vendredi 19 mars 2010

Billet N°53 – Chez les Indiens Kunas, dans l’archipel des San Blas…

Heureuses San Blas… mais pour combien de temps encore ?

A quelques dizaines de milles à l’est de la ville de Cristobal, qui marque l’entrée atlantique du Canal de Panama, s’étire au pied des montagnes du Panama une myriade d’îlots (365 dit-on) couverts de cocotiers : les San Blas.

Le destin des San Blas aurait pu se jouer entre 1501, date de la découverte de l’archipel par le conquistador espagnol Roderigo de Bastidas, et 1513, année où Vasco Nunez de Balboa traversa l’isthme étroit (80 kms environ) reliant les Amériques et aperçut l’Océan Pacifique.

Mais les Indiens Kunas Yalas, qui peuplent l’archipel des San Blas, se sont montrés particulièrement résistants, au cours des siècles, à l’altération de leur mode de vie.

Par la suite, les conquêtes espagnoles utilisèrent le port de Puerto Bello, non loin de Cristobal Colon et des San Blas, comme port de commerce avec la Grande Espagne. Les galions y étaient chargés des richesses de la côte pacifique, qui traversaient alors l’isthme de Panama à dos de mules sous bonne escorte, ce qui donna quelques idées au pirate Henry Morgan au XVII ème siècle…

Les San Blas constituent une région de l’état de Panama, bénéficiant d’une semi-autonomie depuis 1925. Anciens guerriers, les Kunas vivent hors du temps, d’une façon encore très rudimentaire aujourd’hui. Leur artisanat est original et constitue le moyen essentiel pour eux d’entrer en contact avec les voiliers de passage, et de gagner quelques dollars.

(L’unité de monnaie du Panama est le balboa, qui a une parité fixe avec le dollar américain, 1 balboa = 1 US$, mais, compte tenu de la longue gestion américaine de la zone du canal, depuis 1903 jusqu’à fin 1999, le dollar US est accepté partout).

L’après-midi touche à sa fin, nous atterrissons sur Cayo Chichime, après 750 milles, 4 jours et 7 heures de mer depuis les Aves, au Venezuela.

Nous nous faufilons dans l’étroit goulet qui conduit, entre les récifs, au mouillage entre deux îlots. La barrière de corail, au vent, nous protège de la houle du large.

Des cases couvertes de feuilles de palmes construites à quelques mètres de l’eau, deux ou trois pirogues monoxyles (les « cayucos »), creusées dans des troncs d’arbre, appareillent pour venir à notre rencontre, sitôt l’ancre enfouie dans le sable corallien.

Ce sont des femmes Kunas, qui viennent, à la pagaie, nous proposer leurs molas et leurs winnis.

Le petit commerce n’attend pas, et les premiers contacts sont dollarisés. Après tout, nos bateaux représentent aussi pour eux la preuve d’une grande richesse.

Elles portent elles-mêmes des habits très colorés, et les molas (carrés de tissus de couleurs vives, superposés et brodés) recouvrent leur robe au niveau du torse, aussi bien sur leur poitrine que dans le dos. Bras et jambes sont largement couverts de winnis, ces jolis bracelets multicolores, censés les protéger des mauvais esprits, que les femmes Kunas fabriquent dans leurs cases.

Autrefois, les femmes Kunas vivaient nues, et comme la plupart des individus appartenant aux ethnies indiennes d’Amérique, elles avaient l’habitude de porter des peintures corporelles. Lorsque les conquistadores les obligèrent à se vêtir, armées de ciseaux, de fils colorés et d’aiguilles, elles inventèrent les molas , qui vinrent égayer l’austérité des vêtements imposés par la colonisation. Au fil du temps, les molas devinrent les œuvres d’art de l’artisanat Kuna, les motifs y figurant représentant les scènes et les animaux qui font leur vie quotidienne, ou bien encore des motifs imaginaires.

Les femmes Kunas nous proposent les molas qu’elles ont travaillés sous l’abri de leur campement (10 US$) et les winnis qui ornent de couleurs chatoyantes leurs avant-bras et leurs mollets (5 US$). Adélie et Marin en choisiront chacun un, nul doute que l’apport de cet argent est utile pour ces familles, mais les Kunas n’y perdront-ils pas, à terme, leur authenticité ?

Un jour viendra où les molas seront fabriqués dans la banlieue de Shangaï…

Nous allons à terre faire le tour de l’îlot, quelques hectares seulement, et découvrons de près ces petits campements familiaux, où le matriarcat est de règle.

Des cases très simples faites d’une armature de bois ligaturés, un toit de feuilles de palmes, peu d’ouvertures, des hamacs suspendus à l’intérieur : c’est la case dédiée au repos et au sommeil. A quelques mètres, un autre abri, identique, adossé au vent dominant, mais ouvert du côté sous le vent : le coin cuisine et repas, un foyer où brûlent des écorces de noix de coco et quelques bois flottés séchés, avec autour quelques tabourets taillés eux aussi dans du drift-wood. Des poissons fument sur le feu.

