mardi 4 août 2009

Billet N°4 - Départ pour un long voyage sur la mer jolie

Ouahh… !!! cette fois, le grand jour, celui de l’appareillage, est arrivé.


Hier et ce matin, les techniciens de chez Pochon ont semblé progresser sur le fonctionnement de la BLU et la programmation du modem Pactor du système Sailmail, essentiel pour notre communication à bord. En fait, on s’apercevra plus tard qu’il n’en est en réalité rien…et que l’histoire n’est pas finie. La marée est haute aujourd’hui en milieu d’après-midi. Nous n’avons pas fait de publicité autour de notre appareillage, volontairement (pour le cas où nous devrions faire demi-tour dans le Golfe de Gascogne !) la plupart des amis sont partis en vacances, et c’est bien ainsi : la discrétion nous va mieux pour ces circonstances, elle participe de la modestie qui s’impose naturellement à notre modeste équipage à l’aube d’un tel voyage au long cours.

Dimanche soir, tels Magellan (mais toutes proportions gardées, bien entendu, je rigole) et ses équipages dans l’église de San Lucar (embouchure du Guadalquivir) à la veille de son appareillage pour le premier tour du monde, nous sommes allés à la messe à Saint-Joseph. Dans l’église restaurée, chacun a eu ses propres pensées à la veille de partir pour ce long voyage. Aujourd’hui, nous y sommes.

14H50, nous larguons les amarres. Je m’amuse à jeter un regard rapide aux badauds sur le quai, qui ont, quelques instants, suspendus leurs pas, en cette belle journée d’été, tout en pensant qu’ils n’imaginent pas une seconde que le bateau qui manœuvre sous leurs yeux pour s’extirper du fond du bassin appareille pour un long voyage et des milliers de milles… On doit s’y reprendre à 2 fois pour faire effectuer aux étraves les 90° de la giration libératrice sur babord.

14H55 : les portes du bassin à flot sont ouvertes, le pont se lève dans son bruit de ferraille qui en a vu d’autres et que je connais si bien, nous franchissons les bajoyers, puis entrons dans le Vieux Port. Car il est peut-être plus symbolique de franchir les deux tours de la cité rochelaise en guise de ligne de départ de ce voyage vers des contrées lointaines.

15H08, c’est fait, « Jangada » prend le chenal en sortie. Sur le petit môle traversier de l’avant-port, deux silhouettes connues, et bien renseignées : Agnès, notre pharmacienne préférée (mais où est donc sa Méhari jaune canari ?), et Patricia, ancienne maîtresse d’Adélie à Notre-Dame. Merci d’être venues ! La tour Richelieu défile sur tribord, puis route au nord de Chassiron. Mais, avant de gagner le large, il reste à l’équipage deux formalités rituelles à accomplir : « tuer le makoui » de l’ancien « Erispoe » (ancien nom du bateau) et baptiser le nouveau « Jangada ». Il faut vous dire que le Captain ne rigole guère avec la tradition maritime, du moins pour son essentiel, mais malgré tout sans extrémisme outrancier.
Disons qu’il n’est pas conseillé de le chercher sur ce terrain-là, surtout à bord de son propre bateau... Mais c’est l’esprit de la chose qui est important, pas le détail. Nous avons changé le nom du bateau, et pour que cela ne porte pas préjudice à l’expédition maritime qui commence, il faut anéantir l’esprit associé à l’ancien nom, « Erispoe » (pardon Daniel !) pour favoriser celui associé au nouveau, « Jangada ».
Le Captain a prévu le coup, et, pour l’occasion, il a programmé (« trop fort n’a jamais manqué ») de sacrifier aussi l’affreux « Poulet-poulet ». Notre petite famille se trimballe ce putain de « Poulet-poulet » depuis des années : chacun conviendra qu’il est vraiment moche (voir photo), et entre autres de ce fait - jugé suffisant en lui-même- , mais aussi parce qu’il est devenu au fil du temps notre souffre-douleur officiel (il est donc admis une bonne fois pour toutes que lui faire du mal est normal et acceptable, voir souhaitable, et peut-être même nécessaire) et que cela dure depuis trop longtemps, eh bien voilà l’occasion d’en finir avec toutes les atrocités que « Poulet-poulet » a du subir depuis presque deux décennies.
Seule Adélie voudrait encore sauver sa peau et pousse quelques cris horrifiés , tandis que Barbara semble peut apprécier la notion de sacrifice… Passé le chenal de La Pallice, et tandis que les tours s’éloignent à l’horizon, le Captain et le Maître d’Equipage (Marin, seul vraiment acquis à la cause du boss) officient avec une certaine solennité, et « Poulet-poulet » est purement et simplement balancé par-dessus bord avec une pierre liée aux pieds… Il emmène avec lui dans les abysses marins toutes les mauvaises ondes qui pourraient entourer notre nouveau « globe-flotteur » (comme l’appellait Philippe de la voilerie Incidences), la laideur, la méchanceté , et la bêtise. En restera toujours assez sur notre route !

Honnêtement, même moi, cela me fait de la peine d’envoyer « Poulet-poulet » par le fond, mais … il le fallait. Et puis c’est pas le moment de mollir devant mon nouvel équipage!

Pour tuer le makoui, rien de tel que d’effectuer un splendide 8 avec le bateau, et de couper ainsi par deux fois son propre sillage. Heureusement que le pilote maritime Pierre Gloor n’est pas pour l’heure sur la passerelle d’un navire dans le chenal, j’aurais été obligé de lui expliquer en VHF les surprenantes formalités en cours ! Allez, action, un joli 8, exit « Erispoe », et bienvenue à toi dans la famille, « Jangada »…

C’est pas fini, maintenant le baptême…

16H30, route à l’ouest, à proximité de la bouée d’atterrissage, pertuis d’Antioche. Le Lieutenant (Barbara), assisté du Matelot léger (Adélie), ont rédigé un petit texte, un bouquet de fleurs est attaché à la « cathédrale » en aluminium sur la poutre avant, le Captain lit (solennellement) :

« Pour Jangada et son équipage, son Captain Olivier, Barbara, Timothée, Marin et Adélie, sans oublier tous les équipiers qui embarqueront à bord, que les vents leur soient favorables, que les océans leur soient cléments, que les escales leur soient douces, que la vie leur sourit, que Dieu les garde, et protège ceux et celles aimés restés à terre ! Longue et heureuse vie à toi, Jangada !

Puis il fracasse la bouteille de champagne sur le davier d’étrave. Aucune chance qu’elle ne se casse pas, croyez-moi…

Bon voyage, « Jangada » !

Que d’émotions aujourd’hui…

Allez, Chassiron a passé le travers babord, route au 244 dans le Golfe de » Gascogne…

Je sens une appréhension dans le regard de Barbara. Elle connaît la mauvaise réputation des 360 milles qui s’allongent devant les étraves… Je la rassure.

On est partis.

C’est, pour moi, déjà, une bien belle victoire.

Olivier



14H55 le Mardi 4 Août 2009, sortie du bassin


15H08 le même jour, passage des tours de la cité



Cap au large



Préparatifs du sacrifice...



Adieu Poulet-poulet!



Jangada a été baptisé, bon vent et longue vie!