous les fonds dont ils pouvaient disposer

-          ils furent autorisés à se faire accompagner de leur propre pasteur français

-          en tant que fermiers, on leur allouerait autant de terres qu’ils seraient capables d’en cultiver

-          ils pourraient acheter à la Compagnie du matériel agricole (semences, outils) et du bétail, le tout à crédit  (la plupart emmenèrent aussi, dans leur bagages, des pieds de vignes de cépages français…)

-          ils étaient tenus de rester au moins 5 ans dans la Colonie, après quoi ils étaient autorisés, le cas échéant, à regagner l’Europe, en acquittant, cette fois, le prix de leur voyage.

Mais l’exil fût pour la plupart d’entre eux une réussite, et bien peu rentrèrent. Aujourd’hui, plus de 500 000 sud-africains portent un patronyme français…



La vallée de Franshoek est entourée sur 3 côtés par des montagnes. Le village est aujourd’hui établi au centre d’un cirque, qui protège les cultures, vignobles et arbres fruitiers, des forts vents de sud-ouest ou sud-est qui soufflent fréquemment sur la cité du Cap. Le mûrissement des grains de raisin et des fruits profite à plein en été de la chaleur et de l’ensoleillement des collines vallonnées qui entourent le village.

En Avril 1688, les huguenots débarqués à Saldanha avaient reçu des terres qu’ils jugèrent vite de mauvaise qualité, dans le Drakenstein, non loin du Cap. Le gouverneur van der Stel accéda à leur demande de se voir octroyer de meilleures terres, et c’est ainsi que 9 fermes furent attribuées, en date du 18 Octobre 1688, dans la région de Oliphantshoek (devenu plus tard Franshoek), le « coin des éléphants », qui n’étaient pas rares à l’époque. Les pachydermes avaient l’habitude de monter dans la vallée pour mettre bas, à l’abri du cirque montagneux, où des conditions favorables au bon déroulement des premières semaines de leur progéniture étaient réunies. Ces mêmes conditions qui allaient plus tard, avec l’aide des cépages français amenés par les colons huguenots, favoriser les cultures viticoles de ce qui est devenu une des meilleures régions de production d’Afrique du Sud…

Ces fermes, attenantes les unes aux autres, avaient une superficie d’environ 50 hectares. Estienne Niel baptisa sa ferme La Dauphine. Pierre de Villiers appela la sienne La Burgogne. Pour Jacob de Villiers, ce fût La Bri. Et pour Abraham de Villiers, Champagne. Jean Jourdan eût La Motte et Pierre Jourdan Cabrière. Pour Jean Gardiol, ce fût La Cotte, et pour Matthieu Amiel, La Terra de Luc. Pierre Joubert, qui était originaire du sud-est du royaume, baptisa la sienne La Provence. La Bible avec laquelle le colon Pierre Joubert s’enfuit clandestinement du royaume de France (cachée dans une miche de pain), est encore visible aujourd’hui au musée huguenot de Franshoek. Par la suite, ces fermes furent sub-divisées, mais elles existent toujours. En 1713, la vallée prend le nom d’usage de Franshoek, parce que le français y est couramment parlé. En 1805, le Commissaire général de la République Batave au Cap, Jau de Mist, entérine le nom de Franshoek comme nom de la commune nouvellement créée. Le village de Franshoek fût plus tard établi sur des terres appartenant à l’origine aux fermes La Cotte et Cabrière.

Au départ, les terres mises à disposition des colons huguenots étaient vierges. Il fallut débroussailler et arracher avant de pouvoir planter vigne, arbres fruitiers et céréales. L’élevage fut plus immédiat. Sur les navires de la VOC, on embarquait volontiers du vin, non pas tant pour le plaisir des marins et passagers, mais parce qu’il suppléait avec avantage aux problèmes de conservation à bord de l’eau potable. La demande était forte, et la viticulture devint très tôt l’activité principale des fermiers de Franshoek, d’autant que les Pays-bas n’étaient pas connus, tant s’en faut, pour leur savoir-faire en la matière… L’attribution gratuite des premières fermes l’avait été en échange de l’obligation, pour les bénéficiaires, de rétribuer la VOC sous la forme d’un impôt équivalent au dixième du produit des vendanges et des moissons. Très vite, toutes les fermes de Franshoek possédèrent leur propre moulin à eau, et leurs propres caves. On y faisait également sécher le raisin et la distillation du brandy allait bon train…

Pour les huguenots, qui avaient fui la France parce qu’ils étaient persécutés par le royaume, la pratique de la religion et celle du culte était d’importance capitale.

A Franshoek, leurs convictions ne furent jamais contestées, et ils donnèrent au fil des décennies, dans cette vallée bénie, la preuve d’une incroyable capacité à s’adapter à leurs nouvelles conditions de vie.



Franshoek est depuis des lunes une vallée où il fait bon vivre, un village harmonieux et paisible, certainement l’un des plus agréables d’Afrique du Sud.

Photo 1 - Le village de Franshoek aujourd'hui, l'un des plus agréables d'Afrique du Sud...
Photo 2 - Le cirque montagneux de Franshoek, si favorable aux cultures...
Photo 3 - Les agapanthes, nombreuses en été dans la vallée...
Photo 4 - Le temple de Franshoek aujourd'hui...
Photo 5 - Un petit coin de France...
Photo 6 - Des noms de rues qui nous rappellent le pays...
Photo 7 - Le meilleur restaurant de Franshoek...
Photo 8 - No comment...
Photo 9 - Le monument aux huguenots de Franshoek...
Photo 10 - Idem...
Photo 11 - Le musée des huguenots de Franshoek...
Photo 12 - Idem...
Photo 13 - Les insignes de la VOC, Compagnie Hollandaise des Indes Orientales...
Photo 14 - La Bible du colon Pierre Joubert, arrivé à Franshoek en Octobre 1688...