Plus loin encore, un simple auvent de palmes, et des hamacs pour la sieste : les Kunas ne semblent pas connaître le stress. Quelques volailles courent de-ci de-là, un minuscule enclos végétal entoure un petit cochon noir, dont le destin semble écrit.

A l’écart du campement, un petit abri isolé dans les cocotiers, un trou dans le sol corallien, parfois une lunette de récupération, venue du continent, montée sommairement sur quelques planches de bois flotté, que l’on trouve en abondance sur le rivage des San Blas : les toilettes.

Souvent, les restes d’une ancienne pirogue servent de lavoir pour le linge.

Les cases des Kunas sont construites dans les cocoteraies, omniprésentes, à quelques mètres de l’eau du lagon. Sur la plage sont tirées deux ou trois cayucos (pirogues), qui avancent soit à la pagaie, soit à la voile, la pagaie servant alors de gouvernail. Les femmes Kunas les utilisent pour parcourir de courtes distances, à la pagaie, alors que ce sont les hommes qui effectuent les liaisons plus longues entre les îlots, à la voile, utilisant le vent constant de secteur est dominant qui souffle sur l’archipel.

Les San Blas, pour le navigateur de passage, ce sont des milliers de mouillages potentiels, dans de l’eau limpide, à l’abri des récifs coralliens, au milieu d’une population amicale, commerçante, mais jamais agressive, qui admet la présence des étrangers, mais sans curiosité excessive. Une région bénie des dieux, car elle ne connaît pas les cyclones, qui passent plus au nord, dans le Golfe du Mexique.

Les eaux sont très poissonneuses, et ne semblent pas être atteintes de la ciguatera : les Kunas pêchent poissons, langoustes, et crabes.

Snorkelling ? Les San Blas sont un paradis de la pêche sous-marine, libre, mais … attention aux requins, nombreux eux aussi.

Nous plongerons autour des récifs à fleur d’eau, à l’intérieur de la barrière, en restant toujours ensemble, et dans peu d’eau…

Les Indiens Kunas ont longtemps vécu de l’exploitation des cocoteraies, omniprésentes sur les îles, et nous avons vu, y compris sur les îlots non habités, des campements temporaires utilisés pour la récolte. L’eau douce utilisée par les Kunas provient de petits puits (2 mètres de profondeur) creusés dans le sol des îlots, sous lesquels existent de petites nappes phréatiques.

Adélie se serait bien vue vivre dans ces cabanes en feuilles de palmes quelques jours, à condition que Jangada reste au mouillage à proximité…

Mais cette exploitation de la noix de coco semble perdre de l’importance progressivement dans la vie pourtant encore peu dispendieuse des Kunas.

Nous ferons notre entrée officielle au Panama au petit poste kuna de Porvenir : deux fonctionnaires débonnaires, sympathiques, dont j’irai chercher l’un d’eux au petit café du minuscule hôtel-pension qui jouxte la non moins minuscule piste d’atterrissage (10 mètres de large, 200 mètres de long ?), afin qu’il appose sur nos passeports, sur ma crew list, et sur mon cruising permit un nombre suffisamment important de coups de tampon pour être pris au sérieux.

Heureux Indiens Kunas…

Leur authenticité les a préservés, et aujourd’hui encore, mais… pour combien de temps ? Certains signes montrent que les temps modernes se rapprochent de ces îles de carte postale : les premiers moteurs hors-bord apparaissent, certains petits îlots voient leurs cases autrefois familiales converties en hébergement à la journée voire en pension de quelques jours, certes sommaire, pour touristes bien renseignés. J’ai même vu, sur un îlot paradisiaque à l’état naturel, un des premiers bistrots kunas, dont le fonds de commerce repose tout entier sur le courant 220V fourni par un petit groupe électrogène portable à essence qui alimente un réfrigérateur, lequel proposait des Balboas fraîches, la bière panaméenne, payables en dollars US…

Après quelques jours passés dans ces îles enchantées, le mouillage des flats nous attend dans l’avant-port de Colon, à 85 milles nautiques des heureuses San Blas.

Le Canal de Panama nous invite dans l’Océan Pacifique.
Olivier
Marin, à l'approche des San Blas...

Heureux Kunas sur leurs îlots de rêve...

Habitation familiale Kuna, en cours de remplacement.

L'abri utilisé dans la journée par les Kunas...

Le cayuco tiré sur la plage...,

..., la pirogue monoxyle...

...des Indiens Kunas.

Mamy Kuna...

Molas et winnis, l'artisanat des femmes Kunas.

Molas...

Winnis...

... et winnis.

Le kayak remorqué par le Yam 15 CV, les enfants adorent...

Une jeunesse au bout du monde...

Photo de famille aux San Blas...